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lundi 4 août 2025

La publicité des débats judiciaires et l'accès aux dossiers des tribunaux

Presse ltée (La) c. Service des poursuites pénales du Canada, 2016 QCCS 2623

Lien vers la décision


1) Principes généraux

[34]        Le principe de la publicité des débats judiciaires est indubitablement d’une importance vitale pour notre système juridique et notre société[13], car « l’administration de la justice s’épanouit au grand jour — et s’étiole sous le voile du secret »[14].

[35]        Voici la description qu'en donne le juge Bastarache dans l'arrêt Personne désignée c. Vancouver Sun[15] :

31        Le « principe de la publicité des débats en justice » est une « caractéristique d’une société démocratique », comme notre Cour l’a déclaré dans l’arrêt Vancouver Sun (Re)[2004] 2 R.C.S. 3322004 CSC 43, par. 23.  Comme notre Cour l’a signalé dans cet arrêt, ce principe « est depuis longtemps reconnu comme une pierre angulaire de la common law » (par. 24) et figure au nombre de nos principes de droit depuis les arrêts Scott c. Scott[1913] A.C. 417 (H.L.), et Ambard c. Attorney-General for Trinidad and Tobago1936 CanLII 385 (UK JCPC)[1936] A.C. 322 (C.P.), dans lequel lord Atkin s’est exprimé ainsi à la p. 335 : [TRADUCTION] « La justice ne se rend pas derrière des portes closes ».  « La publicité est le souffle même de la justice.  Elle est la plus grande incitation à l’effort et la meilleure des protections contre l’improbité » (J. H. Burton, dir., Benthamiana : or, Select Extracts from the Works of Jeremy Bentham (1843), p. 115).

32        La publicité des débats judiciaires présente plusieurs avantages distincts.  L’accès du public aux tribunaux offre à toute personne qui le souhaite la possibilité de constater « que la justice est administrée de manière non arbitraire, conformément à la primauté du droit » : Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général)1996 CanLII 184 (CSC)[1996] 3 R.C.S. 480 (« Société Radio-Canada »), par. 22.  La publicité des débats judiciaires favorise l’indépendance et l’impartialité des tribunaux.  S’il y a apparence de justice, il est alors plus probable que justice soit rendue.  La publicité des débats constitue « l’élément principal » de la légitimité du processus judiciaire : Vancouver Sun, par. 25.

[36]        Ce principe s'applique à toutes les procédures judiciaires y compris celles qui précèdent le procès[16].

[37]        Dans l'arrêt Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario[17], la Cour suprême décide notamment que ce principe s'applique aux ordonnances de mise sous scellé visant les mandats de perquisition et les dénonciations qui en ont justifié la délivrance. 

[38]        Elle confirme aussi que le critère Dagenais/Mentuck s’applique à chaque fois qu’un juge exerce son pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression et la liberté de la presse relativement à des procédures judiciaires.

2) L'accès au dossier judiciaire et aux documents qu'il contient

[39]        Bien que le juge qui reçoit une dénonciation pour faire comparaître une personne aux fins de l'article 810.01, comme dans le cas d'un mandat de perquisition[18], procède en l'absence de la personne visée par celle-ci, le principe de la publicité des débats judiciaires s'applique afin de permettre l'accès à la dénonciation présentée, et, le cas échéant à l'affidavit qui est joint au soutien de celle-ci.

[40]        L'arrêt de principe à l'égard de cette question est la décision de la Cour suprême dans Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre[19] où un journaliste, qui enquêtait sur une affaire de favoritisme politique et de souscription de fonds, demandait l'accès aux motifs ayant justifié la délivrance d'un mandat de perquisition.

[41]        Le juge Dickson formule la question posée de la manière suivante.

Il semble clair qu'une personne qui est directement concernée par le mandat peut examiner la dénonciation et le mandat après que ce dernier a été exécuté. La raison en est, dans ce cas, que la partie concernée a le droit de demander l'annulation ou la cassation du mandat de perquisition qui se fonde sur une dénonciation viciée. (R. v. Solloway Mills & Co.1930 CanLII 266 (AB CA)[1930] 3 D.L.R. 293 (C.S. Alta.)). Ce droit ne peut s'exercer que si le requérant peut examiner le mandat et la dénonciation immédiatement après que celui-ci a été exécuté. Le juge MacDonald, de la Cour suprême de l'Alberta, traite ce point dans l'affaire Realty Renovations Ltd. v. Attorney-General for Alberta et al. (1978), 1978 CanLII 796 (AB KB)44 C.C.C. (2d) 249, aux pp. 253 et 254:

[TRADUCTION]  Puisque la délivrance d'un mandat de perquisition est un acte judiciaire et non un acte administratif, il me paraît fondamental que, pour pouvoir exercer le droit de contester la validité d'un mandat de perquisition, la partie concernée ou son avocat puisse examiner le mandat de perquisition et la dénonciation sur laquelle il se fonde. Bien qu'il n'existe pas d'appel de la délivrance d'un mandat de perquisition, une cour supérieure a le droit, par bref de prérogative, de réviser l'acte du juge de paix qui délivre le mandat. Pour bien présenter sa requête, le requérant doit en connaître les raisons ou motifs qui tiennent fort probablement à la formulation de la dénonciation ou du mandat. Je ne puis rien voir d'autre qu'un déni de justice si l'on cache la teneur de la dénonciation et du mandat, après l'exécution de celui-ci, jusqu'à ce que la police ait terminé l'enquête ou jusqu'à ce que le substitut du procureur général décide de permettre la consultation du dossier où se trouve le mandat. Une telle restriction pourrait de fait retarder, sinon empêcher, la révision de l'acte judiciaire du juge de paix qui a délivré le mandat. Si un mandat est nul, il faut le déclarer nul dès que possible; le plus tôt on peut présenter la requête en annulation, le mieux on protège les droits de la personne.

Le procureur général de la Nouvelle-Écosse appelant ne conteste pas le droit d'une «partie concernée» d'examiner les mandats et les dénonciations après exécution. Il soutient que M. MacIntyre, un simple citoyen, qui n'est pas directement touché par la délivrance du mandat, n'a pas de droit d'examen. La question est donc de savoir si on peut faire une distinction, en droit, quant à l'accessibilité, entre les personnes qu'on peut qualifier de « parties concernées » et les particuliers qui ne peuvent faire la preuve d'aucun intérêt spécial dans les procédures[20].

[Le soulignement est ajouté]

[42]        Le juge Dickson expose les principes généraux applicables en ces termes:

En raison du petit nombre de décisions judiciaires, il est difficile, et probablement peu sage, de vouloir donner une définition exhaustive du droit de consulter les dossiers judiciaires ou une délimitation précise des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s'il faut en permettre la consultation. La question qui nous est soumise est limitée aux mandats de perquisition et aux dénonciations. La solution de cette question me paraît dépendre de plusieurs grands principes généraux, notamment le respect de la vie privée des particuliers, la protection de l'administration de la justice, la réalisation de la volonté du législateur de faire du mandat de perquisition un outil efficace dans la détection du crime et, enfin, d'un principe cardinal d'intérêt public qui consiste à favoriser la « transparence » des procédures judiciaires. Bentham a énoncé de façon éloquente la justification de ce dernier principe dans les termes suivants:

[TRADUCTION]  « Dans l'ombre du secret, de sombres visées et des maux de toutes formes ont libre cours. Les freins à l'injustice judiciaire sont intimement liés à la publicité. Là où il n'y a pas de publicité, il n'y a pas de justice. » « La publicité est le souffle même de la justice. Elle est l'aiguillon acéré de l'effort et la meilleure sauvegarde contre la malhonnêteté. Elle fait en sorte que celui qui juge est lui-même [en] jugement. »

Le fait que les mandats de perquisition peuvent être délivrés par un juge de paix à huis clos n'entame pas cette préoccupation de responsabilité. Au contraire, il donne du poids à la thèse en faveur de la politique d'accessibilité. Le secret qui préside d'abord à la délivrance de mandats peut occasionner des abus et la publicité a une grande influence préventive contre toute inconduite possible.

En bref, ce qu'il faut viser, c'est le maximum de responsabilité et d'accessibilité, sans aller jusqu'à causer un tort à un innocent ou à réduire l'efficacité du mandat de perquisition comme arme dans la lutte continue de la société contre le crime.

[Le soulignement est ajouté]

[43]        Le juge Dickson souligne l'importance de la règle de l'accessibilité du public aux dossiers judiciaires en vue de prévenir les abus et permettre ainsi un débat public :

A chaque étape, on devrait appliquer la règle de l'accessibilité du public et la règle accessoire de la responsabilité judiciaire; tout cela en vue d'assurer qu'il n'y a pas d'abus dans la délivrance des mandats de perquisition, qu'une fois accordés, les mandats sont exécutés conformément à la loi et enfin qu'on dispose conformément à la loi des éléments de preuve saisis. Une décision de la poursuite de ne pas poursuivre nonobstant la découverte d'éléments de preuve qui paraissent établir la perpétration d'un crime peut, dans certains cas, soulever des questions importantes pour le public[21].

[Le soulignement est ajouté]

[44]        Il estime que toute restriction à l'accès du public ne doit être considérée qu'avec réticence en raison d'une présomption de l'accès du public aux dossiers judiciaires :

A mon avis, cependant, la valeur de la thèse de « l'administration de la justice » diminue après l'exécution du mandat, c.-à.-d. après la visite des lieux et la perquisition. Le caractère confidentiel de la procédure a, par la suite, moins d'importance puisque les objectifs que vise le principe du secret sont en grande partie sinon complètement atteints. La nécessité de maintenir le secret a en pratique disparu. L'appelant reconnaît qu'à ce stade les particuliers qui sont directement « concernés » par le mandat ont le droit de le consulter. Dans cette mesure au moins, il tombe dans le domaine public. L'appelant doit cependant d'une certaine manière justifier l'accès aux mandats dont bénéficient les personnes directement concernées et l'interdiction imposée au grand public. Je ne puis voir de raison impérative de distinguer entre le public et l'occupant des lieux où l'on a perquisitionné. C'est avec beaucoup d'hésitation que l'on se résoudra à restreindre l'accès traditionnellement absolu du public aux travaux des tribunaux.

[…]

Il n'y a pas de doute qu'une cour possède le pouvoir de surveiller et de préserver ses propres dossiers. L'accès peut en être interdit lorsque leur divulgation nuirait aux fins de la justice ou si ces dossiers devaient servir à une fin irrégulière. Il y a présomption en faveur de l'accès du public à ces dossiers et il incombe à celui qui veut empêcher l'exercice de ce droit de faire la preuve du contraire.

Je conclus que l'argument relatif à l'administration de la justice justifie que l'on procède à huis clos au moment de la délivrance du mandat, mais qu'une fois celui-ci exécuté, il n'est normalement pas possible d'admettre encore l'exclusion du public en général. La règle générale de l'accès du public doit prévaloir, sauf à l'égard de ceux que j'ai déjà appelés des innocents[22].

[Le soulignement est ajouté]

[45]        La Cour suprême examine à nouveau le pouvoir d’une cour de justice de contrôler ses propres dossiers dans Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Protonotaire)[23] où elle précise que le tribunal est le dépositaire des pièces et qu'il en contrôle l'utilisation[24].

[46]        Dans l'arrêt Personne désignée c. Vancouver Sun[25], le principe de l'accès aux dossiers judiciaires et aux documents qui y sont contenus est ainsi décrit:

33        Outre son rôle de longue date comme règle de common law inhérente à la primauté du droit, le principe de la publicité des débats judiciaires est d’autant plus important qu’il est manifestement lié à la liberté d’expression, garantie à l’al. 2b) de la Charte.  Dans le contexte du présent pourvoi, il importe de noter que l’al. 2b) dispose que l’État ne doit pas empêcher les particuliers « d’examiner et de reproduire les dossiers et documents publics, y compris les dossiers et documents judiciaires » (Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général)1989 CanLII 20 (CSC)[1989] 2 R.C.S. 1326, p. 1338, citant Nixon c. Warner Communications, Inc., 435 U.S. 589 (1978), p. 597).  Le juge La Forest ajoute au par. 24 de l’arrêt Société Radio-Canada que « [p]our que la presse exerce sa liberté d’informer le public, il est essentiel qu’elle puisse avoir accès à l’information » (je souligne).  L’alinéa 2 b) protège également le droit de la presse d’assister aux instances judiciaires (Société Radio-Canada, par. 23; Ruby c. Canada (Solliciteur général)[2002] 4 R.C.S. 32002 CSC 75, par. 53)[26].

[Le soulignement est ajouté]

[47]        Plus récemment, dans l'arrêt Société Radio-Canada c. La Reine[27], la juge Deschamps y résume le droit relatif à l'accès aux pièces:

[12]      L’accès aux pièces est un corollaire du caractère public des débats et, en l’absence de disposition législative applicable, il revient au juge du procès de décider de l’usage qui peut en être fait afin d’assurer la bonne marche du procès.  Cette règle est établie dans notre droit depuis fort longtemps. Déjà dans Procureur général de la  Nouvelle-Écosse c. MacIntyre1982 CanLII 14 (CSC)[1982] 1 R.C.S. 175, p. 189, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) écrivait :

Il n’y a pas de doute qu’une cour possède le pouvoir de surveiller et de préserver ses propres dossiers. L’accès peut en être interdit lorsque leur divulgation nuirait aux fins de la justice ou si ces dossiers devaient servir à une fin irrégulière.

(Voir aussi P. Béliveau et M. Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales (15e éd. 2008), p. 499-500; R. c. Canadian Broadcasting Corporation2010 ONCA 726 (CanLII)Société Radio-Canada c. Bérubé2005 CanLII 12468 (QC CS)[2005] R.J.Q. 1183 (C.S.)R. c. Giroux2005 CanLII 12396 (C.S.).)

[48]        Dans le même arrêt, la juge Deschamps confirme que toute restriction à l'accès aux pièces doit être justifiée selon la grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais et Mentuck :

[13]      La grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais et Mentuck s’applique à toutes les décisions discrétionnaires touchant la publicité des débats. Dans Vancouver Sun (Re)2004 CSC 43[2004] 2 R.C.S. 332, les juges Iacobucci et Arbour écrivent que

[m]ême si le critère [Dagenais/Mentuck] a été élaboré dans le contexte des interdictions de publication, il s’applique également chaque fois que le juge de première instance exerce son pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression de la presse durant les procédures judiciaires. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé en conformité avec la Charte, peu importe qu’il soit issu de la common law, comme c’est le cas pour l’interdiction de publication (Dagenais et Mentuck, précités); d’origine législative, par exemple sous le régime du par. 486(1) du Code criminel, lequel permet d’exclure le public des procédures judiciaires dans certains cas (Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), précité, par. 69); ou prévu dans des règles de pratique, par exemple, dans le cas d’une ordonnance de confidentialité (Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances)[2002] 2 R.C.S. 5222002 CSC 41).  C’est à la partie qui présente la demande qu’incombe la charge de justifier la dérogation à la règle générale de la publicité des procédures : Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), par. 71. [par. 31]

(Voir aussi Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario2005 CSC 41[2005] 2 R.C.S. 188, par. 7; Personne désignée c. Vancouver Sun2007 CSC 43[2007] 3 R.C.S. 253, par. 35; Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada2010 CSC 21[2010] 1 R.C.S. 721, par. 15-16; R. c. Canadian Broadcasting Corporation, par. 21.)

[14] Il n’est donc pas nécessaire de se demander si les faits de l’espèce sont assimilables à ceux des arrêts Dagenais ou Mentuck. Il suffit de constater que l’activité en cause bénéficie de la protection de l’al. 2b) de la Charte et d’observer que l’ordonnance relevait du pouvoir discrétionnaire du juge Lévesque. La question doit donc être décidée en fonction de l’analyse établie dans les arrêts Dagenais et Mentuck. L’obligation faite au juge de procéder à cette analyse ne signifie pas qu’il faille faire appel à une preuve longue ou élaborée, mais il faut tout de même que tous les faits pertinents soient examinés. La responsabilité des juges des procès d’établir les conditions d’accès aux pièces n’est d’ailleurs pas nouvelle. Dans l’exercice de leur discrétion, les juges ont, de tout temps, été appelés à mettre en équilibre des facteurs qui pouvaient être considérés comme pointant dans des directions opposées.  À cet effet, les facteurs énumérés dans l’arrêt Vickery demeurent pertinents mais ils doivent s’insérer dans le cadre élaboré par les arrêts Dagenais et Mentuck.

[49]        Il ressort de ces énoncés que le principe constitutionnel de la publicité des débats judiciaires protège l'accès du public aux dossiers judiciaires et aux documents qui y sont contenus. 

[50]        Le principe est l'accès et les restrictions doivent être justifiées selon les principes établis par le critère Dagenais/Mentuck

[51]        Ainsi, en l'absence d'une restriction établie par une ordonnance judiciaire, les dossiers judiciaires et les pièces qui y sont contenues doivent être accessibles. En d'autres termes, une décision judiciaire n'est pas une exigence préalable à l'accès à un dossier judiciaire ou au droit d'en prendre copie[28].

Obligations du Tribunal quant à l'accès aux pièces et l'utilisation qui peut en être fait

Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Protonotaire), 1991 CanLII 90 (CSC)

Lien vers la décision


À mon sens, la décision du juge en chambre ne tient pas compte de quatre facteurs importants qui entrent en jeu lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de permettre à l'appelant d'avoir accès aux pièces (et ainsi de lui donner la possibilité de les copier et de les diffuser).  (Je souligne que ces aspects peuvent ne pas avoir été soumis au juge en chambre au cours de l'argumentation).  Ces facteurs sont les suivants:

 

1)      La nature des pièces en tant que partie du "dossier" du tribunal.

 

2)Le droit du tribunal de s'enquérir de l'usage que l'on entend faire de la communication des pièces, et son droit de réglementer cet usage.

 

3)La production des pièces au procès et la possibilité pour le public d'en prendre connaissance et d'en discuter de sorte qu'il y a eu respect de l'exigence de transparence des procédures judiciaires.

 

4)Ceux qui font l'objet de procédures judiciaires doivent se soumettre à l'examen par le public de ce qui s'est dit en première instance ou en appel, et la discussion au moment de ces instances est protégée, mais des considérations différentes peuvent s'appliquer lorsque le processus est complété et que la discussion ne se fait plus dans le cadre de l'audition.

 

1)La nature des pièces en tant que partie du "dossier" du tribunal

 

         Une pièce n'est pas un document du tribunal au même titre que les dossiers produits par le tribunal, ou que les actes de procédure et les affidavits préparés et déposés en conformité des exigences du tribunal.  Les pièces appartiennent souvent à des tiers qui ont ordinairement sur elles un droit de propriété.  Lorsqu'elles ont servi la fin pour laquelle elles ont été déposées, elles sont généralement mises à la disposition de la personne qui les a produites.  Pendant qu'il en est dépositaire, le tribunal a l'obligation de statuer sur toute demande d'accès.  Ce sont ordinairement les officiers du tribunal, comme le protonotaire en l'occurrence, qui exercent cette fonction, mais le tribunal étant dépositaire des pièces, il en contrôle l'utilisation.  Le juge en chambre fait mention de la règle de la Nouvelle‑Écosse qui prescrit la remise des pièces à la partie qui les a produites (règle 30.11(6), précitée).  Elle souligne que cette règle a pour but d'éviter au tribunal d'avoir à conserver des pièces dont elle n'a plus besoin.  La règle reflète cependant le fait que les pièces n'appartiennent pas au tribunal.

 

         Bien qu'aucune des parties en l'espèce ne fasse valoir un droit de propriété, celui‑ci a son importance lorsqu'il s'agit de qualifier la nature des pièces en soupesant les droits des parties en présence.  Ordinairement, la personne qui a droit à la possession des pièces est une partie à la requête visant à y avoir accès.  En l'espèce, Nugent a participé à leur création.

 

         Je note qu'un des avocats a laissé entendre ici que l'on pourrait demander l'accès aux bandes afin de préparer des programmes éducatifs pour la police.  Si c'était là l'objet de la requête, la police, qui est probablement propriétaire des bandes, pourrait fort bien avoir des opinions à formuler.

 

         Une fois que les pièces ont servi leur objet au sein du processus judiciaire, perd quelque peu de sa prééminence l'argument fondé sur le libre accès comme partie intégrante de la transparence du processus judiciaire qui est au c{oe}ur même de l'administration de la justice.

 

2)Le droit du tribunal de s'enquérir de l'usage que l'on entend faire de la communication des pièces, et son droit de réglementer cet usage

 

         Il s'ensuit que le tribunal, en sa qualité de dépositaire des pièces, est tenu de s'enquérir de l'usage que l'on entend en faire et, à mon sens, il a pleins pouvoirs pour réglementer cet usage en obtenant les engagements et les garanties utiles à la protection des droits en présence.  Nugent a fait valoir qu'il a un intérêt réel à l'usage que l'on fera des bandes.  Il a participé à leur création qui a été jugée contraire à ses droits constitutionnels, et le tribunal devrait prendre des mesures pour protéger ses droits légitimes.

 

         Dans l'exercice de ses pouvoirs de surveillance sur la documentation qui lui est confiée, le tribunal peut en réglementer l'usage.  Dans des circonstances comme celles de l'espèce, je ne crois pas qu'il soit juste d'affirmer, comme l'a laissé entendre le juge en chambre, que Nugent doit entamer d'autres procédures pour protéger ou défendre son droit au respect de sa vie privée.  Bien qu'il puisse y avoir ouverture à d'autres procédures, il est possible à la cour, saisie de la requête, d'éviter cette démarche.  Nul n'est besoin de multiplier les procédures, et personne, dans la situation de Nugent, ne devrait courir le risque de verrouiller la porte du laboratoire après que le virus ait non seulement été retiré, mais aussi reproduit.  Face à une requête de ce genre, il incombe au tribunal de protéger l'intimé tout en respectant l'intérêt du public à ce qu'il y ait accès aux pièces.  Or cela ne peut se faire qu'en fonction du but qui est en fait visé.  Devant un préjudice manifeste et en l'absence d'un but précis, l'ordonnance permettant le libre accès et la reproduction n'aurait pas dû être rendue.

 

3)Le respect de l'exigence de transparence des procédures judiciaires

 

         Les pièces ont été produites au procès et le public a pu en prendre connaissance et en discuter, de sorte qu'il y a eu respect de l'exigence de transparence des procédures judiciaires.

 

         Je ne conteste pas le moins du monde l'importance du principe selon lequel la justice doit être administrée publiquement, mais je suis porté à souscrire à l'observation qu'a faite le juge Powell de la Cour suprême des États‑Unis, citée par le juge Macdonald dans le jugement dont il est interjeté appel, à la p. 131, selon laquelle [traduction] "[l]a possibilité qu'ont les membres du public et les médias d'assister au procès et de rapporter ce qu'ils y ont observé satisfait à l'exigence d'un procès public."  (Nixon v. Warner Communications, Inc., 435 U.S. 589 (1978), à la p. 610.)

 

         Dans ce jugement, le juge Powell a noté que la cour, étant dépositaire des dossiers et d'autres pièces, est tenue d'exercer un pouvoir discrétionnaire éclairé, [traduction] "en tenant délicatement compte des circonstances qui ont mené à leur production" (à la p. 603).  Comme aucune décision américaine portée à mon attention ne traite de la copie de pièces irrecevables en preuve, je ne puis dire quelle serait la conclusion d'un tribunal américain.  Je suis toutefois convaincu qu'aux États‑Unis comme ici cette conclusion se fonde sur une appréciation des intérêts en jeu au moment de la demande d'accès.

 

         Je ne suis pas convaincu que la cour dont la décision fait l'objet du pourvoi a commis une erreur en concluant que le juge en chambre n'avait pas accordé suffisamment de poids au droit de Nugent à la protection de sa vie privée, droit qui est le sien à la suite d'un acquittement judiciaire.  Il a renoncé à ce droit pendant la durée du procès, mais il n'y a pas renoncé pour toujours.

 

4)L'examen public ultérieur

 

         Ceux qui font l'objet de procédures judiciaires doivent se soumettre à l'examen par le public de ce qui s'est dit en première instance ou en appel, et la discussion durant ces instances est protégée, mais des considérations différentes peuvent s'appliquer lorsque le processus tire à sa fin et que la discussion ne se fait plus dans le cadre de l'audition.

 

         Le droit de Nugent au respect de sa vie privée s'est trouvé suspendu pendant le processus judiciaire.  L'accès du public à ces procédures et la publicité qu'elles reçoivent est le prix que Nugent et tout autre accusé doivent payer afin d'assurer que soient redevables de leurs actes ceux qui sont chargés de l'administration de la justice.  Ce principe se reflète dans le privilège spécial que notre droit a traditionnellement accordé à ceux qui font le compte rendu des procédures judiciaires.  Cependant, les lois contemporaines en matière de diffamation restreignent ce privilège aux comptes rendus faits au moment des audiences (voir, par exemple, l'al. 13(1)b) de la Defamation Act, R.S.N.S. 1967, ch. 72, qui est aussi le ch. D‑3 des C.S.N.S.).  J'estime que la raison en est évidente.  Les comptes rendus immédiats, équitables et exacts sont susceptibles d'être équilibrés, de reproduire le contexte entier de l'affaire et d'exposer les arguments des deux parties.  Mais la diffusion et la publication subséquentes de pièces choisies risquent fort d'être entachées de partialité et d'un manque d'équité.  Ces considérations de principe qui forment notre attitude à l'égard de la transparence de l'administration de la justice sont pertinentes dans une requête comme celle‑ci.  Nugent ne saurait échapper aux procédures auxquelles il a participé, ni à leur compte rendu équitable et exact, mais les tribunaux doivent se garder de participer inconsciemment à son harcèlement en facilitant la diffusion de pièces déclarées avoir été obtenues en violation de ses droits fondamentaux.

 

         Ainsi que l'a fait observer le juge Dickson dans l'arrêt MacIntyre, à la p. 184:

 

         En bref, ce qu'il faut viser, c'est le maximum de responsabilité et d'accessibilité, sans aller jusqu'à causer un tort à un innocent . . .

Les tribunaux et la doctrine ont reconnu que les juges pouvaient prendre connaissance d’office du contenu de leurs propres dossiers

Hall Ledain c. R., 2025 QCCA 440

Lien vers la décision


[9]  Les tribunaux et la doctrine ont reconnu que les juges pouvaient prendre connaissance d’office du contenu de leurs propres dossiers[2]. Le requérant ne me convainc pas que ce moyen est fondé.

Note de bas de page [2]    R. c. Find2001 CSC 32, par. 48 « Dans la présente affaire, l’appelant s’appuie considérablement sur le mode de preuve fondé sur l’admission d’office de certains faits par le tribunal. La connaissance d’office dispense de la nécessité de prouver des faits qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l’abri de toute contestation de la part de personnes raisonnables. […] Un tribunal peut à juste titre prendre connaissance d’office de deux types de faits : 1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; 2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles et dont l’exactitude est incontestable »]. Voir aussi R. c. Tysowsky2008 SKCA 88, par. 3, 16-19.  M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales, 31e éd., Éditions Yvon-Blais, 2024, par. 37.6, p. 997.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...