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jeudi 26 août 2010

Dans l'arrêt Collins, le juge Lamer a établi une liste non exhaustive des facteurs le plus souvent retenus par les tribunaux pour déterminer si l'utilisation d'une preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice

R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265

35. Le paragraphe 24(2) enjoint au juge qui détermine si l'utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, de tenir compte de "toutes les circonstances". De nombreux tribunaux canadiens ont énuméré les facteurs à prendre en considération et à évaluer (voir en particulier ce que dit le juge Anderson dans l'arrêt R. v. Cohen 1983 CanLII 232 (BC C.A.), (1983), 5 C.C.C. (3d) 156 (C.A.C.‑B.); le juge en chef Howland dans l'arrêt R. v. Simmons reflex, (1984), 11 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.); le juge Philp dans l'arrêt R. v. Pohoretsky 1985 CanLII 110 (MB C.A.), (1985), 18 C.C.C. (3d) 104 (C.A. Man.); le juge MacDonald dans l'arrêt R. v. Dyment 1986 CanLII 115 (PE S.C.A.D.), (1986), 25 C.C.C. (3d) 120 (C.A.Î.‑P.‑é.) et le juge Lambert dans l'arrêt R. v. Gladstone 1985 CanLII 109 (BC C.A.), (1985), 22 C.C.C. (3d) 151 (C.A.C.‑B.)); et le juge Seaton en l'espèce. Les facteurs les plus souvent retenus par les tribunaux sont les suivants:

− quel genre d'éléments de preuve a été obtenu?

− quel droit conféré par la Charte a été violé?

− la violation de la Charte était-elle grave ou s'agissait-il d'une simple irrégularité?

− la violation était-elle intentionnelle, volontaire ou flagrante, ou a-t-elle été commise par inadvertance ou de bonne foi?

− la violation a-t-elle eu lieu dans une situation d'urgence ou de nécessité?

− aurait-on pu avoir recours à d'autres méthodes d'enquête?

− les éléments de preuve auraient-ils été obtenus en tout état de cause?

− s'agit-il d'une infraction grave?

− les éléments de preuve recueillis sont-ils essentiels pour fonder l'accusation?

− existe-t-il d'autres recours?

Il faut se garder de conclure que je considère que cette liste constitue une énumération exhaustive des facteurs pertinents et je vais faire quelques commentaires généraux à leur égard."

*** Note de l'auteur de ce blog: Il faut garder le paragraphe 7 de l'arrêt R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7, les facteurs d’analyse n’ont pas changé ***

En l’absence du consentement de l’accusé, la preuve présentée aux fins de la procédure de voir-dire ne devrait pas s’appliquer au procès principal, bien qu'il pourrait y exister une exception

R. c. Simard, 2003 CanLII 32955 (QC C.Q.)

[19] L’expression « voir-dire », de la locution d’origine latine « verum dicere », désigne une vérification préalable à l’admissibilité d’une preuve.

[20] S’il a raison d’avancer que le procès se met en branle dès le dépôt des actes d’accusation et l’enregistrement de plaidoyer de non culpabilité, le procureur du ministère public confond les buts différents que poursuivent la procédure dite de voir-dire et le procès lui-même lorsqu’il soutient, en plaidoirie, avoir été sous l’impression que toute la preuve présentée aux fins de la requête en vertu de la Charte devient, du même souffle, partie intégrante de toute la preuve au soutien des accusations.

[21] Dans l’arrêt Erven c. La Reine 1978 CanLII 19 (S.C.C.), (1979) 1 S.C.R. 926, la Cour suprême rappelle bien que les rôles du voir-dire et du procès lui-même diffèrent :

« Le voir-dire sert à déterminer l’admissibilité d’un élément de preuve. Le procès vise à trancher l’affaire au fond en fonction de la preuve recevable.

… la preuve présentée au voir-dire ne peut pas être utilisée au procès lui-même. »

[22] Cet énoncé de la règle, surtout connu, avant l’avènement de la Charte, en marge des questions relatives à l’admissibilité des déclarations d’un accusé, et cette démarcation qu’il convient de faire entre la procédure dite de voir-dire et du procès lui-même, s’appliquent tout autant à la contestation de l’admissibilité des preuves en violation de l’un des droits garantis par la Charte.

[23] Dans l’arrêt plus récent de R. c. Darrach 2000 CSC 46 (CanLII), (2000) 2 R.C.S. 443, la Cour suprême du Canada postule qu’un voir-dire « est une autre procédure au sens de l’article 13 de la Charte ». Elle y réaffirme clairement la distinction entre la procédure de voir-dire et le procès lui-même tenant au fait que la première ne fait pas partie du processus de la détermination de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé, une phase qui appartient au second.

[24] En fait, cette règle repose sur la prémisse fondamentale de la présomption d’innocence avec comme corollaires :

– l’État assume seul le fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé;

– l’État ne peut pas forcer le concours de l’accusé à la démonstration de sa culpabilité;

– l’accusé a le droit au silence et à ne pas s’incriminer, mais aussi, à un procès juste et équitable.

[25] Dès lors, il convient que l’accusé puisse, sans craindre de s’incriminer, contester l’admissibilité des preuves, notamment en appelant des témoins ou en déposant lui-même.

[26] En conséquence, en l’absence du consentement de l’accusé, la preuve présentée aux fins de la procédure de voir-dire ne devrait pas s’appliquer au procès principal.

[27] Toutefois, malgré la fermeté au moins apparente de l’état du droit sur la question, il n’est pas si certain que la Cour ne puisse pas passer outre le consentement de l’accusé à la condition de s’assurer de certaines garanties.

[28] Le contexte particulier et singulier de l’audition des présentes affaires invite à cette solution, la seule qui réponde aux fins d’une saine administration de la justice, en général, et à la recherche de la vérité, en particulier, sans desservir les intérêts et droits fondamentaux des accusés.

[29] Au vu des présentes circonstances, la Cour ne peut se résoudre à appliquer sans discernement une règle qui, en raison d’une erreur technique ou d’une bévue, évacuerait du dossier une preuve pertinente et légale qu’elle pourrait autrement avoir réintégré, à défaut de consentement des accusés, pour peu qu’elle ait été entièrement répétée avec toutefois les effets pervers que cela comporte au plan de la mobilisation des ressources humaines et du temps requis pour l’exercice.

[30] L’inapplication de cette règle aux faits de l’affaire n’enfreint nullement le droit des accusés à un procès juste et équitable. Il s’agit plutôt d’un cas rare où l’application sans nuance de la règle déconsidérerait l’administration de la justice.

mercredi 25 août 2010

Le mauvais état de santé de l'accusé ne constitue pas en soi un facteur décisif, sauf circonstances exceptionnelles

R. c. D.B., 2008 QCCA 798 (CanLII)

Lien vers la décision

[20] Comme il l'explique d'ailleurs dans ce même arrêt, aucune infraction, aussi grave soit-elle, ne peut être exclue de la possibilité d'une ordonnance d'emprisonnement avec sursis, hormis celles où une peine minimale d'emprisonnement est prévue, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[21] La Cour a déjà rendu plusieurs arrêts sur l'impact que peut avoir la santé de l'accusé sur la peine. Cette jurisprudence, comme d'ailleurs celles des autres provinces canadiennes, est à l'effet que le mauvais état de santé de l'accusé ne constitue pas en soi un facteur décisif, sauf circonstances exceptionnelles.

[22] Dans Savard c. La Reine, notre Cour a permis que la peine d'emprisonnement soit purgée dans la communauté parce que l'appelant était atteint d'un cancer incurable et que son décès était imminent.

[23] Dans Grégory c. La Reine, la Cour a permis à l'intimée qui avait contracté le virus du sida et dont la mort était imminente de purger sa peine dans une maison de transition.

[24] Dans U.D. c. La Reine, la Cour a autorisé l'emprisonnement avec sursis (avec le consentement du ministère public) dans le cas d'un homme de 70 ans affligé d'une condition médicale morbide nécessitant des traitements constants.

[25] Au Manitoba, on peut signaler également deux affaires où, dans des circonstances exceptionnelles, la Cour d'appel a imposé une peine d'emprisonnement avec sursis. Dans le premier cas, l'accusé de 71 ans souffrait de dystrophie musculaire. Dans le second, l'accusé était en phase terminale d'un cancer.

[26] Par contre, notre Cour a refusé d'appliquer cette mesure dans le cas d'une personne déclarée coupable d'homicide involontaire d'un enfant de trois ans et qui, au moment du procès, avait été victime d'un infarctus. M. le juge Hilton écrivait à cet égard :

Moreover, as the case-law shows, there has to be a considerable degree of medical misfortune or disability in place before health factors can be considered as a compassionate basis to impose a sentence on incarceration less than what it might be otherwise, especially as it relates to a crime of violence such as this one. Such is not the case of Mr. Alcius. Quite simply, the trial judge ought not to have taken this factor into account as an attenuating factor.

[27] Les mêmes principes ont été appliqués dans les affaires A.D. c. La Reine, Champagne c. La Reine, Colas c. La Reine, Ekuban c. La Reine, J.C.B. c. La Reine, Martin c. La Reine et plus récemment dans P.L. c. La Reine et R. c. J.P. Ce n'est donc pas parce que l'état de santé de l'accusé est douteux ou même précaire et le fait que l'emprisonnement puisse constituer un fardeau additionnel que le sursis doit ou peut être prononcé.

[28] En l'espèce, l'intimé n'est pas en phase terminale, mais en traitement qui d'après la preuve au dossier a des chances de réussir. Il est en preuve, en outre, que les autorités carcérales sont tout à fait en mesure de lui assurer les soins requis.

[29] Avec respect pour le premier juge, la peine prononcée ne reflète pas la gravité des crimes commis. Celui-ci note en effet, n'eût été de l'état de santé de l'intimé, qu'une peine de six ans aurait dû normalement être imposée. Or, l'état de santé de l'intimé selon la preuve au dossier et en tenant compte des paramètres jurisprudentiels examinés plus haut n'est pas tel qu'il pouvait permettre pour des raisons humanitaires d'appliquer le sursis.

[30] En somme, la peine imposée par le premier juge ne reflète pas la gravité des crimes commis et ne saurait se justifier simplement par l'individualisation de celle-ci dans les circonstances précédemment décrites.

*** Voir le billet diffusé sur ce blog le 27 juillet 2010, qui reprend la revue de la jurisprudence du juge de 1ère instance R. c. D.B., 2007 QCCQ 12664 (CanLII) ***

L'article 41 du Code criminel / les quatre critères cumulatifs essentiels de ce qui qualifie une intrusion et ce qu'est le voies de fait par intrus

R. c. Hammouzine, 2009 QCCQ 12944 (CanLII)

[16] L'article 41 du Code criminel se lit comme suit: « 41(1) Défense de la maison ou du bien immeuble – Quiconque est en possession paisible d'une maison d'habitation ou d'un bien immeuble, comme celui qui lui prête légalement main-forte ou agit sous son autorité, est fondé à employer la force pour en empêcher l'intrusion par qui que ce soit, ou pour en éloigne un intrus, s'il ne fait usage que de la force nécessaire. 41(2) Voies de fait par un intrus - Un intrus qui résiste à une tentative, par quiconque est en possession paisible d'une maison d'habitation ou d'un bien immeuble, ou par quiconque prête légalement main-forte à cette personne ou agit sous son autorité, de l'empêcher d'entrer ou de l'éloigner, est réputé avoir commis des voies de fait sans justification ni provocation. »

[17] L’article 41 du Code criminel du Canada (C. Cr.) habilite le possesseur paisible d’un bien immeuble à utiliser la force nécessaire contre un intrus pour l’en éloigner ou lui en empêcher l’accès. Un intrus résistant est, par contre, susceptible de faire l’objet d’une accusation de voies de fait (R. c. Ben-Hafsia, 550-36-000024-016, 2001, (QC C.S); voir également R. c. Stewart, 500-10-000302-933, 1997, CAQ).

[18] La jurisprudence a déjà établi quatre critères cumulatifs essentiels de ce qui qualifie une intrusion. Ainsi au terme de l'arrêt R. c. Gunning, 2005 CSC 27 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 627 : « Le moyen de défense …comporte quatre volets : (1) il doit avoir été en possession de la maison d’habitation; (2) sa possession devait être paisible; (3) (l'accusé)… doit avoir été un intrus; (4) la force employée pour expulser l’intrus doit avoir été raisonnable dans les circonstances ».

[19] STATUT D'INTRUS ET MESURES D'ÉLOIGNEMENT. Le droit d'éloigner un intrus de la part de la victime a au moins en théorie une certaine légitimité (R. c. Vallée, 1993 CanLII 4303 (QC C.A.), [1994] R.J.Q. 330 (QC C.A.)) « L'article 41(1) C.cr. contient deux volets: l'un vise à empêcher l'intrusion et l'autre à éloigner une personne qui est devenue une intruse parce qu'elle a pénétré dans un lieu et n'y est plus bienvenue » (R. c. Dixon, 140 N.B.R. (2e) 233 • 26 C.R. (4th) 173, (NB C.A)).

Admettre que les policiers, et d’autres autorités tel le procureur, ne doivent rechercher que les seuls éléments de preuve qui incriminent le suspect visé est incompatible avec notre système de justice

Canadian Oxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743

24 Il est important que les enquêteurs découvrent le plus d’éléments de preuve possible. Admettre que les policiers, et d’autres autorités, ne doivent rechercher que les seuls éléments de preuve qui incriminent le suspect visé est incompatible avec notre système de justice. Un tel «manque d’objectivité» de la part du poursuivant serait inapproprié: voir Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin: Rapport, t. 1 (1998), le commissaire F. Kaufman, aux pp. 559 à 562.

25 Dans l’arrêt Nelles c. Ontario, 1989 CanLII 77 (C.S.C.), [1989] 2 R.C.S. 170, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a déclaré au nom des juges majoritaires:

Le procureur de la Couronne a traditionnellement été décrit comme un [traduction] «représentant de la justice» qui «devrait se considérer plus comme un fonctionnaire de la cour que comme un avocat». (Morris Manning, «Abuse of Power by Crown Attorneys», [1979] L.S.U.C. Lectures 571, à la p. 580, citant Henry Bull, c.r.) Sur le rôle qui est propre au procureur de la Couronne, il n’y a probablement aucun passage qui soit aussi souvent cité que cet extrait des motifs du juge Rand dans l’affaire Boucher v. The Queen, 1954 CanLII 3 (S.C.C.), [1955] R.C.S. 16, aux pp. 23 et 24:

[traduction] On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de voir à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés: ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle.

26 (...) Le système de justice pénale ne se préoccupe pas uniquement de la question de savoir si une preuve prima facie peut être établie contre un accusé, il s’intéresse aussi à la question de savoir si l’accusé est coupable en définitive.

27 De plus, comme l’a souligné l’intervenant, le procureur général de l’Ontario, refuser d’admettre que le ministère public peut rassembler des éléments de preuve en prévision de la présentation d’un moyen de défense aurait des conséquences graves sur le fonctionnement de notre système de justice. Pour être équitable, le processus pénal doit «permettre au juge des faits “de découvrir la vérité et de rendre une décision équitable” tout en accordant à l’accusé la possibilité de présenter une pleine défense»; R. c. Levogiannis, 1993 CanLII 47 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 475, à la p. 486. Cette équité réciproque commande que le ministère public soit en mesure de rechercher et d’obtenir régulièrement des éléments de preuve pour réfuter les moyens de défense invoqués par l’accusé. (...)

mardi 24 août 2010

Ce que signifie le concept de détention depuis l'arrêt Grant

R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353

[41] Comme nous l’avons vu précédemment, le fait qu’un policier patrouilleur pose des questions générales ne constitue pas une menace à la liberté de choix. Par contre, poser ce type de questions peut conduire à des situations où les préoccupations générales de police communautaire cèdent le pas aux soupçons à l’égard d’un individu en particulier. Les soupçons ne transforment pas en soi le contact en détention. Ce qui compte, c’est la façon dont la police, compte tenu de ces soupçons, a interagi avec l’individu. Le libellé de la Charte ne limite pas la détention aux situations où une personne risque d’être mise en état d’arrestation. Cependant, ce facteur peut aider à déterminer si, dans une situation donnée, une personne raisonnable conclurait qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer à la demande des policiers. Ces derniers doivent être conscients que leurs gestes et leurs paroles peuvent créer une situation où une personne raisonnable, dans la même situation, conclurait en effet qu’elle n’est pas libre de s’en aller ou de refuser de répondre aux questions.

[42] La durée du contact censé constituer une détention peut être un facteur pertinent. Prenons l’exemple d’une policière qui poserait sa main sur le bras d’un individu. Si ce geste dure, il pourrait fort bien amener une personne raisonnable à conclure que sa liberté de choisir entre collaborer ou non lui a été retirée, ce que ne ferait peut‑être pas un effleurement, compte tenu des circonstances. Il faut cependant se rappeler qu’une situation peut évoluer rapidement et qu’un seul acte ou mot percutant peut induire une personne raisonnable à conclure qu’elle n’a plus le droit de choisir comment répondre à la situation.

[43] Rappelons, d’une part, que la question de savoir si la personne a été privée du droit de choisir de simplement quitter les lieux dépend de toutes les circonstances de l’affaire et, d’autre part, qu’il appartient au juge du procès de la trancher en fonction de l’ensemble de la preuve. S’il est vrai qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge du procès, l’application du droit aux faits constitue une question de droit.

[44] En résumé, nous arrivons aux conclusions suivantes :

1. La détention visée aux art. 9 et 10 de la Charte s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a détention psychologique quand l’individu est légalement tenu d’obtempérer à une demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite de l’État, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer.

2. En l’absence de contrainte physique ou d’obligation légale, il peut être difficile de savoir si une personne a été mise en détention ou non. Pour déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation conclurait qu’elle a été privée par l’État de sa liberté de choix, le tribunal peut tenir compte, notamment, des facteurs suivants :

a) Les circonstances à l’origine du contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement les percevoir : les policiers fournissaient‑ils une aide générale, assuraient‑ils simplement le maintien de l’ordre, menaient‑ils une enquête générale sur un incident particulier, ou visaient‑ils précisément la personne en cause dans le cadre d’une enquête ciblée?

b) La nature de la conduite des policiers, notamment les mots employés, le recours au contact physique, le lieu de l’interaction, la présence d’autres personnes et la durée de l’interaction.

c) Les caractéristiques ou la situation particulières de la personne, selon leur pertinence, notamment son âge, sa stature, son appartenance à une minorité ou son degré de discernement.

vendredi 20 août 2010

La violation de l'art. 8 par les policiers a‑t‑elle été commise "de bonne foi" ou était‑elle "flagrante"?

R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3

Un aspect tout aussi important de la gravité de la violation est la façon dont la police a agi en décidant d'effectuer cette perquisition périphérique sans mandat. La violation de l'art. 8 a‑t‑elle été commise "de bonne foi" ou était‑elle "flagrante"? Ce sont deux termes techniques dans les affaires concernant le par. 24(2). Pour décider si l'un ou l'autre terme est approprié dans les circonstances, il faut examiner la preuve présentée à l'enquête préliminaire et produite au procès dans le cadre de la demande présentée en vertu du par. 24(2). Voici l'extrait pertinent du contre‑interrogatoire de l'agent Povarchook:

Avec égards pour l'opinion contraire, je ne peux conclure que cette situation constitue un cas de bonne foi susceptible de réduire la gravité de la violation de l'art. 8 qui s'est produite en l'espèce. (...)


(...) En premier lieu, selon les termes mêmes du juge, la conclusion relative à la bonne foi est équivoque. Le "raccourci" dont il est fait mention dans l'extrait souligné était une perquisition effectuée par une personne qui savait qu'il n'y avait pas de pouvoirs légaux de perquisition. La preuve révèle clairement que les policiers savaient qu'ils n'avaient pas de motifs suffisants soit pour exercer ce pouvoir de perquisition sans mandat décerné en vertu de l'al. 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants, soit pour obtenir un mandat de perquisition en vertu du par. 10(2). Tout ce que l'agent a trouvé à répondre à la question concernant une autre source possible d'autorisation légale était "je ne suis pas certain".

En second lieu, même si le juge Cashman a conclu que l'agent a cru honnêtement mais à tort qu'il avait le pouvoir de perquisitionner, j'estime que, dans ces circonstances, celui‑ci ne peut tout simplement pas prétendre qu'il avait mal compris la portée de son autorité. Comme le juge en chef Dickson l'a clairement démontré dans ses motifs en l'espèce, "[n]otre Cour a toujours dit que les droits que la common law reconnaît au détenteur d'un bien de ne pas subir d'intrusion policière ne peuvent être restreints que par des pouvoirs conférés par des dispositions législatives claires" (p. 000). Tout argument contraire est, selon les termes du juge en chef Dickson, "sans fondement". La police est censée être au courant des arrêts Eccles et Colet de notre Cour et de la restriction des pouvoirs policiers qui découle de ces jugements.

Ou bien les policiers savaient que c'était une intrusion, ou bien ils auraient dû le savoir. Dans l'un ou l'autre cas, on ne peut pas dire qu'ils ont agi "de bonne foi", au sens où on l'entend dans la jurisprudence fondée sur le par. 24(2). Pour arriver à cette conclusion, je m'appuie sur l'arrêt R. c. Genest, 1989 CanLII 109 (C.S.C.), [1989] 1 R.C.S. 59, où le juge en chef Dickson, au nom de notre Cour, a jugé que la poursuite ne pouvait pas prétendre que les policiers avaient par inadvertance omis de reconnaître les vices évidents dans un mandat de perquisition. Même en l'absence d'une preuve de mauvaise foi, la gravité de la violation de la Charte dans ce cas était augmentée du fait que "les vices que comportait le mandat de perquisition étaient graves et les policiers auraient dû les remarquer" (je souligne, p. 87); et plus loin: "Ils n'ont pas tenu compte des restrictions bien établies que la common law impose aux pouvoirs de perquisition de la police" (p. 91). Dans ses motifs en l'espèce, le juge en chef Dickson souligne que la Cour d'appel, à l'unanimité, a accepté l'erreur faite par le policier quant à son pouvoir de perquisitionner. Je ne suis pas d'accord. La Cour d'appel a expressément conclu que la conduite de la police équivalait à une intrusion mais que, vu l'ensemble des circonstances, cela ne constituait pas une fouille, une perquisition ou une saisie abusive.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...