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mercredi 13 août 2025

Le droit applicable au témoignage d’un expert

R. c. Tétreault, 2024 QCCQ 4429

Lien vers la décision


1.            PRÉSOMPTION D’INADMISSIBILITÉ

[30]      Les témoignages d'opinion sont présumés inadmissibles[5]. Un témoin ne peut témoigner que sur les faits relevant de ses connaissances, de ses observations et de son expérience personnelle[6], et non sur les inférences ou opinions qu’il en tirent[7].

[31]      Toutefois, un témoin ordinaire peut relater des faits liés à un domaine scientifique, technique ou autrement spécialisé, dans la mesure où il se contente de relater des faits, sans émettre d’opinion[8]. Ainsi, bien que la ligne entre un fait et une opinion ne soit pas toujours facile à tracer, l’opinion d’un profane qui exprime un « énoncé concis des faits » peut être admise[9].

[32]      Ce principe comporte certaines exceptions. La preuve d’expert représente la principale exception à la règle interdisant les témoignages d’opinion. Cependant, cette dérogation revêt un caractère exceptionnel et repose sur un critère de nécessité[10].

[33]      Dans tout procès criminel, le juge joue un rôle important de gardien du processus judiciaire et il veille à ce que les témoignages d’expert viennent renforcer, plutôt que fausser, le processus de détermination des faits[11].

2.            LE RÔLE D’UN TÉMOIN EXPERT

[34]      Un témoin expert est celui qui possède une compétence spécialisée dans un secteur donné d’activité et qui a pour rôle d’éclairer le Tribunal et de l’aider dans l’appréciation d’une preuve portant sur des questions scientifiques ou techniques, et qui, selon toute vraisemblance, dépasse l’expérience d’un juge ou d’un jury[12]. L’expert ne se contente pas de relater des faits qu’il aurait lui-même perçus, il exprime une opinion sur le sens attribuable à des faits par ailleurs validement prouvés mais difficile à interpréter[13].

[35]      Toutefois, il ne doit pas trancher une question qui appartient à un jury ou au juge de procès[14]. L’expert n’est ni l’arbitre des faits en litige ni celui du droit, tâche qui revient exclusivement au juge du procès[15].

[36]        Un expert n’a pas à être détenteur d’un diplôme ni l’obligation de faire partie d’un ordre professionnel. Le titre d’expert peut être reconnu à une personne qui possède des « connaissances expérimentales particulières » si, en raison de celles-ci, il est en mesure d’éclairer le Tribunal sur une question technique[16].

3.            LA VALEUR PROBANTE DU TÉMOIGNAGE DE L’EXPERT

[37]      Un témoin expert ne jouit pas d’un statut particulier[17] en ce qui concerne sa crédibilité ou quant à la valeur probante de son témoignage[18]. Comme tout autre témoin, la force probante de son témoignage est laissée à l’appréciation du Tribunal[19]. Le juge peut accepter son témoignage en tout ou en partie ou le rejeter totalement[20].

[38]      Plus les faits sur lesquels se fonde un expert sont établis par la preuve, plus la valeur probante de son opinion est grande. Inversement, plus les faits sur lesquels se fonde l’expert ne sont pas établis par la preuve, moins la valeur probante de son opinion est grande[21].

[39]      De même, un expert peut baser son opinion sur du ouï-dire, mais cela affecte directement la valeur probante de celle-ci[22].

[40]      Par ailleurs, le Tribunal n’est jamais forcé d’adhérer à l’opinion d’un expert[23]. Le Tribunal peut rejeter l’opinion d’experts, même lorsque leur témoignage est unanime et n'est pas contredit par celui d’autres experts[24].

[41]      A fortiori, c’est le cas lorsque des opinions d’experts sont contradictoires[25].

4.            LES CRITÈRES D’ADMISSIBILITÉ D’UNE PREUVE D’EXPERT

[42]      Le cadre d’analyse pour déterminer l’admissibilité d’une preuve d’expert comporte deux étapes[26].

4.1      LA PERTINENCE LOGIQUE

[43]      À la première étape, la partie qui veut faire témoigner l’expert doit établir par la balance des probabilités[27] que son témoignage satisfait aux quatre critères d’admissibilité énoncés dans l’arrêt Mohan : (1) la pertinence, (2) la nécessité d’aider le juge des faits, (3) l’absence de toute règle d’exclusion, et (4) la qualification suffisante de l’expert[28].

[44]      La qualification suffisante inclut la condition selon laquelle cet expert est disposé et apte à s’acquitter de son obligation envers le Tribunal de fournir une preuve qui est : (1) impartiale, (2) indépendante, et (3) sans parti pris[29].

[45]      Comme le souligne l’arrêt White Burgess :

[32]        (…) L’opinion de l’expert doit être impartiale, en ce sens qu’elle découle d’un examen objectif des questions à trancher. Elle doit être indépendante, c’est-à-dire qu’elle doit être le fruit du jugement indépendant de l’expert, non influencée par la partie pour qui il témoigne ou l’issue du litige. Elle doit être exempte de parti pris, en ce sens qu’elle ne doit pas favoriser injustement la position d’une partie au détriment de celle de l’autre. Le critère décisif est que l’opinion de l’expert ne changerait pas, peu importe la partie qui aurait retenu ses services[30].

[46]      La partie qui souhaite mettre en preuve l’expertise doit établir que l’expert n’est pas biaisé ou autrement impartial[31]. L’expert proposé doit confirmer au juge que son témoignage sera objectif et impartial[32].

[47]      En pratique, lors du voir-dire, l’expert devra attester par écrit ou par déposition sous serment qu’il comprend son devoir de fournir une opinion professionnelle sans parti pris et qu’il s’engage à remplir cette obligation envers le Tribunal[33]. À elle seule, l’absence de cette attestation, peut empêcher qu’un témoin soit déclaré expert[34].

[48]      Une fois que l’expert a produit cette attestation ou a déposé sous serment en ce sens, il incombe à la partie qui s’oppose à l’admission du témoignage de démontrer un motif réaliste de le juger inadmissible, au motif que l’expert ne peut ou ne veut s’acquitter de son obligation[35].

[49]      Si elle réussit, la charge de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a été satisfait à ce critère d’admissibilité incombe toujours à la partie qui entend présenter le témoignage[36]. L’expert qui ne peut ou ne veut s’acquitter de cette obligation d’indépendance et d’impartialité n’est pas habile à exercer son rôle et devrait être exclu[37].

4.2      LA PERTINENCE JURIDIQUE

[50]      À la deuxième étape, le juge doit assumer son rôle discrétionnaire[38] de gardien et mettre en balance, selon une analyse globale, les bénéfices et les risques liés à la preuve d’expert proposée[39]. Il ne doit aborder cette seconde étape que si les critères de la première étape sont rencontrés[40].

[51]      À cette étape, le juge doit déterminer si le témoignage d’expert doit être exclu parce que son effet préjudiciable surpasse sa valeur probante[41]. Cet exercice est lié aux avantages de la preuve d’expert par opposition au préjudice potentiel sur le procès[42]. Il appartient à la partie qui désire faire entendre l’expert de démontrer que les bénéfices surpassent les préjudices potentiels[43].

[52]      Ce sera le cas, notamment, si la preuve exige un temps excessivement long qui est sans commune mesure avec sa valeur ou si elle peut induire en erreur en ce sens que son effet sur le juge, ou le jury, est disproportionné par rapport à sa fiabilité[44]. La détermination de la valeur probante et de l’effet préjudiciable d’une expertise demeure essentiellement contextuelle et dépend notamment des facteurs suivants[45] :

a)   L’opinion repose-t-elle sur des faits mis en preuve?

b)   Dans quelle mesure l’expertise supporte-t-elle les conclusions recherchées?

c)   Quelle est l’importance de la conclusion recherchée pour le sort du litige?

d)   Quel est le degré de fiabilité de cette preuve?

e)   Quel est le degré de complexité de l’expertise?

f)     Dans quelle mesure cette expertise est-elle contestée?

g)   L’expertise entraînera-t-elle de longs contre-interrogatoires ou le témoignage d’autres experts pour la contredire?

[53]      Ce n’est qu’après avoir pris en compte l’ensemble de ces facteurs, de même que tout autre élément pertinent, que le juge pourra évaluer si la valeur probante de l’opinion proposée l’emporte sur son effet préjudiciable[46]; ou dit autrement, si la preuve d’expert vaut d’être entendue[47].

[54]      Cela dit, la partie adverse peut accepter un témoin à titre d’expert dans un domaine précis et renoncer à la nécessité d’un voir-dire. Cependant, le fait d’admettre une expertise n’ajoute pas de poids à la preuve de l’expert[48].

5.            LA GESTION D’INSTANCE ET LA PROPORTIONNALITÉ

[55]      En tenant compte du principe de proportionnalité, un juge peut interdire une preuve par expertise aux fins d’assurer une saine gestion de l’instance[49], notamment lorsque l’expertise n’est pas de nature à aider le Tribunal à comprendre les faits et à apprécier la preuve[50]. De même, un juge peut refuser une expertise qui est non pertinente et disproportionnée en raison de la nature et de la complexité de l’affaire, eu égard notamment aux coûts et au temps d’audition qu’elle génèrerait[51].

[56]      Les tribunaux d’appel font preuve de retenue à l’égard des décisions des juges de procès d’admettre ou de rejeter une preuve d’expert[52].

[57]      Cela dit, une fois admise, le juge du procès doit veiller à bien encadrer l’expert et à dûment circonscrire son témoignage[53]. Il doit toujours s’assurer que l’expert demeure dans les limites de son champ d’expertise[54]. De plus, même une fois admise, le Tribunal possède la discrétion d’écarter la preuve d’expertise durant le procès si des risques de préjudice apparaissent et que ceux-ci n’étaient pas apparent lors du voir-dire[55].

6.            LA VALEUR D’UNE EXPERTISE

[58]      Il est bien établi qu’une opinion d’expert n’est pas offerte pour prouver la véracité des éléments sur lesquels elle se fonde[56]. Une expertise qui s’appuie sur des informations obtenues en marge du procès affecte sa valeur probante et non son admissibilité[57]. Si l’opinion de l’expert se fonde sur quelque élément de preuve, il n’est pas nécessaire que tous les faits au soutien de l’opinion soient prouvés. Il s’agit d’un facteur touchant la valeur probante du témoignage[58]. Dit autrement, la valeur d’une expertise est liée à la qualité de la preuve qui l’appuie[59].

L’ANALYSE

1.            LA PERTINENCE LOGIQUE (CRITÈRES DE L’ARRÊT MOHAN)

1.1      LA PERTINENCE

[59]      Le critère fondamental guidant l’admissibilité de la preuve est sa pertinence[60].

[60]      À la première étape, le juge doit évaluer la pertinence logique de la preuve d’expert proposée[61]. Pour déterminer si la preuve d’expert répond au critère de la pertinence logique, le juge doit se poser les deux questions suivantes :

a)     Le témoignage d'expert est-il lié à un fait en litige au procès ?

b)     Le témoignage d’expert tend-t-il à prouver le fait en litige ?

[61]      Si la réponse à ces deux questions est oui, alors la pertinence logique est établie[62].

[62]      En d’autres termes, la pertinence logique est axée sur le lien entre l’expertise et la question en litige, et sur la mesure dans laquelle cette expertise est susceptible d'établir un fait en litige au cours du procès[63].

[63]      Cela dit, comme l’indique les auteurs Greenspan et Rondinelli :

“The principles and bright-line rules of admissibility must not be abandoned simply because the evidence being tendered comes from the defence, however. If the evidence to be relied on is clearly irrelevant or unnecessary, whether it comes from the defence or the Crown will matter little in the final analysis”[64].

[64]      L’absence de pertinence est suffisante, en soi, pour refuser l’admissibilité du témoignage de l’expert proposé[65].

1.2      LA NÉCESSITÉ D’AIDER LE JUGE DES FAITS

[70]      La preuve d’expert doit être non seulement « utile », mais « nécessaire » à une bonne compréhension des faits par le juge du procès ou le jury[75].

[71]      En d’autres termes, l’objet de l’expertise doit être tel qu’il soit peu probable qu’un profane puisse former un jugement juste à son égard sans l’assistance d’une personne possédant des connaissances particulières[76].

[72]      Pour répondre au critère de la nécessité, la preuve d’expert doit aider le juge des faits, c’est-à-dire, fournir des renseignements qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance du juge des faits.

[73]      L’expert est un auxiliaire du juge des faits, il est présent pour combler l’ignorance de ce dernier sur des questions spécifiques qui sont hors de son art[77]. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l’opinion de l’expert n’est pas nécessaire[78]. Autrement dit, la preuve experte sera exclue si le juge peut, sans cet apport, tirer ses propres conclusions à partir des faits établis[79].

[74]      Dans son évaluation de la nécessité, le juge doit notamment prendre en compte :

a)   L’objet de l’expertise;

b)   L’objectif poursuivi par la partie produisant l’expertise, et :

c)   La mesure dans laquelle il convient, si besoin est, de circonscrire l’expertise[80].

[75]      Pour décider de la nécessité d’une preuve d’expert, la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Prasad, propose de considérer les questions suivantes[81] :

a)   Is the subject matter of the expert evidence within or beyond the common experience of lay people ?

b)   How might the admission of the actual subject matter of the expert evidence affect the trial process ?

c)   Does the expert evidence express an opinion on the very question that the trier of fact must answer ?

d)   Could the caution implicit or explicit in the expert opinion be adequately communicated by a jury or by a judge’s implicit or explicit self-instruction ?

1.3      L’ABSENCE DE TOUTE RÈGLE D’EXCLUSION

[79]      Il n’existe aucune règle d’exclusion particulière visant le témoignage de Bensimon ou le dépôt de son rapport.

1.4         LA QUALIFICATION SUFFISANTE DE L’EXPERT

1.4.1   Bensimon manque de rigueur concernant ses qualifications passées

[80]      Il est reconnu que le simple fait qu’un témoin n’ait jamais été déclaré expert auparavant ne constitue pas une fin de non-recevoir[83]. Toutefois, en pratique, ceux qui ont déjà été reconnus experts indiqueront, dans leur curriculum vitae, les informations suivantes :

(1) les coordonnés des dossiers concernés;

(2) la juridiction des tribunaux et;

(3) le domaine d’expertise reconnue[84].

[81]      En l’espèce, dans son curriculum vitae, Bensimon se présente comme « expert en dangerosité, récidive criminelle et milieu carcéral » et spécifie être « expert clinique auprès des tribunaux »[85]. Lors de son assermentation, il réitère être « expert pour les tribunaux »[86]. Plus loin, il précise avoir commencé sa carrière de témoin expert à titre privé en 2018.  Il affirme aussi avoir été déclaré expert une vingtaine de fois[87].

[82]      Or, son curriculum vitae est totalement silencieux concernant ses qualifications passées. De même, lorsqu’on l’interroge sur ses expertises antérieures, Bensimon ne peut détailler de manière précise les dossiers dans lesquels il fut déclaré témoin expert ni devant quelle instance.

1.4.2   Bensimon prend des libertés concernant ses expertises passées

[83]      Il est connu qu’un expert ne peut être contre-interrogé concernant ses  témoignages qui ont été rejetés ou qui n’ont pas été crus dans d’autres procédures judiciaires[88].

[84]      En l’espèce, Bensimon n’a pas été interrogé sur ses expertises passées, mais bien sur les dossiers dans lesquels il indiquait avoir été reconnu témoin expert et/ou dans lesquels son rapport d’expert avait été déposé. Or, concernant ces dossiers, Bensimon prend des libertés avec la vérité.

[85]      Exemple 1 :   Bensimon indique que son rapport d’expert a été déposé dans le dossier de Yvan Godbout concernant la pornographie juvénile dans la littérature[89]. Or, dans la décision Godbout c. Procureure générale du Québec, le juge Marc-André Blanchard indique expressément :

[15]      À l’audience, les parties conviennent de pas faire entendre les experts, ni de déposer leurs rapports pour servir de preuve d’expert. Ainsi, cela ne fait pas partie de la preuve sur laquelle le Tribunal peut adjuger. Cependant, elles acceptent que la partie du rapport de Veilleux qui traite d’un certain recensement de ce qu’il convient d’appeler la « littérature érotique » fasse partie de la preuve profane et ce pour tenir lieu de son témoignage à ce sujet[90].

                                                                                               (Notre soulignement)

[86]      Mis devant cette contradiction, Bensimon tente de se justifier en indiquant d’abord que c’est ce que l’avocat de la défense lui avait dit[91]. Ensuite, il explique plutôt que pour lui « déposé » signifie qu’il a remis son rapport à la défense et qu’elle s’en est servi[92]. Clairement, Bensimon ne comprend pas l’importance de s’assurer de vérifier les faits avant de faire une affirmation à un juge.

[87]      Exemple 2 :   Bensimon indique qu’il a déposé un rapport d’expert à la Cour suprême du Canada dans le dossier d’Alexandre Bissonnette[93]. Or, dans l’arrêt R. c. Bissonnette[94], aucun rapport d’expert ayant comme auteur Bensimon n’est mentionné dans la section « Doctrine et autres documents cités ».

[88]      De même, le Mémoire des avocats de l’intimé, Alexandre Bissonnette, ne comporte aucune indication d’un rapport préparé par Bensimon dans la section « Doctrine et Autres documents »[95].

[89]      Exemple 3 :   Bensimon indique que dans les dossiers Nguene Nguene et Lapaix, il a témoigné à titre d’expert devant la Cour du Québec et qu’il a déposé deux rapports d’expertise clinique[96]. À cet égard, Bensimon indique ne pas avoir lu la décision de la juge Nathalie Duchesneau[97], démontrant ainsi qu’il ne fait aucun suivi de ses dossiers pour s’assurer de donner toute l’information. Or, dans le jugement R. c. Nguene Nguene, la juge Duchesneau remet en question la « qualité de son travail » lorsqu’elle indique :

a)   Que le rapport de Bensimon contient des affirmations qui sont erronées ou pouvant s’avérer trompeuses;

b)   Que Bensimon semble parfois faire état de ses impressions personnelles plutôt que cliniques[98].

[90]      Ceci confirme l’adage voulant que dire la vérité n’est pas difficile, c’est toute la dire qui l’est.

1.4.3   Bensimon manque de rigueur dans la rédaction de son rapport

[91]      Bensimon indique au Tribunal qu’il n’a aucun intérêt à dire des choses qui ne sont pas exactes[99] et qu’il fait des rapports très précis[100].

[92]      Il ajoute aussi qu’en tant que chercheur, il a la responsabilité de rendre un document le plus exact possible[101].

[93]      Dans son livre Droit carcéral et gestion des peines, Bensimon souligne que l’expert doit faire preuve de rigueur et que la base de toute expertise a pour socle l’écriture qui doit notamment être sans faille[102].

[94]      En l’espèce, Bensimon fait expressément référence à une décision de la Cour supérieure[103] et de la Cour d’appel du Québec[104], soit l’affaire Élizée dans son rapport d’expertise. Il indique que cette référence jurisprudentielle est pour étayer ses dires et que s’il l’a écrit c’est parce qu’il pensait que c’était significatif[105].

[95]      Selon Bensimon, le paragraphe suivant provient des décisions Élizée :

Un statut de délinquant dangereux, mesure la plus radicale imposée par le Tribunal pour les cas évalués comme étant les plus dangereux, en l’occurrence jugés irrécupérables, annihile toute possibilité d’évaluation du risque puisque reconnu d’emblée comme tel[106].

[96]      Or, une lecture attentive de ces décisions indique que cette citation ne se retrouve pas dans celles-ci. À l’audience, Bensimon affirme au Tribunal avoir lu ces deux décisions[107] et que la citation provient bien de l’affaire Élizée[108]. Après lui avoir accordé une suspension pour lui permettre de relire les deux décisions, Bensimon indique au Tribunal être incapable de retracer la citation[109]. Il tente alors d’expliquer que cette citation ne lui appartient pas[110] et qu’elle provient d’un texte qui renvoie à l’affaire Élizée[111]. Il n’est pas en mesure d’indiquer le texte d’où provient cette citation[112].

[97]      Le Tribunal a souligné à Bensimon que lorsqu’une personne se présente comme « expert » et qu’elle fait une référence spécifique à une décision judiciaire d’un tribunal d’appel, on s’attend à ce qu’elle fournisse une information véridique, fondée et vérifiée[113]. Ce n’est clairement pas le cas dans le présent dossier.

1.4.4   Bensimon propose une expertise de nature juridique

[98]        Aucun témoin, expert ou non, ne peut fournir une opinion sur une pure question de droit interne[114]. En principe, l’expertise qui se prononce sur le droit interne est inadmissible puisqu’il appartient au juge du procès de se prononcer sur le droit applicable[115]. Les juges ont une connaissance d’office du droit interne[116]. Les expertises de nature juridique sont irrecevables, car inutiles au juge qui en est lui-même expert[117].

[99]        Si un juge est apte à comprendre les faits et à en tirer les conclusions appropriées, l’expertise n’est pas admissible[118]. C’est au juge, et non à un expert de quelque domaine qu’il soit, qu’il appartient de se prononcer sur ce que pouvait être l’intention ou le but recherché par le législateur dans un texte de loi[119].

[100]   Le rôle d’un témoin expert est d’aider le juge à comprendre une situation de fait, non des questions de droit[120]. De même, la preuve d’expertise ne doit pas consister en une plaidoirie[121]. Permettre qu’un expert se prononce sur l’interprétation à donner à une disposition législative revient à céder la principale tâche du juge du procès à un expert[122].

[101]   Un rapport d’expert qui prend la forme d’un avis ou d’une opinion juridique se doit d’être rejeté[123]. Par ailleurs, plus la preuve d’expertise proposée se rapproche d'une « opinion sur la question ultime », plus le Tribunal doit se montrer strict dans l'application des critères d'admissibilité[124].

[102]   En l’espèce, le Tribunal note d’abord que le domaine d’expertise habituel de Bensimon est l’analyse clinique[125].

[105]   Cela dit, les connaissances et la formation de Bensimon ne lui permette pas de donner son opinion sur l’interprétation du Code criminel. D’ailleurs, à plusieurs reprises, Bensimon reconnait qu’il n’est pas un juriste[128].

[106]   Le Tribunal considère que le rapport proposé constitue une opinion juridique. Or, toute question d’ordre juridique, relève du domaine privilégié du Tribunal. À cet égard, la défense reconnait que la façon dont Bensimon a rédigé son rapport ressemble à une incursion du criminologique dans le domaine juridique[129] et que le Tribunal pourrait arriver à la conclusion que son rapport ne devrait pas être admis en preuve[130].

1.4.5   Bensimon propose une opinion contraire avec ses publications récentes

[107]   L’auteure France Bonsaint souligne que le rapport de l’expert doit être de qualité et sans faille. Elle ajoute qu’il est prudent de vérifier avec lui s’il a publié des articles et de s’assurer que son rapport ne contient pas une position contraire à ce qu’il aurait publié[131].

[113]   En d’autres termes, Bensimon fait l’éloge des programmes correctionnels devant le Tribunal, alors que dans ses écrits, il se montre des plus sceptique envers ceux-ci.

1.4.6   Bensimon fait preuve de parti pris et à un intérêt avec l’issue du dossier

[114]   Un témoin expert a l’obligation particulière d’apporter au Tribunal une aide juste, objective et impartiale[142].

[115]   S’il ne satisfait pas à ce critère, son témoignage ne devrait pas être admis[143]. L’attitude ou le comportement d’un expert qui se fait le défenseur d’une partie justifie son exclusion[144]. De même, l’opinion qu’il propose ne doit pas être influencée par l’issue du litige[145]. De plus, le préjugé de l’expert peut être inconscient ou volontaire[146].

[116]   Dit autrement, le témoin expert est un serviteur de la Cour et non un porte-parole, un défenseur des intérêts ou un partisan de la partie qui a retenu ses services.

[117]   Il est reconnu que le manque d’indépendance et d’impartialité d’un expert peut donner lieu à de très graves erreurs judiciaires[147]. Le Tribunal peut déclarer irrecevable une expertise qui n’est pas nécessaire, utile, ou empreinte de partialité[148].

[118]   Pour les motifs suivants, le Tribunal considère que la défense ne démontre pas que Bensimon est un témoin impartial, objectif et sans parti pris. 

2.            LA PERTINENCE JURIDIQUE OU L’ANALYSE COÛTS-BÉNÉFICES[164]

[130]   Pour les motifs suivants, le Tribunal conclut qu’il n’y a aucun bénéfice à permettre à Bensimon de témoigner ni au dépôt de son rapport d’expertise.

[131]   Premièrement, son témoignage et son rapport sont d’une très faible valeur probante et n’ont aucune pertinence au présent litige. À cet égard, la défense reconnait que :

a)     Les interventions du Tribunal auprès de Bensimon étaient fortement pertinentes[165];

b)     Bensimon n’a pas rendu le meilleur témoignage au monde[166] et qu’il n’était pas parfait[167].

[132]   Deuxièmement, Bensimon démontre qu’il est incapable de répondre succinctement à des questions simples. La défense doit même intervenir pour rappeler à son témoin d’attendre les questions[168]. De même, elle reconnaît que l’une des caractéristiques de Bensimon est de faire des réponses-fleuve[169]. Ce dernier reconnait qu’il peut déborder et qu’il est incapable d’offrir des réponses courtes et concises[170].

La déclaration d’accusé à haut risque (art. 672.64 C.cr.)

R. c. Arnott, 2025 QCCS 427



[18]        Selon l’article 672.64 C.cr., cette déclaration n’est possible que si ces conditions sont réunies :

1.   l’accusé est âgé de dix-huit (18) ans ou plus;

2.   l’accusé a perpétré une « infraction grave contre la personne » au sens du paragraphe 672.81(1.3) C.cr.;

3.   l’accusé fait l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux à l’égard de cette infraction;

4.   le tribunal est convaincu :

(a)  qu’il y a une probabilité marquée que l’accusé usera de violence de façon qu’il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne;

ou

(b)  que les actes à l’origine de l’infraction étaient d’une nature si brutale qu’il y a un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne.

[19]        Les trois premières conditions sont réunies.

[20]        Mitchell Arnott avait 29 ans lorsqu’il a tué ses parents, le meurtre est une infraction grave contre la personne et, le 20 janvier 2025, l’accusé a reçu un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux pour le meurtre de ses parents.

[21]        La quatrième condition porte sur la sécurité d’autrui. Les deux parties croient que Mitchell Arnott devrait être déclaré accusé à haut risque. Elles concèdent l’existence d’une probabilité marquée que l’accusé usera de violence de façon qu’il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne (alinéa 672.64(1)a)) ET elles concèdent que la manière dont l’accusé a tué ses parents était d’une nature si brutale qu’il y a un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne (alinéa 672.64(1)b)).

[22]        Il s’agit aussi de l’opinion d’expert du Dr Dassylva, qui a évalué l’accusé récemment, soit le 7 janvier 2025.

[23]        Dernièrement, la Cour d’appel du Québec a offert un résumé des exigences légales intrinsèques aux deux volets des alinéas 672.64(1)a) et b) C.cr:

[7]      L’objectif prépondérant visé par le régime de déclaration établi à l’article 672.64 du Code criminel est d’assurer la protection du public contre des personnes qui ont été reconnues non criminellement responsables et qui sont considérées comme très dangereuses, sur la base d’une évaluation des risques. À cet égard, l’alinéa 672.64(1)a) du Code criminel requiert la preuve d’une « probabilité marquée » d’usage ultérieur de violence par l’accusé pouvant mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui. Il s’agit d’un risque élevé et substantiel. Le danger à la vie ou à la sécurité d’autrui cible un préjudice sérieux. Le tribunal doit évaluer la dangerosité dans un contexte où l’accusé ne serait plus soumis à des contraintes externes. La probabilité marquée doit être démontrée par le ministère public selon la prépondérance des probabilités.

[8]      L’alinéa 672.64(1)b) du Code criminel prévoit une seconde voie permettant de déclarer un accusé à haut risque. L’alinéa 672.64(1)b) se concentre plutôt sur les circonstances du crime, à savoir la brutalité des gestes, et requiert une preuve de risque moins élevé que l’alinéa 672.64(1)a). Il s’agit de déterminer si, compte tenu de la brutalité des gestes délictueux de l’accusé et des facteurs énoncés au paragraphe 672.64(2) du Code criminel, il existe un risque réel, non pas hypothétique, plus que « minime » ou « minuscule », que celui-ci commette à nouveau une violence qui causera des dommages physiques ou psychologiques graves à une autre personne.

[9]      Même si la violence et la brutalité du crime ne suffisent pas pour fonder une déclaration qu’un accusé est un accusé à haut risque, dans l’application de ce critère, ces facteurs sont centraux à l’analyse. Encore une fois, cette évaluation doit être faite dans la perspective où l’accusé ne serait pas soumis à des contraintes en milieu hospitalier sécurisé. La brutalité des gestes délictueux réfère à des comportements hors normes, cruels, sauvages et inhumains. Les caractéristiques de la « brutalité » d’un comportement comprennent : la gratuité des gestes, le fait que l’attaque a ciblé une personne parfaitement inconnue, le fait que le geste ne découlait d’aucune provocation, le fait que la violence était non nécessaire et prolongée, alors que la victime n’était plus en mesure de se défendre. Tous ces éléments sont des indices importants d’imprévisibilité et de dangerosité éventuelle de l’accusé.

(Lebel c. R.2024 QCCA 1666, par. 7-9)
(Références omises)

[24]        Le paragraphe 672.64(2) C.cr. définit les critères s’appliquant à la déclaration d’accusé à haut risque. Cette disposition se lit ainsi :

[…]

(2) Pour décider s’il déclare ou non que l’accusé est un accusé à haut risque, le tribunal prend en compte tout élément de preuve pertinent, notamment :

a) la nature et les circonstances de l’infraction;

b) la répétition d’actes comme celui qui est à l’origine de l’infraction;

c) l’état mental actuel de l’accusé;

d) les traitements suivis et à venir de l’accusé et la volonté de celui-ci de suivre ces traitements;

e) l’avis des experts qui l’ont examiné.

[25]        La déclaration qu’un accusé est à haut risque est décrite comme étant [traduction] « de nature exceptionnelle, et on ne devrait y avoir recours qu’avec parcimonie »[10].

[26]        En effet :

[traduction]

[…] une déclaration d’accusé à haut risque crée une catégorie de délinquants inadmissibles à la libération et qui font l’objet d’une garde au sein d’un hôpital de psychiatrie légale, sans accès à la collectivité, sauf dans des circonstances très limitées et contrôlées.

La garde automatique au sein d’un hôpital continue jusqu’à ce qu’un juge de la Cour supérieure soit convaincu qu’il n’y a pas de probabilité marquée que l’accusé usera de violence de façon qu’il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne.

(Joan M. BARRETT et Riun SHANDLER,
Mental disorder in Canadian criminal law,
Toronto, Thomson Carswell,
2006, édition feuilles mobiles, p. 4-172)

Le régime prévoyant la déclaration d'un accusé « à haut risque »

R. c. Puglisi, 2025 QCCS 2432 

Lien vers la décision


[8]           L’article 672.64 C.cr. prévoit qu’un accusé qui a fait l’objet d’un verdict de NRCTM pour une infraction grave contre la personne peut être déclaré « à haut risque » si l’une des deux conditions suivantes est rencontrée :

8.1.      Il y a une probabilité marquée que l’accusé use de violence d’une manière qui pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne ; ou

8.2.      Les actes à l’origine de l’infraction étaient d’une nature si brutale qu’il y a un risque réel (et non hypothétique)[2] plus que minime de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne. Le caractère violent ou incompréhensible d’un crime, sans plus, ne suffit pas[3].

[9]           Cette désignation donne ouverture à l’imposition d’un régime d’exception. En effet, contrairement aux autres accusés détenus par suite d’un verdict de NRCTM, celui qui est déclaré « à haut risque » est soumis à des conditions de détention plus restrictives que ces derniers[4]. Plus précisément, l’alinéa 672.64(3) C.cr. spécifie que les modalités de cette détention ne peuvent prévoir de séjours à l’extérieur de l’hôpital sans escorte et projet structuré permettant de s’assurer que sa sortie ne présente pas de risque inacceptable pour le public[5].

[10]        De plus, bien que le régime des accusés « à haut risque » n’évince pas le rôle traditionnellement joué par la Commission d’examen des troubles mentaux auprès de ceux visés par un verdict de NRCTM[6], il maintient tout de même l’emprise du droit criminel sur ces derniers[7]. En effet, seule une cour supérieure de juridiction criminelle peut révoquer le statut d’accusé à haut risque, et ce, seulement si « elle est convaincue qu’il n’y a pas de probabilité marquée que l’accusé usera de violence de façon qu’il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne[8]. »

[11]        Il s’agit donc d’une désignation qui est lourde de conséquences pour l’accusé.

[12]        Afin d’en déterminer l’opportunité, le Code criminel exige que le Tribunal prenne en considération tout élément de preuve pertinent, incluant[9] :

12.1.   La nature et les circonstances de l’infraction ;

12.2.   La répétition d’actes comme celui qui est à l’origine de l’infraction ;

12.3.   L’état mental actuel de l’accusé ;

12.4.   Les traitements suivis et à venir de l’accusé, et la volonté de celui-ci de suivre ces traitements ; et

12.5.   L’avis des experts qui l’ont examiné.

[13]        Cependant, puisqu’il s’agit d’une liste non exhaustive de facteurs, aucun de ces éléments ne constitue un prérequis à la désignation d’un accusé comme étant à haut risque. C’est pour cette raison que notre Cour d’appel a qualifié ce régime comme ayant « une importante composante discrétionnaire[10]. »

[14]        Au vu de ces critères, le poursuivant plaide essentiellement qu’à la lumière : 1) des gestes commis par M. Puglisi, 2) de la nature, de l’historique et de la trajectoire de ses problèmes de santé mentale, 3) de sa propension à la violence et 4) de sa réticence à se plier aux traitements qui l’aideraient à le stabiliser, le Tribunal devrait faire droit à sa requête.

Ce qu'est un « accusé à haut risque »

Lachance c. R., 2025 QCCA 906 

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[18]      Il l’énonce ce ces termes, déjà reproduits plus haut :

Le juge de première instance a-t-il erré en droit en imposant à l’appelant le fardeau de démontrer l’absence de probabilité marquée prévue à l’article 672.64(1)a) C.cr.?

[19]      Cette question, posée en février 2025 dans l’exposé de l’appelant, renvoie à un arrêt récent de la Cour, rendu le 11 décembre précédent, Lebel c. R.[5]Sans infirmer le jugement entrepris, la Cour y exprime des réserves sur la façon dont le juge de première instance – le même qu’ici – s’explique sur la question du fardeau de la preuve. En bref, selon la thèse actuelle de l’appelant, ce que la Cour faisait ressortir dans son arrêt de décembre 2024 (et l’erreur que la Cour reprochait au juge) serait incompatible avec ce que celui-ci écrit dans le dossier en cours.

[22]      En ce qui concerne l’application de l’alinéa 672.64(1)adu Code criminel, le juge énonce initialement le bon test, c’est-à-dire celui de la probabilité marquée. Mais il retient à la fin de ses motifs à ce chapitre qu’il est prématuré de conclure à l’absence de probabilité marquée et que des ajustements médicaux sont encore requis pour réduire davantage le risque. Ce faisant, le juge transfère à l’appelant le fardeau de démontrer l’absence de probabilité marquée, alors que le fardeau de persuasion de la présence d’une probabilité marquée appartient au ministère public, selon la prépondérance des probabilités. Il résulte de cette erreur que la déclaration que l’appelant est un accusé à haut risque ne peut être maintenue en application de l’alinéa 672.64(1)a).

Ce passage s’appuie sur une jurisprudence récente[6] mais solidement motivée.

[23]      Rappelons d’abord que, dans l’arrêt Lebel, la Cour rejette l’appel d’une personne déclarée « accusé à haut risque », confirmant de ce fait le jugement visé par le pourvoi. Elle le fait pour une raison précise : malgré l’erreur qu’elle relève au paragraphe [22] de ses motifs[8], erreur en raison de laquelle il fallait écarter la conclusion du juge, fondée sur l’alinéa 672.64(1)aC.cr., la preuve au dossier permettait de conclure que, conformément à l’alinéa 672.64(1)bC.cr., l’accusé, en raison de la brutalité des faits qui lui étaient reprochés, présentait un risque de préjudice grave – physique ou psychologique – pour une autre personne. C’est précisément ce que relève la Cour dans l’extrait suivant :

[27]      La preuve appuie donc la conclusion selon laquelle il existe un risque réel, plus que minime, considérant particulièrement la brutalité des gestes ayant entraîné le décès de la victime, que s’il est libéré sans aucune contrainte, l’appelant commette de nouveau des actes de violence qui causeront des dommages physiques ou psychologiques graves à d’autres personnes.

[24]      Un raisonnement semblable est-il possible ici?

[25]      Plusieurs facteurs qui ressortent de la preuve consultée ou entendue en première instance convergent dans un même sens. On peut en donner l’énumération suivante :

   L’appelant souffre d’un trouble psychotique primaire s’apparentant à une schizophrénie paranoïde, résistante à la clozapine, le médicament avec lequel on le traite.

   La preuve démontre qu’il entend des voix et qu’elles l’exhortent à commettre des gestes violents.

   Avant l’événement du 7 décembre 2023, il prend soin de modifier une arme à feu qu’il possède pour la rendre plus facilement transportable.

   C’est en raison des exhortations de ces voix que l’appelant cible et blesse la victime de son geste.

   Après son arrestation, l’appelant commet de nouveau certains gestes violents en détention.

   Une fois hospitalisé, il s’en prend à certains autres patients également en détention.

   Même durant ses traitements, il ne démontre pas d’autocritique quant à sa situation psychologique.

   Pour un temps, il attribue son geste à sa consommation antérieure de drogues et il manifeste de la réticence à prendre les médicaments traitant la condition dont il doute être atteint.

[26]      Ces circonstances ne se déclinent pas toutes en vertu l’alinéa 672.64(1)aC.cr. Certaines sont plutôt susceptibles de peser sous l’alinéa 672.64(1)bC.cr. Mais n’insistons pas pour le moment sur cet aspect des choses et revenons plutôt sur les termes dans lesquels le juge s’est exprimé dans le dossier en cours.

[28]      Or, la formulation adoptée par le juge crée une confusion sur le rôle respectif des parties. En effet, il ne s’agit pas pour la poursuite de démontrer l’absence de probabilité marquée que l’accusé ne récidivera pas (pourquoi d’ailleurs s’emploierait-elle à démontrer une telle proposition puisque, au regard de l’article de l’alinéa 672.64(1)aC.cr., cette proposition ne pourrait servir que les intérêts de l’accusé?). Il ne s’agit pas non plus pour l’accusé de démontrer cette même proposition, car cela lui imposerait le fardeau de preuve et de persuasion, hypothèse que rejette la jurisprudence. Il s’agit plutôt pour la poursuite de démontrer pourquoi elle est convaincue (ce qui déjà suppose un fondement rationnel ferme) qu’il existe une probabilité marquée que l’accusé récidivera de manière à mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne. L’inversion qui ressort des motifs du juge a précisément l’effet indésirable identifié par la Cour dans l’arrêt Lebel et c’est ce pourquoi elle résulte d’une erreur de droit.

[29]      Mais qu’en est-il de l’alinéa 672.64(1)bC.cr.?

[30]      Face à des preuves contrastées, le juge devait trancher le litige en suivant la voie tracée par les alinéas 672.64(1)a) et 672.64(1)bC.cr. L’arrêt Lafrenière[11] a très bien fait ressortir la différence entre ces dispositions. Le régime instauré par l’article 672.64 C.cr. est un régime d’exception, axé sur la sécurité du public et qui ne doit atteindre qu’un nombre restreint d’individus[12]. Il a le potentiel d’engendrer d’importantes restrictions sur la liberté d’une personne mise en accusation. Aussi importe-t-il qu’il soit appliqué en prêtant une attention particulière aux précisions et aux distinctions qu’il comporte. Cela s’entend notamment de la distinction suivante : Être convaincu, au sens de l’alinéa 672.64(1)aC.cr., de l’existence d’une probabilité marquée de récidive violente n’est pas la même chose qu’être d’avis, au sens de l’alinéa 672.64(1)bC.cr., qu’il existe un risque « réel, non pas hypothétique, plus que minime ou minuscule[13] » d’une violence qui causera des dommages physiques ou psychologiques graves à une autre personne. Cela s’entend aussi d’une autre notion, celle de la « nature si brutale » des gestes incriminés, notion qui connote l’idée d’une rare violence, d’une violence inexplicable, « hors norme, cruelle, sauvage, inhumaine[14] ».

[31]      Ces notions étant clarifiées, se pose ensuite la question de savoir si, en l’occurrence, on pouvait raisonnablement conclure de la preuve que ce degré de brutalité caractérisait le comportement de l’appelant envers sa victime et engendrait le risque visé par l’alinéa 672.64(1)bC.cr.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...