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samedi 6 février 2016

Le régime de l’arrêt O’Connor

Duguay c. R., 2006 QCCS 7707 (CanLII)
Lien vers la décision


[32]            L’arrêt O’Connor de la Cour suprême du Canada dicte une analyse à deux étapes pour évaluer le bien-fondé d’une demande de production et d’une divulgation de renseignements en possession de tiers.

[33]            Citons le cadre analytique du régime O’Connor tel que résumé par la juge McLachlin dans l’arrêt Mills.

« En ce qui concerne l'ordonnance de communication de dossiers qui sont en la possession de tiers, le juge en chef Lamer et le juge Sopinka ont exposé une procédure en deux étapes.  À la première étape, il s'agit de savoir si le document demandé par l'accusé devrait être communiqué au juge; à la deuxième étape, le juge du procès doit évaluer les intérêts opposés pour décider s'il y a lieu d'ordonner la communication à l'accusé.  À la première étape, il incombe à l'accusé d'établir que les renseignements en cause sont d'une "pertinence probable" (par. 19 (souligné dans l'original)). Contrairement au contexte de la communication par le ministère public, où la pertinence est interprétée comme signifiant "l'utilité que [cela peut] avoir pour la défense", le seuil de la pertinence probable dans ce contexte exige que le juge qui préside le procès soit convaincu "qu'il existe une possibilité raisonnable que les renseignements aient une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l'habilité à témoigner d'un témoin" (par. 22 (souligné dans l'original)).  Ce déplacement d'obligation ainsi que le seuil plus élevé, comparativement aux cas où les dossiers sont en la possession du ministère public, sont devenus nécessaires du fait que les renseignements en cause ne font pas partie de la "preuve à charge" de l'État, que ce dernier n'y a pas eu accès et que les tiers ne sont pas tenus d'aider la défense.

Le juge en chef Lamer et le juge Sopinka ont statué que le seuil de la pertinence probable à cette première étape ne constitue pas un fardeau important ou onéreux.  Il vise à empêcher les demandes de communication "qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires" (par. 24).  Même s'ils ne partageaient pas l'avis du [page707] juge L'Heureux-Dubé que les dossiers thérapeutiques sont rarement utiles à l'accusé, le juge en chef Lamer et le juge Sopinka ont refusé d'établir des "catégories de pertinence" (par. 27).

Si la première étape est franchie, le dossier est communiqué au tribunal et la demande de communication passe à la deuxième étape, où le juge décide s'il y a lieu de communiquer le dossier à l'accusé.  Le juge en chef Lamer et le juge Sopinka exigent qu'à cette étape le juge du procès évalue les intérêts opposés afin de déterminer si une ordonnance de non-communication constituerait une limite raisonnable à la capacité de l'accusé de présenter une défense pleine et entière.  Ils énumèrent une série de facteurs dont le juge du procès devrait tenir compte pour prendre sa décision (au par. 31):

(1) la mesure dans laquelle ce dossier est nécessaire pour que l'accusé puisse présenter une défense pleine et entière; (2) la valeur probante du dossier en question; (3) la nature et la portée de l'attente raisonnable au respect du caractère privé de ce dossier; (4) la question de savoir si la production du dossier reposerait sur une croyance ou un préjugé discriminatoires; et (5) le préjudice possible à la dignité, à la vie privée ou à la sécurité de la personne [du plaignant] que pourrait causer la production du dossier en question. »

a)         La première étape : L’analyse de la pertinence probable.

[34]            Lorsqu’un juge évalue le critère de la pertinence probable selon la procédure de common law de l’arrêt O’Connor, il doit tenir compte des principes additionnels suivants :

(i)                  Le requérant a le fardeau d’établir la « pertinence probable »; cette pertinence ne se présume pas. (O’Connor, par. 19)
(ii)               Il ne faut pas perdre de vue qu’on peut commettre une erreur judiciaire en établissant une procédure qui restreint indûment la capacité pour un accusé d’avoir accès aux renseignements qui peuvent être nécessaires à une défense pleine et entière qui soit significative. (O’Connor, par. 18)
(iii)              L’étape de la « pertinence probable » devrait se limiter à la question de savoir si les renseignements figurant dans un dossier ont une incidence sur le droit de présenter une défense pleine et entière. (O’Connor, par. 21; Pontbriand[5], par 14)
(iv)              Le critère initial de la « pertinence probable » vise à établir un fondement pour la production des renseignements. (O’Connor, par. 19)
(v)               Le critère de la « pertinence probable » vise à empêcher que la défense ne se lance dans des demandes de production qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires. (O’Connor, par. 24, Pontbriand, par. 14)
(vi)              Il faut reconnaître que l’accusé est très mal placé pour produire une preuve de « pertinence probable » étant donné qu’il n’a pas accès aux dossiers recherchés. (O’Connor, par. 19 et 25; Mills, par. 45)
(vii)            Le fardeau imposé à l’accusé est important, mais pas onéreux. Il est léger. (O’Connor, par. 24)
(viii)         La « pertinence probable » de renseignements peut concerner uniquement la question de l’évaluation de la crédibilité des témoins. (O’Connor, par. 22)

La ratio de l'arrêt Stinchcombe

R. c. Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326, 1991 CanLII 45 (CSC)



Selon moi, sous réserve du pouvoir discrétionnaire dont j'ai traité précédemment, toute déclaration obtenue de personnes qui ont fourni des renseignements pertinents aux autorités devrait être produite, même si le ministère public n'a pas l'intention de citer ces personnes comme témoins à charge.  Lorsqu'il n'existe pas de déclarations, il faut produire d'autres renseignements tels que des notes et, en l'absence de notes, il faut divulguer, outre les nom, adresse et occupation du témoin, tous les renseignements que possède la poursuite au sujet de tous les éléments de preuve pertinents pouvant être fournis par la personne en question.  Je tiens pour peu convaincantes les observations faites par la Commission dans son rapport de 1984.  En effet, si les renseignements sont inutiles, on peut supposer qu'ils n'ont aucune pertinence et qu'ils seront en conséquence écartés par le ministère public dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.  Si les renseignements présentent une certaine utilité, alors ils sont pertinents et c'est à la défense et non à la poursuite de décider s'il s'agit d'une utilité suffisante pour qu'ils soient produits en preuve.  De surcroît, je ne comprends pas l'affirmation de la Commission que "[l]eurs déclarations ne font pas partie de la preuve".  C'est le cas de toutes les déclarations de témoins.  Elles ne constituent pas en soi des éléments de preuve.  On les produit non pas dans le but de les présenter en preuve comme telles, mais afin de permettre que la preuve soit faite de vive voix.  Il est compréhensible que la poursuite soit peu disposée à divulguer des déclarations parce qu'elles auront, par suite de leur divulgation, moins d'effet lors du contre‑interrogatoire.  La même objection pourrait être soulevée à l'égard de toutes les formes de communication de la preuve.  L'avantage tactique doit être sacrifié au profit de l'équité et de la détermination des véritables faits de l'affaire.

Le régime de production des dossiers en la possession de tiers établi dans O’Connor

R. c. McNeil, [2009] 1 RCS 66, 2009 CSC 3 (CanLII)

Lien vers la décision

[26] Dans O’Connor, notre Cour s’est intéressée à la façon dont l’accusé, inculpé de multiples infractions d’ordre sexuel, pouvait obtenir la production par des tiers gardiens des dossiers thérapeutiques des plaignantes.  En matière de communication des dossiers contenant des renseignements personnels au sujet des plaignants et des témoins dans des procédures relatives à des infractions d’ordre sexuel, l’arrêt O’Connor a été supplanté par l’adoption par le législateur des art. 278.1 à 278.91 du Code criminel, correspondant au régime de l’arrêt Mills.  Cependant, dans le cadre de tout autre type d’instance criminelle, la demande de type O’Connor offre à l’accusé un mécanisme lui permettant d’avoir accès à des dossiers en la possession de tiers qui échappent au régime de communication par la partie principale établi dans Stinchcombe.

[27] En bref, la procédure à suivre dans une demande de type O’Connor est la suivante :


(1)               L’accusé doit d’abord obtenir un subpoena duces tecum en vertu des par. 698(1) et 700(1) du Code criminel et le signifier au tiers détenteur du dossier.  Le subpoena contraint la personne visée à comparaître en cour avec les dossiers ou renseignements qui y sont décrits.

(2)               L’accusé présente aussi une demande appuyée d’une preuve par affidavit indiquant que les dossiers visés sont vraisemblablement pertinents par rapport à son procès.  Il doit aviser le poursuivant, la personne visée par les dossiers et toute autre personne ayant un intérêt dans le caractère privé des dossiers visés par la demande de production.

(3)               La demande de type O’Connor est adressée au juge saisi de l’affaire, mais elle peut être entendue avant le début du procès.  Évidemment, si personne ne s’oppose à la production; la demande visant à l’obtenir devient théorique et il n’est pas nécessaire de tenir une audience.

(4)               Si le détenteur du dossier ou une autre personne intéressée présente une revendication légitime selon laquelle les renseignements visés sont privilégiés, sauf dans les cas les plus rares où l’innocence de l’accusé est en jeu, l’existence d’un privilège fera obstacle à la demande de l’accusé visant à obtenir la production des renseignements visés, peu importe leur pertinence.  Il est donc préférable que les questions de privilège soient réglées dès le début du processus établi dans O’Connor.


(5)               Quand il n’est pas question de privilège, le juge détermine si la production devrait être ordonnée suivant l’analyse en deux étapes établie dansO’Connor.  À la première étape, s’il est convaincu que les dossiers se rapportent vraisemblablement à la procédure engagée contre l’accusé, le juge peut en ordonner la production pour que la cour en fasse l’examen.  À la deuxième étape, dossiers en main, le juge détermine si, et dans quelle mesure, la production doit être ordonnée afin que les dossiers soient communiqués à l’accusé.

La question du privilège dépasse le cadre du présent pourvoi.  Cependant, je vais examiner plus à fond successivement chacune des étapes du test établi dansO’Connor pour la production de dossiers en la possession de tiers.

5.1      Première étape : Filtrer les demandes en fonction de la pertinence vraisemblable

5.1.1   Fardeau imposé à l’auteur de la demande


[28] À la première étape d’une demande contestée visant la production de renseignements non privilégiés en la possession d’un tiers, il incombe à la personne qui demande la production — l’accusé en l’espèce — de convaincre la cour que les renseignements sont vraisemblablement pertinents.  Ce fardeau initial illustre simplement que le contexte dans lequel les dossiers en la possession de tiers sont demandés est différent de celui dans lequel l’obligation de communication incombe à la partie principale.  Comme nous l’avons déjà vu, l’obligation présumée qui incombe à l’avocat du ministère public de communiquer les fruits de l’enquête en sa possession établie dans Stinchcombe repose sur l’hypothèse que les renseignements sont pertinents et comprennent probablement la preuve qui sera présentée contre l’accusé.  Aucune hypothèse de ce genre ne peut être tirée quant aux renseignements en la possession d’un tiers étranger au litige.  L’auteur de la demande doit alors justifier à la cour l’utilisation du pouvoir de l’État d’imposer la production — d’où son fardeau initial de démontrer la «—pertinence vraisemblable ».  De plus, il est important pour la bonne administration de la justice que les procès criminels soient toujours axés sur les questions à trancher et que les ressources judiciaires limitées ne soient pas gaspillées dans des recherches à l’aveuglette sur des éléments de preuve non pertinents.  L’exigence minimale de pertinence joue ce rôle de gardien.

5.1.2   Le fardeau imposé à l’auteur de la demande est important, sans être onéreux


[29] Il est important de rappeler que, comme notre Cour l’a souligné dans O’Connor, bien que l’exigence minimale de pertinence vraisemblable soit « un fardeau important, cela ne devrait pas être interprété comme un fardeau onéreux incombant à l’accusé » (par. 24).  D’une part, cette exigence de pertinence vraisemblable est « importante » parce que la cour doit pouvoir participer de manière significative au filtrage des demandes pour « empêcher que la défense ne se lance dans des demandes de production “qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires” » (O’Connor, par. 24, citant un extrait de R. c. Chaplin1995 CanLII 126 (CSC)[1995] 1 R.C.S. 727, par. 32).  On ne saurait trop insister sur l’importance d’empêcher les demandes de production inutiles d’épuiser les ressources judiciaires limitées.  Pourtant, la prolongation indue des procédures criminelles demeure une préoccupation majeure plus d’une décennie après O’Connor.  D’autre part, il ne devrait pas être onéreux de satisfaire à l’exigence minimale de pertinence, et il ne saurait en être ainsi, parce que les personnes accusées ne peuvent être obligées « de démontrer l’usage exact qu’ils pourraient faire de renseignements qu’ils n’ont même pas vus » (O’Connor, par. 25, citant un extrait de R. c. Durette1994 CanLII 123 (CSC)[1994] 1 R.C.S. 469, p. 499) pour pouvoir obtenir les renseignements susceptibles de les aider à présenter une défense pleine et entière.

5.1.3   Le fardeau initial de common law établi dans O’Connor diffère considérablement du régime législatif de l’arrêt Mills

[30] Il est important de souligner que l’exigence minimale de pertinence vraisemblable de common law énoncé dans O’Connor diffère considérablement du critère de pertinence vraisemblable fixé par le législateur pour la production de dossiers contenant des renseignements personnels dans des procédures en matière d’agression sexuelle conformément au régime de l’arrêt Mills (voir par. 278.3(4) du Code criminel).  Comme notre Cour l’a expliqué assez longuement dans Mills, une gamme de régimes acceptables peuvent satisfaire aux normes constitutionnelles.  Le législateur était donc libre de concevoir sa propre solution pour répondre aux préoccupations particulières qui découlent de la communication de dossiers en la possession de tiers dans des procédures en matière sexuelle.  Ce faisant, le législateur a « cherché à reconnaître la fréquence des agressions sexuelles contre les femmes et les enfants ainsi que leurs effets néfastes sur leurs droits, [. . .] et à concilier l’équité pour le plaignant avec les droits de l’accusé » (Mills, par. 59).  Il convient de noter tout particulièrement les différences suivantes entre les deux régimes.


[31] Premièrement, le critère de pertinence vraisemblable du régime de l’arrêt Mills adopté par le législateur est conçu pour lutter contre les mythes, les stéréotypes et les hypothèses générales au sujet des victimes d’agressions sexuelles et au sujet de l’utilité des dossiers privés dans des procédures en matière d’agression sexuelle.  Il n’est pas nécessaire de parer complètement de telles opinions générales pour tous les dossiers en la possession de tiers qui sont exclus du champ d’application du régime de l’arrêt Mills.  Le critère général de common law de pertinence vraisemblable établi dans O’Connor vise plutôt le filtrage des demandes pour veiller à ce que le pouvoir de l’État soit utilisé d’une manière appropriée en ce qui a trait aux ordonnances de production de dossiers en la possession de tiers et à établir la pertinence des demandes afin d’éviter de gaspiller les ressources judiciaires limitées.

[32] Deuxièmement, bien que le régime de l’arrêt Mills maintienne le cadre d’analyse en deux étapes énoncé dans O’Connor, il diffère considérablement de celui‑ci du fait que la majeure partie de la pondération des intérêts divergents s’effectue à la première étape — lorsqu’on décide si la production des renseignements à la cour pour examen est justifiée.  Cela reflète la présomption du législateur voulant qu’il existe une attente raisonnable en matière de protection du caractère privé des types de dossiers visés par le régime législatif : voir R. c. Clifford (2002), 2002 CanLII 14471 (ON CA)163 C.C.C. (3d) 3 (C.A. Ont.), par. 48‑49.  Aucune présomption équivalente relative au respect de la vie privée ne s’applique aux dossiers en la possession de tiers qui échappent au régime de l’arrêt Mills.  Par conséquent, toute mise en balance des intérêts divergents ne s’effectue qu’à la deuxième étape du régime de l’arrêt O’Connor, soit quand les renseignements peuvent être examinés par la cour afin de mieux déterminer la nature des intérêts privés en cause, le cas échéant.  Compte tenu de ces différences appréciables, il importe de ne pas transposer le régime de l’arrêt Mills à une audience de type O’Connor visant la production de renseignements auxquels les dispositions législatives ne s’appliquent pas.


5.1.4   Pertinence vraisemblable selon le régime de common law

[33] La « pertinence vraisemblable » selon le régime de common law établi dans l’arrêt O’Connor signifie qu’il existe « une possibilité raisonnable que les renseignements aient une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l’habilité à témoigner d’un témoin » (O’Connor, par. 22 (soulignement omis)).  Une « question en litige » comprend non seulement les questions pertinentes quant au déroulement des événements qui font l’objet du litige, mais également la « preuve concernant la crédibilité des témoins et la fiabilité des autres éléments de preuve présentés dans l’affaire » (O’Connor, par. 22).  À cette étape des procédures, la cour ne saurait exiger une démonstration de la manière précise dont les renseignements visés pourraient être utilisés au procès.  Imposer à l’accusé, qui n’a jamais vu les dossiers, un fardeau initial aussi strict le placerait dans une situation sans issue.

5.2      Deuxième étape : Mettre en balance les droits en jeu

[34] Si l’auteur de la demande réussit à démontrer la pertinence vraisemblable, le tiers détenteur du dossier peut se voir ordonner de produire les renseignements pour que la cour en fasse l’examen et décide s’ils devraient être communiqués à l’accusé.

[35] Dans O’Connor, notre Cour a dressé la liste suivante des facteurs à prendre en considération pour décider s’il y a lieu d’ordonner la communication à l’accusé (par. 31) :


. . . « (1)  la mesure dans laquelle ce dossier est nécessaire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière; (2) la valeur probante du dossier en question; (3) la nature et la portée de l’attente raisonnable au respect du caractère privé de ce dossier; (4) la question de savoir si la production du dossier reposerait sur une croyance ou un préjugé discriminatoires » et « (5) le préjudice possible à la dignité, à la vie privée ou à la sécurité de la personne [du plaignant] que pourrait causer la production du dossier en question » . . . [Texte entre crochets dans l’original.]

Les facteurs énoncés dans O’Connor ne doivent pas être appliqués de façon machinale.  Il ne faut pas oublier que cet arrêt portait sur la production des dossiers privés du plaignant dans le cadre de procédures relatives à une infraction d’ordre sexuel, un domaine de droit régi depuis par le régime de l’arrêtMills adopté par le législateur.  Certains des facteurs énumérés dans O’Connor, particulièrement les points 4 et 5 cités précédemment, ont de toute évidence été adaptés pour satisfaire aux exigences des procédures en matière d’agression sexuelle et ne sont donc vraisemblablement d’aucun secours dans d’autres contextes.  En fin de compte, à la deuxième étape du régime de common law, il faut mettre en balance les droits divergents en jeu dans les circonstances particulières de l’espèce.  Il est impossible de dresser une liste exhaustive pouvant convenir à toutes les situations. Je vais tout de même apporter quelques précisions sur le processus de mise en balance.

5.2.1   Un point de départ utile : Évaluer la véritable pertinence


[36] Comme nous l’avons déjà vu, au moment où le tribunal s’engage dans la deuxième étape d’une audience de type O’Connor, la demande a été filtrée en fonction de la pertinence vraisemblable et le juge est convaincu qu’il est justifié, dans les circonstances, d’ordonner la production des renseignements pour que la cour en fasse l’examen.  Une fois que le tribunal est saisi des renseignements, la dernière question à trancher est celle de savoir si ces derniers devraient être communiqués à l’accusé.

 [40] D’une part, puisque l’accusé n’aura pas pris connaissance des renseignements dont il sollicite la production, l’examen par la cour pourrait révéler que la prétention de pertinence vraisemblable établie à la première étape de la demande de type O’Connor n’est simplement pas étayée.  Si la cour est convaincue que les renseignements sont manifestement sans pertinence, rien ne justifie d’ordonner de les communiquer à l’accusé, et la demande peut être rejetée sommairement.

[41] D’autre part, si l’inspection révèle que la prétention de pertinence vraisemblable est étayée, le droit de l’accusé à une défense pleine et entière fera, à quelques exceptions près, pencher la balance pour le prononcé d’une ordonnance de production.  Rappelons qu’à cette étape des procédures, la cour a confirmé que la demande de production concerne des renseignements non privilégiés.  L’existence d’un droit en matière de protection de la vie privée relativement aux dossiers en la possession de tiers se rapportant à la défense d’un accusé contre une accusation criminelle pourrait bien justifier, le cas échéant, certaines suppressions ou l’imposition de conditions pour s’assurer que la communication à l’accusé n’occasionne pas d’atteinte inutile à la vie privée.  Cependant, en l’absence d’un régime législatif prédominant régissant la production des dossiers en question, il est peu vraisemblable que le droit d’un tiers à la protection de sa vie privée suffise à faire rejeter une demande de production.


[42] Une fois qu’un tribunal a déterminé, après examen, que des dossiers en la possession de tiers sont effectivement pertinents à l’égard de la poursuite engagée contre l’accusé, en ce qu’ils se rapportent à une question en litige au procès comme il a été décrit précédemment, l’exercice de mise en balance de la seconde étape peut facilement être effectué.  En effet, une conclusion confirmant la pertinence véritable a pour effet de classer les dossiers en la possession de tiers dans la même catégorie, pour les besoins de la communication, que les fruits de l’enquête contre l’accusé qui se trouvent en la possession du ministère public suivant Stinchcombe.  Il pourrait être utile de poser la question de la manière suivante : si le renseignement en la possession d’un tiers s’était retrouvé dans le dossier du ministère public, y aurait‑il un fondement, suivant le régime de communication qui incombe à la partie principale établi dans Stinchcombe, qui justifierait de ne pas le communiquer à l’accusé?  Si la réponse est négative, aucun motif rationnel ne permet de tirer une conclusion différente relativement à la demande de production de renseignements en la possession de tiers.  Comme nous l’avons vu, l’obligation qui incombe au ministère public selon Stinchcombe de communiquer à l’accusé les fruits de l’enquête en sa possession ne signifie pas qu’il ne subsiste aucun droit à la protection de la vie privée relativement au contenu du dossier.  Cependant, à quelques exceptions près (notamment celle du régime législatif de l’arrêt Mills), cette obligation signifie que le droit de l’accusé d’avoir accès aux renseignements nécessaires pour qu’il présente une défense pleine et entière l’emportera sur tout droit divergent à la protection de la vie privée.  Il en est de même à l’égard de renseignements pertinents en la possession de tiers, particulièrement à l’égard de dossiers relatifs à une enquête criminelle concernant un tiers accusé.  Comme l’indique fort à‑propos le professeur Paciocco :

[TRADUCTION] . . . il serait illogique de soutenir que les renseignements relatifs à l’enquête ne sont pas assez privés pour imposer des contraintes quant à la possibilité pour la police de les rassembler et pour le ministère public de les utiliser afin d’obtenir la déclaration de culpabilité de la personne qui fait l’objet d’une enquête.  Or, ces mêmes renseignements sont protégés par le droit à la protection de la vie privée lorsqu’ils sont pertinents quant à la défense d’une personne.


(David M. Paciocco, « Filling the Seam between Stinchcombe and O’Connor : The “McNeil” Disclosure Application » (2007), 53 Crim. L.Q.161, p. 199‑200)

Communication de la preuve dans les affaires criminelles en général

R. c. Quesnelle, [2014] 2 RCS 390, 2014 CSC 46 (CanLII)

[11]                          Le ministère public a l’obligation générale de communiquer les éléments de preuve et les renseignements pertinents à la personne qui est accusée d’une infraction criminelle. Selon l’arrêt Stinchcombe, p. 336-340, il est tenu de communiquer tout renseignement pertinent non protégé qui est en sa possession ou sous son contrôle afin de permettre à l’accusé de présenter une défense pleine et entière. Pour les besoins de la communication par la « partie principale », « le ministère public » ne s’entend pas de toutes les composantes de l’État fédéral ou provincial, mais seulement du poursuivant. Toutes les autres composantes de l’État, y compris la police, sont des « tiers ». Exception faite de l’obligation qui incombe à la police de transmettre au ministère public les fruits de l’enquête, les dossiers en la possession de tiers, y compris d’autres composantes de l’État, ne sont habituellement pas assujettis aux règles établies dans l’arrêt Stinchcombe en matière de communication.
[12]                          Dans l’arrêt R. c. McNeil2009 CSC 3 (CanLII)[2009] 1 R.C.S. 66, notre Cour reconnaît que le ministère public ne peut se contenter de recevoir passivement des renseignements. Des vérifications raisonnables lui incombent lorsqu’il apprend que la police ou d’autres composantes de l’État ont en leur possession des éléments susceptibles d’être utiles à la poursuite ou à la défense. Notre Cour reconnaît aussi l’obligation de la police de communiquer, sans qu’il soit nécessaire de lui en faire la demande, « tous les renseignements se rapportant à son enquête sur l’accusé » (par. 14), ainsi que les autres renseignements qui « se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l’accusé » (par. 59).
[13]                          Dans l’arrêt R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 411, par. 15-34, notre Cour établit un régime de communication distinct pour les dossiers qui se trouvent en la possession de « tiers » et qui sont « vraisemblablement pertinents » quant à un point en litige. Le tribunal saisi statue sur la demande de communication à l’issue d’une analyse à deux volets. Le requérant doit d’abord prouver que les renseignements contenus dans le dossier sont d’une pertinence vraisemblable. Le tribunal examine ensuite le dossier pour déterminer s’il doit être communiqué à l’accusé — et, le cas échéant, dans quelle mesure il doit l’être; lorsque les renseignements sont pertinents, le droit à la vie privée cède le pas au droit à une défense pleine et entière.

mardi 2 février 2016

Le requérant doit demander l'autorisation du Tribunal afin de contre-interroger l'affiant d'un mandat

Bellefroid c. R., 2010 QCCS 4567 (CanLII)


[9]               Le requérant demande donc la permission de contre-interroger l'affiant pour les motifs qui apparaissent au paragraphe 4 de sa requête et qui sont ainsi décrits à celle-ci :
"a) Cet interrogatoire est nécessaire à une défense pleine et entière;

b) Le requérant a des motifs de penser ou de croire que le contre-interrogatoire apportera un témoignage tendant à réfuter la présence d'une des conditions préalables à l'autorisation, notamment en ce qui a trait à l'existence de motifs raisonnables et probables;

c) Le requérant soutient que le contre-interrogatoire démontrera qu'il n'y a aucun fondement justifiant la délivrance de l'autorisation; .

d) Le requérant a des motifs de penser que les informations mentionnées dans l'affidavit ont été insérées de façon abusive."
[10]            Si le requérant demande la permission d'interroger l'affiant c'est parce que la Cour suprême du Canada, plus particulièrement dans l'arrêt R. c. Garofoli, établit la norme de contrôle applicable et précise ensuite clairement, dans le cas d'une contestation de l'admissibilité d'une preuve obtenue par écoute électronique suite à une autorisation judiciaire, qu'il faut obtenir une autorisation préalable pour contre-interroger l'affiant.
[11]            Dans cette décision, la Cour suprême affirme qu'une telle autorisation de contre-interroger relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et ne devrait être accordée que lorsque celui-ci est convaincu que le contre-interrogatoire est nécessaire pour permettre à l'accusé de préparer une défense complète.
[12]            Il faut entre autre que l'accusé démontre qu'il a des motifs de penser que le contre-interrogatoire apportera un témoignage tendant à réfuter la présence d'une des conditions préalables à l'autorisation, telle que, comme soulevé dans le présent dossier, l'existence ou l'absence de motifs raisonnables et probables.
[13]            Dans un arrêt un peu plus récent, La Reine c. Pires et Lising la Cour suprême se penche de nouveau sur cette question du droit de l'accusé de contre-interroger les affiants, et tout en reprenant certains extraits de l'arrêt Garofoli, précise ce qui suit:
"40      Comme nous l'avons vu, l'obligation faite dans Garofoli d'obtenir la permission de contre-interroger n'est qu'un moyen d'éliminer les instances inutiles, qui n'aideraient vraisemblablement pas à la résolution des questions pertinentes. La raison pour laquelle le critère laisse généralement peu de place au contre-interrogatoire ne tient pas à sa rigueur, mais plutôt à la gamme restreinte des motifs justifiant l'annulation d'une autorisation. Par conséquent, pour déterminer s'il y a lieu de permettre un contre-interrogatoire, les avocats et le juge doivent s'attacher strictement à la question à trancher dans le cadre d'une révision de type Garofoli – soit celle de savoir s'il existait des motifs permettant au juge qui a accordé l'autorisation de rendre l'ordonnance. S'il est peu probable que le contre-interrogatoire projeté aide à trancher cette question, il ne doit pas être autorisé. Par contre, si ce contre-interrogatoire se situe dans les limites restreintes de cette procédure de révision, la défense n'est pas tenue d'aller plus loin et de démontrer qu'il permettra de réfuter une ou plusieurs des conditions légales préalables à la délivrance de l'autorisation. Une telle norme aussi stricte a été rejetée dans l'arrête Garofoli. Tout ce qu'il suffit d'établir, c'est la probabilité raisonnable que le contre-interrogatoire aidera le tribunal à trancher une question substantielle."
[14]            Dans la requête en exclusion de la preuve pour laquelle le requérant demande la permission de contre-interroger l'affiant, il s'attaque à deux mandats de perquisition. D'abord à celui exécuté chez lui le 8 juin 2005. Il le conteste au niveau de son autorisation. Le requérant conteste ensuite le mandat général portant le numéro 755-26-002735-045 non pas en ce qui concerne les conditions de son autorisation, mais plutôt en ce qui concerne son exécution.
[15]            Il apparaît assez clair au tribunal qu'il ne lui sera d'aucune utilité que le requérant contre-interroge l'affiant sur un affidavit antérieur à l'exécution d'un mandat général pour ce qui concerne non pas son autorisation, mais plutôt son exécution ultérieure. 
[16]            D'autre part, en ce qui concerne le mandat de perquisition plus spécifique à la propriété du requérant, le tribunal n'est pas convaincu que cet interrogatoire est nécessaire à une défense pleine et entière ou qu'il permettrait, compte tenu de tous les éléments de l'affidavit, de l'éclairer de façon meilleure ou plus complète quant aux conditions préalables à l'autorisation ou tel que le mentionne spécifiquement le requérant en ce qui a trait à l'existence des motifs raisonnables et probables justifiant un tel mandat de perquisition.
[17]            À première vue, un seul des motifs invoqué à l'appui de la requête du requérant aurait peut-être pu justifier un contre-interrogatoire, soit celui apparaissant au paragraphe 4 d) de la requête :
"4 d) Le requérant a des motifs de penser que les informations mentionnées dans l'affidavit ont été insérées de façon abusive."
[18]            Toutefois, bien que le requérant fasse cette affirmation, et qu'elle est appuyée de l'affidavit de sa procureure sans qu'il y joigne son propre affidavit, il n'apporte aucune preuve, aucun argument, aucun indice sérieux permettant de justifier cette affirmation générale. Celle-ci est à première vue lourde de sens, mais apparaît dénuée de fondement factuel ou de motifs spécifiques.
[19]            Le contre-interrogatoire apparaît donc sur ce sujet plus comme une expédition de pêche que comme ayant un objectif spécifique fondé sur des éléments sérieux.
[20]            Le requérant ne mentionne dans sa requête que des généralités qui ne sont toutefois supportées par aucune allégation spécifique de nature à mettre en doute l'existence des conditions préalables à l'autorisation de mandat ou justifiant d'examiner par contre-interrogatoire l'existence d'informations insérées de façon abusive.
[21]            Le tribunal considère donc que le requérant ne l'a pas convaincu de la probabilité raisonnable que le contre-interrogatoire l'aidera à trancher la question substantielle de savoir si les mandats de perquisition ont été obtenus sur la foi de motifs justifiant leur autorisation et si le mandat général a été exécuté en ce qui concerne certains biens se trouvant sur la propriété du requérant dans le respect dudit mandat et des droits du requérant.

lundi 1 février 2016

L'obligation de divulgation de la preuve du ministère public

R. c. Charlebois, 2014 QCCQ 11348 (CanLII)

[12]        Dans R. c. Quesnelle2014 CSC 46 (CanLII), la Cour suprême réitère les principes applicables à l'obligation de communication du ministère public dans les affaires criminelles en général. Ainsi, depuis les arrêts Stinchcombe1991 CanLII 45 (CSC)[1991] 3 R.C.S. 326, et McNeil2009 CSC 3 (CanLII)[2009] 1 R.C.S. 66, il est reconnu que la poursuite a l’obligation générale de divulguer à l'accusé, sans qu'il soit nécessaire de lui en faire la demande, tous les renseignements pertinents découlant des fruits de l'enquête. Aux par. 11 et 12, elle s'exprime de la façon suivante :
[11]            Le ministère public a l’obligation générale de communiquer les éléments de preuve et les renseignements pertinents à la personne qui est accusée d’une infraction criminelle. Selon l’arrêt Stinchcombe, aux p. 336 à 340, il est tenu de communiquer tout renseignement pertinent non protégé qui est en sa possession ou sous son contrôle afin de permettre à l’accusé de présenter une défense pleine et entière. […] Exception faite de l’obligation qui incombe à la police de transmettre au ministère public les fruits de l’enquête, les dossiers en la possession de tiers, y compris d’autres composantes de l’État, ne sont habituellement pas assujettis aux règles établies dans l’arrêtStinchcombe en matière de communication.
[12]            Dans l’arrêt R. c. McNeil2009 CSC 3 (CanLII)[2009] 1 R.C.S. 66, notre Cour reconnaît que le ministère public ne peut se contenter de recevoir passivement des renseignements. […] Notre Cour reconnaît aussi l’obligation de la police de communiquer, sans qu’il soit nécessaire de lui en faire la demande, « tous les renseignements se rapportant à son enquête sur l’accusé » (par. 14), ainsi que les autres renseignements qui « se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l’accusé » (par. 59).
[Soulignements ajoutés]
[13]        Dans l’arrêt O’Connor1995 CanLII 51 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 411, au par. 12,  la Cour suprême statue que la simple existence d’un élément ne suffit pas à établir sa pertinence par rapport à la défense, mais que celle-ci doit se présumer lorsqu’il se trouve en la possession du ministère public.
[14]        Se référant aux arrêts StinchcombeO’Connor et Chaplin de la Cour suprême, le juge Vauclair, alors juge à la Cour supérieure et siégeant maintenant à la Cour d’appel, résume l'état du droit relativement à la procédure à suivre en matière de divulgation. DansR. c. Berger, aux par. 38 et 50, il écrit :
[38]      Je répète que ce qui est en possession du ministère public est présumé pertinent. Je note également que la Cour suprême n'a pas permis d'emblée au ministère public de soustraire de son obligation les éléments simplement non pertinents, ce qu'elle aurait pu énoncer. La Cour a plutôt opté pour l'expression « manifestement non pertinent » indiquant clairement que les éléments marginalement pertinents doivent être communiqués.
[50]      Lorsque l’existence de la preuve est établie, le ministère public est tenu de justifier la non-divulgation en fonction des exceptions reconnues. Il est en effet le mieux placé pour discuter de la pertinence ou du privilège puisqu’il est le seul à connaître le renseignement demandé. Par contre, lorsque l’existence des renseignements est mise en doute, le ministère public n’est pas tenu de faire quoi que ce soit tant que la défense ne démontre pas l’existence et la pertinence des renseignements. Une fois le fondement établi, il revient au ministère public de justifier la non-divulgation.
[Soulignement dans le texte]
[15]        Dans McNeil, la Cour suprême spécifie que « l’obligation présumée qui incombe à l'avocat du ministère public de communiquer les fruits de l’enquête en sa possession établie dans Stinchcombe repose sur l’hypothèse que les renseignements sont pertinents et comprennent probablement la preuve qui sera présentée contre l’accusé » (par. 28). Rien de tel ne peut toutefois être inféré quant aux renseignements en possession d’un tiers. L’auteur de la demande doit alors justifier l’objet de sa requête, « d’où son fardeau initial de démontrer la " pertinence vraisemblable " » (par. 28).
[16]         « [L]e service de police chargé de l'enquête n'est pas un tiers, même si en droit, il est distinct et indépendant du ministère public. » Au sens strict, ces deux organismes « peuvent être considérés comme une seule entité pour les besoins de la communication » (McNeil, par. 14 et 24).

Admettre que le ministère public est en mesure de prouver un fait hors de tout doute raisonnable équivaut-il à admettre un fait au sens de l'article 655 C.cr.? Cela équivaut-il à un plaidoyer de culpabilité?

Coderre c. R., 2013 QCCA 1434 (CanLII)

Lien vers la décision

[28]        Admettre que le ministère public est en mesure de prouver un fait hors de tout doute raisonnable équivaut-il à admettre un fait au sens de l'article 655 C.cr.? Cela équivaut-il à un plaidoyer de culpabilité?
[29]        À la première de ces questions, on doit répondre ici par la négative. Reconnaître, à la suite de négociations, la qualité de la preuve du ministère public paraît relever de l'admission de droit ou de l'admission de fait et de droit, qui n'est pas un aveu au sens de l'article 655 C.cr. (aveux lors du procès), plutôt que de l'admission d'un fait, même si l'on peut penser que, par cette reconnaissance, l'accusé sait qu'une déclaration de culpabilité risque de s'ensuivre.
[30]        À la seconde de ces questions, il faut répondre de manière nuancée, ainsi que l'expliquait récemment le juge Wyatt dans R. v. D.M.G. et, surtout, R. v. R.P.. Outre les moyens de défense spéciaux, le Code criminel ne reconnaît en effet que deux types de plaidoyer (art. 606 C.cr.) : le plaidoyer de culpabilité et le plaidoyer de non-culpabilité. Le plaidoyer de culpabilité conditionnel n'existe pas, non plus que le plaidoyer de nolo contendere (plaidoyer de « non-contestation ») – qui correspond assez à ce que les appelants tentaient ici de faire, en réalité. Il est vrai, cependant, que les parties à une poursuite pénale peuvent, même sans qu'il soit question pour l'accusé de plaider coupable, convenir qu'il fera certaines admissions de fait ou s'engagera à ne pas contester la preuve de la poursuite ou à ne pas présenter une défense. L'aveu des éléments essentiels de l'infraction dans le cadre d'une telle entente ou, de même, la non-contestation de la preuve offerte par le ministère public (comme dans D.M.G.) peut entraîner une déclaration de culpabilité. Dans l'arrêt D.M.G., on parle à cet égard d'un « functional equivalent of guilty plea » (concept que, toutefois, on ne reprend pas dans l'arrêt R.P., l'article 606 C.cr. excluant la possibilité d'un plaidoyer de culpabilité implicite). La répudiation d'une telle entente, du moins lorsqu'elle survient après la déclaration de culpabilité, doit alors être envisagée sous l'angle de la question de savoir si l'accusé a compris la nature et les effets de la procédure et s'il y a participé de façon véritablement volontaire.
[31]        Voici comment le juge Wyatt s'explique dans l'arrêt R.P. :
[38]            Section 606(1) describes the pleas available to an accused who is called upon to plead. The section makes it clear that, apart from the general pleas of guilty and not guilty and the special pleas authorized by Part XX, no other pleas are available. Thus, a formal plea ofnolo contendere, literally “I am unwilling to contest”, is not available under our procedural law.
[39]            A plea of guilty is a formal admission of guilt and constitutes a waiver, not only of an accused’s right to require the Crown to prove its case by admissible evidence beyond a reasonable doubt, but also of various related procedural safeguards, including those constitutionally protected: R. v. T. (R.)(1992), 1992 CanLII 2834 (ON CA)10 O.R. (3d) 514 (C.A.), at p. 519Korponay v. Canada (Attorney General)1982 CanLII 12 (CSC)[1982] 1 S.C.R. 41, at p. 49.
[40]            A plea of guilty must be voluntary, unequivocal, and informed. A voluntary plea is a conscious, volitional decision by an accused to plead guilty for reasons that he or she considers appropriate: T. (R.), at p. 520. An informed plea is a plea entered by an accused who is aware of the nature of the allegations made against him or her, the effect of his or her plea, and the consequences of that plea: T. (R.), at p. 519; R. v. Lyons1987 CanLII 25 (CSC)[1987] 2 S.C.R. 309, at p. 371-372.
[41]            On the other hand, an accused who pleads not guilty puts the Crown on notice that she or he requires the Crown to prove every essential element of the offence charged, by evidence that is relevant, material, and admissible, to the exclusion of reasonable doubt, and in accordance with applicable procedural safeguards: R. v. G. (D.M.)2011 ONCA 343 (CanLII)275 C.C.C. (3d) 295, at para. 52. The manner in which the Crown proves its case is for the Crown to decide, subject to the authority of the trial judge to determine issues of relevance, materiality, and admissibility of the evidence, and to ensure that the proceedings comply with any applicable procedural requirements and constitutional standards.
[42]            Among the methods of proof available to the Crown are admissions of fact governed by s. 655 of the Criminal Code. Under that provision, it is for the Crown, not the defence, to state the fact or facts that it alleges against the accused and of which it seeks admission. The accused may choose to admit the facts, or decline to do so. Admissions require action by two parties, one who makes the allegation and the other who admits it. Once the admission is made, no other proof of the facts admitted need be offered: Castellani v. The Queen,1969 CanLII 123 (CSC)[1970] S.C.R. 310, at pp. 315-317.
[43]            Sometimes, formal admissions of fact under s. 655 may constitute the entirety of the Crown’s case. For example, in R. v. Cooper,1977 CanLII 11 (CSC)[1978] 1 S.C.R. 860, the Crown’s case-in-chief consisted of an agreed statement of facts. The Supreme Court of Canada described the procedure as unusual, but did not suggest that it was legally impermissible or procedurally flawed. A similar procedure is followed by some courts in one-stage trials on the issue of criminal responsibility.
[44]            A procedure similar to what happened here came under scrutiny in G. (D.M.). There, as here, the accused pleaded not guilty to a sexual offence. Crown counsel read out a synopsis of the allegations against the accused. The trial judge made no inquiry of the accused to ensure that he understood the nature and effect of the procedure that was being followed. Neither Crown nor defence counsel made any submissions. The trial judge convicted the accused and remanded him in custody for sentencing.
[45]            In G. (D.M.) a combination of two errors caused a miscarriage of justice and warranted a new trial. The first had to do with the manner in which Crown counsel discharged her burden of proof after the accused had pleaded not guilty. And the second was the failure of the trial judge to conduct any inquiry into the voluntariness of the appellant’s participation and his understanding of the nature and effect of the procedure: G. (D.M.), at para. 61.
[46]            In G. (D.M.), Crown counsel read a synopsis of the allegations on which the Crown relied. Defence counsel said nothing about whether he agreed with or did not dispute the allegations. Nothing said or done by counsel could be construed as bringing the case within the reach of 655 of the Criminal Code.
[47]            In G. (D.M.), the trial judge did not conduct any inquiry of the accused, similar to the inquiry mandated by s. 606(1.1) for pleas of guilty, to ensure that the accused was a voluntary participant in the procedure and understood the nature and effect of the procedure being followed. The fresh evidence in that case did not establish the scope of any advice counsel may have provided to the accused, more specifically, whether counsel told the appellant about the procedure that would be followed when proceedings resumed.
[48]            In G. (D.M.), as in this case, the appellant, in discussions with counsel, denied having committed the offences with which he was charged and on which he was being tried.
[49]      In R. v. Hector(2000) 2000 CanLII 5725 (ON CA)146 C.C.C. (3d) 81 (Ont. C.A.), the appellant pleaded guilty to three counts of first degree murder. On appeal, he argued that his guilty pleas should be set aside and a new trial ordered because he had never admitted his guilt to trial counsel, indeed had protested his innocence on several occasions. It followed, the argument continued, that trial counsel should have refused to permit the appellant to plead guilty or try to talk him out of it. The court rejected the argument because the failure of the appellant to acknowledge guilt or, put another way, the appellant’s denial of guilt, did not compromise any of the essential elements of a valid plea of guilty, that is to say, that the plea is voluntary, unequivocal, and informed: Hector, at paras. 7-8; R. v. Pivonka2007 ONCA 572 (CanLII)228 O.A.C. 227, at para. 16; and R. v. Khaja2010 ONCA 246 (CanLII), at para. 11.
[50]            To determine whether the procedure followed in cases like this caused a miscarriage of justice requires a case-specific examination of all relevant circumstances, including those revealed by the fresh evidence: G. (D.M.), at para. 62.
[32]        Si l'accusé n'a pas bien compris la nature et les effets de la procédure suivie ou n'en a pas été bien informé, ce qui altère le caractère volontaire de sa décision, ou s'il a subi des pressions indues (toutes conditions qui s'apparentent fort à celles du retrait du plaidoyer de culpabilité), il y a alors atteinte à l'équité du procès et erreur judiciaire au sens de l'article 686, sous-al. (1)a)(iii), C.cr.). C'est d'ailleurs là la conclusion à laquelle en vient le juge Wyatt dans D.M.G., alors qu'il conclut à l'inverse dans R.P., où il écrit que :
[65]      Finally, we are left with an appellant who voluntarily participated in a procedure without statutory warrant (or prohibition, except against entry of a formal plea of nolo contendere), well aware of the consequences (a finding of guilt and conviction), in the hope of gaining a desired sentencing disposition without having to utter an express admission of guilt of sexual offences. That he asserted innocence and did not admit guilt to his counsel does not invalidate these proceedings any more than it would vitiate a plea of guilty. Unlike the appellant inG. (D.M.), this appellant does not say he wanted to testify to deny the allegations, but the procedure followed denied him that opportunity.
[66]            As G. (D.M.) points out, at para. 51, there is no statutory provision or common law principle that prohibits the procedure at issue in that case and in this case after an accused has entered a plea of not guilty. The flaw in G. (D.M.) was in the execution. The execution in this case was materially different. I am satisfied that in the circumstances of this case, the procedure followed did not cause a miscarriage of justice. The procedure here did not compromise the fairness of the hearing or contribute to an unreliable verdict. I would not give effect to this ground of appeal.
[33]        Dans R.P., voici la manière dont les parties avaient choisi de procéder :
The Written Instructions
[17]            Trial counsel obtained written instructions from the appellant about the procedure to be followed at trial. Counsel reviewed the instructions with the appellant and had a second lawyer from the local Bar repeat the procedure. The appellant signed the instructions which the other lawyer witnessed.
[18]            The instructions signed by the appellant indicated that he would re-elect trial by judge alone and not contest the counts upon which the Crown would be proceeding. Attached to or accompanying the instructions was a list of the relevant counts and a detailed statement of facts concerning the allegations of each complainant, except the first complainant who had already testified before the jury and for whom the facts were to be as disclosed in his evidence. The appellant acknowledged that the Crown had a strong case and that neither he nor his wife, for different reasons, would be able to offer much of a response.
[19]            The instructions also noted that none of the offences on which the Crown was proceeding required the imposition of a minimum sentence of imprisonment. Trial counsel for the appellant would seek a conditional sentence, but Crown counsel would not be joining in that submission. The appellant further acknowledged that the final result would be in the judge’s discretion after a sentencing hearing.
The Procedure Followed
[20]            In the absence of the jury, counsel advised the trial judge of the procedure they proposed to follow. The appellant re-elected trial by judge alone with Crown counsel’s consent and, after the trial judge had discharged the jury and declared a mistrial, pleaded not guilty to each count in the indictment.
[21]            During the discussions with the trial judge in the absence of the jury, trial counsel for the appellant said:
We have agreed on a statement of facts that we anticipate will be followed through.
Trial counsel made it clear that the appellant would not be entering guilty pleas but that both counsel would be inviting the trial judge to make findings of guilt and to enter convictions on specified counts, and to record conditional stays in connection with the remaining counts.
[22]            In accordance with the written instructions of the appellant, counsel agreed to have the evidence given by the first complainant before the jury apply to the proceedings before the trial judge. Crown counsel then read the statement of facts appended to the appellant’s instructions in connection with the remaining complainants. Trial counsel indicated that those facts were not contested. The trial judge entered findings of guilt on all counts and recorded convictions in conformity with the agreement of counsel. Conditional stays were entered on the remaining counts.

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