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mardi 8 décembre 2009

Jurisprudence sur détermination de la peine pour trafic ou la possession en vue de trafic de crack (cocaïne base) et de cocaïne

R. c. Bessette, 2003 CanLII 18821 (QC C.Q.)

[9] L'ensemble de la jurisprudence canadienne a reconnu que le trafic ou la possession en vue de trafic de crack (cocaïne base) et de cocaïne est une circonstance aggravante compte tenu de la nature de cette drogue et de l'impact qu'elle provoque chez les consommateurs.

Dans les causes de:

a) La Reine c. Poissard: C.A. 3-07-01, No: 500-10-002047-015. En première instance l'accusé s'est vu infliger une peine de 30 mois d'emprisonnement, un suivi probatoire de deux ans. Il s'agissait de trois dossiers distincts de possession de crack (cocaïne base) et de possession de cocaïne en vue d'en faire le trafic, soit: possession de 225 roches de crack et de 12.50 grammes en vue d'en faire le trafic, 85 roches de crack et 16.50 grammes en vue d'en faire le trafic et enfin possession de 100 roches de crack et 5.75 grammes de cocaïne en vue d'en faire le trafic. Malgré son âge (22 ans) et un rapport présentenciel favorable la Cour a substitué une peine de 30 mois à 42 mois tout en tenant compte d'une détention préventive de 6 mois;

b) La Reine c. Ganley: C.A.Q. 31-07-01, No: 500-10-001970-001. Dans cette cause l'intimé s'est vu imposer une peine d'une année d'emprisonnement ferme pour des infractions de trafic de crack (cocaïne base) et de possession pour fins de trafic. Malgré le peu d'antécédents et le jeune âge de l'accusé, la Cour d'appel a porté la peine à 2 ans moins un jour rappelant que ces délits avaient été commis alors que l'intimé était en liberté sur cautionnement et soumis à des conditions de remise en liberté. La Cour souligne la nocivité de ces drogues.

c) La Reine c. Stanislaus: C.A. Q. 24-02-98, No: 500-10-001051-976. L'accusé s'est vu imposer une peine de 15 mois d'emprisonnement et une ordonnance de probation de 2 ans pour un trafic de 3 grammes de crack (cocaïne base) et avoir eu en sa possession pour fins de trafic 3 roches de crack (cocaïne base). L'accusé invoquait en appel qu'il n'avait aucun antécédent criminel, son âge (20 ans) sa réhabilitation depuis les événements puisqu'il était un étudiant universitaire et son engagement dans la communauté. L'appelant plaidait qu'il pouvait bénéficier des dispositions de l'article 742.1 et ainsi purger sa peine dans la communauté. Considérant qu'il était engagé dans un réseau de distribution organisé, qu'il était trafiquant uniquement pour obtenir des gains économiques et la nature des stupéfiants, la Cour maintient la peine imposée par le juge de première instance.

d) La Reine c. Blagrove: C.A.Q. 30-08-96, No: 500-10-000582-963. L'accusé a plaidé coupable à 5 chefs d'accusation d'avoir fait le trafic de roches de crack (cocaïne base) et 1 chef de complot. Le juge de première instance a imposé une peine de 14 mois d'emprisonnement assortie d'une ordonnance de probation de deux ans. Au moment de l'imposition de la peine, l'accusé était en liberté depuis 8 mois. Il n'avait aucun antécédent judiciaire, il avait changé de milieu et travaillait le plus régulièrement possible. Il était non utilisateur et a trafiqué pour des fins de lucre. Se fondant sur la gravité de l'offense et sur l'arrêt Dorvilus qui nous renseigne sur les impacts et la gravité du trafic de crack, la Cour d'appel modifie la sentence et impose une peine de 30 mois d'emprisonnement.

e) La Reine c. Dorvilus: C.A.Q. 4-07-90, No: 500-10-000111-904. Bien qu'il ait été rendu en 1990, dans cet arrêt la Cour d'appel reconnaît les effets néfastes du crack (cocaïne base) chez les usagers et les conséquences graves qu'engendre le trafic de cette drogue. Pour deux trafics de crack, la Cour a imposé une sentence de 2 ans moins un jour.

f) La Reine c. Soromo: 2000 CarswellMan 690 Cour provinciale du Manitoba. L'accusé a plaidé coupable à cinq chefs d'accusation pour trafic de crack (cocaïne base) possession pour fins de trafic et autres. La Cour rappelle qu'il s'agit d'une drogue dure et condamne l'accusé à 4 années d'emprisonnement.

g) La Reine c. Challenger: 2001 CarswellOnt. 3823 Cour supérieure de l'Ontario. Pour trois trafics de crack de 1 once à deux occasions et 4 onces, l'accusé n'ayant aucun antécédent judiciaire s'est vu imposer une peine de 3½ ans de pénitencier. La Cour souligne au paragraphe 4 que: "Mr. Challenger here was not selling drugs in order to support his own habit. He was not a mere strict dealer of crack cocaine. The quantities in which he was selling label him as an occupant of a significantly higher level up the ladder of distribution. He was a supplier and apparently callows to the damage that could be caused to society and individuals by the drugs he was selling."

h) La Reine c. Clements (2002) N.S.J. No 136 (N.S.S.C.). La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse imposait une sentence de 2 ans d'emprisonnement pour trafic de crack (cocaïne base) de 0.21 grammes, 0.23 grammes et 0.23 grammes. Le Tribunal rappelait les effets néfastes de cette drogue. Cette même Cour a imposé des sentences de pénitencier pour des trafiquants de crack dans les cause de R. c. Gray (2001) NSSC 195 et R. c. Smiley 2001 CarswellNS 511.

[12] Les procureurs des accusés ont d'ailleurs soumis une jurisprudence exhaustive sur le sujet. En plus d'invoquer l'arrêt R. c. Proulx de la Cour suprême 2000 CSC 5 (CanLII), (2000) 1 R.C.S. 61, ils ont soumis les causes suivantes:

- La Reine c. Stéphane Desbiens: C.Q. (13-12-2001) No: 150-01-000605-999. L'accusé a plaidé coupable à une accusation de possession de 5 onces de cocaïne en vue d'en faire le trafic. Considérant notamment que l'agent de probation évoque une peine qui pourrait être purgée dans la collectivité et la réhabilitation de l'accusé, la Cour impose une peine de 2 ans moins un jour à être purgée dans la collectivité.

- La Reine c. Emmanuel Viettro Borges: C.A.Q. 10-10-00, No: 500-10-001844-008. Une peine de 30 mois a été imposée pour importation de 1,214 grammes de cocaïne et de complot à cette fin. La Cour d'appel a infirmé ce jugement considérant les circonstances particulières de l'espèce; notamment l'absence d'antécédents judiciaires, le fait que les concepteurs du crime étaient impunis et qu'ils ont exploité de façon grossière la naïveté de l'accusé, sa collaboration immédiate avec les autorités et a substitué une peine de 2 ans moins un jour avec sursis.

- La Reine c. Coley, Forand, Daniel L'Heureux et Éric L'Heureux: C.Q. 14-04-00, No: 755-73-000017-968, 755-73-000018-966, 755-73-000019-964 et 755-73-000020-962. Les accusés ont été déclarés coupables d'importation de haschich, soit 2538 grammes. Le Tribunal a imposé à chacun des accusés une peine de 12 mois d'emprisonnement à être purgée dans la collectivité. Il faut retenir qu'il ne s'agissait que d'une transaction. Deux des accusés n'avaient aucun antécédent judiciaire et les deux autres en possédaient très peu; la poursuite admettait que le fait de purger une peine dans la collectivité ne mettrait pas en danger la sécurité de celle-ci.

- La Reine c. Nadine Gagnon: C.A.Q. 9-09-98 No: 500-10-001147-972. Dans cette cause la Cour d'appel a modifié une peine de 12 mois d'emprisonnement en ordonnant que celle-ci soit purgée au sein de la collectivité. Dans cette affaire Nadine Gagnon était accusée d'avoir importé 331 grammes de haschich. Elle ne possédait pas de casier judiciaire, elle a bénéficié d'un rapport présentenciel très favorable et il s'agissait de haschich. La Cour d'appel rappelle que l'emprisonnement est le dernier recours.

- La Reine c. Gabriel Larouche: C.Q. 21-09-2001, No: 605-01-002995-011. L'accusé a plaidé coupable à des accusations de production de cannabis et de possession en vue d'en faire le trafic. Il n'avait aucun antécédent judiciaire en semblable matière et n'en possédait qu'un seul d'entrave à un agent de la paix dans l'exécution de ses fonctions. La Cour a donc imposé une peine de 23 mois d'emprisonnement avec sursis.

- La Reine c. Peter Prokos: C.A.Q., 8-06-98, No: 500-10-001120-979. L'accusé avait plaidé coupable à 7 chefs d'accusation de trafic et de possession en vue de faire le trafic d'héroïne. La Cour d'appel a confirmé la peine de 23 mois d'emprisonnement avec sursis en ajoutant toutefois une modification à l'ordonnance de sursis imposée par le juge de première instance. L'accusé n'avait aucun antécédent judiciaire et bénéficiait d'un rapport présentenciel favorable. La Cour a souligné qu'il s'agissait d'un cas d'espèce.

- La Reine c. Alain Dionne: C.Q., 4-11-09, No: 500-01-017383-958. L'accusé a plaidé coupable à des infractions de trafic, de possession pour fins de trafic, de cocaïne et possession pour fins de trafic de haschich et marijuana. Il ne possédait aucun antécédent judiciaire et occupait un emploi. Le rapport présentenciel concluait qu'une sentence d'encadrement en milieu ouvert serait appropriée. Le Tribunal a imposé une peine de 24 mois moins un jour d'emprisonnement à être purgée dans la communauté.

- La Reine c. Martin Robert: C.A., 10-03-99, No: 700-01-010288-960. Le Tribunal a imposé une peine de 20 mois d'emprisonnement à être purgée dans la collectivité et ce, malgré qu'il possédait quelques antécédents judiciaires pour un chef d'accusation de possession de cocaïne dans le but de faire le trafic. Le Tribunal a retenu que l'accusé s'était, depuis les infractions, repris en main, travaillait et n'avait plus de contacts avec le milieu criminalisé.

- La Reine c. Norris: 2001 B.C.C.A. 374. Il s'agit d'un appel à l'encontre d'une sentence de 4 mois d'emprisonnement et une probation d'une année concernant des accusations de possession de crack (cocaïne base) pour fins de trafic. La Cour d'appel a rejeté l'appel de la poursuite soulignant entre autres qu'il s'agit d'un cas particulier et pathétique: "This is also a case that called for a large measure of compassion. The respondent is a relatively young woman who has two life threatening medical conditions. Her child was apprehended at age two because the respondent's drug addiction rendered her incapable of looking after the child. In my opinion, the trial judge rightly took into account that the respondent's health concerns and her desire to reunite with her child may provide the spur to achieve rehabilitation. The respondent may not have many years left and so I think that rehabilitation attempts are urgent."

[13] Force est de constater qu'iI y a peu de causes impliquant du crack (cocaïne base) et que dans l'ensemble des décisions soumises, les accusés n'avaient pas ou peu d'antécédents judiciaires.

dimanche 6 décembre 2009

Jurisprudence - Détermination de la peine pour les crimes d'incendie criminel prévus aux articles 433, 434 et 435 Ccr

R. c. Lalonde, 2009 QCCQ 1669 (CanLII)

[61] Des 36 autorités considérées, 23 concernent des affaires émanant du Québec, dont l'une a été jugée par la Cour suprême du Canada, 13 par la Cour d'appel du Québec, deux par la Cour supérieure et sept par la Cour du Québec. En outre, 17 de ces 23 jugements ont été rendus postérieurement au mois de septembre 1996, période de l'entrée en vigueur de la réforme en matière d'imposition de la peine et de l'introduction, en droit pénal canadien, de la mesure sentencielle de l'emprisonnement avec sursis.

[62] Mais comme l'arrêt de la Cour suprême concerne une affaire d'agression sexuelle et que la Poursuivante ne l'a incorporé à ses Recueils de sources que pour circonscrire la portée du principe de l'harmonisation des peines, c'est en réalité 22 affaires d'incendie criminel qu'elle propose, dont sept émanant de la Cour d'appel dans le contexte où une peine devait être infligée pour une accusation d'incendie criminel ayant mis la vie en danger (art. 433 C.cr.) ou pour une accusation équivalente. On sait en effet que l'article 433 a été adopté, dans sa version actuelle, en 1990 et que c'est à compter du 1er juillet de cette année-là que le nouveau crime créé par cette disposition a formellement commencé à être sanctionné.

[63] Puisque ce sont ces affaires qui sont les plus susceptibles d'être comparables à celle dont le Tribunal est maintenant saisi, ce sont à ces sept arrêts de la Cour d'appel du Québec que l'on s'attardera en premier lieu.

[64] Or, à leur examen, trois constats s'imposent, comme l'on sera à même de le confirmer plus loin.

[65] Le premier, c'est que lorsqu'un chef d'accusation fondé sur l'article 433 C.cr. doit être sanctionné, aucun Tribunal de première instance ou d'appel n'a imposé, dans ces affaires, de peine à purger dans la collectivité.

[66] Le deuxième, c'est que, en semblable contexte, la Cour d'appel n'a jamais infligé une peine d'incarcération inférieure à deux ans non plus, des peines de 18 mois et de deux ans imposées par les juges de première instance ayant en outre été majorées à 30 mois et à quatre ans par l'instance d'appel.

[67] Et le troisième, c'est que, toujours en semblable contexte, les peines finalement imposées ne se sont même jamais rapprochées du plancher de deux ans correspondant aux portes du pénitencier, la durée des peines d'emprisonnement infligées oscillant entre 29 mois et sept ans, avec une médiane avoisinant trois ans et une moyenne légèrement supérieure à cette durée.

[68] Devant une tendance aussi lourde, il est impératif de vérifier si les circonstances dans lesquelles ces crimes avaient été commis peuvent être comparées à celles du présent dossier.

[69] Le premier arrêt considéré est celui rendu par la Cour d'appel dans l'affaire R. c. Samson, 2005 QCCA 1140 (CanLII), 2005 QCCA 1140. L'accusé avait été déclaré coupable, par un jury, d'un chef d'accusation de meurtre au premier degré, et de deux chefs d'incendie criminel, dont l'un mettant en danger la vie humaine: il s'était rendu dans le centre d'hébergement pour femmes violentées où sa conjointe s'était réfugiée, l'avait abattue de sept coups de feu et avait incendié la résidence, après y avoir répandu de l'essence, au moment de quitter les lieux. Bien que la peine de sept ans de pénitencier infligée par la juge du procès, sur le chef d'incendie criminel ayant constitué un danger pour la vie humaine (art. 433 C.cr.), ait été confirmée par la Cour d'appel, il est impossible de dissocier cette sentence de celle d'emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, imposée à l'égard du chef d'accusation de meurtre au premier degré. De sorte que, ultimement, l'intérêt de ce précédent paraît bien secondaire.

[70] Il en va cependant autrement de l'affaire R. c. Gadoury, 2005 QCCA 1005 (CanLII), 2005 QCCA 1005, dans laquelle la Cour d'appel a majoré de deux à quatre ans la peine infligée à un individu psychologiquement instable qui, dans un contexte de conflit conjugal, avait volontairement mis le feu à une maison mobile dans laquelle se trouvaient trois personnes. Elle s'en explique dans les termes suivants, aux paragraphes 5 à 11:

«Le ministère public plaide que la peine de deux (2) ans est nettement déraisonnable dans les circonstances.

La Cour partage cette proposition.

Le crime commis par l'intimé est très sérieux et aurait même pu avoir des conséquences très graves pour les trois personnes qui se trouvaient dans la maison mobile au moment où il y a mis le feu.

Il s'agit d'un crime punissable par l'emprisonnement à perpétuité.

L'attitude de l'intimé après les événements est déplorable, notamment quand il cherche à faire croire qu'il s'agissait d'un accident.

La juge de première instance note, à raison, la nécessité de protéger la société et, au premier chef, les victimes de cet acte criminel.

La peine doit être suffisamment sévère pour rencontrer les objectifs de dissuasion et de dénonciation énoncés à l'article 718 C.cr..»

[71] Par ailleurs, dans l'affaire Verreault c. R., 2005 QCCA 20 (CanLII), 2005 QCCA 20, la Cour d'appel a confirmé la peine de trois ans de pénitencier infligée à un individu qui avait incendié un bâtiment situé à proximité d'une résidence pour personnes âgées. Bien qu'il n'ait pas été formellement accusé d'incendie criminel ayant mis la vie en danger, la Cour supérieure avait néanmoins considéré comme étant une circonstance aggravante très importante le fait que le sinistre ait mis la vie de 15 personnes en danger, dont les 12 voisins âgés et deux policiers. La Cour d'appel a alors réaffirmé la gravité des crimes de cette nature, aux paragraphes 2 et 4:

«Le juge de la Cour supérieure retient essentiellement les facteurs suivants: la préméditation, l'importance de l'incendie et des dommages matériels, les conséquences graves auxquelles les voisins et les pompiers ont été exposés, le jeune âge de l'appelant, l'absence d'antécédents judiciaires.

[…]

Le crime d'incendie criminel est grave. Il est passible d'une peine d'emprisonnement de 14 ans. L'appelant est à l'origine des actes criminels dont il devait être le premier bénéficiaire. Sa responsabilité est engagée au premier plan. Il est le maître d'œuvre des crimes qui ont mis en péril des vies humaines.»

[72] Or, bien que l'accusé n'ait pas été condamné pour le crime créé par l'article 433 C.cr., lequel emporte une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité plutôt que de 14 ans comme on l'a souligné antérieurement, la dynamique qui prévalait dans cette affaire présente une analogie certaine avec le dossier dont le Tribunal est maintenant saisi, la gravité objective du crime ainsi que le «jeune âge» de l'accusé constituant les seuls facteurs de différenciation. Comme ces particularités jouaient en faveur du dénommé Perreault, il faut voir dans cet arrêt un ordre de grandeur relativement fiable de ce que pourrait constituer la limite inférieure de la fourchette sentencielle envisageable dans la présente affaire.

[73] L'autorité qu'il faut accorder à l'arrêt rendu dans l'affaire R. c. Charron, C.A.Montréal 500-10-002318-028 (C.A.), le 22 août 2002, est cependant moindre. Il s'agit d'un dossier dans lequel la Cour d'appel a presque triplé, pour la porter à sept ans, la peine de 30 mois d'emprisonnement initialement imposée à un individu qui, agissant comme homme de main, avait froidement incendié un bâtiment alors qu'il savait très bien qu'une personne se trouvait à l'intérieur. Une jeune fille de 12 ans avait alors «subi de graves brûlures sur le côté gauche de son corps avant de sortir de la maison en flammes par une fenêtre»; elle avait «souffert le martyre et ses traitements […] ont duré de longs mois» (au par. 9). Mais l'accusé avait deux antécédents en matière de violence, avait commis le crime d'incendie alors qu'il était sous probation et devait être sentencé pour d'autres crimes par la même occasion (dont voies de fait, menaces, bris de promesse et bris d'engagement).

[74] Aussi faut-il voir dans ce précédent une indication de la limite supérieure de la fourchette sentencielle envisageable plutôt qu'une mesure de la peine moyenne ou médiane.

[75] L'affaire R. c. Darko, [1985] Q.J. No. 356 (C.A.), est en revanche plus significative. La Cour d'appel a alors porté de 18 mois à 30 mois d'emprisonnement la sentence imposée à un individu qui, à 1:45 heures du matin, avait mis le feu à une conciergerie de trois étages lui appartenant et dans laquelle se trouvaient des occupants. Comme l'article 433 C.cr. n'existait pas encore à l'époque, l'infraction à sanctionner en était une d'incendie criminel avec l'intention de frauder. La Cour n'en a pas moins considéré comme déterminant le fait que la perpétration du crime avait mis la vie d'autrui en danger, au paragraphe 5:

«The Respondent is 30, married, with two children. On the other hand, the crime was clearly premeditated and it represented not only an attempt to defraud the insurance company, but it also posed clear danger to life. For this reason alone, we would have been inclined to be more severe than the learned trial judge.»

[76] Il en est de même aussi de l'affaire R. c. Varin, [1982] J.Q. no 130 (C.A.), dans laquelle une accusation d'incendie criminel mettant la vie humaine en danger aurait peut-être été déposée si le crime avait existé à l'époque, puisque l'accusé avait mis à risque la vie de ses voisins en incendiant le garage dont il était propriétaire. En confirmant la peine d'emprisonnement de 29 mois infligée à cet individu sans antécédent judiciaire et travailleur, comme l'est du reste monsieur Lalonde, la Cour a pris soin de préciser les facteurs qui, à son avis, devaient être considérés comme prééminents, aux paragraphes 6 à 8:

«Varin est âgé de 48 ans, marié, sans enfant. Garagiste de métier, il n'a aucun antécédent judiciaire. Un rapport post-sentenciel, produit avec la permission de notre Cour, souligne son acharnement au travail et l'importance pour lui de pouvoir remettre son garage sur pied. Toutefois, à mon avis, ce rapport apporte peu de chose au dossier.

En imposant la sentence, le juge de première instance a tenu compte surtout des faits que le crime avait été soigneusement planifié et qu'il comportait des risques sérieux pour les occupants des maisons avoisinantes, risques que Varin ne pouvait ignorer. En effet, il y a eu une violente explosion à l'intérieur du garage et la maison contiguë a subi des dommages considérables. Toutefois, le juge n'a pas oublié les autres faits ni les facteurs d'exemplarité, d'uniformité et de réhabilitation. […]

Le crime que Varin a commis l'a rendu passible d'un emprisonnement de 14 ans. Dans les circonstances, je suis d'avis qu'une sentence de 2 ans et 5 mois d'emprisonnement, bien que sévère, ne l'est pas indûment.[…]»

[77] C'est par ailleurs en privilégiant la même grille d'analyse que la Cour d'appel avait confirmé l'imposition d'une peine de trois années de pénitencier dans l'affaire Bernier c. R., (1978) 5 C.R. (3d) S-1 (C.A.): l'accusé avait incendié une maison dont il était le locataire et avait en ce faisant mis la vie d'autrui en danger, mais il n'avait pas spécifiquement été accusé du crime prévu à l'article 433 C.cr. puisque cette infraction n'existait pas à l'époque. Or, la Cour souligne ce qui suit, au paragraphe 7:

«As can be seen from the trial judge's notes, he took into consideration such factors as the serious nature of the offence, exemplarity, and the fact that human life, as well as property, was placed in danger.»

[78] Que retenir de ce survol? Essentiellement que, indépendamment de l'introduction dans le Code criminel de l'infraction distincte d'incendie criminel mettant la vie humaine en danger, la Cour d'appel a réitéré de façon constante, au cours des 30 dernières années, que les crimes d'incendie criminel devaient être sanctionnés par des peines d'incarcération supérieures à deux ans lorsque la perpétration de ces crimes avait sérieusement porté atteinte à la vie ou à la sécurité de tiers. Et aussi que, en pareilles circonstances, une période d'emprisonnement avoisinant les 30 mois constitue en quelque sorte une peine plancher: c'est en effet ce qui ressort des affaires Varin (29 mois), Darko (30 mois), Bernier (trois ans) et Verreault (trois ans), celles-là même qui présentent la plus grande analogie avec le dossier dont le Tribunal est maintenant saisi.

[79] Ces enseignements ont par ailleurs été suivis par les tribunaux de première instance.

[80] Ainsi, dans l'affaire R. c. Westover, 2007 QCCQ 6029 (CanLII), 2007 QCCQ 6029, la Cour du Québec devait infliger une peine à un individu qui, au terme d'un procès, avait été déclaré coupable de sept chefs d'accusation, dont un d'incendie criminel avec intention de frauder et un autre d'homicide involontaire coupable, le chef d'incendie criminel ayant mis la vie d'autrui en danger ayant fait l'objet d'un arrêt conditionnel des procédures en raison de la déclaration de culpabilité sur le chef d'homicide involontaire. L'accusé avait alors accompagné le propriétaire d'une résidence et deux autres complices sur les lieux où ils avaient convenu de mettre le feu, avec l'intention de frauder l'assureur. Mais une explosion survenue au moment de l'épandage de l'accélérant avait embrasé le bâtiment et provoqué la mort du propriétaire, resté prisonnier à l'intérieur. Le complice fut condamné à six années de pénitencier.

[81] De même, dans l'affaire R. c. Bérubé, 2007 QCCQ 7079 (CanLII), 2007 QCCQ 7079, la Cour du Québec a infligé une peine de trois années de pénitencier à un individu déclaré coupable de sept chefs d'accusation, dont celui d'incendie criminel ayant mis la vie d'autrui en danger: propriétaire d'un immeuble, il avait commandé à des complices qu'on l'incendie, de façon à se libérer de la dette hypothécaire qui le grevait. Dans un contexte qui n'est pas sans rappeler celui du présent dossier, le juge Jean-Yves Tremblay a arrêté sa décision en tenant notamment compte du jugement que l'on évoquera maintenant.

[82] En effet, dans l'affaire R. c. Villeneuve, C.Q. Alma 160-01-000170-027, le 11 octobre 2002, la Cour du Québec a imposé une peine de 42 mois de pénitencier à un individu qui avait reconnu avoir incendié sa maison «sans se soucier qu'elle était habitée». Déstabilisé par une rupture conjugale qui avait mal tourné, l'accusé avait réagi à l'appel d'un huissier, l'informant qu'il se rendait chez lui pour saisir ses biens, en répandant de l'essence dans sa maison, en allumant l'incendie avec le chèque de 5 000 $ qu'il devait remettre à son ex-épouse et en avalant une trentaine de somnifères, avant de quitter les lieux. Mais, alerté par l'odeur d'essence, le locataire avait fui et s'était mis à l'abri. Le juge Pierre Lortie y écrit alors, aux paragraphes 47 et 48:

«Ici, le crime d'incendie est passible de la perpétuité en raison du risque causé à la vie du locataire. De plus, l'accusé représente un risque pour la société.

Le Tribunal conclut que les circonstances aggravantes l'emportent et qu'il faut en conséquence donner priorité aux facteurs de dénonciation, de dissuasion et d'isolation prévus à l'article 718. Cela correspond à l'orientation des cours d'appel dans les arrêts Charron [REJB 2002-33390 (C.A.)] et Lokhmachev [161 C.C.C. (3d) 451] précités.»

[83] Il est par ailleurs un autre jugement qui mérite d'être souligné, et ce bien qu'aucune accusation fondée sur l'article 433 C.cr. n'avait été déposée contre l'accusé. En effet, dans l'affaire R. c. Dion, C.Q. Abitibi 620-01-000302-938, le 28 mai 1995, la Cour du Québec devait infliger une peine à un individu déclaré coupable d'avoir incendié sa résidence en vue de percevoir l'indemnité d'assurance: comme dans le présent dossier, «la situation financière de l'accusé n'était pas désastreuse» et il avait commis le crime en vue de se procurer «d'importantes liquidités». En le condamnant à une peine d'incarcération de 20 mois, le juge Guy Gagnon sent le besoin de préciser que «l'accusé, dans son scénario, a pris soin de s'assurer que personne ne soit dans la maison lors du sinistre, l'agenda familial les amenant à Rouyn lors de cette journée» (à la page 2); il ajoute néanmoins (à la page 3) que «ce n'est pas parce que la maison était supposée être vide le jour du sinistre que cela excluait tout risque pour le voisinage immédiat», l'accusé ne tenant «certainement pas compte du danger qu'il ferait courir aux pompiers appelés sur les lieux afin de combattre le sinistre».

[84] C'est aussi une peine de 20 mois d'incarcération qui fut imposée dans l'affaire R. c. Lapointe, [1994] J.Q. no 2322 (C.S.), alors que la juge Dionysia Zerbisias, de la Cour supérieure, devait sanctionner le comportement d'un ancien boucher, devenu propriétaire d'un dépanneur, qui avait versé 5 000 $ à un tiers pour que ce dernier incendie son commerce. En difficultés financières, l'accusé s'était forgé un alibi, s'étant absenté avec sa famille de son logement situé au-dessus du commerce pendant deux samedis consécutifs, dont celui au cours duquel l'incendie avait éclaté; mais, un jeune policier s'était néanmoins précipité au logement de l'étage «pour sauver [les] deux enfants qui n'y étaient pas» (au paragraphe 9).

[85] Si les tribunaux de première instance sont ouverts à l'infliction d'une peine d'incarcération de moins de deux ans quand l'incendie criminel ne menace qu'indirectement la vie humaine (comme le révèlent les peines de 20 mois d'emprisonnement ferme imposées dans les affaires Dion et Lapointe, précédemment citées), il appert cependant, en revanche, que le plancher de 30 mois d'incarcération est généralement respecté lorsque l'incendie criminel a constitué une menace réelle et sérieuse à la vie et/ou à la sécurité de tiers (comme l'illustrent les peines d'incarcération de trois ans et de 42 mois infligées dans les affaires Bérubé et Villeneuve, aussi déjà citées).

[86] En regard de la jurisprudence émanant des tribunaux québécois, le principe de l'harmonisation des peines conduit donc effectivement à l'identification d'une fourchette sentencielle variant de 29 mois à sept ans de pénitencier lorsqu'il s'agit de sanctionner le crime enchâssé à l'article 433 C.cr., seuls les crimes d'incendie criminel causé à des biens n'appartenant pas en totalité à l'auteur du sinistre (art. 434 C.cr.) et d'incendie criminel avec l'intention de frauder un tiers (art. 435 C.cr.) étant susceptibles d'être sanctionnés par une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à deux ans: Sideris c. R., 2006 QCCA 1351 (CanLII), 2006 QCCA 1351, où la Cour d'appel a réduit de quatre à deux ans, conformément à la suggestion commune des procureurs dont le premier juge s'était écarté, la peine infligée à un mari éconduit qui avait mis le feu au restaurant de son ex-beau-père; R. c. Massicotte, EYB 1996-65431 (C.A.), où la Cour d'appel a porté, de 90 jours d'emprisonnement discontinu, à deux ans moins un jour d'emprisonnement ferme la peine infligée à un homme de 38 ans, et sans antécédent judiciaire, qui avait incendié le magasin de meubles de son employeur pour masquer un vol de 3 000 $ qu'il y avait préalablement commis.

[87] Et encore que, même quand il s'agit de sanctionner les crimes prévus aux articles 434 et 435 C.cr. par l'infliction d'une peine d'emprisonnement inférieure à deux ans, la Cour d'appel se montre généralement plus que réticente à envisager l'imposition d'une peine à purger dans la collectivité, comme le révèle l'arrêt récemment rendu dans l'affaire Mastantuano c. R., 2007 QCCA 1325 (CanLII), 2007 QCCA 1325, où la Cour a confirmé une peine de deux ans moins un jour d'incarcération infligée à un individu qui avait incendié l'immeuble commercial dans lequel se trouvait son salon de coiffure.

[88] L'état du droit est par ailleurs, à cet égard, sensiblement le même ailleurs au Canada: R. v. Munro, 2007 BCPC 178 (CanLII), 2007 BCPC 178 (30 mois pour un incendie criminel sans danger pour la vie humaine); R. v. Jones, 2006 BCPC 278 (CanLII), 2006 BCPC 278 (30 mois pour un incendie criminel ayant mis en danger la vie humaine); R. v. Cress, 2005 BCCA 493 (CanLII), 2005 BCCA 493 (32 mois pour un incendie criminel ayant mis en danger la vie humaine); R. v. Ramsey, 2005 WL 2002013 (C.S.Ont.) (30 mois pour un incendie criminel ayant mis en danger la vie humaine, sur suggestion commune des procureurs); R. v. Fournier, 2002 NBCA 71 (CanLII), (2002) 173 C.C.C. (3d) 566 (C.A.N.B.) (30 mois pour un incendie criminel ayant mis en danger la vie humaine, peine confirmée tout en étant qualifiée de clémente par la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick); R. v. Lokhmachev, 2001 NFCA 68 (CanLII), (2001) 161 C.C.C. (3d) 451 (C.A.T.N.) (cinq ans pour un incendie criminel ayant mis en danger la vie humaine, alors qu'un des complices avait été brûlé); R. v. Campeau, 1999 CanLII 2904 (ON C.A.), (1999) 122 O.A.C. 51 (C.A.Ont.) (18 mois d'emprisonnement ferme pour un incendie criminel ayant mis la sécurité de trois adultes et deux enfants en danger, mais dans un contexte où l'accusé avait fait preuve d'un comportement bizarre et largement inexpliqué, ayant apparemment agi sans mobile); R. v. Quigley, 105 B.C.A.C. 164 (C.A.C.B.) (peine de huit ans réduite à celle requise par la Couronne, soit cinq ans, pour un incendie criminel ayant mis la vie des autres locataires de l'immeuble incendié en danger alors que l'accusé éprouvait des problèmes de santé mentale).

[89] Aussi résulte-t-il de ce qui précède que, en réclamant en l'espèce l'infliction d'une peine de trois années de pénitencier, le Ministère public se démarque à peine, au titre du principe de l'harmonisation des peines, de la limite inférieure de la fourchette sentencielle envisageable.

Arrestation arbitraire dans le cadre d'une interpellation au hasard VS celle découlant d'une enquête légitime et légale

Harvey c. R., 2008 QCCA 1101 (CanLII)

[8] D'entrée de jeu, les policiers ont le pouvoir d'enquêter lorsqu'ils soupçonnent que la présence d'un véhicule à une heure tardive puisse être reliée à la commission de crimes dans le secteur en question ou, à tout le moins, leur paraît suspecte : R. c. Coates 2003 CanLII 36956 (ON C.A.), (2003), 176 C.C.C. (3d) 215 (C.A. Ont.).

[9] La surveillance du véhicule de l'appelante s'appuie donc sur un motif précis. Or, c'est au cours de l'exercice légitime de ce pouvoir d'enquête que les policiers remarquent que l'appelante, qui conduisait le véhicule, a une démarche lente à la sortie de celui-ci. S'approchant de l'appelante pour effectuer une vérification de ses papiers, les policiers dénotent une odeur d'alcool. Dès lors, ils ont des raisons de croire qu'une infraction au Code criminel a été commise.

[10] L'interpellation de l'appelante n'a pas été faite au hasard, mais s'inscrit plutôt dans la constatation de motifs précis et concrets permettant aux policiers de soupçonner la commission d'une infraction.

[12] Il importe de souligner qu'au moment où le policier se dirige vers l'appelante pour lui demander ses papiers, il n'a aucunement l'intention d'arrêter cette dernière. C'est lors de cette démarche qu’il constate des symptômes associés aux facultés affaiblies, lesquels lui fournissent des raisons de soupçonner que l'appelante conduisait avec les facultés affaiblies et lui permettent de demander un test de détection au sens de l'article 254(2) C.cr.

[13] Selon l’appelante, les policiers ne pouvaient se prévaloir de l’article 636 C.S.R. puisque son véhicule était garé dans une entrée privée et non en mouvement selon l’exigence énoncée à cette disposition.

[14] Or, les policiers ont le droit de vérifier, lorsqu’une personne circule avec un véhicule sur les chemins publics, si elle est titulaire d’un permis de conduire et d’un certificat d’immatriculation (articles 35 et 95 C.S.R.). Le fait que l’appelante venait de garer son véhicule dans une entrée privée n’affecte pas le droit du policier de vérifier ses papiers alors qu’il la voit en sortir.

[16] L'appelante soutient que l'article 636 C.S.R. n'a servi que de prétexte aux policiers pour leur permettre d'enquêter sans motif raisonnable. Cette proposition n'est pas étayée par la preuve.

[17] Au contraire, les policiers avaient un motif précis d’effectuer une vérification concernant la conductrice du véhicule : R. c. Wilson, 1990 CanLII 109 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 1291. Il faut se garder de confondre l'arrestation arbitraire dans le cadre d'une interpellation au hasard de celle découlant d'une enquête légitime et légale au cours de laquelle les policiers constatent la commission d'une infraction : R. c. Legault 2000 CanLII 7082 (QC C.A.), (2000), 148 C.C.C. (3d) 305 (C.A.Q.).

Le droit au silence VS une preuve directe et circonstancielle

R. c. Rapone, 2009 QCCQ 12909 (CanLII)

[49] Face à une preuve directe et circonstancielle, non repoussée et non contredite, l’accusé a choisi de ne pas réagir. Il n’a ni témoigné ni présenté de témoins au soutien de sa défense.

[50] L’accusé a le droit en tout temps de garder le silence et il n’est pas de mon intention de le commenter, mais comme le mentionnait le juge Lamer, alors juge en chef de la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. P. (M.B.) [1994] 1 R.C.S. 555 , p. 579 :

« Toutefois, quand le ministère public s’acquitte de son obligation de présenter une preuve prima facie non susceptible d’être écartée par une requête en obtention d’un verdict imposé d’acquittement, on peut légitimement s’attendre à ce que l’accusé réagisse en témoignant lui-même ou en citant d’autres témoins, et le défaut de le faire peut justifier des conclusions contraires :

En d’autres termes, lorsqu’on a présenté une «preuve complète» qui, si on y ajoute foi, entraînerait une déclaration de culpabilité, l’accusé ne peut plus demeurer passif dans le processus accusatoire et devient - dans un sens large – contraignable, c’est-à-dire que l’accusé doit répondre à la preuve présentée contre lui ou courir le risque d’être déclaré coupable. »

[51] Dans l’arrêt R. c. Lepage [1995] 1 R.C.S. 654 , 670-671, paragr. 29, le juge Sopinka cite avec approbation un passage pertinent de l’arrêt R. c. Johnson (1993), 12 O.R. (3d) 340 (C.A.) tiré des p. 347 et 348 :

« […] Ce n’est pas tant que l’omission de témoigner justifie une conclusion de culpabilité, c’est plutôt qu’elle prive le Tribunal de motifs de tirer une autre conclusion. Lorsqu’elle est ainsi rattachée à la solidité de la preuve du ministère public, l’omission de témoigner ne diffère en rien de l’omission de présenter d’autres éléments de preuve à décharge […] Lorsque la preuve du ministère public exige une explication, l’accusé doit être disposé à accepter les conséquences défavorables de sa décision de garder le silence :»

[52] La preuve à charge n’a été contrée par aucune réplique de l’accusé permettant d’expliquer sa conduite lors des incidents reprochés. (...) En outre, des éléments de preuve circonstancielle crédibles confirment son témoignage et convergent directement vers l’accusé quant à sa participation au crime. Aucun doute raisonnable n’a été soulevé sur la culpabilité de l’accusé. C’est la seule conclusion rationnelle que l’on puisse tirer des faits prouvés : R. c. Sabater, 2009 QCCA 1775 , paragr. 14; R. c. Griffin, 2009 CSC 28 , paragr. 33.

jeudi 3 décembre 2009

La déclaration incriminante qui fait l’objet du voir-dire est survenue alors que les interlocuteurs étaient au téléphone. Y a-t-il alors détention?

R. c. Desgagnés, 2009 CanLII 51756 (QC C.M.)

[20] L’arrêt R. c. Mann, 2004 CSC 52 (CanLII), [2004] 3 R.C.S., 59 indique au paragraphe 19 :

« Au Canada, il a été jugé que le terme « détention » vise un large éventail de contacts entre les policiers et les citoyens.»

[21] Et plus loin, au même paragraphe :

« Cependant, les droits constitutionnels reconnus par les art. 9 et 10 de la Charte n’entrent pas en jeu lorsque le retard n’implique pas l’application de contraintes physiques ou psychologiques appréciables. »

[22] J’estime que lorsque l’agent Clément informe le défendeur, lors de son appel téléphonique, qu’elle veut procéder à son arrestation, le défendeur se voit alors appliquer une contrainte psychologique appréciable.

[23] À cet effet, un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, R. v. Harris, [2007] O.J. 3185, indique au paragraphe 17 :

« A person is detained when physically restrained by the police. Psychological restraint will also constitute detention. A person who complies with a police direction or command reasonably believing that he or she has no choice is detained for the purposes of ss. 9 and 10 of the Charter: R. v. Therens 1985 CanLII 29 (S.C.C.), (1985), 18 C.C.C. (3d) 481 at 505 (S.C.C.); R. v. Mann 2004 SCC 52 (CanLII), (2004), 185 C.C.C. (3d) 308 et 319 (S.C.C.)

[24] L’article 7 de la Charte prévoit en faveur d’un défendeur le droit de garder le silence.

[25] En faisant référence à l’arrêt R. c. Hébert, 1990 CanLII 118 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 151, le juge Pierre Béliveau, j.c.s., indique dans le TRAITÉ GÉNÉRAL DE PREUVE ET DE PROCÉDURE PÉNALES, Édition 2008, Les Éditions Thémis, au paragraphe 1031 :

« Comme on peut le constater, cela implique qu’il peut y avoir violation du droit au silence de l’accusé même si celui-ci avait un esprit conscient, puisque l’analyse se fait non pas en fonction de ce qu’a vécu le détenu, mais eu égard au caractère équitable de la conduite des policiers. Comme le dit la juge McLachlin, il faut apprécier la situation objectivement, et non subjectivement. Cela s’explique par le fait que l’objet premier de la règle de confession en est un de fiabilité, alors que l’objet premier de la garantie du droit au silence en est un d’équité.»

[28] Un des paragraphes les plus importants de l’arrêt R. c. Grant est certainement le paragraphe 44 qui énonce :

« En résumé, nous arrivons aux conclusions suivantes :

1. La détention visée aux art. 9 et 10 de la Charte s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a détention psychologique quand l’individu est légalement tenu d’obtempérer à une demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite de l’État, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer.

2. En l’absence de contrainte physique ou d’obligation légale, il peut être difficile de savoir si une personne a été mise en détention ou non. Pour déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation conclurait qu’elle a été privée par l’État de sa liberté de choix, le tribunal peut tenir compte, notamment, des facteurs suivants :

a) Les circonstances à l’origine du contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement les percevoir : les policiers fournissaient-ils une aide générale, assuraient-ils simplement le maintien de l’ordre, menaient-ils une enquête générale sur un incident particulier, ou visaient-ils précisément la personne en cause dans le cadre d’une enquête ciblée?

b) La nature de la conduite des policiers, notamment les mots employés, le recours au contact physique, le lieu de l’interaction, la présence d’autres personnes et la durée de l’interaction.

c) Les caractéristiques ou la situation particulière de la personne, selon leur pertinence, notamment son âge, sa stature, son appartenance à une minorité ou son degré de discernement. »

[29] L’arrêt R. c. Suberu réitère l’arrêt R. c. Grant en faisant spécifiquement référence au paragraphe 25, à l’ensemble du paragraphe 44 de l’arrêt Grant.

[30] L’arrêt Suberu réitère également la définition « détention » au paragraphe 21 comme suit :

« Dans l’arrêt Grant, nous avons donné une définition téléologique de la « détention » et nous avons statué qu’une « détention », pour l’application de la Charte, s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable de la part de l’État. Reconnaître que la détention peut se manifester sous une forme physique ou psychologique est compatible avec notre opinion selon laquelle les mesures prises par les policiers peuvent être assez coercitives pour que la personne visée bénéficie de la protection offerte par les art. 9 et 10 de la Charte, même si elle n’est ni incarcérée ni menottée. »

[31] Il est évident que pour la Cour suprême, lorsque les événements constituant l’interaction entre un policier représentant de l’État et un citoyen se cristallisent pour conclure objectivement en une détention, l’article 10b) de la Charte entraîne l’obligation pour l’agent de la paix d’informer le citoyen de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat.

[32] Au paragraphe 41 de l’arrêt Suberu, la Cour suprême interprète l’expression « sans délai » comme suit :

« Dès le début de la détention, le détenu se trouve dans un état de vulnérabilité face à l’État. Par conséquent, les problèmes de l’auto-incrimination et de l’entrave à la liberté auxquels l’al. 10b) tente de répondre se posent dès la mise en détention.

Si l’on veut protéger une personne contre le risque d’auto-incrimination auquel elle est exposée du fait que l’État la prive de sa liberté et l’aider à recouvrer sa liberté, il est tout à fait logique que l’expression « sans délai » doive être interprétée comme signifiant « immédiatement ». Pour que le droit à l’assistance d’un avocat, garanti par l’al. 10b), atteigne son objectif qui consiste à atténuer le désavantage et le risque juridiques découlant de la mise en détention et à aider les détenus à recouvrer leur liberté, les policiers doivent les informer immédiatement de leur droit à l’assistance d’un avocat, dès la mise en détention. »

[33] Dans un tel contexte, l’arrêt R. c. Grant exige d’examiner s’il y a lieu d’écarter les éléments de preuve obtenus en violation de droits garantis par la Charte. En effet, cette analyse élaborée se retrouve entre les paragraphes 59 et 128 de l’arrêt Grant.

[35] En examinant tous les facteurs dont doit tenir compte un décideur tels qu’énumérés par l’arrêt Grant, j’estime que le paragraphe 95 de cet arrêt est fort révélateur en mentionnant :

« […] L’omission d’informer le détenu de son droit de consulter un avocat porte atteinte à son droit de décider utilement et de façon éclairée s’il parlera aux policiers, à son droit connexe de garder le silence et, plus fondamentalement à la protection contre l’auto-incrimination testimoniale dont il jouit. Ces droits protègent l’intérêt qu’ont les individus d’être libres et autonomes; leur violation tend à militer en faveur de l’exclusion des déclarations. »

mercredi 2 décembre 2009

La définition d’arrestation

R. c. Latimer, 1997 CanLII 405 (C.S.C.)

24 Quelle qu’ait pu être l’intention des agents, toutefois, leur conduite a eu pour effet de placer M. Latimer en état d’arrestation. Il suffit de consulter la définition d’arrestation que notre Cour a élaborée dans l’arrêt R. c. Whitfield, 1969 CanLII 4 (C.S.C.), [1970] R.C.S. 46, pour le comprendre. Le juge Judson, au nom des juges majoritaires, a statué qu’une arrestation consiste à (i) appréhender au corps ou toucher une personne dans le but de la détenir, ou (ii) à prononcer des mots indiquant l’arrestation à une personne qui se soumet à l’agent qui procède à l’arrestation. Le juge n’a pas précisé les mots qu’il fallait prononcer, mais je pense que nous devons refuser la vision étroite proposée par l’appelant, savoir que seul le mot «arrestation» convient. Comme notre Cour l’a affirmé relativement à l’al. 10a) de la Charte, dans l’arrêt R. c. Evans, 1991 CanLII 98 (C.S.C.), [1991] 1 R.C.S. 869, à la p. 888, ce qui importe

. . . c’est la substance de ce qu’on peut raisonnablement supposer que l’appelant a compris qui est déterminante plutôt que le formalisme des mots exacts utilisés. Il s’agit donc de savoir si ce qui a été dit à l’accusé, considéré raisonnablement en fonction de toutes les circonstances de l’affaire . . .

Principes juridiques énoncés par le juge Discepola relatif à l'entrave à un agent de la paix

R. v. Bentley, 2003 CanLII 55414 (QC C.M.)

[12] Sec. 129 of the Criminal Code uses the term “resist” and “obstructs” in the same paragraph. It will be helpful to examine these two concepts and to determine whether they constitute two separate offences or whether they are two ways of committing the same offence.

A) OBSTRUCTION

[13] The prosecution must prove the following essential elements in order to constitute an obstruction:

a) peace officer

b) in the execution of a duty

c) wilfully obstructs.

[14] The defence, and the evidence confirms this, admits that they were police officers in the execution of a duty.

[15] Does the evidence establish the mental element of “wilfully” obstructs?

i) "wilfully"

[16] The notion of "wilfully obstructs a public officer" denotes a voluntary act, committed deliberately and consciously as opposed to an involuntary or accidental gesture, acted out by a person who realises the consequences of his gesture ("objective foreseeability of the result") or should reasonably foresee such consequences taking into account his intellectual ability ("subjective foreseeability").

[17] In R. v. Vukorepa, Justice Taliano defines the term "wilfully" as follows:

"... wilful is defined as something that is done deliberately. It is not accidental it is not without purpose. It is something done of one's own free will and not compulsory. It is the act of doing something in a particular way".

[18] It is therefore not necessary to form a specific intent to act in such a way as to specifically obstruct the peace officer's duty. It is sufficient that the offender have a general intent to do an act which has, in fact, obstructed the peace officer:

« L'entrave d'un agent de la paix est une offense d'intention générale, dont la composante factuelle est simplement d'avoir posé un geste, d'avoir adopté un comportement qui rend plus difficile - pas nécessairement qui empêche - mais qui rend plus difficile, plus onéreux l'activité, le travail de l'agent de la paix." »

ii) "obstructs"

[19] In most cases the accused performs a physical act which obstructs a peace officer in the execution of his duty.

[20] Obstruction is not, however, limited to a physical contact with a peace officer. This concept is wide enough to encompass an unlimited number of acts or circumstances including “non-physical” obstruction. For example:

R. v. Gunn a lawyer told his client, who was about to be legally arrested, to leave the premises. The Alberta Court of Appeal decided that this constituted an obstruction.

R. v. Warrell the judge concluded that a police officer has the power to establish a secure area around his police car when proceeding to arrest an individual. Attempts to enter this area constitutes obstruction.

R. v. Westlie, notifying people of a police presence constitutes an obstruction.

R. v. Akrofi destroying or hiding evidence constitutes an obstruction.

[21] An obstruction can also occur when one does not comply with a police officer’s order or request. However, in such cases the order or request must be authorized by a clear provision of a statute (a by-law or the Criminal Code) or a common law power to issue the request or order or a common law duty to comply with the order or request.

[22] Naturally, common law powers are judge made powers based on policy to enable the police to preserve the public peace, as it relates to the protection of life and property, effectively investigate and prevent crimes.

[23] When police base their power on a statute the statute must specifically provide a legal duty to obey the order or request. If not it can be inferred that the legislator has consciously decided not to grant such a power.

[24] A good example of this principle can be found in R. v. Sharma, where the police officer alleged that he was acting on a municipal by-law when he orders a street vendor to remove his wares. The court concluded that his refusal did not constitute an obstruction since the statute did not contain any arrest powers or power to order removal or any obligation to comply.

[25] On the contrary in Daniluk v. The King, the statute in question did contain a duty to comply with a police officers order and the refusal to comply constitutes an obstruction.

[26] Thus, in R. v. Semeniuk and R. v. Lavin defendants were found not guilty of obstruction since there was no statutory or common law duty to obey an order in the statute on which the police were acting.

[27] Examples of common law powers can be found in :


R. v. Welygan, obstruction for having refused to comply with a police officer’s request to leave the room where the complainant was being interviewed.

R. v. Rosehart, while responding to a call regarding a stolen car, the defendant begins to flee on foot ignoring a police call to stop. He is found guilty of obstructing.

R. v. Watkins, court concluded that there was an obstruction in the refusal to obey a police order to disperse in five minutes since the order to disperse was based on the common law power to preserve the peace.

R. v. Rousseau the court decided that one’s refusal to move out of a secure area at the request of a police officer constituted an obstruction.

R. v. Bouchard et al: instead of obeying an order to disperse the defendants sit passively on the street and interlock arms. The judge found defendants guilty of obstruction most probably because of the act of interlocking arms which constitutes more than mere passive resistance.

R. v. Trépanier, police respond to a complaint of loud music in a dwelling. Defendant refuses to obey an order to open his door. Superior court concludes that defendant had no statutory obligation to open the door. The Court of Appeal grants the appeal and concludes that it is an obstruction.

B) RESIST

[28] There is a wide range of case law dealing with the concept of obstruction, but few cases dealing with the concept of “resists”.

[29] In R. v. Alaimo the court found that the concept of resisting a peace officer requires some direct confrontation with and some small degree of force by the defendant against a peace officer. A charge of resisting by disobeying a police warning was dismissed.

[30] R. v. Marcocchio echoes the same basic reasoning:
“Acts of positive physical resistance amounting to so-called «forcible means » offered by an accused to a police officer... constitutes the sort of resistance that is contemplated by s. 129... resistance without some degree of applied force, is generally found to be outside the scope of s. 129...”

[31] Also R. v. Stortini:
“,,, the word resist is properly descriptive of acts of opposition to the efforts of the officer demonstrated by direct activity of a physical sort... it must be shown that the accused employed « forcible » means to prevent the execution of an endeavour in which force is employed against him.”

[32] It is, however, not necessary that physical force be used directly against the police officer:

R. v. Martin. Defendant struggled for 15 minutes with police who were trying to place him in a police car.

R. v. Nukon defendant found guilty for struggling to avoid being arrested.

R. v. Hutton, defendant determined not to voluntarily enter the police vehicle « maximum effort » was needed to force him into the vehicle.

[33] Naturally, based on the above definition, passive resistance, that is absence of any degree of physical resistance against a police officer does not constitute resistence. In R. v. Stortini, defendant refused to accompany police officers to the police car. He was lifted and carried to the car. No physical force was used by defendant, thus he was found not guilty of resisting.

[34] In R. v. Stortini, the judge underlines the fact that the charge alleged «resist» and not «obstruct». Quare: whether a charge of obstruction could have succeeded? One must keep in mind however, the following passage (not necessarily the prevailing case law) in R. v. Fix:

... passive resistance seems to me you are saying that because the resistance is passive that it’s not resistance... section does not talk about passive or active resistance... it doesn’t matter whether the resistance was passive or active. “

C) RESIST - OBSTRUCT: TWO OFFENCES?

[35] This Court has not found any Superior court case law on this point. A few provincial courts have however, examined this point.

[36] R. v. Alaimo, the judge concluded that “resisting” and “obstructs” are two separate offences. He did so however mainly by reasoning that the two concepts require a different intent. “Wilfully obstruct” requiring a specific intent and “... absence of the word “wilfully” before the word “resists” would seem to dispense with the intentional aspect of the offence of “resisting”. In subsequent cases it was decided that “obstruct” is a general intent offence.

[37] In R. v. Cardinal the judge seems to disagree with R. v. Alaimo:

“... the two words are so similar in meaning that the gravamen of the wrongful act... [is the same] namely: interference with a peace officer executing his duty... they can be alleged in the alternative count.”

[38] The judge seems to suggest that the charge could be amendment from “obstruct” to “resist”, furthermore in the circumstances of the case he felt that it was not necessary to amend it.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

L’interventionnisme d'un juge peut interférer avec le droit à une défense pleine et entière de l’accusé ou laissé naître une crainte raisonnable de partialité

A.P. c. R., 2022 QCCA 1494 Lien vers la décision [ 113 ]     L’appelant fait valoir que la juge est intervenue à plusieurs reprises en l’abs...