Houle c. R., 2023 QCCQ 13807
[454] Considérant la position des parties, je dois d’abord décider si les requérants peuvent revendiquer l’excision des renseignements obtenus dans le contexte d’une ou des violations alléguées des droits constitutionnels des tiers (ceux identifiés ci-haut). À cette fin, j’entends, dans un premier temps, examiner le premier argument formulé par les requérants afin d’évaluer l’approche à adopter : “excision for one” ou “excision for all”? Je traiterai ensuite, au besoin, de l’argument Croft. Selon l’issue de cette analyse à deux volets, je verrai s’il est opportun de se pencher sur l’existence ou non d’une violation des droits des tiers aux 2514 chemin des Patriotes, 2376 rue Frenette, 2790 rue du Lac et au 1100 Dr. Penfield (le 15 juin 2018).
“Excision for one” ou “Excision for all”?
[455] Pour me convaincre de la légitimité de l’approche “excision for all” les requérants s’appuient en très grande partie sur trois décisions : Guindon[356], Mediati[357] et Hamid[358].
[456] De son côté, le poursuivant réfère surtout à deux décisions récentes rendues au Québec pour m’amener à adopter l’approche “excision for one”: Lanthier[359] et Boyce‑ Dickson[360]. L’affaire Kang[361] est également d’intérêt.
[457] Ce sont toutes des décisions de première instance. Le poursuivant n’a pas tort de souligner que la question en litige n’a pas été tranchée de façon explicite par une cour d’appel ou par la Cour suprême.
[458] Deux arrêts de la Cour suprême – Grant[362] et Edwards – et un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario – Chang[363] – font toutefois l’objet d’une attention particulière et récurrente au sein des autorités soumises par les parties. Ces arrêts guident la réflexion des tribunaux de première instance. Il est donc important de les évoquer avant d’examiner les décisions invoquées par les parties.
- Décisions des tribunaux supérieurs guidant la réflexion :
[459] L’affaire Grant fait partie de la trilogie constituée des arrêts Grant, Wiley[364] et Plant (« la trilogie Grant »), dont les motifs ont été rendus simultanément par la Cour suprême. Dans ces trois arrêts, la Cour était appelée à examiner la légalité de perquisitions périphériques sans mandat de la résidence utilisée par l’accusé. Dans chacun des dossiers, les policiers cherchaient à valider des informations d’une source selon lesquelles l’accusé cultivait de la marijuana dans sa résidence. Autre dénominateur commun : les renseignements obtenus à la suite des perquisitions périphériques faisaient partie de la dénonciation en vue d’obtenir un mandat pour perquisitionner la résidence de l’accusé. Dans les trois affaires, la Cour suprême conclut que les perquisitions périphériques étaient abusives et contraires à l’article 8 de la Charte. C’est dans ce contexte que la Cour dans Grant précise que le juge réviseur doit examiner si le mandat de perquisition aurait tout de même été décerné sans la mention, dans la dénonciation, des renseignements obtenus par l’entremise des perquisitions périphériques abusives. Le juge Sopinka s’exprime ainsi :
Dans l'arrêt Kokesch, précité, notre Cour a statué que les éléments de preuve obtenus au cours d'une perquisition menée en vertu d'un mandat devaient être exclus en vertu du par. 24(2) de la Charte dans le cas où le mandat a été obtenu sur la foi d'une dénonciation relatant des faits dont la police n'a pu être au courant que par suite d'une violation de la Charte. Toutefois, dans des circonstances comme en l'espèce où la dénonciation faisait état d'autres faits que ceux obtenus en contravention de la Charte, le tribunal qui siège en révision doit examiner si le mandat aurait été décerné sans la mention, dans la dénonciation faite sous serment aux fins de l'obtention du mandat, des faits obtenus d'une façon abusive: Garofoli, précité. De cette façon, le ministère public ne peut profiter des actes illégaux des policiers, sans être forcé de renoncer à des mandats de perquisition qui auraient été décernés de toute façon. En conséquence, le mandat et la perquisition en l'espèce seront jugés valides en vertu de la Constitution si le mandat aurait été décerné sans la mention dans la dénonciation des constatations faites lors des perquisitions périphériques inconstitutionnelles […][365].
[460] Comme nous le verrons, ce passage de l’arrêt Grant – en particulier l’affirmation voulant que le ministère public ne puisse profiter des actes illégaux des policiers – est au cœur du raisonnement adopté dans les décisions partisanes de l’approche “excision for all”.
[461] Dans Edwards, la Cour suprême rappelle que les droits garantis par la Charte sont des droits personnels. Seule la personne dont les droits constitutionnels ont été violés peut solliciter une réparation fondée sur le paragraphe 24(2) de la Charte. Tout en concédant que le processus d’excision ne constitue pas à proprement dit un remède en vertu de la Charte, les juges préconisant l’approche “excision for one” se fondent notamment sur l’arrêt Edwards pour conclure que seule la personne directement lésée par la violation constitutionnelle à l’origine de l’obtention des renseignements est habilitée à en demander la suppression au sein d’une dénonciation.
[462] L’affaire Chang est aussi une décision qui oriente la réflexion des tribunaux eu égard à la question en litige. En première instance, M. Chang et M. Kullman avaient été déclarés coupables d’un complot visant à faire entrer une personne au Canada illégalement. En appel, ils alléguaient que la juge de première instance (la juge Molloy) avait erré en concluant à l’admissibilité en preuve de communications privées interceptées en vertu de deux autorisations d’écoute électronique décernées en Ontario, l’une au mois de septembre 1995 et l’autre au mois de novembre 1995.
[463] Les appelants soutenaient que la dénonciation en vue d’obtenir l’autorisation du mois de septembre 1995 comportait des renseignements obtenus illégalement. Ces renseignements se rapportaient à des communications privées interceptées en Ontario en vertu d’une autorisation d’écoute électronique délivrée au Québec au mois d’août 1995 (« l’autorisation du Québec »). Précisons que les appelants n’étaient pas visés par l’autorisation du Québec et n’ont jamais été interceptés dans le cadre de l’exécution de cette autorisation. Les communications de M. Chang ont été interceptées pour la première fois lors de l’exécution de l’autorisation délivrée en Ontario au mois de septembre 1995.
[464] Selon les appelants, l’autorisation du Québec n’aurait jamais dû être décernée car le dénonciateur n’avait pas établi que d’autres méthodes d’enquête avaient été essayées et avaient échoué. Ils avaient ainsi demandé à la juge Molloy de réviser l’autorisation du Québec conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Garofoli[366] et de conclure à son illégalité. Ils espéraient de cette façon que les renseignements obtenus grâce à cette autorisation soient retranchés de la dénonciation à l’appui de la première autorisation délivrée en Ontario et que celle-ci soit également invalidée (avec comme effet ricochet d’invalider celle délivrée en novembre 1995).
[465] La juge Molloy avait refusé de procéder à une révision complète de la suffisance des motifs contenus à la dénonciation au soutien de l’autorisation du Québec. Elle s’était contentée de vérifier si le juge avait juridiction pour délivrer l’autorisation du Québec et si la portée extraterritoriale de l’écoute électronique exigeait une confirmation de l’autorisation par un juge en Ontario. Parmi les moyens d’appel invoqués, les appelants avançaient que la juge Molloy avait fait erreur en circonscrivant la révision de la dénonciation à ces seuls aspects.
[466] La Cour d’appel de l’Ontario conclut que la démarche entreprise par la juge Molloy était fondée. La Cour distingue le dossier en appel de la trilogie Grant en soulignant que l’interception des communications privées en vertu de l’autorisation du Québec ne constituait pas une violation alléguée des droits personnels des appelants. Ces derniers n’étaient donc pas en droit de solliciter une révision complète (de type Garofoli) de la dénonciation au soutien de l’autorisation du Québec. En adhérant aux propos tenus par la juge Molloy, la Cour confirme que les appelants pouvaient néanmoins soulever la question juridictionnelle entourant la délivrance du mandat ainsi que celle relative à la portée extraterritoriale de l’écoute électronique. Les propos endossés par la Cour sont les suivants :
[…] if the judge who granted the authorization had no jurisdiction to do so, then it cannot be said to be “authorized by law”. Similarly, if the extra-territorial aspect of the Quebec authorization required a confirmation order from a judge in Ontario before it could be lawfully executed here, then the evidence obtained as a result of the Authorization without such a confirmation may not have been lawfully intercepted. Accordingly, in my view, the accused have standing to raise both of these points as they relate directly to the legality of the evidence upon which the Ontario Authorizations were based. […][367]
[467] La Cour approuve l’examen de l’autorisation du Québec effectué par la juge Molloy et affirme que celui-ci n’ouvre pas la porte à une révision complète de type Garofoli. La Cour écrit :
In our view, the trial judge quite properly concluded that once an Ontario judge is satisfied that the Quebec judge had jurisdiction to make the order, and that the steps that were taken to execute it were lawful, then that is the end of the Ontario court’s inquiry. We agree that the appellants do not have standing to challenge the sufficiency of the evidence upon which the Quebec judge made his order. We also agree with the trial judge that to permit such a challenge would not appear to have any principled or logical basis. In our view, the trial judge correctly concluded at para. 42:
To conduct the type of review requested by the accused in this case would be in effect to substitute a “but for” test for the existing rules of standing. Rather than establishing standing by demonstrating that the Quebec Immigration Authorization permitted the interception of their own communications and thereby intruded upon their personal privacy rights, the accused seek to argue that the Ontario Authorizations intruded upon their privacy rights and that “but for” the Quebec Immigration Authorization, the Ontario Authorizations could not have been made. The problem with this approach is that there is no logical cut-off point […]. This process could stretch back into infinity.[368]
[468] La Cour se dit en accord avec les préoccupations exprimées par la juge Molloy. Elle précise qu’il doit exister des raisons logiques et de principe pour justifier la révision complète de la suffisance des motifs d’une autorisation judiciaire obtenue et exécutée en amont de l’autorisation judiciaire à l’étude. La Cour termine son analyse comme suit :
[…] In our view, the trial judge articulated a principled and practical approach to the review of another province’s wiretap authorizations. In the present circumstances, where there is no evidence of a direct breach of a party’s Charter rights under the Quebec Immigration Authorization, the Ontario court should not review the sufficiency of the evidence giving rise to that authorization. […]
It may well be that if conversations of either Chang or Kullman had been intercepted by wiretaps executed pursuant to the Quebec Immigration Authorization, the trial judge would have been obliged to review the sufficiency of the evidence underlying the Quebec judge’s order. However, that is not the case before us.[369]
[469] L’arrêt Chang donne lieu à des interprétations jurisprudentielles divergentes. Certaines décisions y voient une ouverture en faveur de l’approche “excision for all”. D’autres considèrent qu’il consacre l’approche “excision for one”. Il est désormais temps d’examiner ces décisions.
- Décisions appuyant l’approche “excision for all”:
[470] Dans Guindon, une décision de la Cour supérieure de l’Ontario, les accusés s’attaquaient à la validité de plusieurs autorisations judiciaires, dont notamment une autorisation d’écoute électronique. Celle‑ci avait permis l’interception de leurs communications privées, éléments de preuve que le poursuivant entendait administrer au procès. Les accusés avaient donc la qualité pour contester la légalité de cette autorisation et demander l’exclusion des communications privées.
[471] Les accusés soutenaient que la dénonciation au soutien du mandat d’écoute électronique comportait des renseignements obtenus à la suite de l’arrestation et la fouille illégale de trois occupants d’un véhicule (et de la fouille du véhicule). L’un des trois occupants du véhicule était l’accusé Gonder. Les deux autres étaient des tiers non accusés. Les accusés demandaient l’excision des renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels des trois occupants du véhicule. La juge saisie de cette demande, en l’occurrence la juge Bird, avait déjà conclu dans une décision antérieure à l’illégalité de l’arrestation et la fouille des trois occupants.
[472] La juge Bird conclut que les accusés peuvent demander l’excision de renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels de tiers, car ils ont la qualité pour contester la validité de l’autorisation d’écoute électronique. Citant l’arrêt Grant, la juge Bird rappelle que la procédure d’excision a pour but d’empêcher que l’État puisse profiter des actes illégaux de la police. La juge Bird souligne que les renseignements erronés ou trompeurs contenus dans une dénonciation sont automatiquement supprimés, même s’ils ne concernent pas directement l’accusé qui en fait la demande. Aussi, selon la juge Bird, l’arrêt Chang ne devrait pas être interprété comme interdisant la contestation d’une autorisation judiciaire fondée sur une violation des droits d’un tiers. Il distingue les circonstances entourant l’affaire Chang de celles propres au dossier. Voici ce qu’il écrit à ce sujet :
The Crown submits that Chang stands for the proposition that an applicant can never challenge a search warrant or wiretap authorization based on a violation of a third party’s Charter rights. I do not accept the submission that the judgment is that broad. The court in Chang was being asked to conduct a full Garofoli review of the Quebec authorization. That is not what the applicants are seeking to do in this case. There has already been a ruling that the impugned evidence was obtained in violation of the Charter. I found that there were insufficient grounds to stop the Suzuki, the arrests of the occupants were unlawful and the resulting searches were illegal. The applicants are not attempting a collateral attack on anything in seeking excision of the events of March 7, 2012. There can be no concern about the process extending into infinity because the ruling has already been made.[370]
[473] La juge Bird fait également remarquer que la Cour dans Chang partage le point de vue de la juge Molloy selon lequel les accusés avaient la qualité pour soulever la question juridictionnelle entourant la délivrance de l’autorisation du Québec ainsi que celle de la nécessité d’une confirmation de l’autorisation par un juge en Ontario. Selon la juge Molloy, ces questions étaient directement reliées à la légalité des éléments de preuve sur lesquels reposaient les autorisations décernées en Ontario. Aux yeux de la juge Bird, les conclusions de la juge Molloy, confirmées par la Cour d’appel de l’Ontario, appuient fortement la position des accusés. Il ponctue son analyse comme suit :
The applicants are entitled to challenge the legality of the evidence upon which authorizations, search warrants and production orders impacting on their privacy interests were based. The evidence seized from the Suzuki on March 7, 2012 was obtained illegally as it resulted from an improper vehicle stop and the unlawful arrests of the occupants. A failure to excise references to this evidence would permit the state to benefit from the illegal conduct of the police. […].[371]
[474] Dans Mediati, les accusés contestaient la validité du mandat autorisant la perquisition de leur résidence. La dénonciation au soutien de cette autorisation judiciaire comportait des renseignements obtenus à la suite de la fouille illégale d’un tiers, un dénommé M. Altamore. Cette fouille avait permis la découverte de stupéfiants que M. Altamore, selon les policiers, s’était procuré auprès des accusés. Un juge avait déjà conclu à l’illégalité de cette fouille dans le cadre d’une instance distincte. Les accusés demandaient que les renseignements obtenus illégalement soient supprimés de la dénonciation au soutien du mandat de perquisition.
[475] La Cour de justice de l’Ontario, sous la plume de la juge Mackay, est d’avis que les accusés sont en droit de revendiquer l’excision de renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels de M. Altamore. La Cour adopte intégralement le raisonnement de la juge Bird dans Guindon, y compris ses commentaires concernant la portée de l’arrêt Chang. La juge Mackay conclut son jugement comme suit :
The evidence seized from the arrest of Mr. Altomare was found to be obtained as a result of a serious breach of his s. 8 Charter rights by an Ontario Court Judge. A failure to excise references to this evidence would permit the state to benefit from the illegal conduct of the police. If the court was not to distance itself from such conduct, Charter breaches of third parties would become a routine method used to obtain search warrants. The ends have never justified the means in our justice system. […][372]
[476] La juge Mackay précise cependant que si le caractère illégal de la fouille de M. Altamore n’avait pas déjà fait l’objet d’une décision judiciaire, elle n’aurait pas acquiescé à ce que les accusés lui demandent de constater une violation des droits constitutionnels d’un tiers :
[…] If the trial of Mr. Altomare had not occurred and the applicants were asking me to find that Mr. Altomare’s Charter rights were breached, the Supreme Court’s decision in Edwards would apply and I would have dismissed the application on the basis that they did not have standing to argue alleged Charter breaches of a third party.[373]
[477] Selon les requérants, l’affaire Hamid est une décision incontournable qui devrait me convaincre du bien-fondé de leur position. Il importe que l’on s’y attarde. Dans cette affaire, M. Hamid, M. Leyva et M. Andrews étaient accusés de complot pour importer de la cocaïne et d’importation de cocaïne. Le poursuivant voulait mettre en preuve les communications privées des accusés interceptées en vertu de cinq autorisations d’écoute électronique successives. Les accusés s’attaquaient à la validité des autorisations judiciaires et demandaient l’exclusion de leurs communications privées.
[478] Le poursuivant plaidait que l’accusé Hamid n’avait pas la qualité pour contester la première autorisation d’écoute électronique, car il n’était pas visé par celle-ci et que ses communications privées n’avaient pas été interceptées dans le cadre de son exécution. Ses conversations avaient été interceptées lors de l’exécution des quatre autorisations subséquentes. Les dénonciations au soutien de ces autorisations comportaient toutes des renseignements obtenus en vertu de la première autorisation. L’accusé Hamid sollicitait la suppression de ses renseignements, alléguant qu’ils avaient été obtenus illégalement. Le poursuivant s’y opposait au motif que la violation alléguée concernait les droits constitutionnels de M. Levya et M. Andrews, et non ceux de l’accusé Hamid.
[479] La Cour supérieure de l’Ontario débute son analyse en distinguant la procédure d’excision de renseignements obtenus illégalement de la réparation prévue au paragraphe 24(2) de la Charte, à savoir l’exclusion de la preuve. La Cour convient que seule la personne dont les droits constitutionnels ont été enfreints peut demander l’exclusion de la preuve ainsi obtenue. La situation est autre dans le contexte d’une révision de la validité d’une autorisation judiciaire. Selon la Cour, la procédure d’excision de renseignements obtenus illégalement n’est pas une réparation octroyée en vertu des paragraphes 24(1) ou (2) de la Charte.
[480] La Cour souligne que l’excision de renseignements erronés est automatique. Elle ne résulte pas d’un exercice de pondération, comme c’est le cas dans le contexte d’une analyse effectuée en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte. Aussi, elle n’est pas fonction d’un lien direct entre le caractère erroné des renseignements et la personne revendiquant leur suppression. Que les renseignements erronés concernent l’accusé ou un tiers importe peu. Il serait donc incongru qu’une personne accusée soit forclose de demander l’excision de renseignements au seul motif qu’ils ont été obtenus en violation des droits constitutionnels d’un tiers.
[481] La juge Petersen s’appuie ensuite sur la trilogie Grant pour conclure que les raisons de principe qui sous-tendent la procédure d’excision des renseignements obtenus en violation des droits personnels d’un accusé justifient également la suppression, au sein de la dénonciation, des renseignements obtenus en violation des droits d’un tiers :
I recognize that Plant, Grant and Wiley were all cases involving the excision of evidence obtained in violation of the accused persons’ own Charter rights. However, the underlying policy rationale for those decisions applies equally to situations where an accused person seeks to excise evidence gathered in violation of another person’s Charter rights. The doctrine of excision aims to prevent the state from benefitting from the illegal acts of police officers: Grant, at para. 64. It matters not whether the police have violated the rights of someone other than the accused. The court cannot condone such conduct.[374]
[482] La juge Petersen évoque également l’arrêt Chang. Comme son collègue la juge Bird dans Guindon, elle est d’avis que l’arrêt Chang ne ferme pas la porte à la possibilité de demander l’excision de renseignements obtenus en violation des droits d’un tiers. La juge Petersen souligne que contrairement à l’arrêt Chang, toutes les autorisations contestées dans le dossier découlent de la même enquête criminelle visant les mêmes accusés. Aussi, l’arrêt Chang n’est pas, selon elle, synonyme d’une interdiction absolue de demander l’excision de renseignements obtenus en violation des droits d’un tiers. La juge Petersen écrit :
[…] The Court of Appeal did not say that there could never be a case in which the court would excise from an ITO information obtained as a result of the breach of a third party’s rights. Nor did the court suggest that Plant, Grant and Wiley precluded such a possibility. Rather, the court was simply disagreeing with the appellants’ submission that binding authority from Plant, Grant and Wiley necessitated granting their appeal.[375]
[483] Par ailleurs, la juge Petersen précise que l’accusé Hamid ne sollicite pas une révision complète de la dénonciation au soutien de la première autorisation d’écoute électronique. Il entend plutôt bénéficier de l’issue (favorable) de la contestation de cette autorisation par les co-accusés, M. Levya et M. Andrews. Tout en reconnaissant qu’il n’y a pas encore eu de décision prononcée à l’égard de la validité de la première autorisation, la juge Petersen distingue le dossier de la situation qui prévalait dans Chang. Elle soutient qu’il existe justement dans le dossier une raison de principe justifiant la révision d’une autorisation judiciaire dont l’exécution n’a pas eu d’incidence directe sur le droit à la vie privée de l’accusé Hamid :
Unlike the Guindon case, I have not yet made a ruling with respect to the legality of the first authorization. However, Mr. Hamid’s co-accused have filed Garofoli Applications in respect of the first authorization and those Applications must be heard and decided prior to the trial. It is those Applications – not Mr. Hamid’s Application – that will be taking the process “back one level” in this case. There is a principled basis for going back one level, namely Mr. Leyva and Mr. Andrews’s reasonable expectation of privacy in the subject matter of the first authorization. I am not concerned about the process “extending into infinity” because the constitutional validity of the first authorization will logically be determined at that stage, namely in the companion Applications of Mr. Hamid’s co-accused.[376]
[484] La Cour rejette l’argument de l’accusé Hamid voulant que les autorisations postérieures à la première autorisation ne soient que le prolongement de celle-ci. Par conséquent, l’accusé Hamid n’a pas l’intérêt pour contester la légalité de la première autorisation. En revanche, la Cour conclut qu’il peut revendiquer l’excision des renseignements obtenus dans le cadre de l’exécution de cette autorisation, advenant que les co-accusés parviennent à en démontrer l’illégalité. Voici comment la juge Petersen formule ses conclusions :
Mr. Hamid does not have standing to bring a Garofoli-type Application in respect of the first authorization. He cannot seek exclusion of evidence as a remedy pursuant to s. 24(2) of the Charter on the basis that the first authorization infringed the Charter rights of his co-accused.
However, Mr. Hamid does have standing to challenge the second and subsequent authorizations. If I conclude, in the context of his co-accused’s Applications, that the first authorization was unlawful, then Mr. Hamid is entitled to seek excision of references to any evidence unconstitutionally obtained pursuant to the first authorization, because that evidence was used to secure subsequent authorizations that impacted his own privacy rights. Moreover, he has standing to seek exclusion of evidence unlawfully obtained pursuant to the second, third, fourth and fifth warrants, but that remedy will only be available if the balancing of factors under s. 24(2) of the Charter necessitates such remedial relief[377].
- Décisions appuyant l’approche “excision for one”:
[485] Dans Lanthier, les policiers étaient au domicile des accusés pour y exécuter un mandat de perquisition en rapport avec une enquête portant sur l’obtention frauduleuse de financement à l’achat de véhicules automobiles. Sur les lieux, ils avaient constaté la présence d’une odeur de cannabis séché dans le garage et avaient découvert une quantité non négligeable de cannabis lors de la fouille de l’un des véhicules visés par le mandat de perquisition. À la suite de cette découverte, les policiers avaient suspendu l’exécution du mandat de perquisition pour préparer une demande de mandat en matière de drogue. Un juge avait ensuite décerné un télémandat permettant aux policiers de fouiller la résidence des accusés pour y saisir des stupéfiants.
[486] Les accusés contestaient la validité du télémandat au motif qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence du « peu de commodité » de se présenter devant un juge de paix. Ils s’attaquaient également à la validité du mandat de perquisition en matière de fraude. Selon eux, la dénonciation à l’appui de ce mandat de perquisition comportait des renseignements obtenus illégalement. Les renseignements étaient constitués de documents concernant un tiers (une dénommée Mélyssa Quintal) remis par la Banque Scotia aux policiers sans autorisation judiciaire. Les accusés reconnaissaient qu’ils n’avaient pas d’attente raisonnable de vie privée à l’égard de ces renseignements. Ils demandaient malgré tout qu’ils soient retranchés de la dénonciation au soutien du mandat attaqué. Le poursuivant s’opposait à cette demande, estimant que les accusés n’avaient pas la qualité pour invoquer la violation des droits constitutionnels d’un tiers.
[487] Dans un premier temps, le juge Pennou de la Cour supérieure du Québec conclut que l’exigence du « peu de commodité » n’avait pas été satisfaite. La perquisition en matière de drogue est donc déclarée abusive au sens de l’article 8de la Charte. Le juge Pennou se demande ensuite si les accusés peuvent réclamer la rature des renseignements prétendument obtenus en contravention des droits constitutionnels d’un tiers.
[488] Le juge Pennou convient que la jurisprudence est partagée. Certaines décisions, en l’occurrence Guindon, Mediati et Hamid, reconnaissent un tel droit aux accusés. D’autres décisions vont à l’encontre de la demande formulée par les accusés[378]. Le juge Pennou adopte l’approche “excision for one”. Il conclut que les accusés ne peuvent demander la rature des renseignements obtenus dans le contexte d’une violation alléguée des droits constitutionnels d’un tiers, à moins de pouvoir personnellement revendiquer une telle violation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce[379].
[489] Le juge Pennou évoque les deux situations pouvant entraîner la suppression de renseignements figurant à une dénonciation en vue d’obtenir une autorisation judiciaire : les renseignements sont inexacts, incomplets ou trompeurs; les renseignements ont été obtenus en violation de la Charte. Bien que dans ces deux situations les tribunaux appliquent le même procédé correcteur, le juge Pennou refuse de les mettre sur un même pied.
[490] Pour le juge Pennou, l’excision de renseignements erronés répond à l’obligation du dénonciateur de présenter au juge autorisateur de manière complète, simple et sincère les faits à considérer. Le défaut de satisfaire à cette obligation entraînera la suppression automatique des renseignements, et ce, à l’égard de toute personne ayant la qualité pour contester la validité de l’autorisation judiciaire. La raison d’être du procédé correcteur visant les renseignements obtenus en violation de la Charte est différente. Le juge Pennou le souligne en ces termes :
La rature des renseignements obtenus en contravention de la Charte s’inscrit plutôt dans une démarche d’exclusion de la preuve dérivée d’une violation antérieure à l’émission de l’autorisation judiciaire dont l’exécution entraine la découverte. Elle constitue un des rouages du mécanisme d’exclusion de la preuve mis en place au par. 24(2) de la Charte. Elle ne peut donc entrer en jeu que si l’accusé est personnellement en mesure d’invoquer la violation survenue en amont de l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen[380].
[491] Le juge Pennou fait référence à l’arrêt Grant et l’énoncé du juge Sopinka selon lequel l’État ne devrait pas profiter des illégalités des policiers. Il dit partager les préoccupations de ceux qui, à la lumière de l’arrêt Grant, autorisent la rature de renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels de tiers. Le juge Pennou considère cependant que la solution qu’ils retiennent dénature le cadre juridique de réparation de la violation des droits constitutionnels mis en place par la Charte – cadre juridique également délimité par la Cour suprême, en particulier dans l’arrêt Edwards[381].
[492] Citant l’arrêt Chang, le juge Pennou ne parvient pas à identifier une raison de principe pouvant justifier qu’il se prononce sur l’existence d’une violation au droit à la vie privée subie par un tiers (Mélyssa Quintal). Selon lui, les principes sous-jacents au régime d’exclusion de la preuve mis en place par la Charte militent plutôt en défaveur d’un tel examen[382].
[493] L’affaire Kang a seulement été effleurée par le poursuivant lors des plaidoiries. Pourtant, la décision contient une revue jurisprudentielle exhaustive de la question qui nous occupe. Les 13 accusés avaient été arrêtés à l’issue d’une longue enquête policière ciblant plusieurs groupes criminalisés dans la région de Vancouver. Les accusés n’étaient pas tous regroupés dans la même dénonciation. La preuve du poursuivant était constituée en grande partie de communications privées interceptées en vertu d’une même autorisation judiciaire. Le poursuivant entendait mettre en preuve ces communications privées dans l’ensemble des dossiers. Tous les accusés avaient la qualité pour contester cette autorisation et entendaient présenter des requêtes de type Garofoli.
[494] La dénonciation comportait des renseignements recueillis par l’entremise de diverses démarches d’enquête entreprises par les policiers en amont de l’obtention de l’autorisation d’écoute électronique. Les accusés alléguaient que les policiers avaient obtenu ces renseignements en violation des droits constitutionnels de certains d’entre eux, mais pas de tous. Aucune décision judiciaire n’avait encore été rendue relativement à la légalité des gestes posés par les policiers. Les accusés convenaient que la Cour devait d’abord se prononcer sur les violations alléguées à l’endroit des personnes directement visées par les démarches d’enquête contestées avant même de pouvoir solliciter collectivement la mise en œuvre de l’approche “excision for all”[383].
[495] Il s’agissait donc de déterminer si tous les accusés pouvaient réclamer la suppression des renseignements figurant à la dénonciation (advenant l’existence des violations alléguées), ou si seulement ceux directement visés par ces violations pouvaient se prévaloir de la procédure. C’est dans ce contexte, et de façon préliminaire, que la Cour suprême de Colombie-Britannique se prononce sur l’approche à adopter dans les circonstances : “excision for all” ou “excision for one”?
[496] La Cour examine d’abord si le processus d’excision peut être considéré comme étant un remède accordé en vertu de la Charte – position avancée par le poursuivant – ou comme étant un remède de common law inspiré par les valeurs sous-jacentes de la Charte – point de vue adopté par les accusés. Selon la Cour, le processus d’excision n’est pas une réparation au sens de la Charte, car il ne vise pas uniquement des renseignements obtenus en contravention à des droits garantis par la Charte. Les renseignements erronés, trompeurs ou incomplets sont également retranchés d’une dénonciation dans le cadre d’une révision de type Garofoli.
[497] Aussi, dans la mesure où la suppression de renseignements obtenus illégalement ne tient pas compte des circonstances et de l’ampleur de la violation constitutionnelle, la Cour estime qu’il ne s’agit pas d’un remède octroyé en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte :
[…] excision hardly seems to be a remedy that is “relevant to the circumstances of the claimant” and “must address the circumstances in which the right was infringed”. All that excision accomplishes is the removal of information from the reviewing judge’s consideration of the validity of the authorization. This does not address the circumstances in which the right was infringed.[384]
[498] La Cour est d’avis que l’excision de renseignements obtenus en violation de droits constitutionnels n’est pas un remède au sens de paragraphe 24(2) de la Charte. Cette disposition prévoit un régime d’exclusion de la preuve au procès et non l’excision de renseignements au sein d’une dénonciation en vue d’obtenir une autorisation judiciaire. L’exclusion des éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) intervient à la suite de la mise en balance des facteurs énoncés dans l’arrêt Grant (2009)[385]. La procédure d’excision n’est pas assujettie à un tel exercice de pondération. La preuve d’une violation entraîne automatiquement la suppression des renseignements obtenus à la suite de l’inconduite policière. Pour justifier sa conclusion, la juge Ker, écrivant pour la Cour, s’appuie sur les propos tenus par la Cour supérieure de l’Ontario dans Lam :
[…] Excision has nothing to do with the admissibility of evidence. Unlike s. 24(2), it is not a remedy for a breach of the Charter. Its purpose is not to determine whether evidence obtained pursuant to a search warrant or other judicial authorization should be admitted or excluded at trial. Rather, it is a mechanism for determining the significance of prior unconstitutional conduct in the chain of events that led to the evidence that is sought to be excluded. It enables a court to determine whether the evidence would have been obtained in any event of the breach, which in turn will assist in determining whether the evidence was ‘obtained in a manner’ that infringed the accused’s rights and the extent of the impact of the breach on the accused’s Charter-protected interests.[386]
[499] La Cour reconnaît que l’excision est un procédé correcteur qui tire son origine de la trilogie Grant. En ce sens, il pourrait être perçu comme relevant de la common law. La Cour refuse cependant de qualifier ce procédé correcteur de « remède » inspiré par les valeurs sous-jacentes de la Charte. Voici ce que dit la juge Ker à cet égard :
How excision is employed depends on what is to be excised. In that respect, I agree with the federal Crown that the type of information to be excised from the affidavit or ITO informs whether it is excised as against one accused or all accused. Again, it is a matter of context. Erroneous information relating to third parties is excised as against all accused (e.g. Bisson) but information arising from a breach of a third party’s Charter rights is not excised against any accused unless their personal Charter right has been breached (e.g. Huynh). Accordingly, in light of its varied applications in different contexts, excision is not a remedy in the juridical sense but rather an instrument or device employed in the first stages of a Garofoli review; a review process, I would note, that has its end goal the finding of a s. 8 Charter breach if the authorization is quashed and the search becomes warrantless. […][387]
[500] Au terme de son analyse, la Cour conclut que l’excision n’est qu’un mécanisme utilisé dans le cadre d’une révision de type Garofoli. Le champ d’application de ce mécanisme dépend du contexte dans lequel il est utilisé et de la nature des renseignements visés (erronés, trompeurs, incomplets ou obtenus à la suite d’une violation de la Charte) :
As in most aspects of the criminal law and Charter litigation, context underpins the application of any analytical framework for determining a contested issue. In that sense, then, it cannot be said that excision is either a Charter remedy or a common law remedy informed by Charter values. Indeed, I am not certain that characterizing excision as any sort of remedy is appropriate. Rather, in my view, excision is more properly characterized as a mechanism or procedure utilized in the initial steps of the Garofoli review hearing. The scope of its application is contingent upon the context in which it is employed. Remedy comes at the end of the Garofoli hearing after amplification and excision – either the authorization could have issued and it stands or it could not and it falls. If the authorization is quashed and the search found to constitute a s. 8 breach of the Charter, the analysis moves to the remedial phase and an assessment under s. 24(2) of the Charter is conducted.[388]
[501] La Cour se lance ensuite dans une étude approfondie de la jurisprudence pertinente. Avant d’aborder les décisions de première instance, tant celles en faveur de l’approche “excision for all” que celles préconisant l’approche “excision for one”, la Cour évoque l’arrêt Chang. Elle souligne que cet arrêt ne permet pas à un accusé de contester la légalité d’une fouille effectuée à l’endroit d’un tiers ou d’une personne visée par des accusations déposées dans une dénonciation distincte. En ce sens, même si Chang ne porte pas spécifiquement sur la procédure d’excision, la Cour considère que les principes énoncés dans cette décision viennent restreindre la portée de la trilogie Grant[389] et n’appuient pas l’approche “excision for all”[390].
[502] Lors de son tour d’horizon des décisions de première instance, la Cour s’attarde sur celles, plus nombreuses, issues de l’Ontario. Dans le cadre de son examen des décisions partisanes de l’approche “excision for all”, la Cour fait notamment état des décisions Guindon, Mediati et Hamid. Elle refuse de suivre le raisonnement adopté dans ces décisions aux motifs qu’elles accordent une portée trop large aux arrêts de la trilogie Grant et font une interprétation erronée de l’arrêt Chang :
Guindon failed to recognize that the Grant trilogy involved cases of single, not multiple, accused, as has been noted in many decisions including Chang. Moreover, and respectfully, it appears to misconstrue the import of Chang by suggesting it supported the argument advanced by the accused that they could rely upon a Charter breach in relation to a third party in respect of excision (para. 12).
In Mediati, Madam Justice MacKay followed Guindon and excised information found by another judge of the same level of court (the Ontario Court of Justice) to have been obtained in breach of third party’s Charter rights from the ITO for a search warrant. Justice MacKay, without considering that the Grant trilogy only dealt with single accused, extended the ambit of the trilogy to the circumstances before her. To the extent that Mediati follows and applies Guindon and improperly extends the ambit of the Grant trilogy, contrary to the Ontario Court of Appeal’s decision in Chang circumscribing the scope of the trilogy, I decline to follow it or adopt the reasoning contained therein.
[…]
In Hamid, Petersen J. went on to reason that since standing is not required to excise erroneous information from an ITO, it made little sense to require a showing of standing in respect of information obtained in breach of another’s Charter rights (paras. 46-47). Moreover, given the principle from the Grant trilogy that the state ought not to benefit from the unlawful conduct of the police, it mattered not whose rights were violated as the court could not condone such conduct (para. 49). Justice Petersen went on to distinguish Chang and apply Guindon to permit excision for all, notwithstanding that the accused Hamid’s Charter rights were not engaged or breached in the prior authorization, the information from which then was included in the authorization targeting him. I decline to follow the reasoning in Hamid for the reasons given on declining to follow Guindon.[391]
[503] La Cour examine ensuite certaines décisions ontariennes en faveur de l’approche “excision for one”: les affaires Serré[392], Abdullahi[393], Merritt[394] et Brounsuzian[395]. Je n’entends pas faire un résumé de chacune de ces décisions. Il suffit de préciser que toutes ces décisions s’appuient sur les principes énoncés dans Edwards et dans Chang pour conclure que les accusés ne peuvent pas demander la suppression de renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels de tiers. L’extrait suivant de Brounsuzian, cité par la Cour dans Kang, reflète bien le raisonnement adopté dans ces décisions :
[…] I acknowledge that there are cases from the Ontario Superior Court of Justice that have differing views on this issue. However, I am of the view that the controlling case on this matter is the Ontario Court of Appeal decision in R. v. Chang (2003), 2003 CanLII 29135 (ON CA), 173 C.C.C. (3d) 397 (C.A.) at paras. 33-42. […] A defendant must demonstrate a violation of his or her own Charter rights in order to obtain a remedy under the Charter. A defendant is only entitled to excision from an ITO of evidence unconstitutionally obtained in violation of his or her own personal rights. If a defendant's own s. 8 Charter rights were not engaged in that he or she did not have a reasonable expectation of privacy, the defendant is not entitled to excision from the ITO of evidence obtained pursuant to the search. There is no remedy for the violation of someone else's reasonable expectation of privacy.[396]
[504] La Cour constate que la jurisprudence ontarienne est visiblement partagée. Elle exprime une préférence nette pour le raisonnement adopté dans les décisions Serré, Abdullahi, Merritt et Brounsuzian. Le survol jurisprudentiel des décisions pertinentes rendues en Colombie-Britannique[397] et en Alberta[398] vient également renforcer la conviction de la juge Ker. L’examen de l’ensemble des décisions pertinentes l’amène à formuler les observations suivantes :
Based on this review of the jurisprudence, which I note is collectively contradictory and often confusing, I am of the view that the weight of the authorities establishes a symmetry in approach between exclusion of evidence obtained by unconstitutional means and excision of information obtained by unconstitutional means. While the underlying purposes are different – the former seeks to exclude evidence from trial and therefore involves a balancing of interests including societal interests and the latter simply seeks to remove information from materials in support of an application for a prior authorization - they both need to be grounded in a common approach or organizing principle. That organizing principle is found in the standing requirements from Edwards and related cases.
Having reviewed the disparate decisions addressing the excision for one and the excision for all approaches, I prefer the excision for one approach, based as it is in the foundational principle that Charter rights are personal to the accused. […].
Moreover, adopting excision for all, regardless of whether an accused’s own Charter right has been breached, flies in the face of the jurisprudence that prohibits an accused from litigating the breach of a third party’s Charter rights for purposes of excision. The fact that the third party is a co-accused does not detract from the point that it is someone else’s rights that are being relied upon and the jurisprudence does not support this. […] Excision for one is the approach supported by the weight of the authorities provided and reviewed.[399]
[505] La juge Ker conclut que les accusés ne peuvent pas demander l’excision de renseignements obtenus en violation d’un co-accusé, et ce, bien qu’ils aient tous la qualité pour contester l’autorisation d’écoute électronique. Ils doivent établir que les renseignements faisant l’objet de leur demande d’excision ont été obtenus en violation de leurs propres droits constitutionnels.
[506] Enfin, dans Boyce-Dickson, une décision récente de la Cour supérieure du Québec, la juge Catherine Perreault adopte également l’approche « excision for one ». Dans cette affaire, les accusés contestaient la validité d’une autorisation d’écoute électronique ayant permis l’interception de leurs communications privées. La dénonciation au soutien de cette autorisation comportait des renseignements obtenus à la suite de l’arrestation de l’un des accusés, un dénommé M. Leach. Dans une décision antérieure à la présentation de la requête de type Garofoli, la juge Perreault avait conclu à l’illégalité de cette arrestation. Comme dans l’affaire Guindon, les accusés demandaient l’excision des renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels d’un tiers, mais possédant le statut de co-accusé. Le poursuivant, pour sa part, plaidait que seul M. Leach pouvait revendiquer l’excision des renseignements.
[507] À l’instar de la juge Ker dans Kang, la juge Perreault effectue une analyse exhaustive des deux courants jurisprudentiels. Elle souligne que les décisions en faveur de l’approche “excision for all” puisent leur raisonnement dans la trilogie Grant alors que celles qui adhèrent à l’approche “excision for one” se fondent sur les principes de l’arrêt Edwards. Dans le cadre de l’examen des décisions appuyant l’approche “excision for all”, la juge Perreault aborde, entre autres, les affaires Guindon, Mediati et Hamid. Quant aux décisions préconisant l’approche “excision for one”, elle se penche notamment sur les affaires Chang, Merritt, Brounsuzian, Croft et Lanthier.
[508] Au terme de son analyse de la jurisprudence, la juge Perreault, comme la juge Ker dans Kang, estime que le raisonnement adopté dans les décisions favorisant l’approche “excision for one” est plus fondé. Il est, selon elle, davantage en adéquation avec la nature personnelle et individuelle des droits garantis par la Charte et de son régime de réparation. C’est ainsi que la juge Perreault s’exprime :
The rights and freedoms described in the Charter ss. 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, and 15 are individual, personal rights. Charter s. 24 establishes that the individual whose Charter right has been infringed or denied may apply to the court for a remedy. It would be entirely inconsistent with the individual and personal nature of Charter rights and freedoms and the individual and personal nature of the enforcement provision of the Charter to permit a person to see the information excised when it concerns the infringement or denial of another person’s Charter right.
[…]
The Court sees no basis to ignore the principles enunciated in Edwards solely because excision, rather than exclusion, is being contemplated.[400]
[509] La juge Perreault reconnaît la légitimité du principe selon lequel l’État ne saurait profiter des illégalités des policiers. Elle distingue cependant la trilogie Grant du dossier à l’étude en prenant soin de préciser que les renseignements obtenus illégalement l’ont été uniquement en violation des droits constitutionnels de M. Leach et non des tous les accusés. La trilogie Grant ne devrait pas être interprétée comme permettant à des accusés de se prévaloir de la procédure d’excision de renseignements obtenus illégalement en l’absence d’une violation de leurs propres droits constitutionnels.
[510] La juge Perreault convient que la procédure d’excision diffère du régime d’exclusion prévu au paragraphe 24(2) de la Charte. Elle adopte les propos de la juge Ker dans Kang et considère que l’excision est un mécanisme utilisé dans le cadre d’une révision de type Garofoli et dont la portée dépend du contexte. La juge Perreault écrit :
However, it shouldn’t follow that excision is therefore automatic for everybody, regardless of whether his/her Charter rights had been breached. The type of information to be excised from the affidavit will inform whether it’s excised as against one accused or all accused. Again, it’s a matter of context.
Where the information is mistaken or false, it stands to reason that it’s excised against all of the accused, see for example in Bisson. The erroneous nature of the information won’t vary from one accused to the other. Where excision relates to the breach of an individual’s Charter right, it doesn’t follow that an individual whose rights haven’t been breached has suffered any wrongdoing or harm. Indeed, arguably there is no unlawful conduct vis-à-vis that individual. This is, in part, because Charter rights are personal to the accused.[401]
[511] La juge Perreault conclut que pour demander l’excision de renseignements obtenus illégalement, il est impératif que les accusés – même s’ils sont en droit de contester la légalité de l’autorisation judiciaire – puissent démontrer que la conduite policière à l’origine de l’obtention de ces renseignements a enfreint leurs droits personnels :
Standing to challenge the search conducted pursuant to the authorization is an insufficient basis to justify excision of material otherwise unrelated to the accused personal rights.
Although all the petitioners cited on the indictments before the Court on this application have standing to challenge the wiretap authorization in a Garofoli review as their conversations were intercepted, they can’t have the Court excise information found to have been obtained in breach of LEACH’s Charter rights. They must establish that the impugned information in the affidavit that they seek to have excised relates to a breach of their own Charter rights.[402]
- Analyse : quelle approche adoptée dans les circonstances du dossier?
[512] Je ne partage pas l’analyse faite par les décisions favorisant l’approche “excision for all” de la trilogie Grant et de l’arrêt Chang. Comme la juge Ker dans Kang, je suis d’avis que les décisions Guindon, Mediati et Hamid accordent une portée trop large aux arrêts de la trilogie Grant et font une interprétation erronée de l’arrêt Chang.
[513] Les propos tenus par le juge Sopinka dans Grant ne peuvent être dissociés de leur contexte. Contrairement aux décisions Guindon, Mediati et Hamid, les accusations dans Grant ne visaient qu’une seule personne. Les renseignements figurant à la dénonciation en vue d’obtenir le mandat de perquisition avaient été obtenus en violation des droits constitutionnels de cette seule et même personne. Comme dans les deux autres arrêts de la trilogie – Wiley et Plant –, il n’était aucunement question dans Grant d’une quelconque revendication découlant d’une violation des droits constitutionnels d’un tiers.
[514] C’est dans ce contexte précis qu’il faut interpréter les propos du juge Sopinka lorsqu’il écrit : « le ministère public ne peut pas profiter des actes illégaux des policiers ». J’y vois avant tout l’expression d’un sentiment d’injustice, celui de voir le ministère public bénéficier de l’utilisation de renseignements obtenus à la suite d’une violation des droits constitutionnels d’une personne pour recueillir des éléments de preuve en vue de faire condamner cette même personne. Par ailleurs, le caractère « injuste » d’un tel scénario m’apparaît nettement plus frappant que dans le cas de renseignements utilisés pour recueillir des éléments de preuve à l’endroit d’une personne aucunement atteinte par l’inconduite policière à l’origine de l’obtention des renseignements.
[515] Comme le soulignent le juge Pennou dans Lanthier[403] et la juge Perreault dans Boyce-Dickson[404], il arrive qu’un élément de preuve obtenu en violation des droits constitutionnels d’un accusé ne puisse être utilisé contre lui au procès, mais qu’il puisse tout de même servir pour incriminer des co-accusés dont les droits constitutionnels n’ont pas été violés par l’inconduite policière ayant mené à l’obtention de cet élément de preuve. En traçant un parallèle, il serait incongru que cela ne puisse pas être le cas dans le contexte d’une contestation d’une autorisation judiciaire où le péril juridique d’un accusé est moins grand que dans le contexte d’un procès. Dans Boyce-Dickson, la juge Perreault écrit :
At trial, evidence relevant to the question of the guilt or innocence of the accused won’t be excluded because it was obtained through the violation of the Charter rights of a person other than the accused. The Court sees no justification for applying a different rule on the review of an order giving prior judicial authorization to a search or wiretap.[405]
[516] La trilogie Grant ne devrait donc pas avoir la portée que lui prêtent les décisions Guindon, Mediati et Hamid. À mon humble avis, les propos du juge Sopinka ne donnent pas le feu vert à une demande d’excision de renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels de tiers.
[517] Je tire la même conclusion à l’égard de Chang. Cet arrêt ne traite pas spécifiquement de la procédure d’excision. Il y est davantage question de la possibilité pour les accusés de contester la validité d’une autorisation judiciaire ayant donné lieu à une fouille (interception de communications privées) sans incidence sur leurs intérêts en matière de vie privée.
[518] Il est vrai que la juge Molloy a permis aux accusés de contester l’autorisation du Québec, mais uniquement eu égard à des questions circonscrites n’ayant aucun rapport avec la nature et teneur des motifs invoqués dans la dénonciation en vue d’obtenir le mandat d’écoute électronique. Elle a accepté d’examiner si l’autorisation avait été décernée avec juridiction et si elle avait été exécutée en Ontario avec l’aval d’un juge de cette province. Bref, la juge Molloy s’est contentée de vérifier si l’autorisation du Québec n’était pas viciée par des irrégularités apparentes et manifestes, sans égard à la suffisance des motifs invoqués dans la dénonciation ou à la manière dont ils ont été obtenus par les autorités.
[519] D’ailleurs, la Cour d’appel de l’Ontario confirme que les accusés n’étaient pas en droit de solliciter une révision complète de la dénonciation, n’ayant pas d’attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de l’objet de l’écoute électronique autorisée par un juge au Québec. C’est avant tout ce qu’il faut retenir de l’arrêt Chang. Je fais ici miens les propos suivants de la juge Ker dans Kang au sujet de la portée de l’arrêt Chang (et de l’arrêt Vickerson[406]) :
Summarily, these decisions do not permit an accused to challenge searches of third parties not charged on their indictment. Thus, an accused cannot litigate breaches of the Charter rights of third parties as they have no standing – e.g. they cannot establish a reasonable expectation of privacy in the search of another’s property or communications. However, the cases do not directly address the issue of excision of information found to have been obtained in violation of the Charter rights of someone other than the accused, most likely because the Courts’ conclusions with respect to standing preclude ever proceeding to this stage. Nevertheless, the import of these decisions is that they do not support the defence “excision for all” approach as they limit an accused to challenging (and then later excising) information that has been unconstitutionally obtained in respect of their own Charter rights.[407]
[520] Par conséquent, j’estime que la Cour d’appel de l’Ontario dans Chang n’ouvre pas la porte à l’approche “excision for all”. Je dirais plutôt qu’elle a davantage tendance à la fermer.
[521] Ainsi, pour les mêmes motifs que ceux exposés par la juge Ker dans Kang, je refuse de suivre le raisonnement adopté dans les décisions Guindon, Mediati et Hamid. Je ne suis pas lié par ces décisions. Par ailleurs, elles ne font pas nécessairement partie d’un courant majoritaire en Ontario.
[522] Cela dit, je constate que dans deux de ces décisions, en l’occurrence Guindon et Mediati, l’existence d’une violation des droits constitutionnels des tiers avait déjà fait l’objet d’une décision judiciaire. Dans Hamid, l’accusé Hamid ne sollicitait pas une révision complète de la dénonciation au soutien de la première autorisation d’écoute électronique. Il entendait plutôt bénéficier de l’issue (favorable) de la contestation de cette autorisation par les co-accusés, M. Levya et M. Andrews. Dans aucune de ces trois décisions les accusés ne demandaient à la Cour de statuer sur l’existence d’une violation constitutionnelle à l’endroit d’un tiers.
[523] Les requérants me demandent de conclure à l’illégalité de la surveillance vidéo menée au 2514 chemin des Patriotes, au 2376 rue Frenette, au 2790 rue du Lac et au 1100 Dr. Penfield (le 15 juin 2018). Selon eux, ils ne m’invitent pas à faire des révisions de type Garofoli « à l’infini », mais plutôt à constater que l’opération de surveillance vidéo sans autorisation judiciaire était manifestement illégale puisqu’elle a inévitablement porté atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée. Les requérants avancent que c’est une question de principe, car la même technique contamine toute l’enquête.
[524] Aussi, les requérants attirent également mon attention sur l’affaire Battista[408] – décision dont il est question dans Hamid. Dans cette affaire, les accusés contestaient la validité de l’autorisation d’écoute électronique ayant intercepté leurs communications privées. Ils soutenaient que la dénonciation à l’appui de cette autorisation comportait des renseignements obtenus dans le cadre d’une fouille illégale effectuée à l’intérieur d’une résidence.
[525] Les policiers avaient trouvé une boîte contenant plusieurs kilos de cocaïne. Ils étaient entrés dans la résidence sans autorisation judiciaire. Ils enquêtaient une possible introduction par effraction et la résidence leur semblait inoccupée. Les accusés n’avaient pas d’attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de l’objet de la fouille. Ils n’occupaient pas les lieux. La découverte des stupéfiants faisait partie des motifs invoqués au soutien de la demande d’obtention du mandat d’écoute électronique. La légalité de la fouille n’avait pas fait l’objet d’une décision judiciaire. La Cour supérieure de l’Ontario acquiesce à la demande des accusés de statuer sur la légalité de la fouille. La juge Parfett conclut qu’il s’agit d’une fouille prima facie déraisonnable et que les accusés sont donc en droit de réclamer l’excision des renseignements ainsi obtenus.
[526] Les requérants s’appuient sur cette décision pour m’inciter à conclure que les opérations de surveillance vidéo ont été effectuées sans autorisation judiciaire et, de ce fait, doivent être considérées comme étant des fouilles prima facie abusives. Cela leur permettrait, comme dans Battista, de demander l’excision des renseignements obtenus par l’entremise de la surveillance vidéo.
[527] Je ne souscris pas aux arguments formulés par les requérants.
[528] Les requérants auraient essentiellement voulu que je transpose une déclaration d’illégalité de l’opération de surveillance vidéo menée au 34 rue de l’Industrie aux autres lieux ciblés par cette technique d’enquête. Or, j’ai conclu que l’opération de surveillance vidéo au 34 rue de l’Industrie ne constituait pas une fouille au sens de l’article 8 de la Charte – les requérants n’ayant pas démontré qu’ils avaient une attente raisonnable au respect de leur vie privée à l’égard de l’objet de cette surveillance et des renseignements auxquels elle a donné accès.
[529] Quant à la décision Battista, dit avec égards pour la juge Parfett, son raisonnement m’apparaît incomplet, voire lacunaire. Elle n’explique pas en quoi elle peut statuer sur la légalité d’une fouille qui ne met aucunement en cause le droit à la vie privée des accusés. Je suis d’accord avec l’analyse que fait la juge Ker de la décision Battista :
A later decision of the same court – R. v. Serre, infra. (para. 36) – limited Battista by reference to the egregious conduct engaged in by the police in that case. For the same reasons as advanced by Justice Aitken in Serre, I would not follow this decision. It is devoid of analysis as to how the accused could have the information excised in the absence of a privacy interest. More significantly, the egregious nature of the unlawful police conduct appears to have motivated Parfett J. to reach the conclusion she did.[409]
[530] J’ajouterais également qu’il y a une distinction importante entre une fouille sans mandat à l’intérieur d’une résidence privée et une surveillance vidéo non autorisée captant uniquement des images à l’extérieur d’une résidence. Dans le premier cas, s’agissant d’un lieu où l’attente au respect à la vie privée est des plus grandes, l’action étatique constitue presque inévitablement une fouille présumée abusive au sens de l’article 8 de la Charte. Dans le deuxième cas, il n’est pas aussi évident d’en arriver à cette conclusion. En effet, comme nous l’avons vu, la surveillance vidéo d’un lieu extérieur ne sera pas toujours considérée comme étant une fouille au sens de l’article 8 de la Charte. Encore faut-il que la surveillance vidéo cible les activités d’une personne dans des circonstances où elle peut raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée. C’est ce que le législateur reconnaît dans le libellé du paragraphe 487.01(4) C.cr. Le fait que les surveillances vidéo aient été menées sans autorisation judiciaire ne fait pas naître une présomption d’illégalité.
[531] De plus, rappelons que dans Mediati, la juge Mackay précise que n’eut été de l’existence d’une décision judiciaire ayant déjà conclu à l’illégalité de la fouille de M. Altamore, elle aurait rejeté une demande des accusés de se prononcer sur la violation des droits constitutionnels d’un tiers. De la même façon, il y a fort à parier qu’elle aurait refusé de se pencher sur la constitutionnalité des opérations de surveillance menées au 2514 chemin des Patriotes, 2376 rue Frenette, 2790 rue du Lac et 1100 Dr. Penfield (le 15 juin 2018).
[532] De statuer sur l’existence de violations constitutionnelles à l’égard des tiers reviendrait à multiplier les décisions judiciaires. Si j’acquiesçais à la demande des requérants, je devrais me prononcer sur la légalité de quatre opérations de surveillance vidéo : celles menées au 2514 chemin des Patriotes (à l’égard de Fournier), 2376 rue Frenette (à l’égard de Grote), 2790 rue du Lac (à l’égard de Grote) et 1100 Dr. Penfield (à l’égard de Farha – en ce qui concerne les observations du S/D Gaudreault en date du 15 juin 2018). Cela irait à l’encontre des préoccupations exprimées par la juge Molloy quant au risque de voir le processus de révision s’étirer indûment (“This process could stretch back into infinity”) – préoccupations partagées par la Cour d’appel de l’Ontario dans Chang.
[533] Au surplus, il serait mal venu de se prononcer sur la légalité de ces opérations de surveillance sans avoir eu le bénéfice de la perspective des tiers concernés. C’est l’une des conclusions tirées par la Cour supérieure de l’Ontario dans la décision Shubert[410]. Dans cette affaire, l’accusé dont les droits constitutionnels avaient été violés dans le cadre d’une arrestation demandait à la Cour supérieure de l’Ontario de constater une violation des droits d’une personne non accusée, mais présente lors de cette même arrestation. L’accusé souhaitait ainsi démontrer la gravité et l’ampleur de l’inconduite policière. La Cour refuse de statuer sur la violation des droits constitutionnels d’un tiers. Elle invoque deux raisons, formulées comme suit par le juge Charney :
There are two concerns in relation to conducting a review of the Charter rights of persons who are not before the Court. One concern is that I have not heard from the female, whose perspective of these events may or may not be the same as the police officers who testified. It would prejudice her rights to make any findings about her Charter rights in an application to which she is not a party, has received no notice that her rights are at issue and has had no opportunity to call evidence or conduct cross-examination.
The second concern in relation to conducting a review of the Charter rights of persons who are not before the Court is that it may present a potentially limitless inquiry, or as the Court of Appeal stated in R. v. Chang, 2003 CanLII 29135 (ON CA), [2003] O.J. No. 1076, at para. 40, quoting the trial judge: “This process could stretch back into infinity”. Police may collect information from numerous sources when conducting an investigation, with one lead leading to another. Requiring the court to examine the Charter rights of every individual who has had some connection to a police investigation – even though they are not a party to the proceeding before the court - may result in endless collateral inquiries.[411]
[534] Je partage les propos tenus par le juge Charney. Ce jugement démontre que les tribunaux ne sont pas enclins à se lancer dans l’adjudication des droits constitutionnels de tiers[412].
[535] En l’espèce, j’ai déjà conclu que les requérants n’avaient pas d’attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de l’objet de la surveillance vidéo ciblant ces lieux. En d’autres mots, si les opérations de surveillance vidéo en question ont effectivement porté atteinte à l’article 8 de la Charte, ce sont alors les droits constitutionnels de tiers qui ont été violés et non ceux des requérants.
[536] Par conséquent, compte tenu notamment de l’arrêt Chang et des propos tenus par la juge Ker dans Kang, les requérants n’ont pas la qualité pour revendiquer une quelconque violation constitutionnelle découlant de la surveillance vidéo ciblant le 2514 chemin des Patriotes, 2376 rue Frenette, 2790 rue du Lac et 1100 Dr. Penfield (le 15 juin 2018). Cette conclusion est aussi conforme aux principes énoncés dans Edwards. Comme le juge Pennou dans Lanthier, je ne vois pas de raisons logiques ou de principe justifiant que je me prononce sur l’existence d’une violation au droit à la vie privée subie par des tiers.
[537] Même dans l’hypothèse de l’existence d’une violation des droits constitutionnels des tiers au 2514 chemin des Patriotes, 2376 rue Frenette, 2790 rue du Lac et au 1100 Dr. Penfield (le 15 juin 2018), les requérants ne pourraient pas bénéficier de l’excision des renseignements obtenus par l’entremise des opérations de surveillance vidéo visant ces lieux. Plusieurs raisons justifiant cette conclusion ont déjà été évoquées dans cette rubrique, dont notamment celles motivant mon rejet de l’interprétation faite par les décisions Guindon, Mediati et Hamid de la trilogie Grant et de l’arrêt Chang. Il a beaucoup été question dans la jurisprudence de la nature du processus d’excision (s’agit-il ou non d’un remède en vertu de la Charte?) et de son incidence sur l’approche à adopter. Il importe d’en discuter dans les prochaines lignes.
[538] L’analyse effectuée par la juge Ker dans Kang est la plus exhaustive[413]. Comme elle, je suis d’avis que le processus d’excision n’est pas un remède octroyé en vertu de la Charte. Je partage la qualification faite par la juge Ker du processus d’excision: “it is a mechanism for determining the significance of prior unconstitutional conduct in the chain of events that led to the evidence that is sought to be excluded”[414]. C’est également le point de vue exprimé par la juge Perreault dans Boyce-Dickson[415].
[539] Si ce procédé correcteur ne constitue pas en soi une réparation constitutionnelle, il faut toutefois garder à l’esprit qu’il s’inscrit dans le contexte d’une revendication en vertu de Charte. Le juge Pennou dans Lanthier considère que ce procédé constitue l’un des rouages du mécanisme d’exclusion prévu par la Charte[416]. À l’issue de son analyse jurisprudentielle, la juge Ker note que les décisions, en grande majorité, établissent une symétrie dans la façon d’aborder l’exclusion de la preuve obtenue en violation de la Charte et l’excision de renseignements obtenus par des moyens inconstitutionnels[417]. Selon la juge Ker, cette symétrie tire son origine dans les principes énoncés dans Edwards. Ces observations, que je partage, tendent à appuyer l’approche “excision for one”.
[540] Pour certains, dont la juge Bird dans Guindon et la juge Petersen dans Hamid, le fait que le processus d’excision ne soit pas un remède octroyé en vertu de la Charte justifie l’excision automatique des renseignements obtenus en violation des droits de tiers au bénéfice d’un accusé aucunement touché par cette violation. À l’appui de cet argument, les partisans de l’approche “excision for all” ne font aucune distinction entre les deux situations pouvant entraîner la rature des renseignements figurant à une dénonciation présentée au soutien d’une demande d’autorisation judiciaire. À cet égard, la juge Petersen tient les propos suivants en faisant notamment référence à Guindon :
In light of the jurisprudence on the automatic excision of “erroneous” information, it would be incongruous to preclude an applicant from seeking to excise information that was unconstitutionally obtained except in circumstances where the applicant could show that her or his own Charter rights were infringed. As Bird J. noted in R. v. Guindon, 2015 ONSC 4317, at para. 8:
The law is well established that all erroneous material must be excised from an affidavit on a Garofoli review. In all the cases that deal with the excision of erroneous information, there is no suggestion that only those errors which relate directly to an applicant are to be removed. Affidavits and ITOs contain a wealth of background information that doesn’t all pertain directly to each accused person. The activities of associates who are not charged may be referred to, as might places in which an applicant could not assert a privacy interest. If a mistake is made describing the activities of associates of an applicant, that erroneous material will be excised from the affidavit. The applicant does not need to establish a personal interest in the information to have it excised.[418]
[541] Avec égards pour les juges Bird et Petersen, je ne suis pas d’accord avec l’argument avancé. Il ne tient pas compte du fait que la raison d’être du procédé correcteur n’est pas le même pour les deux situations. Lorsque les renseignements sont faux, ils le sont pour tout le monde. L’excision est justifiée car le dénonciateur a fait défaut de se conformer à son obligation de divulgation complète et sincère. On s’attaque à la véracité des renseignements et non à la façon dont ils ont été obtenus. Les renseignements obtenus illégalement ne sont ni erronés ni trompeurs. La question n’en est pas une de véracité. De plus, les renseignements n’ont pas forcément été obtenus à la suite d’une violation des droits de toutes les personnes contestant l’autorisation judiciaire. Le fondement conceptuel de l’excision de renseignements erronés diffère de celui de l’excision de renseignements obtenus illégalement. Les propos du juge Pennou dans Lanthier[419] à ce sujet sont convaincants. Je les adopte intégralement. Ils sont synthétisés aux paragraphes 490 et 491 du présent jugement.
[542] L’analyse de la jurisprudence pertinente et les circonstances du présent dossier m’amènent à privilégier l’approche “excision for one”. Les décisions optant pour ce courant sont majoritaires. Le raisonnement adopté dans Lanthier, Kang et Boyce-Dickson est fondé et cadre bien avec les principes énoncés dans Edwards et réitérés à de nombreuses reprises par la Cour suprême depuis. L’approche “excision for one” s’accorde mieux avec le régime de protection des droits personnels mis en place par la Charte.
[543] Suis-je lié par les décisions Lanthier et Boyce-Dickson, toutes deux rendues par la Cour supérieure du Québec? Cette question s’est posée lors des plaidoiries. La Cour supérieure du Québec n’exerce pas un pouvoir de surveillance et de contrôle à l’égard des décisions rendues dans le présent dossier. De ce fait, le poursuivant convient que la doctrine du stare decisis vertical ne s’applique pas. De toute façon, la question n’est que théorique car je suis en accord avec le ratio decidendi des décisions Lanthier et Boyce-Dickson indépendamment de la règle du précédent. Je considère que ces décisions énoncent correctement le droit.
[544] Cela étant, dans Brisson[420], une décision très récente de la Cour supérieure du Québec, le juge Longpré adopte l’approche “excision for one” en s’appuyant sur les décisions Lanthier et Boyce-Dickson. Il souscrit aux motifs exposés par les juges Pennou et Perreault. De plus, il estime être lié par ces décisions en vertu de la règle du stare decisis horizontal telle qu’énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Sullivan[421]. J’y vois, au nom de la courtoisie judiciaire, une raison supplémentaire de suivre ces décisions.
[545] Pour tous ces motifs, je conclus que les requérants ne peuvent pas demander l’excision de renseignements obtenus dans le contexte d’une ou des violations alléguées des droits constitutionnels des tiers, à moins de pouvoir établir l’existence d’une atteinte à leurs propres droits constitutionnels.
L’argument Croft
[546] Dans l’affaire Croft, les accusés contestaient la validité d’une autorisation d’écoute électronique ayant permis l’interception de leurs communications privées. Ils soutenaient que les renseignements obtenus illégalement en amont de l’autorisation judiciaire devaient être retranchés de la dénonciation, y compris ceux obtenus en violation des droits de tiers.
[547] Le jugement de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ne permet pas de savoir si toutes les violations alléguées avaient déjà fait l’objet de décisions judiciaires. Dans une décision antérieure, le juge Burrows avait conclu que l’ordonnance de communication prévue à l’article 487.012 C.cr. n’autorisait pas l’interception de communications privées (des messages textes). L’interception des messages textes n’avait donc pas été autorisée légalement. C’est la seule conclusion tirée par le juge Burrows dans cette décision. Il ne s’était pas prononcé sur l’existence de violations constitutionnelles.
[548] Dans un premier temps, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta refuse d’adopter l’approche “excision for all”. Je ne reviendrai pas sur les motifs invoqués par la Cour. Ils sont du même ordre que ceux exposés dans les décisions préconisant l’approche “excision for one” étudiées ci-haut. Le juge Burrows détermine ensuite si les accusés peuvent demander l’excision des renseignements issus des messages textes en invoquant que leur interception n’avait pas été dûment autorisée et donc faite sans autorisation judiciaire préalable. C’est dans ce contexte qu’il tient les propos sur lesquels repose l’argument des requérants (« l’argument Croft ») :
The second part of the issue before me relates to information in the affidavit which was obtained illegally but not in violation of anyone’s Charter right. […] The order which the police had sought and obtained, a production order under s. 487.012 of the Criminal Code, was incapable of giving the police the authority they required. The interception of the text messages was therefore without prior judicial authorization.
There has been no determination that anyone’s Charter s. 8 rights were thereby breached since none of the accused has sought such a determination. But a determination that someone’s Charter s. 8 right was thereby violated would not, on the reasoning set out above, result in the excision of information obtained from the text messages from the wiretap affidavits unless the breach was of the accused’s own s. 8 Charter right.
The question here is whether the accused can, in the Garofoli review, seek excision of the information from the intercepted text messages on the basis that their interception was not legally authorized.
The fact of the illegality could provide the first step on two different routes leading to the excision of the information obtained from the text messages from the wiretap affidavits.
First it is conceivable that the text message information would be excised on the basis that its inclusion in light of the illegality would be contrary to the accused’s Charter s. 7 or 11(d) right to a fair trial. Second it is conceivable that the excision might be justified because inclusion in light of the illegality would be a common law abuse of process.
In the context of the first route, an accused would have standing to seek excision because he would be asserting a violation of his own Charter right.
On both routes the determination of whether inclusion of the text message information would justify exclusion would depend on the accused, in the Garofoli review, establishing that the inclusion would render the process unfair. Considerations relevant to that determination, as suggested in cases considering the admissibility of illegally obtained information, would include:
- Whether anything about the illegality in the obtaining of the information rendered it unreliable or misleading.
- Whether the illegality was serious – whether it constituted egregious conduct on the part of the police – whether it outweighed society’s interest in finding out the truth.
- Whether as a result of the illegality the accused was compelled to incriminate himself.
In the context of the common law relating to abuse of process, the accused’s standing, including standing for the purposes of excision in the Garofoli review, is established by the fact that he will be required to submit to the trial process. Anyone who is obliged to submit to trial has the right to assert that the consideration of any evidence for any purpose in the proceeding would render the proceeding unfair and to seek the exclusion or excision of the evidence for that reason.[422]
[549] Le juge Burrows conçoit la possibilité que l’inclusion dans la dénonciation de renseignements obtenus illégalement puisse porter atteinte aux droits personnels des accusés (garantis par les articles 7 et 11d) de la Charte) ou les obliger à subir un procès en dépit d’un abus de procédure. C’est dans cette optique qu’il leur confère la qualité pour demander l’excision des renseignements. Il conclut comme suit :
[…]
b) The accused has standing to seek the excision of information obtained through the violation of the accused’s own Charter rights, including his s. 8 right to be secure from unreasonable search and seizure and his s. 7 and 11(d) rights to a fair trial.
c) The accused has standing to seek the excision of information obtained illegally, such as the text messages which I have held were obtained without proper authorization, on the ground that inclusion of the information so obtained would render the Garofoli process unfair on the basis of the common law abuse of process principles.[423]
[550] Le juge Pennou dans Lanthier retient de l’affaire Croft qu’il y a deux voies qui s’ouvrent à un accusé voulant demander l’excision des renseignements obtenus à la suite d’une violation des droits d’un tiers. Selon le juge Pennou, pour emprunter ces deux voies et ultimement bénéficier du procédé correcteur, il faudrait que l’accusé puisse démontrer que le maintien de ces renseignements au sein de la dénonciation viole son droit à un procès juste et équitable ou déconsidère l’administration de la justice[424].
[551] Dans Boyce-Dickson, bien que la juge Perreault ne fasse pas explicitement référence à la décision Croft, elle mentionne ce qui suit :
The fact that the petitioners can’t seek to have the Court excise information found to have been obtained in breach of a third party’s rights doesn’t mean that courts will turn a blind eye on police misconduct or that they have to endure unlawful conduct. If the alleged police conduct results in an unfair trial or deprives the petitioners of their lives, liberty or security in a manner that isn’t in accordance with the principles of fundamental justice, they would thereby be in a situation where their own s. 7 and s. 11(d) rights would be breached and they could seek the appropriate remedy.[425]
[552] Dans Mediati, bien que l’argument Croft n’ait pas été avancé par les accusés, la juge Mackay considère que le maintien dans la dénonciation des renseignements obtenus en violation des droits de M. Altamore aurait été susceptible de rendre le processus de révision inéquitable en raison de la doctrine de l’abus de procédure et aurait aussi pu porter atteinte aux droits des accusés garantis par l’article 7 de la Charte :
It was not argued before me but it may be that inclusion of the information illegally obtained would render the Garofoli process unfair on the basis of the common law abuse of process principles as was stated in R. v. Dhillon. In addition, not excising the illegally obtained evidence could be found to deprive the applicants of their right to life, liberty or security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice and thereby breach their s.7 Charter right.[426]
[553] Les deux voies identifiées par le juge Burrows dans Croft pour demander l’excision de renseignements obtenus en violation des droits d’un tiers ou à la suite d’une autre forme d’illégalité sont donc reconnues par la jurisprudence.
[554] L’argument Croft exposé par les requérants n’est certainement pas dénué de fondement. Il est cependant conditionné par l’existence d’une inconduite policière ayant mené à l’obtention des renseignements faisant l’objet de la demande d’excision. Dit autrement, en l’absence d’une violation constitutionnelle ou d’une autre forme d’illégalité (comme dans Croft) à l’origine de l’obtention des renseignements, il n’est pas possible pour un accusé d’emprunter les voies tracées par le juge Burrows.
[555] Il est important de mettre l’accent sur les propos tenus par le juge Burrows dans Croft. Selon lui, c’est l’inclusion des messages textes, à la lumière de leur obtention illégale (“in light of the illegality”)[427], qui pourrait contrevenir aux droits garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte ou constituer un abus de procédure au sens de la common law. L’illégalité de l’obtention des renseignements, qu’il s’agisse ou non d’une violation constitutionnelle, est donc au cœur de l’analyse.
[556] Pour se prévaloir de l’argument Croft, les requérants font face à un obstacle infranchissable : ils ne sont pas en droit de revendiquer une violation constitutionnelle des droits des tiers découlant de la surveillance vidéo ciblant le 2514 chemin des Patriotes, 2376 rue Frenette, 2790 rue du Lac et 1100 Dr. Penfield (le 15 juin 2018). J’ai également conclu que je ne me prononcerai pas sur l’existence d’une violation constitutionnelle subie par des tiers. En l’absence de violation ou d’illégalité prouvée, l’argument Croft est forcément voué à l’échec.
[561] Dans Yu, la Cour d’appel de l’Ontario conclut que les appelants n’avaient pas d’attente raisonnable en matière de vie privée dans les stationnements intérieurs des édifices. La Cour souligne que les stationnements intérieurs étaient grands et que les appelants n’exerçaient qu’un contrôle limité sur ceux-ci. Aussi, l’un des stationnements intérieurs avait une section accessible au public (les non-résidents). La Cour est d’avis que les appelants ne pouvaient pas revendiquer une attente raisonnable au respect de leur vie privée à l’égard des observations faites par les personnes fréquentant les espaces publics du stationnement[429].
[562] La situation est distincte dans notre dossier. La preuve révèle que l’ouverture de la porte de garage se fait à partir d’une clé à puce et que l’accès est réservé aux résidents de l’immeuble. Il n’y a pas d’espaces publics dans le garage souterrain, L’aire de stationnement extérieur payant accessible au public est à hauteur de rue. Rien ne semble la relier physiquement au garage souterrain[430]. La porte du garage était certes grande ouverte lors de l’arrivée sur les lieux du S/D Gaudreault le 15 juin 2018. C’était également le cas les 19 et 29 juin lorsque S/D Gaudreault est revenu faire de brèves vérifications. Cela ne fait pas pour autant du garage souterrain un lieu accessible à tous membres du public. D’ailleurs, les policiers ont sollicité et obtenu une autorisation judiciaire le 3 juillet 2019 pour déambuler librement dans les aires communes du 1100 Dr. Penfield, y compris le garage souterrain. On pourrait s’étonner qu’ils n’aient pas entrepris cette démarche avant de pénétrer dans le garage souterrain le 15, 19 et 29 juin 2018. La légalité de l’entrée du S/D Gaudreault dans le garage souterrain du 1100 Dr. Penfield n’est pas imperméable à une contestation judiciaire. Les requérants n’ayant pas la qualité pour agir, je n’en dirai pas plus.
[564] Les requérants n’ont pas démontré en quoi l’inclusion des renseignements obtenus à la suite des violations alléguées à l’égard de tiers entraînerait une violation de leurs droits garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte – un fardeau qui leur incombe. Aussi, je vois difficilement comment l’action étatique à l’origine des prétendues illégalités pourrait être assimilée à une conduite choquant le sens du franc-jeu et de la décence de la société (“egregious conduct”), minant ainsi l’intégrité du système de justice.