jeudi 30 avril 2009

Directive relative au sujet de la crédibilité

R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742

Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

Troisièmement, même si n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

Si on utilisait cette formule, on éviterait l'erreur qu'on trouve trop souvent dans les exposés supplémentaires. L'obligation du ministère public de prouver la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable est fondamentale dans notre système de droit criminel. Il faudrait prendre tous les moyens possibles pour éviter de commettre des erreurs dans les directives au jury sur ce principe fondamental.

Néanmoins, l'omission de se servir de ce modèle n'est pas fatale si l'exposé, considéré dans son ensemble, indique clairement que le jury ne peut pas ne pas avoir compris quel fardeau et quelle norme de preuve s'appliquent

mardi 28 avril 2009

Effet de l'absolution vs effet du pardon

Leclerc c. R., 2007 QCCA 1347 (CanLII)

[7] Je crois bon de citer ici le paragraphe 730 (3) du Code criminel :

730(3) Le délinquant qui est absous en conformité avec le paragraphe (1) est réputé ne pas avoir été condamné à l’égard de l’infraction; toutefois, les règles suivantes s’appliquent : (...)

[8] Il ressort de ce paragraphe qu'un délinquant absous, que ce soit conditionnellement ou inconditionnellement, est réputé ne pas avoir été condamné à l'égard de l'infraction visée. L'effet de l'absolution est donc le même dans les deux cas.

[9] Par ailleurs, l'article 6.1 de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), chap. 47, est rédigé comme suit :

6.1(1) Nul ne peut communiquer tout dossier ou relevé attestant d'une absolution que garde le commissaire ou un ministère ou organisme fédéral, en révéler l'existence ou révéler le fait de l'absolution sans l'autorisation préalable du ministre, suivant l'écoulement de la période suivante:

a) un an suivant la date de l'ordonnance inconditionnelle;

b) trois ans suivant la date de l'ordonnance sous conditions.

6.1(2) Le commissaire retire du fichier automatisé des relevés de condamnations criminelles géré par la Gendarmerie royale du Canada toute mention d'un dossier ou relevé attestant d'une absolution à l'expiration des délais visés au paragraphe

[12] Aux paragraphes 65 à 73 de cet arrêt, voici ce que déclare le juge en chef de la Cour, avec l'assentiment des juges Hilton et Bich :

[66] En principe, le délinquant absous ne peut donc plus présenter de demande de réhabilitation puisque seules les personnes condamnées ont le droit de le faire.

[67] Par l’introduction du nouvel article 6.1 de la Loi sur le casier judiciaire le législateur fédéral prévoit désormais que les informations relatives à l’absolution ne pourront être révélées sans l’autorisation du ministre et devront être retirées du fichier automatisé de la GRC après l’expiration des délais suivants : un an suivant la date de l’ordonnance d’absolution inconditionnelle et trois ans suivant la date de l’ordonnance sous conditions. Au sujet de ce nouvel article 6.1 de la Loi sur le casier judiciaire, la professeure Hélène Dumont écrit :

Les récents amendements à la Loi sur le casier judiciaire ont aussi eu comme effet de traiter les absolutions avec ou sans conditions comme une mesure sentencielle conférant un casier judiciaire temporaire à leur titulaire et qui disparaît automatiquement après l’écoulement d’une certaine période de temps. En d’autres mots, le bénéficiaire d’une absolution n’a pas à demander une réhabilitation administrative pour obtenir la radiation de son casier judiciaire. Il y a une péremption des inscriptions au casier judiciaire après un délai d’épreuve fixé par la loi. Sous cet aspect, on pourrait parler de réhabilitation légale de la personne absoute par l’effet du temps.

[68] Selon la Loi sur le casier judiciaire, les trois principaux effets de la réhabilitation sont : (1) la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur; (2) sauf exceptions, révocation ou nullité, elle efface les conséquences de la condamnation et fait cesser toute incapacité que la condamnation pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements; (3) elle entraîne la mise à l’écart de tout dossier portant sur la condamnation. Cependant, comme l’a mentionné la Cour suprême, la Loi sur le casier judiciaire n’a pas pour effet d’anéantir rétroactivement la condamnation et, en conséquence, de permettre à la personne réhabilitée de nier l’existence d’une condamnation passée.

[69] Il est vrai que la personne absoute bénéficiant d’une réhabilitation légale ne peut profiter, en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, des deux premiers effets, soit que la condamnation ne devrait plus ternir sa réputation et que la réhabilitation fait cesser les incapacités que la condamnation pouvait entraîner. La loi ne lui accorde que l’effet relatif au casier judiciaire, et ce, automatiquement après l’écoulement du délai prescrit.

[72] De plus, contrairement à la personne bénéficiant d’une réhabilitation administrative en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, la personne absoute peut certainement nier sa condamnation. À cet égard, l’absolution, jumelée au retrait des mentions relatives à cette absolution après l’écoulement du délai prescrit par la Loi sur le casier judiciaire, est plus bénéfique que l’obtention d’une réhabilitation administrative en vertu de ladite loi.

[73] Le législateur n’a pas eu l’intention, par les modifications apportées à la Loi sur le casier judiciaire, de traiter les personnes absoutes plus sévèrement que celles ayant été condamnées. Au contraire, son intention était plutôt de traiter les personnes ayant reçu la peine la moins sévère prévue au Code criminel d’une manière plus favorable en leur permettant d’obtenir une réhabilitation légale par le simple écoulement du temps. Je suis donc d’avis que par les dispositions du Code criminel relatives à l’absolution et l’article 6.1 de la Loi sur le casier judiciaire qui confère une réhabilitation légale à la personne absoute par le simple écoulement du temps, le législateur fédéral a exercé sa compétence en droit criminel pour légiférer en matière de pardon. La Charte québécoise ne faisant aucune distinction entre les différents types de pardon, il s’agit d’un pardon au sens de l’article 18.2 de la Charte.

dimanche 26 avril 2009

Aucune obligation positive de la part des policiers de remettre un annuaire téléphonique à un accusé

R. c. Thérien 2009 QCCS 671

[30] Dans R. c. Bartle, la Cour suprême affirme que l’article 10(b) de la Charte impose aux représentants de l’État les obligations suivantes :

a) informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde;

b) si la personne détenue a indiqué qu’elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d’urgence ou de danger);

c) s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger);

d) donner à la personne détenue des renseignements sur l’accès sans frais aux services d’un avocat lorsque l’accusé répond aux critères financiers établis par les régimes provinciaux d’aide juridique (l’aide juridique);

e) donner à la personne détenue des renseignements sur l’accès à des conseils juridiques immédiats, quoique temporaires, sans égard à la situation financière («avocats de garde»).

[31] Dans le même arrêt, la Cour suprême précise que les obligations a), d) et e) concernent le volet informatif, alors que les obligations b) et c) concernent le volet de mise en application.

[32] Dans la présente affaire, le procureur de l’intimé a informé le Tribunal qu’il ne contestait pas le volet informatif, mais plutôt le volet de mise en application.

[33] Dans un premier temps, il y a lieu de décider si la première juge a erré en droit, en décidant que le volet de mise en application de l’article 10(b) imposait aux policiers une obligation positive de remettre un annuaire téléphonique à l’accusé.

[34] Pour conclure que les policiers auraient dû fournir à l’accusé l’annuaire téléphonique, en plus de la liste des avocats, la juge du procès s’appuie sur l’arrêt McLinden précité. Or, cet arrêt de la Cour provinciale de l’Alberta, lequel impose aux policiers l’obligation positive de remettre l’annuaire téléphonique à un accusé, ne fait l’unanimité ni en Alberta ni ailleurs au Canada. J’ajouterais que c’est un courant jurisprudentiel minoritaire.

[36] Dans R. c. Akot, le juge énumère une liste d’obligations qui permettent à la police de respecter leurs obligations envers un accusé, en vertu de l’article 10(b) de la Charte. Une de ces obligations est de fournir à l’accusé l’annuaire téléphonique.

[37] En Colombie-Britannique, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, les Cours d’appels ont abondé dans le même sens, à savoir que les policiers n’ont aucune obligation positive de remettre l’annuaire téléphonique à un accusé. Tout dépend, finalement, des circonstances de chaque cas.

[38] Comme suite à ce qui précède, je suis d’avis que le volet de mise en application de l’article 10(b) de la Charte, n’impose aucunement aux policiers une obligation positive de remettre un annuaire téléphonique à un accusé.

jeudi 23 avril 2009

Principles généraux relatifs à la conduite facultés affaiblies

R. c. Andrews (1996) 104 C.C.C. (3d) 392

In my view, the following general principles emerge in an impaired driving charge:

(1) the onus of proof that the ability to drive is impaired to some degree by alcohol or a drug is proof beyond a reasonable doubt;

(2) there must be impairment of the ability to drive of the individual;

(3) that the impairment of the ability to drive must be caused by the consumption of alcohol or a drug;

(4) that the impairment of the ability to drive by alcohol or drugs need not be to a marked degree; and

(5) proof can take many forms. Where it is necessary to prove impairment of ability to drive by observation of the accused and his conduct, those observations
must indicate behaviour that deviates from normal behaviour to a degree that the required onus of proof be met. To that extent the degree of deviation from
normal conduct is a useful tool in the appropriate circumstances to utilize in assessing the evidence and arriving at the required standard of proof that the
ability to drive is actually impaired.

dimanche 19 avril 2009

Principes qui doivent guider un tribunal dans l'octroi d'une absolution

R. c. Cyr, 1991 CanLII 2934 (QC C.A.)
R. c. Fallofield, 13 C.C.C. (2d) 450, 454


(1) The section may be used in respect of any offence other than an offence for which a minimum punishment is prescribed by law or the offence is punishable by imprisonment for 14 years or for life or by death.

(2) The section contemplates the commission of an offence. There is nothing in the language that limits it to a technical or trivial violation.

(3) Of the two conditions precedent to the exercise of the jurisdiction, the first is that the Court must consider that it is in the best interests of the accused that he should be discharged either absolutely or upon condition. If it is not in the best interests of the accused, that, of course, is the end of the matter. If it is decided that it is in the best interests of the accused, that, of course, is the end of the matter. If it is decided that it is in the best interests of the accused, then that brings the next consideration into operation.

(4) The second condition precedent is that the Court must consider that a grant of discharge is not contrary to the public interest.

(5) Generally, the first condition would presuppose that the accused is a person of good character, without previous conviction, that it is not necessary to enter a conviction against him in order to deter him from future offences or to rehabilitate him, and that the entry of a conviction against him may have significant adverse repercussions.

(6) In the context of the second condition the public interest in the deterrence of others, while it must be given due weight, does not preclude the judicious use of the discharge provisions.

(7) The powers given by s. 662.1 should not be exercised as an alternative to probation or suspended sentence.

(8) Section 662.1 should not be applied routinely to any particular offence. This may result in an apparent lack of uniformity in the application of the discharge provisions. This lack will be more apparent than real and will stem from the differences in the circumstances of cases.

Définition de motif raisonnable

Hicks c. Faulkner, 1878, Q.B.D.

"La croyance de bonne foi en la culpabilité de l’accusé, basée sur la certitude, elle-même fondée sur des motifs raisonnables, de l’existence d’un état de faits qui, en supposant qu’ils soient exacts, porterait raisonnablement tout homme normalement avisé et prudent, à la place de l’accusateur, à croire que la personne inculpée était probablement coupable du crime en question"

Un «simple soupçon» ne constitue pas un «motif raisonnable».

vendredi 17 avril 2009

Pouvoir d'interception des policiers d'un véhicule automobile

R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257

Résumé des faits
Deux agents de police étaient de faction quand l'appelant a dépassé leur véhicule. Ils ont décidé d'interpeller l'appelant par simple routine. Cependant, bien qu'ils invoquent le par. 189a (1) du Code de la route comme source de leur pouvoir d'agir, les agents reconnaissent qu'il n'y avait pas de motif de soupçonner l'appelant ni aucun autre motif d'intercepter son véhicule. Quand les agents ont demandé à l'appelant de produire son permis de conduire, ils ont découvert que son permis était suspendu parce qu'il n'avait pas payé des contraventions de stationnement

Analyse
L'appelant a été détenu au sens de l'art. 9 de la Charte. Les agents de police ont restreint sa liberté d'action au moyen d'une sommation ou d'un ordre et les conséquences juridiques de la détention étaient sérieuses. La détention était arbitraire du fait que la décision d'interpeller était laissée à l'entière discrétion des agents de police.

Le paragraphe 189a(1) du Code de la route est sauvegardé par l'article premier de la Charte. Le pouvoir d'un agent de police d'intercepter des véhicules automobiles au hasard découle du par. 189a(1) du Code de la route et il est donc prescrit par une règle de droit. Ce pouvoir a également été justifié par notre Cour comme étant prescrit par la common law.

Les statistiques relatives au carnage qui se produit sur les routes révèlent l'existence d'une préoccupation urgente et réelle à laquelle le gouvernement a eu raison de répondre au moyen de la mesure législative en cause et des interpellations au hasard.

Le moyen choisi est proportionnel à ces préoccupations urgentes ou il convient à celles‑ci. L'interpellation au hasard a un lien rationnel avec la sécurité sur les routes et est conçue avec soin pour la réaliser; elle porte le moins possible atteinte aux droits du conducteur. Elle ne porte pas atteinte assez gravement aux droits individuels pour que la restriction de ces droits l'emporte sur l'objectif de la loi. L'interception des véhicules est à vrai dire la seule façon de vérifier le permis de conduire et l'assurance d'un conducteur, l'état mécanique du véhicule ou la sobriété d'un conducteur.

La dissuasion constitue un aspect important de la vérification de routine. La suspension du permis de conduire pour des infractions en matière de circulation est importante parce qu'elle permet aux tribunaux d'imposer des peines d'emprisonnement moins longues à l'avantage du contrevenant, tout en permettant d'assurer la protection de la société. Cependant, pour que les suspensions de permis constituent une peine efficace, elles doivent être exécutoires. Il doit exister un véritable élément de risque de détection des conducteurs sans permis pour que la suspension d'un permis puisse être un remède efficace. Les interpellations au hasard constituent le seul moyen dissuasif efficace.

Reconnaître la validité de la vérification de routine au hasard, c'est se rendre à la réalité. Cette forme de dissuasion est la seule réponse plausible aux difficultés générales de mettre sur pied de tels programmes en raison des contraintes budgétaires et d'un manque de personnel et à l'impossibilité d'établir un programme structuré efficace dans les régions rurales en particulier.

La vérification de routine au hasard ne porte pas atteinte gravement au droit garanti par l'art. 9 au point de l'emporter sur l'objectif législatif.

Les policiers ne peuvent interpeller des personnes que pour des motifs fondés sur la loi -- en l'espèce des motifs relatifs à la conduite d'une automobile comme la vérification du permis de conduire, des assurances et de la sobriété du conducteur et de l'état mécanique du véhicule. Lorsque l'interpellation est effectuée, les seules questions qui peuvent être justifiées sont celles qui se rapportent aux infractions en matière de circulation.

Toute autre procédure plus inquisitoire ne pourrait être engagée que sur le fondement de motifs raisonnables et probables. Lorsqu'une interpellation est jugée illégale, les éléments de preuve ainsi obtenus pourraient bien être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte.

Le paragraphe 189a(1) du Code de la route ontarien est l'équivalent l'article 636 du Code de la sécurité routière québécois qui édicte ce qui suit:
Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu'il exerce en vertu du présent code, des ententes conclues en vertu de l'article 519.65 et de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (chapitre P-30.3), exiger que le conducteur d'un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.

Quel est le comportement criminalisé dans le cadre de l'accusation de conduite avec les facultés affaiblies?

R. c. Jobin, 2002 CanLII 32209 (QC C.A.)

Résumé des faits
L'appelant se pourvoit contre un verdict de culpabilité à l'infraction d'avoir conduit un véhicule à moteur alors que sa capacité était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue

Analyse

[52] (...) je suis d'avis que le texte de l'article 253 C.cr., tel qu'il a été interprété par la jurisprudence, exige que le ministère public établisse, hors de tout doute raisonnable, que les facultés du prévenu sont affaiblies par l'alcool, la drogue ou les deux. La proposition suivant laquelle la simple constatation de facultés affaiblies doit emporter la condamnation du conducteur d'une automobile ne respecte ni la lettre de l'article 253 C.cr. ni l'intention du législateur.

[53] Le comportement qui est criminalisé n'est pas de conduire alors que ses capacités sont affaiblies – et elles peuvent l'être à cause de fatigue, de stress, d'un handicap physique ou mental, etc. –, mais bien de conduire alors que ses capacités sont affaiblies par l'absorption de drogue et d'alcool. C'est ce fléau que le Code criminel veut punir et éradiquer et pas autre chose.

Il doit y avoir caractère raisonnable de la crainte

La victime doit raisonnablement, compte tenu de toutes les circonstances, craindre pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances.

Pour déterminer le caractère raisonnable de la crainte de la victime, il y a lieu de tenir compte de toute la preuve soumise, y compris « le sexe de la victime et l’historique et les circonstances entourant sa relation présente ou passée, le cas échéant, avec l’accusé. Selon l’arrêt Lavallée, il convient de tenir compte du sexe de la victime en raison des différences qui existent, à l’évidence, en terme de taille, de force et de socialisation des femmes par comparaison aux hommes » (le juge Greco de la Cour provinciale dans l’affaire R. v. Lafrenière, [1994] O.J. no 437 (Div. prov.) (QL) et appliqué dans R. v. Hertz, [1995] 170 A.R. 139 (C.P.).) Voir également la décision dans l’affaire R. v. Sousa, [1995] O.J. no 1435 (Div. gén.) (QL) dans laquelle le juge Cusinato a conclu qu’en évaluant le caractère raisonnable de la crainte de la victime, il fallait tenir compte du sexe de la victime, de sa race et de son âge, mais que l’article 264 n’exigeait pas que la victime sache de quoi l’accusé était capable. Les conclusions relatives au caractère raisonnable de la crainte d’un plaignant sont tributaires des constatations de faits : R. v. Bourque (1999), 140 C.C.C. (3d) 435 (C.A.T.-N.).

Dans l’affaire R. v. Martynkiw (1998), 234 A.R. 185 (C.B.R.), la Cour a accueilli l’appel d’une déclaration de culpabilité d’avoir cerné ou surveillé les voisins. Dans cette affaire, le défendeur et la victime, son voisin, étaient en conflit au sujet de la propriété. Dans le cadre de ce conflit, le défendeur fixait les voisins à partir de chez lui et prenait de photographies de leurs activités concernant la limite de leur propriété. La Cour a jugé que même s’ils avaient raison d’être contrariés par la conduite impolie et dérangeante du défendeur, la crainte des voisins pour leur sécurité n’était pas raisonnable dans les circonstances. Voir également R. v. Geller, [1994] O.J. no 2961 (Div. prov.) (QL) dans laquelle le juge a conclu de façon similaire au sujet de la crainte de la victime pour sa sécurité en raison d’un différend avec son voisin au sujet des chiens de la victime.

Tiré de
http://www.justice.gc.ca/fra/pi/vf-fv/pub/har/part3b.html
Guide à l’intention des policiers et des procureurs de la Couronne
l'Initiative de lutte contre la violence familiale / Harcèlement criminel

Il doit y avoir crainte pour la sécurité de la part du plaignant

La victime doit réellement craindre pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances en raison de la conduite du défendeur : R. c. Josile, [1998] A.Q. no 1280 (C.S. crim) (QL) et R. v. Barnard, [1998] O.J. no 3304 (Div. gén.) (QL).

La crainte de la victime pour sa « sécurité » ou celle d’une de ses connaissances ne se limite pas à la crainte de lésions corporelles, mais comprend également la crainte pour sa sécurité mentale, psychologique et émotionnelle : R. v. Hau, [1996] B.C.J. no 1047 (C.S.); R. v. Skoczylas (1997), 99 B.C.A.C. 1 (C.A.); R. v. Lafrenière, [1994] O.J. no 437 (C.P.) (QL); R. v. Hertz (1995), 170 A.R. 139 (C.P.) et R. v. Gowing, [1994] O.J. no 1696 (Div. prov.) (QL). Dans l’affaire R. v. Goodwin (1997), 89 B.C.A.C. 269 (C.A.), la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire que les victimes de harcèlement « souffrent de problèmes de santé ou connaissent des perturbations importantes avant d’obtenir la protection de l’article 264 ».

Une connaissance de la victime

La victime peut subir le harcèlement du défendeur et donc peut avoir une crainte raisonnable pour la sécurité d’une de ses connaissances lorsque le défendeur pose des actes interdits à l’égard de la fille de la victime : R. v. Dupuis, [1998] O.J. no 5063 (Div. gén.) (Q.L.). Voir également R. v. Dunnett, [1999] N.B.J. no 122 (C.B.R., 1e inst.) (QL) dans laquelle la victime (l’ex-épouse du délinquant) craignait pour la santé émotionnelle de la fille du couple en raison des appels téléphoniques répétés du délinquant à la fille (des centaines d’appels par jour).

Tiré de
http://www.justice.gc.ca/fra/pi/vf-fv/pub/har/part3b.html
Guide à l’intention des policiers et des procureurs de la Couronne
l'Initiative de lutte contre la violence familiale / Harcèlement criminel

L'accusé doit savoir que la victime se sent harcelée ou ne s’en soucie pas

La Couronne doit prouver qu’en posant les actes interdits, l’accusé avait l’intention de harceler la victime ou qu’il ne se souciait pas de ce que ses actes harcelaient la victime : R. v. Lafrenière, [1994] O.J. no 437 (C.P.) (QL). Dans R. v. Yonik, [1996] O.J. no 3765 (Div. prov.) (QL), au paragraphe 12, le juge a appliqué la définition de l’insouciance énoncée dans Sansregret : « il s’agit de la conduite de celui qui voit le risque (d’un résultat qu’interdit le droit pénal) et prend une chance. » Il n’est pas nécessaire que la Couronne fasse la preuve que l’accusé savait que la victime craignait pour sa sécurité : R. v. Pierce (1997), N.S.R. (2d) 183 (C.A.).

Il n’est pas nécessaire que la victime soit ferme en repoussant les attentions du défendeur : R. v. Ryback (1996), 105 C.C.C. (3d) 241 p. 248 (C.A.C.-B.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée, [1996] C.S.C.R. no 135 (QL); et R. v. Hau, [1996] B.C.J. no 1047 (C.S.) (QL). Voir également R. v. Rehak (1998), 125 Man. R. (2d) 181 (C.B.R.) dans laquelle le juge a conclu, en examinant la question de savoir si le défendeur s’aveuglait volontairement eu égard au fait qu’il posait des actes interdits, qu’« il n’est pas nécessaire de mettre en garde une personne contre le fait que ses actes sont de nature criminelle avant que ceux-ci ne deviennent des actes de nature criminelle ». Dans cette affaire, la victime avait signalé par ses actes et par ses gestes qu’elle n’appréciait pas les attentions du défendeur.

Il s’agit de déterminer s’il serait insouciant de la part d’une personne raisonnable, ou si cette personne raisonnable s’aveuglerait volontairement, en ne croyant pas que sa conduite harcèle la victime : R. v. Dupuis, [1999] O.J. no 1860 (Div. gén.) (QL), suivant R. v. Sillipp (1997), 120 C.C.C. (3d) 384 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée, [1998] C.S.C.R. no 3 (QL). L’arrêt Sillip a été suivi récemment sur ce point dans R. v. Rivet, [2002] O.J. no 4863 (C.S.J.) (QL), confirmé [2003] O.J. no 502 (C.A.) (QL). Dans l’affaire R. v. Gerein, [1999] B.C.J. no 1218 (C. prov.) (QL), le délinquant a suivi sa victime dans son automobile à trois reprises au cours d’une période d’une heure. La victime a conduit rapidement, effectuant des virages au hasard, afin de semer le délinquant. La Cour a conclu que dans ces circonstances, il n’était pas possible pour le délinquant de ne pas se rendre compte de l’effet de sa conduite sur la victime : « son état d’esprit allait au-delà de l’insouciance quant à l’effet que sa conduite aurait sur [la victime] et équivalait à une connaissance d’une situation évidente ».

Voir également R. v. Shadwell, [1997] O.J. no 3340 (Div. prov.) (QL).

Dans l’affaire R. v. Kosikar (1999), 138 C.C.C. (3d) 217 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée (2000), [1999] C.S.C.R. no 549 (QL), la Cour a confirmé le rejet de l’appel d’une condamnation prononcée en vertu de l’alinéa 264(2)d) (lettre envoyée à la victime comportant des insinuations de nature sexuelle). Le juge de première instance a tenu compte, à bon droit, de la conduite passée du délinquant envers la victime (incluant une condamnation antérieure pour harcèlement criminel) et jugé qu’elle correspondait à l’intention du délinquant et à sa connaissance ou à son insouciance à l’égard du harcèlement.

« Harcèlement »

Quant à savoir si la conduite constitue du « harcèlement », le juge du procès a conclu dans l’affaire R. v. Sillipp (1995), 99 C.C.C. (3d) 394 (C.B.R. Alb.), confirmé (1997), 120 C.C.C. (3d) 384 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée, [1998] C.S.C.R. no 3 (QL) que le harcèlement suppose « le fait d’être tourmenté, d’être troublé, d’être continuellement ou sans cesse inquiet, d’être tracassé, confus et importuné ». Cette définition a été retenue dans l’affaire R. v. Ryback (1996), 105 C.C.C. (3d) 241 à la p. 248 (C.A. C.-B.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée, [1996] C.S.C.R. no 135 (QL); dans l’affaire R. c. Lamontagne (1998), 129 C.C.C. (3d) 181 (C.A. Qc) (dans laquelle le juge a conclu que le mot « harceler » pouvait également signifier « ennuyer quelqu’un avec des demandes, des sollicitations, des offres … ce qui traduit assez bien l’idée que la conduite doit avoir pour effet d’ennuyer quelqu’un en raison de son caractère incessant ou de sa répétition ») et dans R. v. J.G.T. (1999), 257 A.R. 251 (C.B.R.), confirmé (2003), 320 A.R. 251 (C.A.). Voir également R. v. M.R.W., [1999] B.C.J. no 2149 (C.S.) dans laquelle la Cour a conclu que l’accusé était « raisonnablement certain » que ses six demandes distinctes auprès de personnes connues de la victime lui seraient communiquées (environ 16 ans auparavant, l’accusé avait été déclaré coupable de tentative de meurtre sur la victime)

Tiré de
http://www.justice.gc.ca/fra/pi/vf-fv/pub/har/part3b.html
Guide à l’intention des policiers et des procureurs de la Couronne
l'Initiative de lutte contre la violence familiale / Harcèlement criminel

Le comportement visé par le harcèlement criminel doit être fait sans autorisation légitime

Le défendeur doit poser ces actes interdits sans une autorisation légitime. Dans l’affaire R. v. Shapira (1997), 203 A.R. 299 (C.P.), le juge a conclu que l’expression « sans autorisation légitime » devait se limiter à l’autorisation émanant de l’État dans le cadre d’une ordonnance judiciaire, d’une approbation législative ou d’un pouvoir exécutif de l’État. Elle ne peut être interprétée comme englobant la permission que la victime donne à l’accusé de communiquer avec elle par téléphone lorsque ces appels téléphoniques équivalent à du « harcèlement criminel ».

Voir également l’affaire R. v. Browning (1995), 42 C.R. (4e) 170 (C.P. Ont.), dans laquelle le juge a conclu que pour déterminer si l’accusé avait une raison légitime de communiquer avec la victime, la nature de la relation entre les parties était pertinente (en l’espèce, les parties avaient une relation de travail). Toutefois, le mariage ou la cohabitation ne sont pas des obstacles à une condamnation en vertu de l’article 264 : R. v. Skoczylas (1997), 99 B.C.A.C. 1 (C.A.) et R. v. Sanghera, [1994] B.C.J. no 2803 (C.P.) (QL). Voir également l’affaire R. v. Rahman (1999), 97 O.T.C. 32 (C.S.) (l’article 264 peut s’appliquer dans le cas où le délinquant et la victime sont membres d’une famille).

Dans l’affaire R. v. Sousa, [1995] O.J. no 1435 (Div. gén.) (QL), le juge Cusinato a rejeté la preuve du défendeur soutenant qu’il avait un but légitime pour suivre la victime (sa femme, dont il était séparé) afin de voir ses enfants. Si le défendeur avait réellement voulu voir ses enfants, il aurait dû respecter les conditions de l’ordonnance relative au droit de visite en vigueur.

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Actes interdits dans les cas relatifs à l’infraction d'harcèlement criminel

Il faut prouver que l’accusé a posé un des actes interdits au paragraphe 264(2). Voir également R. v. Ladbon, [1995] B.C.J. no 3056 (C.P.) (QL) dans lequel l’accusé, qui était visé par une ordonnance d’interdiction de communiquer, a engagé un détective privé pour suivre sa femme, la victime, dont il était séparé. La cour a jugé que l’accusé avait posé les actes interdits par l’entremise de son mandataire, le détective privé. Voir également l’arrêt R. c. Detich, [1999] J.Q. no 25 (C.A.) (QL), dans lequel les tentatives répétées de l’accusé de communiquer avec la victime englobaient une tentative par l’entremise d’un détective privé.

Suivre d’un endroit à l’autre de façon répétée – alinéa 264(2)a)


De façon répétée s’entend de plus d’une fois, et l’acte doit être envisagé dans son contexte pour déterminer s’il est répété : R. v. Ryback (1996), 105 C.C.C. (3d) 240 (C.A.C.-B.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée, [1996], C.S.C.R. no 135 (QL) (la cour a interprété que trois communications dans ce contexte étaient des actes posés « de façon répétée » au sens de l’alinéa 264(2)b)); R. v. Lafrenière, [1994] O.J. no 437 (Div. prov.) (QL) (des actes persistants de la part de l’accusé constituent des actes répétés); R. v. Belcher (1998), 50 O.T.C. 189 (Div. gén.) (le tribunal a déclaré qu’il n’était pas nécessaire que les actes se répètent à plusieurs occasions séparées par le temps) et R. v. Gerein, [1999] B.C.J. no 1218, (C.P.) (QL) (suivre la victime à trois reprises au cours d’une période d’une heure constitue des actes répétés). Voir également R. v. Dupuis, [1998] O.J. no 5063 (Div. gén.) (QL).

Communiquer de façon répétée – alinéa 264(2)b)

De façon répétée signifie plusieurs fois. Cela signifie plus d’une ou de deux fois : R. v. Hertz (1995), 170 A.R. 139 (C.P.); R. v. Theysen (1996), 190 A.R. 133 (C.P.); R. v. Lafrenière, [1994] O.J. no 437 (Div. prov.) (QL) et R. v. States, [1997] B.C.J. no 3032 (C.P.) (QL), (courrier électronique et notes écrites). Voir également l’arrêt R. v. M.R.W., [1999] B.C.J. no 2149 (C.S.) (QL), où l’accusé a été déclaré coupable de harcèlement criminel parce qu’il a communiqué de façon répétée avec des personnes connues de la victime (au moins six fois en deux jours). L’accusé avait été condamné, environ 16 ans auparavant, pour tentative de meurtre à l’égard de la victime, et il semble qu’il tentait de rétablir la communication avec leurs deux enfants. Voir aussi R. v. Davis (1999), 143 Man. R. (2d) 105 (C.B.R.), confirmé (2000), 148 Man. R. (2d) 99 (C.A.), où l’accusé a harcelé la plaignante en communiquant avec les amis de cette dernière, et R. v. Scuby, 2004 BCCA 82, où la Cour a conclu que le juge du procès devait tenir compte tant « de la teneur que de la nature répétitive » de la communication, dans le contexte dans lequel elle a été faite.

Cerner ou surveiller – alinéa 264(2)c)

Surveiller a le sens que lui accorde généralement le dictionnaire : R. v. Dupuis, [1998] O.J. no 5063 (Div. gén.) (QL). La surveillance peut être un acte qui n’est pas de nature criminelle, mais si elle est exercée dans des circonstances et dans une mesure qui démontrent, objectivement, une intention de harceler et de provoquer une crainte raisonnable, elle peut être visée par l’alinéa 264(2)c) : R. v. Belcher (1998), 50 O.T.C. 189 (Div. gén.).

Dans l’affaire R. v. Vrabie, [1995] M.J. no 247 (C.P.) (QL), la Cour a appliqué le sens ordinaire du dictionnaire au mot « cerner » et a conclu que cela englobait harceler (c.-à-d. que l’acte doit être tellement évident et vexatoire qu’il équivaut au geste de cerner). La Cour a déclaré avoir une connaissance d’office du fait que les incidents ont eu lieu dans un endroit extrêmement public dans une très petite ville (par exemple, l’un des incidents aurait eu lieu dans la boulangerie située face au seul bureau de poste de la ville de Flin Flon).

Dans R. v. Diakow, [1998] M.J. no 234 (C.P.), la Cour a conclu que « cerner » exigeait au moins que la victime sache ou soit consciente qu’elle faisait l’objet de cet acte.

L’alinéa 264(2)c) n’exige pas que le fait de cerner ou de surveiller soit « répété » : R. v. Belcher (1998), 50 O.T.C. 189 (Div. gén.). Voir également R. v. Kosikar (1999), 138 C.C.C. (3d) 217 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée (2000), [1999] C.S.C.R. no 549 (QL).

Se comporter d’une manière menaçante – alinéa 264(2)d)

L’alinéa 264(2)d) n’est pas ambigu et doit être interprété selon le sens habituel des mots. Un incident de menace est suffisant, et il n’est pas nécessaire qu’il soit de nature répétitive pour respecter l’exigence prévue à l’alinéa 264(2)d) : R. v. Riossi (1997), 6 C.R. (5e) 123 (Div. gén) (QL). Dans Riossi, le juge Boyko a examiné et rejeté le raisonnement appliqué dans l’affaire R. v. Johnston, [1995] O.J. no 3118 (Div. prov.) (QL) selon lequel l’alinéa 264(2)d) exigeait une répétition d’actes et non seulement un incident isolé. Le juge Boyko a souscrit au jugement rendu dans l’affaire R. v. Zienkiewicz, [1994] B.C.J. no 3141 (C.P.) (QL), selon lequel une crainte réaliste peut découler d’un seul incident. Voir également R. v. Fuson, [1998] B.C.J. no 1441 (C.P.) (QL) et R. v. Ryback, [1997] B.C.J. no 2824 (C.S.) (QL). Voir également la décision dans l’affaire R. c. Lamontagne, (1998), 129 C.C.C. (3d) 181 à la p. 187 (C.A. Qc) selon laquelle un seul incident (« Attends à demain, je serai dehors et tu vas le regretter, maudit. ») pourrait être envisagé, par une personne raisonnable dans la situation de la victime, comme une menace ou « un moyen d’intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez l’interlocuteur ».

Voir également R. v. Kosikar (1999), 138 C.C.C. (3d) 217 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée 2000), [1999] C.S.C.R. no 549 (QL) (une lettre envoyée par le délinquant à la victime et contenant des insinuations de nature sexuelle, envisagée dans le contexte de la conduite passée du délinquant envers la victime, constituait un acte menaçant); et R. v. George (2002), 162 C.C.C. (3d) 337 (C.A.Y.).

Preuve de comportement antérieur à l’accusation/preuve de faits similaires


Dans l’affaire R. v. Ryback (1996), 105 C.C.C. (3d) 240 (C.A.C.-B.), autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée, [1996] C.S.C.R. no 135 (QL), la Cour a conclu que la preuve de la conduite antérieure de l’accusé pouvait être pertinente à l’égard de deux éléments d’une accusation de harcèlement criminel, à savoir si la victime avait une crainte raisonnable pour sa sécurité et si le défendeur savait que la victime se sentait harcelée ou ne s’en souciait pas.

Dans R. v. J.G.T. (1999), 257 A.R. 251 (C.B.R.), confirmé (2003), 320 A.R. 251 (C.A.), le juge du procès a déclaré recevables des éléments de preuve concernant des allégations non connexes faites par deux plaignants, à titre de preuves de faits similaires internes visant plusieurs objectifs : établir l’intention de l’accusé en ce qui a trait aux voies de fait, au harcèlement et à la séquestration; appuyer ou corroborer le témoignage des plaignants; décrire le contexte de la crainte des plaignants et faciliter l’évaluation de la connaissance qu’avait l’accusé des conséquences de sa conduite en rapport avec le harcèlement criminel (paragraphe 70). Le juge a précisé qu’il avait accordé peu d’importance aux éléments de preuve en question mais qu’il avait néanmoins jugé que leur valeur probante l’emportait sur leurs effets préjudiciables parce qu’il y avait suffisamment de points de similitude pour établir un comportement habituel (paragraphe 71).

Dans l’affaire R. v. Henson, [1994] O.J. no 1767 (Div. prov.) (QL), on a accepté la preuve de faits similaires pour réfuter la défense d’accident présentée par le défendeur et pour éclairer la question du mobile. Voir également R. v. Hau, [1996] B.C.J. no 1047 (C.S.) et R. v. Zunti (1997), 161 Sask. R. 55 (C.B.R.). Dans l’affaire R. v. Archer, [1999] O.J. no 950 (Div. gén.) (QL), le juge Killeen a appliqué l’arrêt R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339, en traitant certains éléments de preuve (concernant les nombreux chefs d’accusation pour incendie criminel) à l’instar de « faits similaires ayant des effets de corroboration ».

Selon R. v. S.B., [1996], O.J. no 1187, (Div. gén.) (QL), dans les cas de violence conjugale, la preuve de conduite antérieure à l’inculpation est souvent jugée recevable en vue de fournir un contexte narratif aux accusations dont le tribunal est saisi.

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Principaux éléments relatifs à l’infraction d'harcèlement criminel

L’infraction de harcèlement criminel comporte les principaux éléments suivants.

1. Le délinquant pose un des actes énumérés au paragraphe 264(2).
2. Le délinquant n’avait pas l’autorisation légitime de poser l’acte interdit.
3. Le délinquant savait que la victime se sentait harcelée ou ne se souciait pas de ce qu’elle se sente harcelée.
4. L’acte a amené la victime à craindre pour sa sécurité ou pour celle d’une de ses connaissances.
5. La crainte de la victime était raisonnable dans les circonstances.

Voir également le résumé des éléments de l’infraction fait par la Cour d’appel de l’Alberta dans R. v. Sillipp (1997), 120 C.C.C. (3d) 384; autorisation de pourvoi en C.S.C. refusée, [1998] C.S.C.R. no 3 (QL).

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Violation du droit à l'avocat / droit à un interprète

R. c. Kwitkowski 2009 QCCQ 1221

[6] L'accusé a le fardeau d'établir sur prépondérance de probabilité la violation de l'article 10 b) de la Charte et une simple spéculation permettant de croire à une violation ne permet pas d'établir une telle violation. (R. v. Black, 1989 CanLII 75 (C.S.C.), [1989] 2 RCS 138)

[7] Ainsi que le dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Bridges, 1990 CanLII 123 (C.S.C.), [1990] 1 RCS 190 en page 206" one of the main functions of [duty] counsel at this early stage of detention is to confirm the existence of the right to remain silent and to advise the detainee about how to exercise that right". L'accusé a donc une occasion importante de comprendre comment exercer son droit d'avocat et comment se comporter (paragraphe 25 à 31).

[8] La Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Latimer, 1997 CanLII 405 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 217 a rappelé que dans les communications entre les policiers et justiciables, ce qui est déterminant, c'est «la substance de ce qu'on peut raisonnablement supposer que le détenu a compris plutôt que le formalisme des mots exacts utilisés». Dans l'arrêt R. c. Evans, 1991 CanLII 98 (C.S.C.), [1991] 1 R.C.S. 869, la Cour suprême du Canada qualifiait d'exigence substantive en loi, l'obligation policière de compléter ces démarches additionnelles afin de s'assurer auprès du justiciable concerné que ce qui doit être expliqué, est compris.

[9] Deux devoirs incombent selon la jurisprudence aux agents de la paix : un premier devoir d'information des droits et mise en garde à l'accusé («informational duty») et un second devoir positif de mise en œuvre («implementional duties») des conditions permettant d'exercer les droits reconnus par la loi. (R. c. Dubois, 1990 CanLII 3298 (QC C.A.), [1990] R.J.Q. 681).

[11] Le second devoir positif de mise en œuvre par la force policière des droits conférés ("implementational" duties) incombe aux agents de la paix. Pour qu'un accusé connaisse la nature et l'étendue de ses droits alors que l'aisance linguistique est manifestement ou apparemment en cause et qu'apparaît le scepticisme d'un accusé quant à sa capacité de pouvoir communiquer efficacement avec un avocat dans l'une des deux langues officielles du Canada, les agents de la paix ont cette obligation de mettre en œuvre ces moyens qui permettent à un accusé de communiquer efficacement avec un avocat pour qu'il comprenne bien la nature et l'étendue de ses droits.

[12] Selon la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R. c. A (S), [1999] 29 CCC (3d), p. 548, une renonciation à ce droit à un avocat ne saurait être valide lorsque l'accusé ne maîtrise pas la langue dans laquelle on s'adresse à lui. Comme l'exige l'arrêt Bartle, 1994 CanLII 64 (C.S.C.), [1994] 3 R.C.S. 173 de la Cour suprême du Canada, la renonciation doit être explicite et donnée en pleine connaissance de cause.

[13] Il existe donc une différence entre une connaissance approximative ou substantielle de la langue et une connaissance totale de celle-ci. Aussi, lorsqu'un justiciable paraît manifestement peu rompu à la langue officielle dans laquelle l'informe un agent de la paix ou qu'il invoque son inconfort dans cette langue, le Ministère public a le fardeau d'établir qu'il y a eu renonciation claire et éclairée (R. c. Bartle, paragraphes 191-192). Cette même renonciation en présence d'un interprète aussi en théorie est insuffisante si les droits de l'accusé ne lui sont pas communiqués adéquatement.

[14] Il est particulièrement pertinent de citer les propos du Juge Sheppard dans la cause de la Reine c. Hiroshi Ikuta, reflex, [2000] O.J. No. 2764, 38 C.R. (5th) 123 Ontario Court of Justice qui aura rappelé les exigences particulières de compréhension de la langue juridique et particulièrement en matière de facultés affaiblies. Ainsi, aux paragraphes 13 et suivants, le juge Sheppard s'exprime ainsi: «The distinctive language of court proceedings is often too complex even for persons whose English and French linguistic skills are functional in every day life. Persons without a working knowledge in English or French are particularly likely to feel vulnerable to an authority system they see as incomprehensible… »

[18] Aussi, lorsque des préoccupations de compréhension de la langue de consultation sont au coeur des circonstances révélées par une preuve, les devoirs d'information par les agents de la paix devraient recevoir une interprétation rigoureuse. Le défaut de communiquer la disponibilité des services de consultations juridiques concurremment avec ces services afférents et indispensables d'interprète qui existent pour ceux qui ne maîtrisent pas une des langues officielles ou qui manifestent à cet égard la crainte de ne pouvoir efficacement prendre conseil auprès d'un avocat compromet la validité d'une renonciation [(Regina v. Lim (No. 3) reflex, (1990), 1 C.R.R. (2d) 148 (Ont. C.A.) défaut de fournir les services d'un interprète dans le cas d'une difficulté évidente à parler l'une des langues officielles].

[19] C'est donc une composante essentielle de la garantie juridique du droit à l'avocat qu'un accusé puisse faire une décision éclairée, donc une décision bien informée pour que toute renonciation soit opposable en droit à l'accusé. Néanmoins, il y a des limites à l'application de ce principe qui doit se fonder sur une base factuelle.

[33] La communication par l'accusé de son appréhension et sa résignation à ne pas consulter en conséquence un avocat francophone obligeait alors le policier à communiquer à l'accusé son droit à un interprète pour les fins de sa consultation. Il s'agit là d'un droit fondamental dont l'accusé devait être avisé dans les circonstances en l'espèce.

[35] Il est bien vrai que l'officier aurait pu communiquer ce droit de bénéficier des services d'un interprète et offrir que l'accusé essaie dans un premier temps de vérifier s'il pouvait établir une communication efficace avec un avocat francophone tout en le prévenant clairement que ce droit à un interprète pourrait être réclamé en tout temps. Toutefois, cela devient purement de la conjecture dans ce contexte où l'accusé apparemment avait des habiletés langagières relatives en français, qu'il dénonçait sa faiblesse en français et qu'apparaissait tout au long de l'intervention policière ses difficultés à comprendre et parler le français au-delà du fait qu'il aura pu aussi faire comprendre sa situation personnelle particulière et sa très grande anxiété suite à son arrestation.

[36] L'accusé instruit de ses droits de prendre conseil auprès d'un avocat a refusé d'en consulter un. Mais, un simple refus éclairé et exprimé avec clarté ne permet pas de débat sur la charte. Pourtant, l'accusé avait bien stipulé qu'il refusait les services d'un «avocat français», donc d'un avocat qui lui donnerait une consultation en langue française. Le tribunal y comprend que l'accusé exprimait sincèrement la pensée que d'avoir un avocat qui s'exprimerait en français, ne lui serait d'aucune utilité. Cela n'empêche pas de penser que l'accusé se pensait dans une situation décourageante mais ce facteur est sans pertinence quant à ce débat.

[41] Une renonciation apparente aussi particularisée que celle de l'accusé ne pouvait être raisonnablement considérée comme une renonciation sans équivoque et bien éclairée. Il y avait en l'instance une preuve au contraire d'une renonciation claire qui aurait pu devenir claire si l'accusé avait aussi refusé les services d'un interprète tout comme ceux d'un avocat. Spéculer qu'il aurait refusé les services d'un interprète demeure inapproprié et non conforme à la réalité.

[42] Même un justiciable rompu aux droits que seraient les siens, aurait néanmoins droit aux mêmes informations et mise en œuvre des pleins droits d'un accusé si peu habile dans la seule langue officielle qu'il parle au pays. Le niveau de compréhension du français par l'accusé bien illustré par les nombreux témoignages entendus commandait que soit offert à l'accusé les services d'un interprète pour qu'il communique efficacement avec son avocat. Ce n'est pas qu'il ne voulait pas simplement un avocat. Il ne voulait pas d'un «avocat français».

[44] Ainsi, une renonciation à l'exercice de cette garantie juridique sera suffisante et respectueuse des droits constitutionnels d'un justiciable lorsqu'il aura connaissance des moyens qui sont et doivent être mis à sa disposition pour faire une décision éclairée, pour qu'une renonciation lui soit opposable (Regina v. Parks (1988), 33 C.C.R. 1 (Ont. H.C.), juge Watt).

[46] Pourtant, il s'agit d'un droit sacro-saint que celui de mettre à la disposition d'un accusé les services de conseils juridiques et d'interprète qui rendent utile l'exercice de ce droit fondamental, notamment en ces matières complexes pour un citoyen que sont les accusations de facultés affaiblies et d'alcoolémie supérieure au taux prescrit par la loi. Une obligation de retarder de soumettre l'accusé au test d'alcoolémie s'imposait tant que les moyens de consulter un avocat avec l'aide d'un interprète n'avaient pas été offerts et, dans l'affirmative, exercé et les tests d'alcoolémie d'autant retardés (R. v. Prosper, 1994 CanLII 65 (S.C.C.), [1994] 3 S.C.R. 236).

jeudi 16 avril 2009

Arrestation sans mandat effectuée sur place par une personne autorisée à cet effet par l’occupant des lieux

R. c. Asante‑Mensah, [2003] 2 R.C.S. 3, 2003 CSC 38

Résumé des faits

Le présent pourvoi résulte d’un épisode au cours duquel un inspecteur de l’aéroport s’est approché de l’appelant, l’a touché à l’épaule et l’a informé qu’il était en état d’arrestation pour entrée sans autorisation et qu’il serait détenu jusqu’à l’arrivée de la police. L’appelant a tenté de gagner son véhicule pour s’enfuir, mais l’inspecteur lui a barré la route. Pendant l’affrontement, l’appelant s’est enfui après avoir ouvert la portière de sa voiture en la poussant sur l’inspecteur pour le forcer à reculer.

Analyse

L’« arrestation »(...) doit donc être considérée comme un état continu, créé par des mots accompagnés d’un toucher physique ou d’une soumission et se terminant au moment où la garde de la personne arrêtée est confiée à la police, lequel état peut être maintenu, si nécessaire, au moyen d’une force ne dépassant pas ce qui est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

On donne à l’occupant les moyens (force raisonnable) de s’acquitter de son obligation (de confier à la police la garde de la personne arrêtée) de manière à réaliser l’objet de l’arrestation (mettre fin à l’entrée sans autorisation et livrer l’intrus à la police pour qu’il soit traité selon la loi).

Refuser à l’occupant le droit d’employer quelque force que ce soit aurait pour effet de l’exposer à une action en responsabilité civile pour avoir tenté de confier à la police la garde de la personne arrêtée. Lorsqu’une arrestation légale donne lieu à une bousculade délibérée, il faut se demander qui de la personne qui effectue l’arrestation ou de la personne arrêtée doit être considérée comme fautive. On ne saurait considérer que le législateur a voulu imposer à l’occupant une obligation de confier à la police la garde de la personne arrêtée, et permettre, du même coup, que la responsabilité civile et criminelle de l’occupant soit engagée lorsqu’il emploie la force raisonnable nécessaire pour s’acquitter de cette obligation.

Un occupant a donc le droit d’employer une force raisonnable pour établir l’état d’arrestation et le maintenir. Le policier qui se voit confier la garde de l’intrus est réputé avoir procédé à son arrestation. Dès lors, il n’appartient plus à l’occupant de décider s’il y a lieu de maintenir l’état d’arrestation ou si des mesures moindres suffisent.

L’efficacité du pouvoir d’arrestation dépend de la capacité d’employer la force étant donné que cette capacité est souvent la condition préalable nécessaire pour obtenir la soumission de la personne arrêtée.

La « force raisonnable » se rapporte non seulement à la force nécessaire pour effectuer l’arrestation, mais également à la question de savoir si l’arrestation par la force constituait, au départ, une ligne de conduite raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

Pour décider si un comportement est justifié en droit criminel, il faut tenir compte d’une gamme de facteurs allant au‑delà de la simple force physique requise pour retenir une personne arrêtée.

Un lot de facteurs doivent être pris en considération [. . .], notamment le devoir dont il s’acquitte, la mesure dans laquelle il est nécessaire de porter atteinte à la liberté individuelle afin d’accomplir ce devoir, l’importance que présente l’exécution de ce devoir pour l’intérêt public, la liberté à laquelle on porte atteinte ainsi que la nature et l’étendue de l’atteinte

La latitude laissée aux policiers qui ont l’obligation d’agir et qui doivent souvent réagir à des situations difficiles et urgentes n’est pas nécessairement laissée à l’occupant qui n’a aucune obligation d’agir et qui amorce un affrontement avec un intrus.

L’arrestation était une ligne de conduite raisonnable à la lumière des faits de la présente affaire. Toutes les autres tentatives d’obtenir la soumission de l’appelant avaient échoué. Compte tenu des faits de la présente affaire, la force employée par l’inspecteur ne dépassait pas ce qui était raisonnable.

mercredi 15 avril 2009

Les techniques d'interrogatoires les plus souvent utilisées par les enquêteurs

Interrogation Tactics Most Frequently Observed in 182 Police Interrogations (From Leo, 1996b)

1. Appeal to the suspect’s self-interest (88%)
2. Confront the suspect with existing evidence of guilt (85%)
3. Undermine the suspect’s confidence in his or her denials (43%)
4. Identify contradictions in the suspect’s alibi or story (42%)
5. Ask specific ‘‘behavioral analysis’’ interview questions (40%)
6. Appeal to the importance of cooperation (37%)
7. Offer moral justifications and face-saving excuses (34%)
8. Confront the suspect with false evidence of guilt (30%)
9. Praise or flatter the suspect (30%)
10. Appeal to the detective’s expertise and authority (29%)
11. Appeal to the suspect’s conscience (23%)
12. Minimize the moral seriousness of the offense (22%)

Tiré de :
Saul M. Kassin and Gisli H. Gudjonsson, PSYCHOLOGICAL SCIENCE IN THE PUBLIC INTEREST - The Psychology of Confessions: A Review of the Literature and Issues, Volume 5 Number 2 November 2004

mardi 14 avril 2009

Indécence — Test fondé sur le préjudice

R. c. Labaye, 2005 CSC 80 (CanLII)

La conduite indécente criminelle sera établie si le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable les deux éléments suivants (par 62)

1. De par sa nature, la conduite en litige cause ou présente un risque appréciable que soit causé, à des personnes ou à la société, un préjudice qui porte atteinte ou menace de porter atteinte à une valeur exprimée et donc reconnue officiellement dans la Constitution ou une autre loi fondamentale semblable, notamment:

a) en exposant les membres du public à une conduite qui entrave de façon appréciable leur autonomie et leur liberté;

b) en prédisposant autrui à adopter un comportement antisocial;

c) en causant un préjudice physique ou psychologique aux personnes qui participent aux activités.

2.Le préjudice ou le risque de préjudice atteint un degré tel qu’il est incompatible avec le bon fonctionnement de la société.

La nature du préjudice
Le préjudice a été défini comme le «comportement [...] que la société reconnaît officiellement comme incompatible avec son bon fonctionnement » (par 28)

Deux conditions générales se dégagent de cette définition du préjudice nécessaire pour qu’il y ait indécence criminelle. Premièrement, les mots «reconnaît officiellement» indiquent que le préjudice doit se rapporter à des normes que notre société a reconnues dans sa Constitution ou ses lois fondamentales semblables. Cela signifie que l’examen n’est pas fondé sur une conception individuelle de ce qui constitue un préjudice, ni sur les enseignements de telle ou telle idéologie, mais sur ce que la société, par ses lois et ses institutions, a reconnu comme essentiel à son bon fonctionnement. Deuxièmement, le préjudice doit être grave. Il doit non seulement nuire au bon fonctionnement de la société, mais être incompatible avec celui-ci (par 29)

Pour engager la responsabilité pénale, le préjudice doit être un préjudice que la société reconnaît officiellement comme incompatible avec son bon fonctionnement (par 32)

Jusqu’à maintenant, la jurisprudence a dégagé trois types de préjudices susceptibles d’étayer une conclusion d’indécence:(1)le préjudice causé à ceux dont l’autonomie et la liberté peuvent être restreintes du fait qu’ils sont exposés à une conduite inappropriée; (2)le préjudice causé à la société du fait de la prédisposition d’autrui à adopter une conduite antisociale; et (3)le préjudice causé aux personnes qui participent à la conduite. Chacun de ces types de préjudices est lié à des valeurs reconnues par notre Constitution et nos lois fondamentales semblables. Cette liste n’est pas exhaustive; il pourra être établi que d’autres types de préjudices satisfont aux normes établies dans Butler pour établir l’indécence criminelle. Mais ce sont pour l’instant les types de préjudices que la jurisprudence a reconnus. (par 36)

De même, le fait que la plupart des membres de la collectivité puissent désapprouver la conduite ne suffit pas. Dans chaque cas, il faut plus pour établir le préjudice nécessaire à une conclusion d’indécence criminelle. (par 37)

Le préjudice de la perte d’autonomie et de liberté résultant de l’exposition du public
Le premier type de préjudice est celui qui résulte de l’exposition du public à une conduite inacceptable et inappropriée. Les actes indécents sont proscrits parce qu’ils exposent le public, contre son gré, à une conduite inappropriée.(par 40)

Puisque le préjudice de cette catégorie repose sur l’exposition du public à des actes ou à du matériel insupportables, il est essentiel qu’il y ait un risque que les membres du public soient involontairement exposés à la conduite ou au matériel, ou qu’ils soient tenus de modifier sensiblement leurs habitudes pour éviter d’y être exposés. (par 42)

Pour cette raison, la nature, le lieu et l’auditoire des actes visés par les allégations d’indécence sont pertinents. À cet égard, l’indécence diffère de l’obscénité, l’exposition du public étant un élément qui se présume dans le cas de l’obscénité:Butler, p.485. Comme il est précisé dans R. c. Tremblay, 1993 C[1993] 2 R.C.S. 932, p.960, la question de savoir si un acte est indécent peut varier en fonction «du lieu où l’acte se produit et de la composition de l’auditoire». (par 43)

Bien que ces facteurs guident l’examen factuel et contextuel de l’indécence, ils ne sont que des éléments auxiliaires et accessoires de la détermination ultime du préjudice.La question de savoir si certains actes sont indécents ne saurait dépendre simplement du fait qu’ils sont commis dans un «endroit public» au sens du Code criminel. (...) Fait plus important, s’appuyer exclusivement sur la nature publique du lieu va à l’encontre du principe voulant que ce soit le préjudice qui soit le fondement de l’indécence criminelle. L’indécence vise le préjudice ou le risque appréciable de préjudice causé aux membres du public, qui doit être établi par la preuve et ne saurait être présumé, ni automatiquement inféré de la nature du lieu où se produisent les actes. (par 44)

Le préjudice résultant de la prédisposition d’autrui à adopter un comportement antisocial
La deuxième source de préjudice tient au risque que la conduite ou le matériel puisse prédisposer autrui à commettre des actes antisociaux. (par 45)

Cette source de préjudice ne se limite pas aux invitations explicites ou aux exhortations à commettre des actes antisociaux. Comme il est mentionné dans Butler, l’examen s’étend au préjudice qui touche l’attitude. La conduite ou le matériel qui perpétue des images négatives et dégradantes de l’humanité risque d’ébranler le respect envers les membres des groupes visés et, par conséquent, de prédisposer autrui à agir de manière antisociale envers eux. Une telle conduite peut contrevenir aux normes sociales officiellement reconnues, comme l’égalité et la dignité de tous les êtres humains, protégées par la Charte canadienne des droits et libertés et les lois fondamentales semblables, tels les codes provinciaux des droits de la personne. (par 46)

Comme cette source de préjudice suppose l’exposition de membres du public à la conduite ou au matériel, il convient une fois encore de se demander si la conduite est privée ou publique.  Ce type de préjudice ne peut survenir que si les membres du public sont susceptibles d’être exposés à la conduite ou au matériel en cause.
(par 47)

Le préjudice causé aux participants
La troisième source de préjudice est le risque de préjudice physique ou psychologique causé aux personnes qui participent à la conduite litigieuse. (...) Certains types d’activité sexuelle peuvent causer du tort à ceux qui y participent. Les femmes peuvent être contraintes à la prostitution ou à d’autres aspects du commerce du sexe. Elles peuvent être victimes d’agression physique et psychologique. Il arrive parfois qu’elles soient blessées gravement ou même tuées. Des enfants et des hommes peuvent aussi subir des préjudices semblables. La conduite sexuelle qui risque de provoquer cette sorte de préjudice peut contrevenir à des normes sociales reconnues d’une manière qui est incompatible avec le bon fonctionnement de la société et satisfaire ainsi au test énoncé dans l’arrêt Butler afin d’établir l’indécence pour l’application du Code criminel. (par 48)

Le consentement du participant sera généralement important pour déterminer si ce type de préjudice est établi. Toutefois, le consentement peut se révéler plus apparent que réel. Les tribunaux doivent toujours être vigilants et se demander si, en réalité, il n’y a pas victimisation. Lorsque d’autres aspects d’un traitement avilissant sont manifestes, le préjudice causé aux participants peut être établi en dépit de leur consentement apparent. (par 49)

Contrairement aux types de préjudices précédents qui tiennent à l’exposition du public et aux attitudes inculquées, le troisième type de préjudice n’a qu’un lien très ténu avec le fait que la conduite soit privée ou publique, puisque le préjudice qui importe alors n’est pas celui causé à la société ou à ses membres, mais aux personnes mêmes qui participent aux actes. (...) En définitive, la question essentielle n’est pas de savoir comment les membres du public pourraient être touchés, mais comment les participants sont effectivement touchés. (par 50)

Une forme de préjudice causé aux participants, soit le risque de maladies transmissibles sexuellement, mérite une attention spéciale. De toute évidence, il s’agit d’un préjudice important qui peut résulter d’une conduite sexuelle. Il a été considéré comme un facteur pour la question de savoir si la conduite est criminellement indécente (Tremblay), et comme un facteur aggravant un préjudice déjà existant (Mara). Cependant, il est difficile d’attribuer au risque de maladies transmissibles sexuellement un rôle indépendant dans le critère de l’indécence. Le risque de maladies, bien qu’il puisse être lié à d’autres conséquences juridiques, n’a pas de lien conceptuel ni causal logique avec la question de savoir si une conduite est indécente. L’indécence se rapporte aux mœurs sexuelles et non à des questions de santé; une maladie peut être transmise par des actes sexuels qui ne sont pas indécents, et ne pas l’être par des actes sexuels indécents. (par 51)

Le degré du préjudice:le préjudice incompatible avec le bon fonctionnement de la société canadienne
À cette étape, il faut examiner le degré du préjudice pour déterminer s’il est incompatible avec le bon fonctionnement de la société. Le critère applicable est exigeant. Il veut qu’en tant que membres d’une société diversifiée, nous soyons prêts à tolérer des comportements que nous désapprouvons, à moins qu’il puisse être établi objectivement, hors de tout doute raisonnable, qu’ils nuisent au bon fonctionnement de la société. (par 52)

Le test objectif que la Cour préconise depuis longtemps pour établir l’indécence criminelle requiert une analyse attentive et explicite de la question de savoir si la preuve démontre que le préjudice allégué est réellement incompatible avec le bon fonctionnement de la société canadienne. Cela suppose des jugements de valeur. Qu’est-ce que le «bon» fonctionnement de la société? À quel moment pouvons-nous affirmer qu’une activité est «incompatible» avec celui-ci? (par 53)

Dans ce domaine du droit, comme dans bien d’autres, les jugements de valeur sont inévitables. Ce qui ne signifie pas que le processus décisionnel soit subjectif ou arbitraire. Premièrement, les juges qui s’apprêtent à porter des jugements de valeur doivent être conscients du risque de fonder leur décision sur des valeurs ou des idées préconçues non exprimées et non reconnues. Deuxièmement, ils doivent appuyer leurs jugements de valeur sur la preuve et sur un examen complet du contexte factuel et juridique pertinent, de sorte que leurs jugements ne soient pas influencés par leurs opinions subjectives, mais qu’ils résultent de l’application de critères pertinents et objectivement éprouvés. Troisièmement, les juges doivent soupeser soigneusement et nommer les facteurs qu’ils prennent en compte pour rendre leurs jugements de valeur. En adoptant de telles pratiques, il est possible d’atteindre l’objectivité. (par 54)

Ce n’est que lorsque les conséquences des actes, au regard du degré de préjudice, risquent réellement de porter atteinte à l’autonomie et à la liberté des membres du public, jugées selon des normes contemporaines, que l’indécence peut être établie. (par 55)

L’incompatibilité avec le bon fonctionnement de la société va plus loin qu’un test fondé sur la tolérance. La question n’est pas de savoir ce que les personnes ou la société pensent de la conduite, mais si l’autoriser entraîne un préjudice qui menace fondamentalement le fonctionnement de notre société. À la première étape, ce critère veut que le préjudice soit lié à une valeur officiellement reconnue. Mais au-delà, il doit être établi hors de tout doute raisonnable que la conduite, en raison non seulement de sa nature, mais aussi de son degré, va jusqu’à menacer le bon fonctionnement de notre société. (par 56)

Pour décider si tel est le cas, il faut se reporter aux valeurs touchées par le type particulier de préjudice en cause. Si le préjudice tient à la menace pour l’autonomie et la liberté qui résulte, par exemple, d’une exposition involontaire à un type particulier de conduite sexuelle, le ministère public doit établir que cette conduite risque réellement d’avoir des effets importants et négatifs sur la façon de vivre des gens. Le nombre de personnes involontairement exposées à la conduite et les circonstances dans lesquelles elles y sont exposées sont des éléments cruciaux relativement à ce type de préjudice. Si toutes les personnes qui ont participé à la conduite ou en ont été témoins l’ont fait volontairement, l’indécence fondée sur ce type de préjudice ne sera pas établie. (par 57)

Si le préjudice tient à la prédisposition d’autrui à des comportements antisociaux, l’existence d’un risque réel que la conduite ait cet effet doit être établie. De vagues généralisations portant que la conduite sexuelle en cause entraînera des changements d’attitude et, par voie de conséquence, des comportements antisociaux ne suffiront pas. Le lien de causalité entre la représentation des choses sexuelles et les comportements antisociaux ne saurait être présumé. Les attitudes ne sont pas en soi criminelles, si déviantes soient-elles ou si dégoûtantes puissent-elles paraître. Ce qui est requis, c’est la preuve d’un lien, premièrement, entre la conduite sexuelle en cause et la formation d’attitudes négatives et, deuxièmement, entre ces attitudes et le risque réel de comportements antisociaux. (par 58)

De même, si le préjudice tient au dommage physique ou psychologique subi par les participants, il faut là encore démontrer que le préjudice a été causé ou qu’il existe un risque réel qu’il sera causé. Des témoins peuvent attester du préjudice réel. Des témoins experts peuvent attester des risques de préjudice appréhendé. Dans l’examen du préjudice psychologique, il faut se garder de substituer le dégoût suscité par la conduite visée à la preuve d’un préjudice causé aux participants. Dans les cas où les participants sont vulnérables, il peut être plus facile d’inférer un préjudice psychologique que dans les cas où ils agissent d’égal à égal, en toute autonomie. (par 59)

Un test fondé sur le préjudice ou sur le risque appréciable de préjudice incompatible avec le bon fonctionnement de la société est plus exigeant. En général, il est peu probable que le juge et les jurés soient en mesure d’apprécier le risque de préjudice et ses conséquences sans l’aide des témoins experts. Certes, des cas évidents peuvent survenir où il est impossible de prétendre que la conduite établie par la preuve est compatible avec le bon fonctionnement de la société, ce qui éliminera la nécessité de recourir à un témoin expert. Le fait de tuer quelqu’un au cours de rapports sexuels, pour donner un exemple évident, répugne en soi à notre droit et au bon fonctionnement de notre société. Mais dans la plupart des cas, une preuve d’expert sera requise pour établir que la nature et le degré du préjudice le rendent incompatible avec le bon fonctionnement de la société. Dans chaque cas, la déclaration de culpabilité doit être fondée sur une preuve établissant hors de tout doute raisonnable l’existence d’un préjudice réel ou d’un risque appréciable de préjudice réel. L’accent mis sur la preuve contribue à accroître l’objectivité de la démarche. Il ne la transforme toutefois pas pour autant en une pure question de fait. Pour conclure à l’indécence, il faut appliquer une norme juridique aux faits et au contexte qui entoure les actes reprochés. C’est cette norme juridique que le test fondé sur le préjudice vise à formuler. (par 60)

Lorsque l’existence d’un préjudice réel n’est pas établie et que le ministère public invoque l’existence d’un risque, le critère de l’incompatibilité avec le bon fonctionnement de la société lui impose d’établir l’existence d’un risque appréciable. Le risque est un concept relatif. Plus la nature du préjudice est extrême, moins le degré de risque requis pour entraîner la sanction ultime du droit criminel sera élevé. Parfois, un risque assez mince peut être considéré comme incompatible avec le bon fonctionnement de la société. (par 61)

dimanche 12 avril 2009

Principes dégagés de la jurisprudence relativement à la présomption d'innocence

R. c. Downey, [1992] 2 R.C.S. 10

I ‑ Il y a atteinte à la présomption d'innocence chaque fois que l'accusé peut être déclaré coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable.

II ‑ Si les dispositions d'une présomption légale obligent l'accusé à établir, c'est‑à‑dire à prouver, selon la prépondérance des probabilités, l'existence ou l'absence d'un élément de l'infraction ou d'une excuse, cette présomption contrevient alors à l'al. 11d) car elle permettrait une déclaration de culpabilité malgré l'existence d'un doute raisonnable.

III ‑ Même s'il existait un lien rationnel entre le fait établi et le fait devant être présumé, cela ne suffirait pas à rendre valide une présomption obligeant l'accusé à établir l'absence d'un élément de l'infraction.

IV ‑ Le texte législatif qui substitue la preuve d'un élément à la preuve d'un élément essentiel ne portera pas atteinte à la présomption d'innocence si, par suite de la preuve de l'élément substitué, il serait déraisonnable que le juge des faits ne soit pas convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence de l'autre élément. En d'autres termes, la présomption légale sera valide si la preuve du fait substitué entraîne inexorablement la preuve de l'autre élément. Cependant, la présomption légale portera atteinte à l'al. 11d) si elle oblige le juge des faits à prononcer une déclaration de culpabilité malgré l'existence d'un doute raisonnable.

V ‑ Une présomption créant, pour le juge des faits, la faculté et non l'obligation de conclure à la culpabilité ne portera pas atteinte à l'al. 11d).

VI ‑ Une disposition qui était peut‑être destinée à ne jouer qu'un rôle mineur dans la protection contre la déclaration de culpabilité contreviendra néanmoins à la Charte si la preuve (telle la véracité d'une déclaration) doit en être établie par l'accusé.

VII ‑ Il ne faut naturellement pas oublier que les présomptions légales qui portent atteinte à l'al. 11 d) peuvent encore être justifiées en vertu de l'article premier de la Charte.

vendredi 10 avril 2009

Temps soustrait d’une peine

En général, une peine commence à courir au moment où elle est imposée et les services fédéraux ne sont pas habilités à en réduire la durée de façon à tenir compte du temps passé sous garde avant le prononcé de la sentence. Chaque jour passé sous garde après le prononcé de la sentence ou passé en liberté sous condition fait partie de la peine d’emprisonnement.

L’admissibilité à la libération conditionnelle dans le cas des peines d’emprisonnement à perpétuité fait exception à ce principe. Dans ces cas, la date d’admissibilité à la libération conditionnelle est calculée à partir de la date d’arrestation et de mise sous garde. Toute période passée en liberté illégale ou en liberté provisoire par voie judiciaire ne peut être considérée comme partie d’une période d’emprisonnement découlant d’une déclaration de culpabilité. Dans ce cas, la peine continue lorsque le délinquant est réincarcéré.

Tiré de
Le calcul des peines : Guide pour les juges, les avocats et les responsables correctionnels
http://www.securitepublique.gc.ca/res/cor/rep/2005-sntnce-hndbk-fra.aspx#Anchor-13810

jeudi 9 avril 2009

Prise sans mandat par des policiers de sacs d’ordures déposés par l’accusé à la limite de sa propriété

R. c. Patrick, 2009 CSC 17

Résumé
Les policiers soupçonnaient P d’exploiter un laboratoire d’ecstasy dans sa maison. À plusieurs reprises, ils ont pris des sacs d’ordures que P avait déposés, en vue de leur ramassage, à l’arrière de sa maison, qui est contiguë à une ruelle. Les policiers n’ont pas eu à pénétrer sur la propriété de P pour s’emparer des sacs, mais ils ont toutefois dû allonger les bras au‑dessus des limites de sa propriété pour le faire. Les policiers ont utilisé des éléments de preuve d’activités criminelles trouvés dans le contenu des ordures de P pour obtenir un mandat les autorisant à perquisitionner dans la maison et le garage de ce dernier.

Analyse
L’attente en matière de respect de la vie privée est de nature normative et non descriptive. L’analyse du droit au respect de la vie privée abonde en jugements de valeur énoncés du point de vue indépendant de la personne raisonnable et bien informée, qui se soucie des conséquences à long terme des actions gouvernementales sur la protection de ce droit

Le tribunal appelé à apprécier le caractère raisonnable de la revendication d’un droit au respect de la vie privée doit considérer « l’ensemble des circonstances », et ce, que la revendication en question comporte des aspects touchant à l’intimité personnelle, à l’intimité territoriale ou à l’intimité informationnelle. Dans bien des cas, les droits revendiqués se chevaucheront. L’appréciation requiert toujours un examen attentif du contexte et porte d’abord sur l’objet ou la nature des éléments de preuve en cause. En l’espèce, P et les policiers considéraient à juste titre que l’objet des éléments de preuve était les renseignements concernant les activités qui se déroulaient à l’intérieur de la maison de P. Le tribunal doit ensuite se demander si l’intéressé possédait un droit direct à l’égard de l’élément de preuve et une attente subjective en matière de respect de sa vie privée relativement au contenu informationnel de cet élément. Le « caractère raisonnable » de cette attente, eu égard à l’ensemble des circonstances d’une affaire donnée, est examiné seulement dans le cadre du second volet de l’analyse sur le droit au respect de la vie privée, qui porte sur l’aspect objectif.

Le tribunal conclut qu’il y a eu abandon lorsqu’il juge, eu égard à la conduite de la personne invoquant le droit garanti par l’art. 8, que cette personne avait cessé d’avoir une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’élément en cause au moment où celui‑ci a été pris la police ou une autre émanation de l’État. Comme l’abandon est une conclusion tirée du comportement de la personne même qui revendique le droit, cette conclusion doit se rattacher au comportement de cette personne et non aux gestes qu’ont faits ou n’ont pas faits les éboueurs, les policiers ou toute personne participant au ramassage ultérieur et au traitement du « sac d’informations »

Le caractère raisonnable de l’attente en matière de respect de la vie privée varie selon la nature de l’élément à l’égard duquel la protection est revendiquée, le lieu et les circonstances de l’intrusion de l’État, ainsi que l’objet de cette intrusion. En l’espèce, les ordures de P ont été déposées à l’endroit habituel à la limite de la propriété ou à proximité de celle‑ci, en vue de leur ramassage, et aucun signe n’indiquait le maintien du contrôle sur les ordures ou de l’affirmation d’un droit au respect de la vie privée à leur égard. L’intimité territoriale est en cause dans le présent pourvoi parce que les policiers ont étendu les bras au‑dessus de la limite de la propriété de P pour saisir les sacs; toutefois, l’intrusion physique de la police avait un caractère relativement périphérique et, prise dans son contexte, il est préférable de la considérer comme un aspect d’une revendication portant sur l’intimité informationnelle. Ce qui intéressait P c’était le contenu dissimulé à l’intérieur des sacs d’ordures, contenu qui, contrairement aux sacs eux‑mêmes, n’était manifestement pas à la vue du public.

Objectivement parlant, P a renoncé à son droit au respect de sa vie privée à l’égard des renseignements en cause au moment où il a déposé les sacs d’ordures en vue de leur ramassage à l’arrière de sa propriété, à la limite du terrain. Il avait fait tout ce qu’il fallait pour confier ses ordures au système municipal de ramassage. Les sacs n’étaient pas protégés et ils se trouvaient à la portée de quiconque circulait dans la ruelle, notamment les sans‑abri, les ramasseurs de bouteilles, les fouilleurs de poubelles, les voisins fouineurs et les galopins, sans oublier les chiens et autres animaux, ainsi que les éboueurs et les policiers.

Toutefois, jusqu’au moment où les ordures sont placées à la limite du terrain ou à la portée de quelqu’un se trouvant à cette limite, l’occupant conserve une part de contrôle sur la façon dont il en sera disposé. On ne saurait dire qu’il les a abandonnées de façon certaine si elles se trouvent sur une galerie, dans un garage ou à proximité immédiate de la résidence. En l’espèce, l’abandon est fonction à la fois du lieu et de l’intention de P

Comme P avait abandonné ses ordures avant qu’elles soient saisies par la police, il n’avait plus aucun droit au respect de sa vie privée à leur égard lors de la saisie. La conduite des policiers était objectivement raisonnable. Des détails sur le mode de vie et des renseignements d’ordre biographique de P ont été révélés, mais la cause véritable de leur découverte réside dans l’acte d’abandon de P, et non dans une atteinte de la part des policiers à un droit subsistant au respect de la vie privée

mardi 7 avril 2009

Non‑divulgation de séropositivité ‑‑ Accusé ayant eu des rapports sexuels non protégés tout en sachant qu’il était séropositif

R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371

Résumé des faits
L’accusé a fait l’objet de deux chefs d’accusation de voies de fait graves portés en vertu de l’art. 268 du Code criminel. Même si une infirmière hygiéniste lui avait explicitement conseillé d’informer de sa séropositivité tous ses partenaires sexuels éventuels et d’utiliser des condoms chaque fois qu’il aurait des rapports sexuels, l’accusé a eu des rapports sexuels non protégés avec les deux plaignantes sans les informer qu’il était séropositif. Les deux plaignantes avaient consenti à des rapports sexuels non protégés avec l’accusé, mais elles ont témoigné au procès que, si elles avaient su qu’il était séropositif, elles n’auraient jamais eu de rapports sexuels non protégés avec lui. Au moment du procès, aucune des plaignantes n’était séropositive selon les tests qu’elles avaient subis.

Analyse
Pour prouver l’existence d’une infraction de voies de fait graves, le ministère public doit établir (1) que les actes de l’accusé ont mis en danger la vie du plaignant (par. 268(1)), et (2) que l’accusé a, d’une manière intentionnelle, employé la force contre le plaignant sans son consentement (al. 265(1)a)). En l’espèce, le risque important auquel les rapports sexuels non protégés ont exposé la vie des plaignantes satisfait à la première condition. Il n’est pas nécessaire d’établir que les plaignantes ont effectivement été infectées par le virus.

Selon la formulation de l’art. 265, l’omission par un accusé de divulguer sa séropositivité est un type de fraude qui peut vicier le consentement à des rapports sexuels. Les éléments essentiels de la fraude en droit pénal commercial sont la malhonnêteté, qui peut comprendre la dissimulation de faits importants, et la privation ou le risque de privation. L’acte ou le comportement malhonnête doit avoir trait à l’obtention du consentement aux rapports sexuels, en l’occurrence des rapports non protégés.

Les actes de l’accusé doivent être appréciés objectivement afin d’établir s’ils seraient considérés comme malhonnêtes par une personne raisonnable. L’acte malhonnête est soit une supercherie délibérée concernant la séropositivité, soit la non‑divulgation de cet état de santé. Sans divulgation de la séropositivité, il ne peut y avoir de consentement véritable. Le consentement ne peut se limiter uniquement aux rapports sexuels. Il doit plutôt s’agir d’un consentement à des rapports sexuels avec un partenaire séropositif. L’obligation de divulguer augmentera avec les risques que comportent les rapports sexuels. L’omission de divulguer la séropositivité peut conduire à une maladie dévastatrice ayant des conséquences mortelles et, dans ces circonstances, il existe une obligation absolue de divulguer.

La nature et l’étendue de l’obligation de divulguer, s’il en est, devront toujours être examinées en fonction des faits en présence. Pour établir que la malhonnêteté entraîne une privation sous forme de préjudice réel ou, simplement, de risque de préjudice, le ministère public doit prouver que l’acte malhonnête a eu pour effet d’exposer la personne consentante à un risque important de lésions corporelles graves. Le risque de contracter le sida par suite de rapports sexuels non protégés satisfait à ce critère. En outre, dans des cas comme la présente affaire, le ministère public est toujours tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que la plaignante aurait refusé d’avoir des relations sexuelles non protégées avec l’accusé si elle avait été informée qu’il était séropositif. Par conséquent, on peut, à juste titre, conclure que le consentement d’une plaignante à des rapports sexuels est vicié par une fraude au sens de l’art. 265, si l’omission de l’accusé de divulguer sa séropositivité est malhonnête et entraîne une privation en exposant la plaignante à un risque important de lésions corporelles graves.

La fraude requise pour vicier le consentement relativement à une agression sexuelle doit comporter un risque de préjudice grave. Cette norme est suffisante pour viser non seulement le risque d’infection par le VIH, mais aussi celui de contracter d’autres maladies transmissibles sexuellement qui constituent un risque important de préjudice grave.

Lorsque les efforts en matière de santé publique ne permettent pas d’assurer une protection adéquate à des personnes comme les plaignantes, le droit criminel peut être efficace. Le droit criminel a un rôle à jouer à la fois pour dissuader les personnes infectées par le VIH de mettre en danger la vie d’autrui et pour protéger le public contre les individus irresponsables qui refusent de se conformer aux ordonnances en matière de santé publique leur enjoignant d’éviter les activités à risques élevés.

Les déclarations faites en vertu de l’obligation de déclarer les accidents de circulation ne sont pas admissibles dans un procès criminel

R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417

Résumé des faits
L’intimée a été impliquée dans un accident et l’a déclaré à la police par téléphone le lendemain. Un policier s’est rendu chez elle et elle lui a relaté sa version de l’accident. Le policier lui a alors lu les droits que lui garantit la Charte. L’intimée a parlé à son avocat puis elle a informé le policier que, suivant l’avis de son avocat, elle ne ferait pas de déclaration relativement à l’accident. En réponse à une question du policier, l’intimée a confirmé certains éléments de ses déclarations antérieures. Le policier l’a cependant informée par la suite que, même si elle n’était pas tenue de faire une déclaration écrite, elle devait faire une déclaration en vertu de la Motor Vehicle Act, si la police le lui demandait, et que cette déclaration ne pouvait pas être utilisée contre elle devant un tribunal. Par la suite, l’intimée a été accusée d’avoir fait défaut d’arrêter lors d’un accident en vertu de l’al. 252(1)a) du Code criminel. Au procès, le ministère public a tenté de présenter en preuve les trois conversations que l’intimée avait eues avec la police; des éléments de ces conversations liaient l’intimée à l’accident. Au cours d’un voir‑dire, l’intimée a affirmé savoir dès la survenance de l’accident qu’elle était tenue de le déclarer. Elle a témoigné qu’elle était sous l’impression que le policier s’était rendu chez elle pour faire un rapport d’accident et qu’elle était tenue de lui parler, et qu’elle s’était sentie obligée de le faire même après avoir communiqué avec son avocat.

Analyse
Les déclarations faites en vertu d'une obligation imposée par une loi ne peuvent pas être utilisées contre leur auteur.

Les déclarations requises par l’art. 61 de la Motor Vehicle Act ne peuvent pas être utilisées dans des poursuites criminelles contre leur auteur. Leur utilisation dans un procès criminel contreviendrait au principe interdisant l’auto‑incrimination, qui est un des principes de justice fondamentale que protège l’art. 7 de la Charte. En l’espèce, les déclarations de l’intimée à la police ont été faites sous la contrainte de la loi.

La protection donnée par le principe interdisant l’auto‑incrimination ne varie pas selon l’importance relative des renseignements incriminants que l’on cherche à utiliser. Si les circonstances entourant l’utilisation d’une déclaration forcée tombent sous l’application de l’art. 7, la préoccupation relative à l’auto‑incrimination s’applique à l’ensemble des renseignements fournis dans cette déclaration. La création d’une immunité contre l’utilisation d’une déclaration d’accident dans des procédures criminelles ultérieures est elle‑même la recherche d’un équilibre entre le but de la société de découvrir la vérité et l’importance fondamentale pour la personne de ne pas être contrainte de s’incriminer.

L’auteur d’une déclaration faite en vertu de l’art. 61 de la Motor Vehicle Act n’est protégé par l’immunité contre son utilisation en vertu de l’art. 7 de la Charte que lorsque la déclaration peut être considérée comme faite sous la contrainte. La contrainte en vertu du par. 61(1) est établie si, au moment où il a déclaré l’accident, le conducteur avait la croyance sincère et raisonnable qu’il était légalement tenu de déclarer l’accident à la personne à qui il a fait la déclaration. Le fondement d’une croyance subjective existe parce que la contrainte comporte l’absence de consentement. L’exigence que la croyance soit raisonnable est également liée à la signification de contrainte.

Le ministère public n’a pas le fardeau de démontrer qu’une déclaration d’accident n’a pas été faite en vertu de l’obligation imposée par la loi. Au contraire, étant donné qu’il incombe à la personne qui invoque la Charte de démontrer l’atteinte à ses droits, c’est l’accusé qui doit prouver selon la prépondérance des probabilités que la déclaration était forcée.

samedi 4 avril 2009

Techniques pour blanchir l’argent

Entre 500 et 1,000 milliards de dollars américains sont blanchis, tous les ans, à travers le monde. L’énormité de ces nombres nous poussent donc à se demander comment diantre tous ces dollars arrivent à être blanchis.

Voici un compendium des moyens les plus courants pour blanchir l’argent sale:

1. Acheter des objets de luxe - Le petit trafiquant achètera des produits de luxe qu’il conservera ou revendra à une boutique complice.

2. Déclarer de faux gains aux jeux - Le criminel achète des jetons de jeux au casino et réclâme, quelques heures plus tard, la conversion de ces derniers en argent qu’il prétendra avoir gagné.

3. Diviser les dépôts bancaires - Le criminel divise l’argent sale et demande, par exemple, à un groupe de personnes d’aller déposer de petites sommes d’argent dans différents comptes bancaires qui lui appartiennent.

4. Mélanger l’argent sale aux recettes d’un commerce complice - Cette technique consiste à mélanger les billets d’argent sale au reste de la caisse puis à tricher sur la comptabilité sachant à quel point il est difficile de vérifier le nombre de clients d’un lavomatic, d’une pizzéria ou encore d’une librairie.

5. Faire appel à la technique de l’Hawala - Ce système de transfert de fonds informel, basé sur la confiance, existe au sein de communautés très soudées. Le criminel confie l’argent à une Hawaladar qui transmet un code d’identification à un autre Hawaladar, dans un autre pays. Muni du code, un complice dans ce pays peut alors récupérer l’argent.

6. Mettre des oeuvres aux enchères - Le blanchisseur d’argent met une oeuvre aux enchères. Un complice utilise de l’argent sale pour acheter l’oeuvre. Le blanchisseur reçoit alors un chèque du commissaire priseur.

7. Rater un envoi à l’étranger - Le blanchisseur se présente au bureau de poste avec une somme d’argent liquide inférieure au seuil de déclaration et demande à l’envoyer par mandat à une personne fictive dans un pays lointain. Au bout de quelques semaines, comme personne n’est allé retirer l’argent, il réclame le remboursement du mandat qui s’effectue par chèque.

8. Recourir à l’internet - Un blanchisseur d’argent sale peut créer, par exemple, un casino en ligne. Il ouvre un compte bancaire pour cette nouvelle société. Ses complices jouent l’argent sale au casino et, comme par hasard, perdent au jeu.

9. Utiliser les marchés boursiers - Un courtier complaisant accepte l’argent sale, l’utilise pour acheter des actions pour ensuite les revendre.

10. Utiliser les paradis fiscaux - Des montages financiers complexes impliquant des entreprises fictives établies notamment dans des paradis fiscaux permettent d’effectuer de multiples transferts d’argent dans le plus grand anonymat et ainsi masquer l’origine des fonds.

Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez acheter l’un des nombreux livres sur la criminalité financière écrits par Jean de Maillard, un magistrat français. De notre côté de l’Atlantique, je vous invite aussi à découvrir Michel Picard qui est directeur du programme de 2e cycle de lutte contre la criminalité financière, à l’université de Sherbrooke.

Maintenant que vous comprenez mieux les systèmes favoris des criminels, vous serez à même de mieux les identifier et peut-être contribuer à diminuer l’ampleur de cet inquiétant phénomène qui a lieu au détriment de tous les autres citoyens.

Tiré du site suivant
http://blogue.logixca.com/2007/03/17/techniques-pour-blanchir-largent/

vendredi 3 avril 2009

Provocation policière

R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903

Résumé des faits
L'appelant a témoigné à son procès pour trafic de drogues et, au moment de clore sa défense, il a demandé une suspension d'instance pour cause de provocation policière. Son témoignage indique qu'il a refusé systématiquement les offres d'un indicateur de police pendant six mois et qu'il n'a été persuadé de lui vendre des drogues qu'à cause de la persistance de l'indicateur, de ses menaces et de l'offre d'une importante somme d'argent.

Analyse
132. En conclusion, et pour résumer, la bonne façon d'aborder la doctrine de la provocation policière est celle formulée par le juge Estey dans l'arrêt Amato, précité, et précisée dans les présents motifs. Comme je l'ai mentionné et expliqué précédemment, il y a provocation policière quand:

a) les autorités fournissent à une personne l'occasion de commettre une infraction sans pouvoir raisonnablement soupçonner que cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle, ni se fonder sur une véritable enquête;

b) quoi qu'elles aient ce soupçon raisonnable ou qu'elles agissent au cours d'une véritable enquête, les autorités font plus que fournir une occasion et incitent à perpétrer une infraction.

133. Il n'est ni utile ni sage de dire dans l'abstrait quels éléments sont nécessaires pour prouver une allégation de provocation policière. Il est cependant essentiel que les facteurs sur lesquels s'appuie un tribunal soient reliés aux raisons sous‑jacentes de la reconnaissance de la doctrine en premier lieu.

134. Comme je suis d'avis que la doctrine de la provocation policière ne dépend pas de la culpabilité, il ne faut pas axer l'analyse sur l'effet de la conduite de la police sur l'état d'esprit de l'inculpé. Plutôt, j'estime qu'autant que possible il faut effectuer une évaluation objective de la conduite de la police et de ses agents. La prédisposition, ou l'activité criminelle passée, présente ou soupçonnée de l'inculpé ne sont pertinentes qu'à titre d'éléments permettant de déterminer si l'occasion de commettre l'infraction fournie par les autorités à l'inculpé est justifiable. En outre, il doit y avoir un rapport suffisant entre la conduite passée de l'inculpé et l'occasion offerte puisque, autrement, le soupçon de la police ne serait pas raisonnable. Quoique, sans être concluante, la prédisposition de l'accusé ait une certaine pertinence relativement à l'évaluation de la façon dont la police a initialement abordé une personne en lui offrant une occasion de commettre une infraction, elle n'est jamais pertinente pour déterminer si elle est allée au‑delà d'une offre, puisqu'il faut l'évaluer en fonction de ce que la personne ordinaire sans prédisposition aurait fait.

135. L'absence de soupçon raisonnable ou de véritable enquête est significative pour évaluer la conduite de la police, en raison du danger que cette dernière n'entraîne des gens qui autrement n'auraient été impliqués dans aucun crime, et parce qu'on ne doit pas avoir recours à la force policière simplement pour éprouver au hasard la vertu des gens. Cependant, la présence d'un soupçon raisonnable ou la simple existence d'une véritable enquête ne justifiera jamais les techniques de provocation policière: les forces policières ne doivent jamais faire autre chose que d'offrir une occasion, indépendamment de leur perception de la moralité de l'inculpé et de l'existence d'une enquête honnête. Pour décider si la police a employé des moyens qui semblent dépasser l'offre simple d'une occasion, il est utile de considérer les facteurs suivants, individuellement ou collectivement:

‑‑ le genre de crime qui fait l'objet de l'investigation et la disponibilité d'autres techniques pour la détection par la police de sa perpétration;

‑‑ si l'individu moyen, avec ses points forts et ses faiblesses, dans la situation de l'inculpé, aurait été incité à commettre un crime;

‑‑ la persistance et le nombre de tentatives faites par la police avant que l'inculpé n'accepte de commettre une infraction;


‑‑ le genre d'incitations utilisées par la police, y inclus: la tromperie, la fraude, la supercherie ou la récompense;

‑‑ le moment où se situe la démarche de la police, en particulier si la police a déjà fait enquête au sujet de l'infraction ou si elle intervient alors que l'activité criminelle est en cours;

‑‑ si la démarche de la police présuppose l'exploitation d'émotions humaines, telles la compassion, la sympathie et l'amitié;

‑‑ si la police paraît avoir exploité une vulnérabilité particulière d'une personne, comme un handicap mental ou l'accoutumance à une substance particulière;

‑‑ la proportionnalité de l'implication de la police, comparée à celle de l'inculpé, y compris une évaluation du degré du dommage causé ou risqué par la police, en comparaison de celui de l'inculpé, et la perpétration de tout acte illégal par les policiers eux‑mêmes;

‑‑ l'existence de menaces, tacites ou expresses, proférées envers l'inculpé par la police ou ses agents;

‑‑ si la conduite de la police cherche à saper d'autres valeurs constitutionnelles.

136. Cette énumération n'est pas exhaustive, mais j'espère qu'elle contribuera à l'élaboration d'un schéma d'application de la doctrine de la provocation policière. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas fait mention de l'exigence, que l'on retrouve dans les motifs du juge Estey dans l'arrêt Amato, précité, que la conduite doit avoir été, dans tous les cas, révoltante voire scandaleuse. Je suis d'avis que c'est là un facteur qu'il vaut mieux examiner au chapitre des questions de procédure, vers lesquelles je me tourne maintenant.

Le processus que doit suivre un juge lors de la détermination de la peine face à un accusé non citoyen canadien

R. c. Kabasele, 2023 ONCA 252 Lien vers la décision [ 31 ]        En raison des arts. 36 et 64 de la  Loi sur l’immigration et la protection...