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mardi 17 novembre 2015

La marche à suivre pour demander la divulgation d'un renseignement lorsque son existence est mise en doute

R. c. Chaplin, [1995] 1 RCS 727, 1995 CanLII 126 (CSC)


30               Contrairement aux cas susmentionnés, il arrive parfois ‑‑ comme en l'espèce ‑‑ que le ministère public nie l'existence de renseignements que l'on prétend pertinents.  Du moment que le ministère public affirme avoir rempli son obligation de produire, on ne saurait le contraindre à justifier la non‑divulgation de renseignements dont il ignore ou nie l'existence.  Le ministère public n'est donc tenu de rien faire d'autre tant que la défense n'a pas établi des motifs sur lesquels le juge qui préside peut se fonder pour conclure à l'existence d'autres renseignements qui sont peut‑être pertinents.  Par pertinence, il faut entendre qu'il y a possibilité raisonnable que ces renseignements puissent aider l'accusé à présenter une défense pleine et entière.  L'existence des renseignements faisant l'objet de contestation doit être assez clairement établie non seulement pour en révéler la nature, mais aussi pour permettre au juge qui préside de décider qu'ils pourront satisfaire au critère applicable aux renseignements que le ministère public est tenu de produire, lequel critère est énoncé dans les passages précités des arrêts R. c. Stinchcombe et R. c. Egger.

31               Bien que l'obligation incombant à la défense, qui, comme je l'ai indiqué, consiste à établir «un fondement», participe d'une charge de présentation, je préfère ne pas la qualifier ainsi parce que, dans bien des cas, on pourra s'en acquitter non pas par la production d'éléments de preuve ou par la démonstration de leur existence, mais par les observations orales de l'avocat, sans qu'il soit besoin d'un voir‑dire.  J'évite en conséquence les termes «vraisemblance», «question réelle», et autres, employés dans certaines décisions, car ces termes conviennent mieux à la description d'une véritable charge de présentation.  La production d'une preuve de vive voix ainsi que la tenue d'un voir‑dire peuvent toutefois s'imposer lorsque le juge qui préside est dans l'impossibilité de régler la question en se fondant sur les observations de l'avocat.

32               Outre qu'elle est nécessaire sur le plan pratique pour que les débats puissent avancer ‑‑ ce dont je traite précédemment ‑‑, l'obligation pour la défense d'établir un fondement à sa demande de divulgation sert à empêcher des demandes qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires.  Dans les affaires d'écoute comme en l'espèce ceci est particulièrement important.  Il faut en effet distinguer les recherches à l'aveuglette et la conjecture d'avec les demandes légitimes de divulgation.  La divulgation systématique de l'existence de tables d'écoute concernant une personne qui est déjà inculpée, mais qui fait l'objet d'écoute électronique dans le cadre d'enquêtes criminelles en cours relativement à d'autres infractions soupçonnées, nuirait à la capacité de l'État de faire enquête sur un large éventail de crimes complexes qui seraient difficiles à détecter par d'autres moyens, soit, notamment, le trafic de stupéfiants, l'extorsion, la fraude et le délit d'initié:  R. c. Duarte1990 CanLII 150 (CSC)[1990] 1 R.C.S. 30, à la p. 44.  En règle générale, l'écoute électronique n'est efficace que si elle se fait à l'insu des personnes sur lesquelles porte l'enquête.  C'est ce qui est implicitement reconnu dans les dispositions de la partie VI du Code qui traitent du secret, soit les art. 187 et 193, qui s'appliquent jusqu'à la fin de l'enquête, et l'art. 196, qui prévoit un avis différé de l'existence d'une table d'écoute.

33               Dès lors que la défense s'acquitte de son obligation exposée ci‑dessus d'établir un fondement, il incombe au ministère public de justifier sa persistance dans la non‑divulgation.  L'obligation du ministère public est identique à son obligation initiale qu'énonce l'arrêt R. c. Stinchcombe, précité, et que précise l'arrêt R. c. Egger, précité.  D'une manière générale, si la question ne peut se régler sans recourir à une preuve de vive voix, il faut donner au ministère public l'occasion de présenter des preuves pertinentes.  Dans les cas où il s'agit de renseignements confidentiels, il peut convenir que le juge du procès ordonne le huis clos, ou bien qu'il inspecte lui‑même les renseignements en question en procédant notamment de la façon prévue au par. 37(2) de la Loi sur la preuve au Canada.  Pour ce qui est des affaires d'écoute électronique, la marche à suivre pour protéger les renseignements confidentiels est exposée dans l'arrêt R. c. Garofoli1990 CanLII 52 (CSC)[1990] 2 R.C.S. 1421, à la p. 1460.

La marche à suivre pour demander la divulgation d'un renseignement lorsque son existence est établie

R. c. Chaplin, [1995] 1 RCS 727, 1995 CanLII 126 (CSC)


25               Dans les cas où l'existence de certains renseignements a été établie, le ministère public est tenu de justifier la non‑divulgation en démontrant soit qu'il n'en a pas le contrôle soit qu'ils sont manifestement sans pertinence ou privilégiés.  Le juge du procès doit accorder au ministère public la possibilité de présenter des éléments de preuve justifiant une telle allégation.  Comme on le fait remarquer dans l'arrêt R. c. Stinchcombe, précité, à la p. 341:

Cela peut nécessiter non seulement que soient présentés des arguments mais que les déclarations et autres documents fassent l'objet d'un examen, et il pourra même s'avérer nécessaire, dans certains cas, de produire des témoignages de vive voix.  Souvent, il conviendra de tenir un voir‑dire pour trancher ces questions.

La justification de la non‑divulgation fondée sur le privilège de l'intérêt public ou autre type de privilège peut entraîner certaines procédures spéciales, comme celle visée au par. 37(2) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, afin de protéger la confidentialité de la preuve en question.

26               On trouve dans l'affaire R. c. Hutter (1993), 1993 CanLII 8478 (ON CA)86 C.C.C. (3d) 81 (C.A. Ont.), un exemple d'un cas où l'existence des renseignements n'était pas en cause, mais où on en contestait la pertinence.  Le juge en chef Dubin, au nom de la cour, a conclu à la p. 89 que le ministère public était tenu de divulguer les renseignements dont il disposait concernant la mauvaise moralité de l'accusé, même si le ministère public ne pouvait utiliser cette preuve qu'en contre‑preuve:

                  [TRADUCTION]  L'accusé pourrait raisonnablement se servir des renseignements concernant sa moralité se trouvant en la possession du ministère public pour faire valoir un moyen de défense ou pour prendre une décision susceptible d'influer sur la conduite de la défense, par exemple, la décision de produire ou de ne pas produire certains éléments de preuve.

27               Dans les affaires d'écoute électronique, la question de l'existence des tables d'écoute (à la différence de l'espèce) n'est généralement pas en litige.  Par exemple, dans l'affaire Dersch, précitée, le ministère public avait fait part aux accusés de son intention de produire des éléments de preuve recueillis par écoute électronique effectuée, en vertu d'autorisations accordées conformément au Code criminel, dans le cadre d'enquêtes sur les accusations en question.  Les accusés avaient demandé une ordonnance leur donnant accès au contenu des paquets scellés contenant les affidavits produits pour obtenir les autorisations dont ils prétendaient avoir besoin pour présenter une défense pleine et entière.  Notre Cour, qui a rétabli l'ordonnance du juge du procès faisant droit à la demande des accusés, a souligné que ces derniers ne pouvaient avoir accès aux affidavits que s'ils établissaient les motifs de cet accès, mais qu'ils ne pouvaient faire cette preuve que si l'accès leur était accordé.  Cependant l'aspect important de l'affaire Dersch, et ce en quoi elle diffère de la présente espèce, est le fait que l'existence de communications interceptées se rapportant aux accusations portées n'avait jamais été mise en doute.

28               Un autre exemple de ce genre de cas, où l'existence des communications interceptées n'était pas en cause, est l'affaire R. c. Durette1994 CanLII 123 (CSC)[1994] 1 R.C.S. 469, dans laquelle les accusés, au terme d'une enquête policière de grande envergure, avaient été inculpés de complot en vue de faire le trafic de méthamphétamine.  Fait important, la nature de l'enquête laissait supposer que la police avait eu recours à l'écoute électronique.  La défense a donc sollicité la communication du paquet scellé contenant les affidavits déposés à l'appui de demandes d'autorisation d'écoute, affidavits dont le juge du procès avait supprimé certaines parties en fonction de propositions faites par le ministère public.  Dans un arrêt portant uniquement sur la communication d'affidavits déposés à l'appui de demandes d'autorisation d'écoute électronique, les juges majoritaires de notre Cour ont conclu que la défense avait droit au contenu complet du paquet.

29               D'autres décisions, de juridictions inférieures, visaient également des situations où le fait de l'interception des communications n'était pas contesté.  Par exemple, dans l'affaire R. c. Desjardins (No. 5) (1991), 1991 CanLII 7555 (NL SCTD)88 Nfld. & P.E.I.R. 149 (C.S.T.‑N., 1re inst.), il était allégué que l'interception de communications entre avocat et client violait le droit à l'assistance d'un avocat garanti par la Charte.  Il s'agissait d'allégations analogues à celles avancées par la défense en l'espèce.  Il faut souligner que, dans cette affaire, aucune question ne se posait concernant l'interception de communications car l'avocat de la défense avait établi qu'un appareil d'écoute avait été trouvé (aux pp. 155 et 156).

Un violation à l'obligation de divulgation de la preuve n'entraîne pas nécessairement une violation au droit à une défense pleine et entière

R v Anderson, 2013 SKCA 92 (CanLII)

Lien vers la décision
[65]   However, merely establishing a breach of the Crown’s obligation to disclose does not establish a Charter breach.  Watt J.A. in R. v. Spackman, 2012 ONCA 905 (CanLII)295 C.C.C. (3d) 177, at para. 111, stated:
111      A breach of the Crown’s disclosure obligations, without more, does not constitute a breach of s. 7 of the Charter. To demonstrate constitutional infringement, and thus entitlement to a just and appropriate remedy, an accused must show actual prejudice to his or her right to make full answer and defence resulted from the infringement: R. v. O’Connor1995 CanLII 51 (SCC)[1995] 4 S.C.R. 411, at para. 74;Bjelland, at para. 21.

Les critères devant être évalués par le tribunal pour déterminer si la Couronne s'est acquittée de son fardeau en matière de divulgation de la preuve

R v Anderson, 2013 SKCA 92 (CanLII)

Lien vers la décision

[64]   As a practical matter, during a review of the Crown’s disclosure obligations prior to trial or during trial, a trial judge must look at a myriad of relevant factors touching on whether the Crown has fulfilled its obligation in good faith and in a timely manner.  Without providing an exhaustive list, this could include looking at the essential elements of the offence, the complexity of the investigation, the volume and type of disclosure already provided, what the Crown refuses or is unable to provide, a preliminary assessment of how the further disclosure sought is relevant in the sense of assisting the accused, whether it is part of the case to meet, the interaction between the Crown and defence, the behaviour of the Crown and defence, the timing of disclosure and the nature of the defence requests for disclosure.  The interplay of these factors is case specific.

La communication d'un inventaire peut être suffisant pour que la Couronne puisse satisfaire à son obligation de divulgation

R. v. Laporte et al, 1993 CanLII 6773 (SK CA)

Lien vers la décision

A more practical way of conducting a judicial review of Crown discretion respecting disclosure is to require the Crown to produce a written, itemized inventory the information in its possession, identifying those items which it intends to disclose and those which it does not, and containing, in respect of the latter items, a statement in each case of the basis upon which the Crown proposes to withhold disclosure.  Each item should be described as to its nature with sufficient detail that counsel will be enabled to make a reasoned decision as to whether to seek disclosure or not.  If such an inventory is produced in consultation with defence counsel, it is likely that many items which might otherwise have been disputed will be agreed to.  Such an inventory will also permit the reviewing judge to ascertain which items in dispute may be decided by him without production of the document or item of information in question, and those which require production in order to enable him to make a decision

La divulgation parfaite n'existe pas dans un contexte d'enquête policière massive

R. v. Trang, 2002 ABQB 744 (CanLII)

Lien vers la décision

[509]         Some courts have encouraged or ordered the Crown to inventory all material in the possession of the Crown as did Sherstobitoff J.A., speaking for the Saskatchewan Court of Appeal in Laporte at pp. 39 and 40. This is contrary to the Ontario Court of Appeal’s decision in Church of Scientology of Toronto.

[510]         As the courts are all too well aware, the world we live in is not perfect. As I held in Trang (1091) “perfect disclosure” is too high a standard, particularly in the case of a massive investigation. Such a standard is likely impossible to achieve, notwithstanding the best efforts on the part of the police and Crown. It follows that an accused is not entitled to a perfect trial, but rather a fair trial, as McLachlin J., as she then was stated in O’Connor at 516, 517:

Discovery on criminal cases must always be a compromise. On the one hand stands the accused's right to a fair trial. On the other stands a variety of contrary considerations. One of these contrary considerations is the protection of privacy of third parties who find themselves, through no fault of their own, caught up in the criminal process. Another is the increase in the length and complexity of trials which exhaustive discovery proceedings may introduce. Both impact adversely and heavily on the public.     

                                                              . . .

The key to achieving [the appropriate balance] lies in recognition that the Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees not the fairest of all possible trials, but rather a trial which is fundamentally fair: R. v. Harrer, 1995 CanLII 70 (SCC), [1995] 3 S.C.R. 562. What constitutes a fair trial takes into account not only the perspective of the accused, but the practical limits of the system of justice and the lawful interests of others involved in the process[...] Perfection in justice is chimeric as perfection in any other social agency. What the law demands is not perfect justice, but fundamentally fair justice.

Perfect justice in the eyes of the accused might suggest that an accused person should be shown every scintilla of information which might possibly be useful to his defence. From the accused's perspective, the catalogue would include not only information touching on the events at issue, but anything that might conceivably be used in cross‑examination to discredit or shake a Crown witness. When other perspectives are considered, however, the picture changes. The need for a system of justice which is workable, affordable and expeditious; the danger of diverting the jury from the true issues; and the privacy interests of those who find themselves caught up in the justice system ‑‑ all these point to a more realistic standard of disclosure consistent with fundamental fairness. That, and nothing more, is what the law requires.

[511]         Thus an accused in a criminal trial is entitled to full and complete disclosure, but not perfect disclosure which in my opinion is what the Applicants in this trial have sought and continue to seek. What the Applicants have in essence sought is a list identifying all information relating to the charges facing them which in the opinion of the Crown is either irrelevant or protected by privilege, so that the Applicants might request the Court to examine them with the hope and expectation that many of them will be ordered disclosed. That is what has taken place in this trial to a large extent (the discovery of the 36 Boxes aside). The effect has been that the course of this trial has substantially been focussed on disclosure to date, thereby bringing the proceedings to a crawl.


[512]         Conscious of such a possibility and the effect thereof, the Supreme Court of Canada in Stinchcombe concluded that a fair, practical and workable balance would be to vest Crown prosecutors with the discretion, acting in good faith and in accordance with applicable jurisprudence, to determine which information is relevant, irrelevant and privileged, having regard to the obligations and duties placed upon Crown prosecutors in a criminal prosecution and the severe consequences flowing from a breach amounting to misconduct of such duties and obligations. It is only in this way that the criminal justice system can properly function. The process outlined in Chaplin ensures and anticipates that the Crown’s discretion is subject to review.—Until a better or alternative solution is crafted for massive cases, this is the process within which defence counsel and the Crown must function.

La divulgation de la preuve n'a pas à être parfaite

R. c. O'Connor, [1995] 4 RCS 411, 1995 CanLII 51 (CSC)

Lien vers la décision

194     Du point de vue de l'accusé, pour que la justice soit parfaite, il faudrait qu'il soit mis au courant de chaque éléments d'information susceptible d'être utile pour sa défense. La liste devrait alors comprendre non seulement les renseignements concernant les événements en cause mais tout ce qui, en théorie, pourrait servir en contre-interrogatoire à discréditer ou à ébranler un témoin à charge. Lorsqu'on tient compte d'autres points de vue, cependant, il en va autrement. La nécessité d'avoir un système de justice qui fonctionne et qui soit abordable et rapide, le danger de détourner le jury des vraies questions en litige et le droit à la protection de la vie privée de ceux qui se trouvent pris dans le système de justice sont tous des éléments qui convergent vers une norme de divulgation plus réaliste et compatible avec l'équité fondamentale. Voilà ce qu'exige la loi, et rien de plus.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...