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lundi 22 septembre 2025

La défense de minimis non curat lex ne s'applique pas face à des gestes hostiles, provocateurs ou dégradants

R. c. Jean, 2020 QCCQ 8902

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[152]     La défense de minimis non curat lex est fondée sur le principe voulant que « la loi ne s’occupe pas de choses insignifiantes »[38]. Cette défense a pour objectif d’éviter les conséquences d’une condamnation criminelle aux personnes ayant commis un acte à ce point insignifiant et anodin, et ce, malgré la preuve, hors de tout doute raisonnable, des éléments essentiels de l’infraction[39].

[153]     Malgré que la défense soit utilisée depuis de nombreuses années par les différents tribunaux canadiens, la Cour suprême n’a pas encore reconnu de façon formelle son existence en droit criminel canadien[40].

[154]     Au Québec, la décision de principe portant sur la défense de minimis non curat lex est l’affaire R. c. Freedman[41], rendue par le juge Vauclair en 2006, alors juge à la Cour du Québec et maintenant à la Cour d’appel. Ce jugement a reconnu officiellement, au Québec, que la défense existe et qu’elle est permise par l’application du paragraphe 8 (3) C.cr. reconnaissant les défenses de common law compatibles. D’ailleurs, la conclusion de droit du juge Vauclair a été portée en appel et la Cour supérieure a confirmé le jugement de première instance[42].

[155]     Dans l’affaire Freedman, la voie de fait faisant l’objet de l’accusation a eu lieu au cours d’une dispute. Afin de créer une distance entre eux, l’accusé pose ses mains sur le plaignant, celui-ci se trouvant trop proche de lui. Le plaignant est d’avis qu’il a été poussé volontairement et l’accusé a alors plaidé la défense de minimis non curat lex.

[156]     C’est dans ce contexte que la Cour a eu à se prononcer sur l’existence ou non d’une telle défense en droit criminel canadien. La définition de ce que peut constituer une voie de fait est excessivement large. Un simple touché intentionnel sans consentement prouve l’élément essentiel de l’infraction.

[157]     Ainsi, en se prononçant sur l’existence de la défense, le juge Vauclair fait le commentaire suivant quant à sa raison d’être :

[55] There is no question, in the Court’s opinion, that the defence of de minimis is well alive in Canadian criminal law. There are numerous cases where the defence has been recognized as such and either applied or denied. A few cases have expressed doubt as to its existence.

[56] Further, if the assault provision is to be broadly defined, the de minimis non curat lex principle could act as a filter to less serious breach of the law in appropriate circumstances. Undoubtedly, it can be said to be a safeguard against unjustified prosecution; a role that would serve to protect everyone’s interests but also, it would serve to maintain confidence in the administration of justice. Indeed, in the long run, legitimacy of the criminal process may well be affected if convictions are entered for insignificant matters the same way they are for serious breach of the law. The incapacity to discriminate is no sign of a well-balanced system.[43]

[158]     La raison pour laquelle cette décision a été citée à maintes reprises dans la jurisprudence subséquente est que, contrairement aux autres jugements dans lesquels la défense a été accueillie ou rejetée, le juge Vauclair a fait l’exercice de déterminer certains critères qui peuvent guider les juges dans leur prise de décision et s’exprime ainsi :

[60] In my opinion, a Court should, without limitation, consider the following factors: 1) the defendant's character, 2) the nature of the proven offence, 3) the circumstances surrounding the proven offence, including, if any, the accused's motive, 4) the circumstances surrounding the laying of the charge, including if any, the plaintiff's motive, 5) the actual harm caused by the offence, 6) the specific objective, if any, intended to be achieved by the legislature when it enacted the provision and 7) the public interest.[44]

[159]     Le juge conclut finalement qu’en l’espèce l’intention de l’accusé n’était pas de bousculer la victime ou d’être violent, mais plutôt de tenter de mettre une distance entre lui et la victime. D’ailleurs, aucun préjudice n’a été subi. Il en vient à la conclusion que la défense de minimis non curat lex doit s’appliquer dans les circonstances et acquitte l’accusé.

[160]     À ces critères à considérer lors de l’application de la défense, deux autres peuvent être évoqués. Ces critères sont, d’une part, que l’application de la défense n’a pas à déconsidérer l’administration de la justice et d’autre part, le fait qu’une déclaration de culpabilité dans les circonstances pourrait choquer le public et miner sa confiance dans le système de justice[45].

[161]     Il est vrai que ce qui constitue un geste insignifiant ou banal demeure entièrement tributaire des faits de chaque dossier et relève de la discrétion du juge du procès. Un système de justice qui applique la loi sans discernement pour des affaires insignifiantes agit au détriment de la justice fondamentale et déconsidère l’administration de celle-ci. En regard de l’infraction de voies de fait simples, la jurisprudence tend à démontrer que cette défense peut seulement s’appliquer dans un contexte où les gestes, qui répondent techniquement à la définition très large d’une voie de fait, ont un caractère inoffensif, anodin ou sans signification particulière[46].

[162]     D’ailleurs, la doctrine résume de façon très pertinente les tendances qui se sont dégagées de la jurisprudence relativement à l’analyse de la défense de minimis non curat lex en lien avec une accusation de voies de fait simples:

13.163 While a successful application of the de minimis defence depends heavily upon the particular circumstances of the case, the following trends do emerge from the jurisprudence, at least in relation to the offence of assault:

      provocative, demeaning or hostile gestures are not de minimis, even if the force used is of a trifling nature;

      force used during the course of a vocal argument will only rarely be considered trivial, as such contact risks escalating the dispute towards physical violence;

      the relationship between the parties is a significant factor, and even minor force will not lightly be excused where there is a power imbalance present, a consideration that is especially important where spousal assault is concerned;

      a successful application of the defence is more likely where contact is of an incidental nature, as where the accused intentionally applies force as a way of stopping or avoiding a potential confrontation.[47]

[163]     Cela dit, l’une des infractions pour laquelle cette défense est la plus souvent invoquée est celle d’une voie de fait. Ceci s’explique par le fait que l’éventail des comportements qui constitue une voie de fait est excessivement large. Comme le soulignent les auteurs Manning, Mewett et Sankoff, nous sommes amenés, dans nos contacts sociaux, à toucher plusieurs personnes sans nécessairement leur demander l’autorisation et cela ne signifie pas pour autant que chacun de ces comportements mérite de faire l’objet de poursuites criminelles[48].

[164]     Cependant, la jurisprudence a déterminé que les gestes hostiles, provocateurs ou dégradants ne peuvent être qualifiés de gestes banals, insignifiants et anodins. Elle indique aussi que la relation entre les parties est importante, surtout lorsqu’il existe un déséquilibre dans le rapport de force entre celles-ci[49].

samedi 20 septembre 2025

Il n’existe aucune règle générale obligeant le tribunal à tenir un voir-dire chaque fois qu’une partie soulève une question exigeant que le juge du droit examine des faits préliminaires en l’absence du juge des faits afin de trancher une question de procédure ou de preuve se rapportant aux faits en litige

Carignan c. R., 2024 QCCA 86 

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[9]         Il n’existe aucune règle générale obligeant le tribunal à tenir un voir-dire chaque fois qu’une partie soulève une question exigeant que le juge du droit examine des faits préliminaires en l’absence du juge des faits[4] afin de trancher une question de procédure ou de preuve se rapportant aux faits en litige[5]. Les objections et questions concernant l’exercice des pouvoirs policiers, l’admissibilité de la preuve, l’habileté d’un témoin ou l’application du secret professionnel en sont des exemples. La décision de tenir ou non un voir-dire relève en définitive du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et sera régie par la prudence et le souci d’éviter aux parties de subir un préjudice[6]. Pour certaines questions, notamment l’admissibilité des confessions, la tenue d’un voir-dire sera considérée à juste titre comme une règle de pratique, mais celle-ci n’est pas absolue[7]. La possibilité pour une partie de demander la tenue d’un voir-dire peut être assortie de certaines exigences procédurales, comme celle de transmettre un avis, mais le pouvoir de déterminer si une question préliminaire sera tranchée en l’absence du juge des faits appartient au juge. Ce pouvoir comprend le pouvoir discrétionnaire de rejeter une requête manifestement frivole[8]. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire relève souvent de la gestion de l’instance et s’applique à toute question préliminaire, d’ordre constitutionnel ou autre, sauf si celle-ci doit être entendue en l’absence du juge des faits[9]. Le refus de tenir un voir-dire correspond en fait à une conclusion portant que l’essence de la question préliminaire est sans fondement.

Le fardeau qui incombe à un accusé qui se pourvoit en appel en alléguant l’assistance inadéquate de l’avocat qui le représentait en première instance

Lajoie c. R., 2021 QCCA 1631 

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[11]      Dans André c. R.[5], la Cour décrit le fardeau qui incombe à un accusé qui se pourvoit en appel en alléguant l’assistance inadéquate de l’avocat qui le représentait en première instance. La partie qui invoque un tel moyen doit faire la preuve prépondérante des gestes qu’elle reproche à son avocat. Il lui faut ensuite établir que ces gestes se situent à l’extérieur du vaste éventail de la représentation adéquate. Enfin, il est nécessaire de démontrer que cette assistance inadéquate a été source d’une erreur judiciaire, soit parce qu’elle a eu pour effet de compromettre l’équité du procès ou soit parce que, sans cette assistance inadéquate, il existe une possibilité raisonnable[6] que le verdict aurait été différent.

[12]      L’erreur judiciaire peut résulter de l’omission de l’avocat de consulter son client à propos de la stratégie de défense et la manière de la mettre en œuvre. L’avocat doit se préparer adéquatement pour le procès et étudier le dossier de l’accusé avec ce dernier afin de déterminer les défenses qui peuvent être soulevées. Le défaut de faire cet exercice peut entacher la fiabilité du verdict[7] ou l’équité du procès[8]. Il est certes préférable que l’avocat rencontre son client autrement que brièvement au palais de justice avant l’audience[9], mais l’essentiel demeure que l’avocat se prépare adéquatement au procès et qu’il s’assure de recueillir les instructions et la version des faits de son client.

[23]      Les commentaires suivants du juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. v. Archer[12] peuvent trouver application en l’espèce, avec les adaptations qui s’imposent :

[138]  The appellant claims that he wanted to testify all along and believed that he would testify until trial counsel told him part way through the defence that he would not testify. The appellant blames any shortcomings in his testimony during the pre-trial motion and the mock cross-examination on trial counsel’s failure to adequately prepare him.

[139]  While counsel owes an obligation to advise his client as to whether he or she should testify, the ultimate determination must be made by the clientG.B.D.supra, at p. 300; M. Proulx & D. Layton, Ethics and Canadian Criminal Law (Toronto: Irwin Law, 2001) at pp. 114-30. If the appellant can show that it was trial counsel and not the appellant who decided that the appellant would not testify, and that the appellant would have testified had he understood that it was his decision, it seems to me that it must be accepted that his testimony could have affected the result, thereby establishing that a miscarriage of justice occurred: see R. v. Moore (2002), 2002 SKCA 30 (CanLII), 163 C.C.C. (3d) 343 at 371 (Sask. C.A.). The crucial question becomes – who made the decision?

[140]  The appellant bears the onus of demonstrating that trial counsel and not the appellant decided that the appellant would not testify. In determining whether the appellant has met that onus, I bear in mind the strong presumption of competence in favour of counsel. Counsel was an experienced criminal lawyer with over twenty years in practice.

[141  The appellant also has a very strong motive to fabricate the claim that he was denied the right to decide whether to testify. The appellant is no longer presumed innocent. He makes his allegation against trial counsel as a convicted felon facing a lengthy penitentiary term. No doubt, the appellant understands that if he can convince the court that his own lawyer denied him the opportunity to testify, he will receive a new trial. Common sense dictates a cautious approach to allegations against trial lawyers made by convicted persons who are seeking to avoid lengthy jail terms. It must also be recognized that the confidential nature of the relationship between a lawyer and his client can make it easy for the client to make all kinds of unfounded allegations against his former lawyer.

[142]  Furthermore, and apart entirely from the possibility that the appellant has fabricated these allegations, it is not uncommon that a person who has been convicted after having received strong advice from his counsel that he should not testify comes to believe, while awaiting his appeal, that counsel’s strong advice was in fact a decision by counsel that the client should not testify. Looking backwards through the bars of a jail cell is not the most reliable of vantage points from which to see events that culminated in the conviction.[13]

[Soulignements ajoutés]

[24]      Lorsque l’on conjugue ces éléments au fait que l’appelant n’a jamais manifesté son désaccord quant au choix de ne pas présenter de défense et qu’il a même, en plus, mandaté le mis en cause afin d’interjeter appel du jugement et recommandé ses services à un tiers après la conclusion du procès, on ne peut pas conclure que l’appelant a établi qu’il a été empêché, contre son gré, de témoigner ou qu’il était autrement en désaccord avec le déroulement de sa défense.

[25]      À l’inverse, la version des faits du mis en cause concernant l’établissement de la stratégie de défense et, plus particulièrement, la possibilité que l’appelant témoigne est vraisemblable. Même si la déclaration du mis en cause comporte des lacunes qui affectent sa crédibilité sur certains points, l’essentiel de sa déclaration au sujet de la conduite de la défense de l’appelant est crédible. On peut concevoir que le mis en cause ait conseillé à l’appelant de ne pas témoigner et que ce dernier se soit rallié à ses conseils. En effet, comme le note le mis en cause, l’appelant admettait l’essentiel des faits ayant justifié le dépôt des accusations le visant, de sorte que son témoignage aurait pu le présenter sous un jour peu favorable et pouvait ne pas constituer une défense valable face aux accusations. Il a donc paru préférable de se limiter au contre-interrogatoire des témoins du ministère public, et ce, dans le but de tenter de soulever un doute raisonnable quant aux raisons pour lesquelles l’appelant a cherché des informations dans le CRPQ et quant à la nature de la substance qu’il avait offerte à deux personnes.

[26]      L’appel soulève donc surtout des enjeux de crédibilité. Le fait que la jurisprudence place le fardeau de démontrer l’assistance inadéquate sur les épaules de celui qui l’allègue prend alors toute son importance. Comme l’écrit le juge Doyon, « il est facile de prétendre qu'il y avait mésentente avec l'avocat, qu'il était fermé aux désirs de l'accusée, et que le lien de confiance était rompu. Il est plus difficile de le démontrer […] »[14].

[27]      La lecture de la preuve soumise par les parties n’établit pas le nombre exact de rencontres qui ont eu lieu entre l’appelant et le mis en cause ni la teneur précise de leurs discussions. Il en ressort cependant que le mis en cause s’est préparé afin de défendre l’appelant et qu’il l’a rencontré au moins à quelques reprises, de sorte que l’on ne peut pas conclure que l’appelant a fait la démonstration prépondérante que le mis en cause n’a jamais discuté du dossier avec lui et ne l’a pas conseillé de manière raisonnablement diligente dans sa défense, y compris en ce qui a trait à l’opportunité de témoigner.

[28]      Les autres aspects sur lesquels l’appelant s’appuie pour tenter de démontrer que le mis en cause n’était pas suffisamment préparé à le représenter ne permettent pas de conclure que l’équité du procès a été compromise. À cet égard, les quelques maladresses soulignées par l’appelant dans les contre-interrogatoires des témoins du ministère public ou la plaidoirie du mis en cause sont nettement insuffisantes pour conclure que la préparation de ce dernier était lacunaire au point de résulter en une assistance ou représentation inadéquate. Quant aux admissions faites en début de procès, elles étaient bien fondées et conformes à la version des faits de l’appelant. Enfin, vu la réaction de ce dernier devant une offre de règlement du ministère public, il n’est pas possible de conclure à une négligence dommageable de la part du mis en cause. La seule lecture des messages échangés par le mis en cause et l’appelant permet de comprendre que ce dernier n’envisageait pas de plaider coupable aux accusations, de crainte de compromettre irrémédiablement la poursuite de sa carrière dans les forces policières.

[32]      En conclusion, l’appelant n’a pas établi, selon la norme de la prépondérance, que le mis en cause a fait défaut de le consulter, de le conseiller quant à la conduite de sa défense et de se préparer adéquatement en vue du procès de manière que l’équité de ce dernier a été compromise. La crédibilité de l’appelant sur cet aspect précis du dossier est affaiblie par la lecture conjointe des notes sténographiques du procès et de l’interrogatoire du mis en cause, qui révèlent que celui-ci avait rencontré l’appelant, pris connaissance de sa version des faits et élaboré une stratégie de défense.

Les principes qui doivent guider une Cour d'appel dans son évaluation d'une allégation de verdict déraisonnable

Bossé c. R., 2021 QCCA 1829

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[16]      Il est bien établi qu’une cour d’appel évalue le verdict d’un juge siégeant seul à la lumière des motifs de son jugemles principes qui doivent guider cette évaluationent[2]. Dans l’arrêt Richard[3], la Cour rappelle les principes qui doivent guider cette évaluation :

[25]        Il y a lieu de retenir des arrêts plus récents de la Cour suprême dans R. c. SinclairR. c. R. (P.) et R. c. W. (H.), les enseignements suivants :

1.         Le tribunal d’appel doit d’abord déterminer si le verdict est un de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait rendus au vu de l’ensemble de la preuve;

2.         Le verdict est déraisonnable si le juge des faits a tiré une inférence essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve invoquée à l’appui de l’inférence;

3.         Le verdict est déraisonnable si le raisonnement qui le soutient est à ce point irrationnel ou incompatible avec la preuve qu’il a pour effet de vicier le verdict;

4.         Il faut faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation de la crédibilité faite en première instance lorsqu’il s’agit de déterminer si le verdict est déraisonnable;

5.         La cour d’appel qui se prononce sur un verdict de culpabilité doit dûment prendre en compte la position privilégiée des juges des faits qui ont assisté au procès et entendu les témoignages et ne doit pas conclure au verdict déraisonnable pour le seul motif qu’elle entretient un doute raisonnable après l’examen du dossier. Il doit plutôt examiner et analyser la preuve et se demander, à la lumière de son expérience, si l’appréciation judiciaire des faits exclut la déclaration de culpabilité.

[26]        Dans l’arrêt unanime Pardi c. R., notre collègue, Yves-Marie Morissette, écrivait relativement aux paramètres d’intervention d’une cour d’appel lorsque le moyen d’appel est celui du verdict déraisonnable :

[28]      À cette étape, je résume ce qui précède afin de bien situer dans leur cadre les questions à résoudre. Un verdict déraisonnable ou qui ne peut s’appuyer sur la preuve est réformable en appel, et la question de savoir s’il peut être qualifié de tel en est une de droit. Il sera ainsi qualifié s’il s’agit d’un verdict qu’un jury qui aurait reçu les directives appropriées et aurait agi de manière judiciaire n’aurait pu raisonnablement rendre. Dans le cas d’un verdict prononcé par un juge seul, une cour d’appel peut tenir compte des motifs exprimés par le juge pour statuer sur le caractère raisonnable de son verdict, ce qui accroît quelque peu la portée de l’examen à effectuer. Ainsi, une inférence ou une conclusion de fait essentielle au verdict, mais qui est clairement contredite par la preuve à son appui, ou dont on démontre l’incompatibilité avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge, autorise une cour d’appel à casser le verdict qu’elle sous-tend au motif qu’il est déraisonnable. Cela ne va pas jusqu’à permettre aux juges d’une cour d’appel de considérer qu’ils ont « le droit d’avoir une perception subjective de la preuve et [le droit] de se demander s’ils sont convaincus du caractère inattaquable du verdict ». Un doute persistant peut justifier un examen plus approfondi de la preuve pour déterminer si, en effet, le verdict est déraisonnable selon la norme que je viens de rappeler. Cela vaut pour le verdict d’un jury comme pour celui d’un juge siégeant seul mais examiné dans ce second cas à la lumière des motifs prononcés par le juge. En tout état de cause, cependant, une cour d’appel n’apporte rien de particulier à l’évaluation de la preuve lorsque le juge expose des motifs de jugement détaillés.

[Références omises]

[17]      En ce qui concerne le fardeau de preuve, seuls les éléments constitutifs de l’infraction doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable[4]. Il n’y a pas lieu d’appliquer un fardeau hors de tout doute raisonnable à chaque élément de preuve et créer par ce fait « un processus en deux étapes »[5]. Le juge des faits peut tirer des inférences factuelles non constitutives de l’infraction, sur la balance des probabilités[6]. La Cour d’appel n’interviendra que si ces inférences « ne [peuvent] pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve »[7].

[18]      Par la suite, le juge doit être convaincu que l’ensemble des éléments de preuve mène à une conviction hors de tout doute raisonnable. Dans le cas d’une preuve circonstancielle, dans Villaroman[8], la Cour suprême précise que le juge doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la seule conclusion rationnelle ou « raisonnable » pouvant être tirée de l’ensemble de la preuve circonstancielle est la culpabilité de l’accusé.

[19]      Dans ce contexte, le ministère public n’a pas à « réfuter toutes les hypothèses, si irrationnelles et fantaisistes qu’elles soient, qui pourraient être compatibles avec  l’innocence de l’accusé »[9]. Les auteurs Vauclair et Desjardins qualifient l’hypothèse pouvant amener à un doute raisonnable sur l’innocence de l’accusé en ces termes[10] :

34.48. […] Les autres inférences susceptibles d’être envisagées doivent être raisonnables, non pas seulement possibles. Une « autre thèse plausible » ou une « autre possibilité raisonnable » doit être basée sur l’application de la logique et de l’expérience à la preuve ou à l’absence de preuve, et non sur des conjectures. Ceci rejoint du même souffle la norme du doute raisonnable. […]

[Références omises; soulignement ajouté]

La motivation de la décision du juge d'instance (ou l'insuffisance des motifs, selon le cas) quant à l'évaluation de la crédibilité, vu de la perspective d'un Tribunal d'appel

R. c. Comtois, 2024 QCCA 300

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[19]      Il convient tout d’abord de souligner que c’est uniquement sur une question de droit que la poursuite peut porter en appel un verdict d’acquittement[3]. Précisément dans le contexte de la motivation suffisante pour soutenir un acquittement, la Cour suprême le rappelle sous la plume du juge Binnie dans R. c. Walker[4] :

[21] Le ministère public soutient en l’espèce que les lacunes apparentes des motifs du juge du procès compromettent l’exercice du droit d’appel que lui confère la loi. Or, cet argument doit être apprécié en fonction de son droit limité d’interjeter appel d’un acquittement (« une question de droit seulement » (al. 676(1)aC. cr.)) par opposition au droit d’appel général accordé par le législateur à l’accusé qui a été reconnu coupable. En particulier, le ministère public n’a aucun droit d’interjeter appel de ce qu’il estime être « acquittement déraisonnable » : R. c. Kent1994 CanLII 62 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 133; R. c. Morin1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, et R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15, par. 33.

[20]      C’est donc à l’intérieur de ce corridor très étroit que les deux moyens d’appel proposés devront être analysés.

[21]      Par ailleurs, les motifs doivent faire l’objet d’une analyse fonctionnelle et contextuelle[5]. Ils doivent permettre de comprendre le « résultat » et le « pourquoi »[6]. En somme, la partie « qui n’a pas gain de cause [doit] savoir pourquoi elle a perdu »[7]L’omission de donner des motifs constitue une erreur de droit[8]. Elle peut être soulevée tant par l’accusé que par le poursuivant[9].

[22]      La suffisance des motifs répond à un « critère très peu exigeant »[10]. Pour reprendre les mots de la juge Karakatsanis dans R. c. Chung[11], « [o]n ne peut s’attendre à ce que des juges de première instance occupés rédigent des motifs parfaits ». On dira que l’obligation de motiver est satisfaite « lorsque, compte tenu des circonstances de l’espèce [l]a décision [du juge] est raisonnablement intelligible pour les parties et fournit matière à un examen valable en appel de la justesse de la décision de première instance »[12].

[23]      La juridiction d’appel ne doit pas « décortiquer avec finesse les motifs du juge du procès à la recherche d’une erreur »[13]. Il lui faut plutôt « les considérer globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du procès, en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs »[14]. Si le « résultat » et le « pourquoi » ressortent du dossier, il n’y aura pas d’erreur bien que les motifs n’expliquent ni l’un ni l’autre[15].

[24]      Une motivation lacunaire n’est pas, en elle-même, un moyen d’appel indépendant[16]. Encore faut-il que les lacunes dont souffrent les motifs « [aient] causé [à l’appelant] un préjudice dans l’exercice [de son] droit d’appel »[17]. Autrement dit, « [u]n appel fondé sur l’insuffisance des motifs ne sera accueilli que si les lacunes des motifs exprimés par le juge du procès font obstacle à un examen valable en appel »[18].

[25]      L’argument de l’insuffisance des motifs ne saurait non plus « servir de moyen d’appel fourretout utilisé pour masquer ce qui constitue en fait un désaccord entre le juge du procès et les juges […] de la Cour d’appel sur une question que le droit confie à l’appréciation du tribunal de première instance »[19].

[26]      L’évaluation de la crédibilité revient au juge du procès et non à un tribunal d’appel[20]. Elle mérite une grande déférence, sauf erreur manifeste et déterminante[21]. Une juridiction d’appel « ne peut intervenir simplement parce qu’elle diffère d’opinion »[22]. Dans R. c. Dinardo[23], la Cour suprême écrit, sous la plume de la juge Charron :

Dans un litige dont l’issue est en grande partie liée à la crédibilité, on tiendra compte de la déférence due aux conclusions sur la crédibilité tirées par le juge de première instance pour déterminer s’il a suffisamment motivé sa décision. Les lacunes dans l’analyse de la crédibilité effectuée par le juge du procès, tel qu’il l’expose dans ses motifs, ne justifieront que rarement l’intervention de la cour d’appel. Néanmoins, le défaut d’expliquer adéquatement comment il a résolu les questions de crédibilité peut constituer une erreur justifiant l’annulation de la décision (voir R. c. Braich, [2002] 1 R.C.S. 903, 2002 CSC 27, par. 23).

[27]      Par ailleurs, pour démontrer que la décision du juge d’instance de retenir une version plutôt qu’une autre est déraisonnable, l’appelant doit démontrer qu’il a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’analyse des faits[24].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...