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samedi 2 décembre 2023

Comment traiter la destruction d'un élément de preuve par un tiers

Simard c. R., 2015 QCCA 1266

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[57]        Les parties s’entendent quant au caractère exceptionnel de la réparation de l’arrêt des procédures. Il n’existe, en effet, que de rares cas – on les qualifie souvent de « cas les plus manifestes »[9] – dans lesquels un abus de procédure justifie ce remède. Les parties ne contestent pas que la révision en appel d’un jugement en cette matière doit être marquée par la déférence : seules une erreur de droit, une erreur manifeste et déterminante ou une erreur menant à une injustice peuvent justifier l’intervention de la Cour. Comme le rappelle mon collègue le juge Doyon dans l’arrêt Tshiamala[10], cette déférence est de mise parce que la décision d’accorder ou non un remède en vertu de l’article 24(1) de la Charte est avant tout discrétionnaire.

[58]        Les parties ne contestent pas, non plus, que le cas de figure qui nous intéresse ici est ce que la Cour suprême qualifie dans l’arrêt Babos[11] de « catégorie principale » des abus de procédures : ceux où la conduite de l’État compromet l’équité du procès de l’accusé. Dans cette affaire, le juge Moldaver expose ainsi, pour les juges majoritaires, le premier volet du test applicable à l’égard d’une demande d’arrêt des procédures : « Il doit y avoir une atteinte au droit de l'accusé à un procès équitable ou à l'intégrité du système de justice qui "sera révélé[e], perpétué[e] ou aggravé[e] par le déroulement du procès ou par son issue" (Regan, par. 54) »[12].

[59]        En appel, l’appelant réitère que la perte des documents est imputable au ministère public et qu’elle le prive de son droit à une défense pleine et entière. Outre les arrêts Stinchcombe et Egger, il s’appuie sur les arrêts Rochon[13] et Dixon[14] en affirmant que le ministère public a l’obligation de conserver la preuve et de la divulguer à la défense de manière diligente; son défaut peut donner lieu à une violation de l’article 7 de la Charte. Pour justifier le remède d’arrêt des procédures en l’espèce, il fait état de son propre fardeau pour établir la violation de ses droits constitutionnels selon les règles applicables aux situations de non-divulgation et de non-conservation de preuve par la poursuite : il lui suffirait d’établir, par prépondérance de preuve, une possibilité raisonnable que les éléments perdus ou détruits auraient été utiles pour sa défense.

[60]        Ce faisant, je suis d’avis que l’appelant propose le mauvais cadre d’analyse pour déterminer s’il y a eu violation de ses droits constitutionnels.

[61]        Tout document n’est pas soumis à l’obligation de divulgation ou de conservation de la preuve par la poursuite. Tenons pour acquis, aux fins de l’argumentation, que les feuilles de présence et les registres de mobilité en possession de la maison de transition constituaient une preuve pertinente, tout en notant que la juge est fort critique quant à la qualité de cette preuve[15]. Bien entendu, le ministère public a une obligation de divulguer une preuve pertinente, mais il n’a pas ce devoir à l’égard d’une preuve qui n’est ni en sa possession ni sous son contrôle[16]. C’est le cas ici.

[62]        Les documents réclamés par l’appelant ont été détruits par un tiers – la maison de transition – et non par le ministère public ou même les autorités policières. Malgré son affiliation avec le Service correctionnel du Canada, la Maison Prosper-Boulanger est un tiers, lorsque considérée sous l’angle de l’obligation de divulgation et de conservation de la preuve incombant au ministère public[17].

[63]        Ces documents n’ont jamais été en la possession des autorités policières. Au moment de leur destruction – à une date indéterminée entre le 16 mars 2009 et le 6 octobre 2009 – les policiers ne savaient même pas que l’appelant habitait dans la maison de transition à la date de la perpétration des infractions.

[64]        L’appelant fait économie de cette question dans son analyse de la Charte et des règles ayant trait à l’arrêt des procédures. Il a tort de fonder son analyse sur cette obligation de divulgation de la poursuite, car elle ne s’applique pas aux documents en question.

[65]        Certes, le droit à la communication de la preuve par le ministère public n’est pas le seul volet du droit de présenter une défense pleine et entière consacré par la Charte. Comme l’indique le juge Sopinka dans l’arrêt R. c. La[18], ce droit englobe une protection contre la perte des documents dans d’autres circonstances, y compris la destruction de documents par des tiers : « Ainsi », écrit-il, « il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, que la perte d’un document soit à ce point préjudiciable au droit de présenter une défense pleine et entière qu’elle porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable »[19]. Dans ces cas, l'accusé doit démontrer que la perte de l'élément de preuve lui cause « un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière »[20]. Il est possible, ainsi, que l’arrêt de procédures soit la réparation opportune, pourvu que les critères propres à cette réparation soient respectés.

[66]        C'est l'approche qui est mise de l'avant dans l'arrêt Kociuk[21] de la Cour d'appel du Manitoba, dont les motifs de la majorité ont été confirmés par la Cour suprême[22]. Cet arrêt porte sur des faits en partie semblables à notre dossier. M. Kociuk faisait face à une accusation de meurtre liée à un incident survenu vingt ans plus tôt et fondée sur une preuve d’ADN. Il demandait l’arrêt des procédures puisque certains documents, dont les registres de la maison de transition où il résidait à l’époque du crime, avaient été détruits dans l’intervalle par un tiers. Il invoquait une atteinte à son droit à une défense pleine et entière et soutenait que les documents manquants auraient pu l’aider à présenter une défense d’alibi. Le juge Chartier réfère ainsi à l’arrêt La, en résumant le cadre d'analyse applicable à l'égard de documents perdus ou détruits :

21 The law with respect to a lost evidence motion is uncontroversial. Not every loss of relevant evidence will necessarily infringe on an accused's right to make full answer and defence. As recognized by the Supreme Court of Canada in La, "owing to the frailties of human nature, evidence will occasionally be lost" (at para. 20). When evidence is lost or missing, the Crown has an obligation to explain that loss and satisfy the trial judge that it was not due to unacceptable negligence or an abuse of process. Where the Crown has satisfactorily explained the loss, the onus shifts to the accused who, in order to be successful, "must establish actual prejudice to his or her right to make full answer and defence" (at para. 25). Sopinka J., for the majority, also explained in La that the principal consideration, in relation to whether the explanation of the Crown is satisfactory, "is whether the Crown or the police (as the case may be) took reasonable steps in the circumstances to preserve the evidence" (at para. 21).

[67]        Le juge Chartier applique ensuite ce cadre d'analyse à la disparition des registres par la maison de transition, en tant que tiers :

36 The halfway house where the accused was living at the time of the murder was operated in 1984 by the Salvation Army under the auspices of the Correctional Service of Canada. The Salvation Army is required to maintain its records for seven years. In the circumstances of this case, there was no reason for either the Salvation Army or the Correctional Service to have kept these records after the seven-year period. The police had not asked them to keep the records as the accused did not become a suspect in this murder until 2005. Furthermore, while the police have a duty to disclose to the Crown the fruits of their investigation, these records were not created by the police, nor were they in the control of the police or the Crown. Once again, I see no error in the trial judge's decision.

[…]

41 On the issue of any actual prejudice arising from the missing halfway house records and surveillance records (the missing records), the accused argues that he suffered prejudice because the missing records may have assisted him in his ability to present alibi evidence. It should be noted that an alibi was never advanced by the accused. He contends that those records were a potential source of information to refresh his memory as to where he was in May of 1984.

42 The trial judge found that there was no evidentiary basis to conclude that the missing records may have assisted the accused in establishing an alibi. He observed the following:

... the foundational evidence on this motion is without any sort of testimony from the accused or any indication as to how the lost items in question otherwise prejudice his ability to make an alibi or to claim alibi.

43 In the end, the trial judge found that the missing records may or may not have given the accused the information to advance an alibi. The evidentiary foundation was lacking and the nature of the accused's prejudice was conjectural at best. Once more, I have not been persuaded that the trial judge erred in finding that the accused had not met his onus of establishing actual prejudice or in refusing to grant the stay.

[Soulignements ajoutés]

[68]        Je retiens de La et Kociuk l’enseignement suivant : s’il est établi que la perte n’est pas le résultat d’une négligence inadmissible ou d’un abus de procédures, le fardeau revient à l’accusé qui doit démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Comme le juge Doyon l’a écrit récemment dans Cartier : « Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures »[23]. Le juge Doyon ajoute, en s’appuyant sur les mêmes paragraphes de l’arrêt La cités plus haut, que « cela ne pourra toutefois se produire que dans des situations exceptionnelles ».

[69]        Dans les circonstances, il ne suffit pas, comme dans les cas de non-respect de l’obligation de divulgation en application de Stinchcombe, de démontrer une « possibilité raisonnable » que les documents perdus auraient été utiles au soutien de la défense de M. Simard pour conclure à une atteinte à son droit constitutionnel sous l’article 7 de la Charte. Avec égards, la juge se méprend, au paragraphe [48] de ses motifs, lorsqu’elle présente la question en litige ainsi : « [s]uivant R. c. Dixon, [1998 CanLII 805 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 244 au paragr. [22]], existe-t-il une possibilité raisonnable que les éléments de preuve manquants aient pu aider la défense? ». Ce critère ne s’appliquait pas ici. À la lumière de la jurisprudence concernant la perte de documents du fait d’un tiers, la juge aurait dû utiliser un critère plus exigeant, soit la démonstration par l'accusé d’un « préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière »[24] .

[70]        Je m’empresse de dire que la méprise de la juge – somme toute favorable à M. Simard – s’avère néanmoins sans conséquence. Même en employant le critère « fort peu élevé »[25] de la « possibilité raisonnable » de l’utilité des documents manquants, la juge n’a pas conclu à une atteinte au droit de l’appelant à une défense pleine et entière. Pour les motifs qui suivent, je partage sa conclusion sur ce point.

Pour évaluer le caractère raisonnable de la conduite des policiers en lien avec la perte de la preuve, on peut notamment prendre en compte la pertinence accordée aux éléments de preuve en cause

Laflamme c. R., 2015 QCCA 1517

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[110]  Par ailleurs, en ce qui a trait à ces questions liées à la perte ou la disparition d’éléments de preuve, l'obligation de divulgation du ministère public emporte celle de conserver la preuve[22]. Aussi, lorsqu'un élément de preuve, qui aurait dû être divulgué, est perdu, le ministère public a l'obligation d'en expliquer les raisons[23]. Il importe de s’interroger si la perte est le fruit d'une « négligence inacceptable »[24]. Pour évaluer le caractère raisonnable de la conduite des policiers, on peut notamment prendre en compte la pertinence accordée aux éléments de preuve en cause[25].

Il faut déterminer s’il y a eu atteinte au droit à une défense pleine et entière en cas de destruction d'un élément de preuve

Charrière c. R., 2021 QCCA 1338

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[83]      Les documents concernant le détail des dépôts et retraits effectués dans le compte d’ÉRN inc. sont des documents pertinents qui auraient dû être communiqués en vertu du droit à la communication de la preuve[62]. L’intimée a toutefois expliqué les circonstances entourant la perte des documents et a ainsi démontré qu’elle n’est pas responsable de la destruction de ces éléments de preuve, aucune négligence inacceptable ne lui étant imputable[63]. Par conséquent, il ne saurait y avoir de violation du droit d’obtenir communication de la preuve.

[84]      Cela ne met pas fin à cette analyse puisqu’il faut ensuite évaluer s’il y a eu atteinte au droit à une défense pleine et entière de l’appelant[64]. Pour établir une telle atteinte, l’appelant doit démontrer que la perte de ces documents lui a causé un « préjudice concret »[65] et faire la preuve d’une « possibilité réaliste d'une atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière »[66]. Cette violation doit être établie selon la prépondérance des probabilités[67].

[85]      L’appelant allègue, sans plus de détails, que la destruction de ces documents a affecté sa capacité à contre-interroger l’experte Senneville et que le jury risquait de tirer une inférence négative de cette absence de preuve.

[86]      Cela ne suffit pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le droit de l’appelant à une défense pleine et entière a été violé. De fait, aucun préjudice concret n’est démontré.

[87]      Comme le souligne la Cour dans l’arrêt R. c. Simard[68], il ne suffit plus, à cette étape de l’analyse, de simplement démontrer que les documents détruits auraient été « utiles » au soutien de la défense de l’appelant. En effet, une fois établi que le droit d’obtenir communication de la preuve n’a pas été violé, c’est le critère plus exigeant de la démonstration par l’accusé d’un « préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière » qui trouve application[69].

[88]      Or, les arguments de l’appelant au soutien de ce moyen d’appel se rattachent uniquement à la pertinence des documents détruits, ce qui se rapporte au droit à la communication des documents. Le seul fait que les documents détruits sont pertinents est insuffisant pour conclure que le droit à une défense pleine et entière a été violé. Cet argument doit donc échouer.

 

L’obligation de communication de la preuve entraîne l’obligation du ministère public de conserver les éléments de preuve pertinents

 Cartier c. R., 2015 QCCA 329

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[75]        L’obligation de communication de la preuve entraîne l’obligation du ministère public de conserver les éléments de preuve pertinents : R. c. Egger1993 CanLII 98 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 451. Par conséquent, lorsque des éléments de preuve sont perdus ou détruits et que la défense s’en plaint en invoquant son droit à la communication de la preuve, encore faut-il qu'ils soient pertinents, sinon leur conservation n’était pas exigée. Si tel est le cas, et que « les explications du ministère public convainquent le juge du procès que la preuve n’a été ni détruite ni perdue par suite d’une négligence inacceptable, l’obligation de divulgation n’a pas été violée » : R. c. La, précité, paragr.20. Si le ministère public n’y parvient pas, il y a violation de l’art. 7 de la Charte.

[76]        L’appelant cite le paragr. 55 de R. c. Fournier (2000), 2000 CanLII 6745 (QC CA), 145 C.C.C. (3d) 420 (C.A.Q.), repris dans  R. c. Salame2010 QCCA 64, pour affirmer que l’ordre doit être inversé. Ce serait plutôt au ministère public de démontrer l’absence de pertinence de la preuve après que la défense a établi la possibilité réaliste d’une atteinte à ses droits :

[55] Le premier juge a eu raison de conclure qu'il suffisait à l'intimé d'établir la possibilité réaliste d'une atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière pour donner ouverture au droit de demander un remède approprié en vertu de l'article 24.1 de la Charte. Une fois cette preuve faite, il incombe à la Couronne d'établir soit l'absence totale de pertinence de la preuve matérielle détruite ou perdue, soit l'absence d'une négligence grossière ou inacceptable.

[77]        Il faut toutefois préciser que, dans ces deux arrêts, il était incontestable que la preuve était pertinente. Dans Fournier, il s’agissait d’objets vraisemblablement utilisés pour commettre le meurtre alors que dans Salame, c’était le seul élément de preuve susceptible de permettre à la défense de contester l’expertise déposée par la poursuite. Personne ne pouvait contester la pertinence de ces objets. De plus, dans ces deux cas, il y avait non seulement le droit à la communication de la preuve qui était en cause, mais aussi la possibilité réaliste d’une atteinte au droit à un procès équitable en raison de la disparition de la preuve. Bref, ce n’était pas la question de la pertinence qui était en litige. De plus, si dans R. c. La, précité, il n’est pas fait mention directement de la nécessité de démontrer d’abord la pertinence de la preuve disparue pour s’interroger sur l’obligation de communication, c’est que cela découle nécessairement des propos du juge Sopinka :

[20] […] Le droit à la divulgation serait vide de sens si le ministère public n’était pas tenu de conserver des éléments de preuve qu’on sait pertinents. […]

[Je souligne.]

[78]        Cela découle aussi de ses motifs dans R. c. Carosella1997 CanLII 402 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 80 :

[37] Le droit à la communication de documents qui satisfont au critère préliminaire établi dans Stinchcombe est l’un des éléments du droit de présenter une défense pleine et entière qui est lui un principe de justice fondamentale visé à l’art. 7  de la Charte. […]

[Je souligne.]

[79]        Par ailleurs, même si l’appelant avait raison quant à l’ordre à suivre, cela n’aurait aucun impact dans le présent dossier, puisque le juge de première instance prend soin de se prononcer sur les explications du ministère public même lorsqu’il estime que la preuve n’était pas pertinente.

[80]        Il va de soi que, pour décider si l’explication est satisfaisante, il faut tenir compte des circonstances de la disparition ou de la destruction, notamment se demander si des mesures raisonnables ont été prises pour conserver la preuve. Il faut aussi prendre en considération la pertinence qu’on accordait à cette preuve à l’époque. Le degré de pertinence importe également : plus le degré de pertinence est élevé, plus les autorités ont le devoir de prendre des mesures diligentes pour conserver la preuve. Enfin, si la conduite des autorités était raisonnable, il n’y aurait pas de violation du droit malgré la perte de la preuve.

[81]        Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures. Comme le souligne le juge Sopinka dans R. c. La, précité, cela ne pourra toutefois se produire que dans des situations exceptionnelles :

[24] L’obligation du ministère public en matière de divulgation de la preuve ne couvre évidemment pas tous les aspects du droit de présenter une défense pleine et entière garanti par l’art. 7  de la Charte  En effet, même lorsque le ministère public s’est acquitté de son obligation en divulguant tous les renseignements pertinents en sa possession et en expliquant les circonstances de la perte de tout élément de preuve, l’accusé jouit toujours du droit que lui garantit l’art. 7 de présenter une défense pleine et entière.  Ainsi, il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, que la perte d’un document soit à ce point préjudiciable au droit de présenter une défense pleine et entière qu’elle porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable.  Dans de telles circonstances, il est possible que l’arrêt des procédures soit la réparation convenable, pourvu que les critères dont j’ai fait état plus tôt soient respectés.

[Je souligne.]

[82]        Je m’empresse de préciser que ce ne saurait être le cas ici. La perte des cheveux ou des fibres n’entre pas dans la catégorie des circonstances exceptionnelles. Leur importance et l’impact de leur disparition ne justifieraient pas, en soi, l’arrêt des procédures.

[83]        Par ailleurs, comment identifier les situations qui constituent un abus de procédures à la suite d’un défaut de communication? Le juge Sopinka écrit, toujours dans R. c. La, précité :

[22] Quelle conduite découlant du défaut de divulguer constituera un abus de procédure?  Par définition, il doit s’agir d’une conduite d’une autorité gouvernementale qui viole les principes fondamentaux qui sous‑tendent le sens du franc‑jeu et de la décence de la société.  La destruction de propos délibéré d’éléments de preuve par la police ou par d’autres représentants du ministère public en vue de contourner l’obligation de divulgation de celui‑ci est un exemple du genre de conduites visées.  Toutefois, l’abus de procédure ne se limite pas aux conduites de représentants du ministère public qui agissent pour un mobile illégitime.  Voir, dans R. c. O’Connor1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, aux par. 78 à 81, les propos exprimés par le juge L’Heureux‑Dubé pour la majorité sur cette question.  Par conséquent, d’autres dérogations graves à l’obligation qu’a le ministère public de conserver les éléments qui doivent être produits peuvent également constituer un abus de procédure, même s’il n’est pas établi que des éléments de preuve ont été détruits de propos délibéré pour faire obstacle à leur divulgation.  Dans certains cas, une conduite démontrant un degré inacceptable de négligence pourrait être suffisante.

[84]        Dans R. c. F.C.B(2000), 2000 NSCA 35 (CanLII), 142 C.C.C. (3d) 540, la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse décrit la règle en dix propositions :

10     The basic principles applicable to the analysis of all three grounds of appeal raised in this case were summarized by Sopinka, J. in R. v. La, supra, commencing at para. 16. Those principles derived from R. v. Stinchcombe (No.1), 1991 CanLII 45 (CSC)[1991] 3 S.C.R. 326R. v. Egger1993 CanLII 98 (CSC)[1993] 2 S.C.R. 451; R. v. Stinchcombe (No. 2), supra; R. v. Chapman, 1995 CanLII 126 (CSC)[1995] 1 S.C.R. 727R. v. O'Connor, supra; and, R. v. Carosella , supra, and further developed in La, are:

(1)  The Crown has an obligation to disclose all relevant information in its possession.

(2)  The Crown's duty to disclose gives rise to a duty to preserve relevant evidence.

(3)  There is no absolute right to have originals of documents produced. If the Crown no longer has original documents in its possession, it must explain their absence.

(4)  If the explanation establishes that the evidence has not been destroyed or lost owing to unacceptable negligence, the duty to disclose has not been breached.

(5)  In its determination of whether there is a satisfactory explanation by the Crown, the Court should consider the circumstances surrounding its loss, including whether the evidence was perceived to be relevant at the time it was lost and whether the police acted reasonably in attempting to preserve it. The more relevant the evidence, the more care that should be taken to preserve it.

(6)  If the Crown does not establish that the file was not lost through unacceptable negligence, there has been a breach of the accused's s. 7 Charter rights.

(7)  In addition to a breach of s. 7 of the Charter, a failure to produce evidence may be found to be an abuse of process, if for example, the conduct leading to the destruction of evidence was deliberately for the purpose of defeating the disclosure obligation.

(8)  In either case, a s. 7 breach because of failure to disclose, or an abuse of process, a stay is the appropriate remedy, only if it is one of those rare cases that meets the criteria set out in O'Connor.

(9)  Even if the Crown has shown that there was no unacceptable negligence resulting in the loss of evidence, in some extraordinary case, there may still be a s. 7 breach if the loss can be shown to be so prejudicial to the right to make a full answer and defence that it impairs the right to a fair trial. In this case, a stay may be an appropriate remedy.

(10)  In order to assess the degree of prejudice resulting from the lost evidence, it is usually preferable to rule on the stay application after hearing all of the evidence

[85]        Cette Cour précise la démarche, dans R. c. RochonJ.E. 2002-1223, paragr. 47, en écrivant que « la perte d'une preuve pertinente au sens de Stinchcombe est une violation du droit de l'accusé à la divulgation, donnant droit à réparation à moins que la poursuite n'apporte une justification satisfaisante de la perte de la preuve ». Par ailleurs, la Cour ajoute que, même si la poursuite fait cette démonstration, le droit de l'accusé à une défense pleine et entière sera tout de même enfreint si, notamment, « la non-disponibilité de la preuve a causé un préjudice concret au droit de présenter une défense pleine et entière ».

[86]        Le juge de première instance a respecté ces principes.

[87]        En ce qui a trait à la première catégorie, il conclut que la preuve n’était pas pertinente et, au surplus, que si elle l’était, il aurait jugé satisfaisantes les explications du ministère public. Il ajoute qu’il n’y a aucun indice pouvant laisser croire que la disparition de la preuve empêche l’appelant de présenter une défense pleine et entière. Je ne vois pas d’erreur pouvant justifier l’intervention de la Cour. D’ailleurs, l’appelant en convient.

[88]        Quant à la deuxième, en tenant compte de la situation et de la perception des policiers à l’époque, il estime que la défense n’a pas démontré que la preuve était pertinente au sens de R. c. Stinchcombe1995 CanLII 130 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 754. En outre, si elle l’était, les explications du ministère public suffisaient eu égard aux connaissances scientifiques en 1999-2000. Poussant plus loin l’analyse, il ne voit aucun abus de procédures, mauvaise foi ou motif détourné pour détruire la preuve. Il constate qu’il n’y a pas eu un degré inacceptable de négligence et, recherchant un préjudice « concret » que l’appelant aurait pu subir en ce qui a trait au droit à une défense pleine et entière, comme le prévoit l’arrêt R. c. La, précité, au paragr. 25, il dit ne pas en voir. Là encore, je ne vois pas pourquoi la Cour devrait intervenir.

[89]        En ce qui a trait à la troisième, il conclut que la preuve était pertinente, qu’il y a eu violation du droit à la communication de la preuve et que les explications du ministère public sont insuffisantes en ce qu’il y a eu erreur professionnelle sérieuse. Par contre, il ne détecte ni mauvaise foi ni abus de procédures et est d’avis qu’il ne s’agit pas de l’un des cas manifestes où l’arrêt des procédures serait justifié. Je ne vois aucune erreur dans ces conclusions.

[90]        Le juge recherche donc un remède qui soit juste et opte pour un contre-interrogatoire portant sur les circonstances de la disparition de la preuve. Comme le plaide l’appelant, cette réparation est toutefois de peu d’utilité, puisqu’un tel contre-interrogatoire est de toute façon permis. De plus, la Cour a souligné le caractère illusoire d’un tel remède dans R. c. Duguay2009 QCCA 1130, paragr. 260.

[91]        Par contre, comme dans R. c. Duguay, j’estime que l’appelant n’a pas subi de véritable préjudice. L’on ne sait pas s’il s’agissait de fibres ou de cheveux. Dans le cas de fibres, je ne peux voir en quoi une analyse pourrait avantager l’appelant. Quelle que soit leur nature ou leur origine, elles ne pourraient le disculper. S’il s’agit de cheveux, à moins que ce ne soient ceux de l’appelant (ce qui serait une preuve à charge), leur impact serait minime. En effet, en quoi pourraient-ils être favorables à la défense s’il s’avère qu’ils appartenaient à une autre personne? Rappelons que c’est d’un véhicule volé qu’il s’agit et que la présence de cheveux étrangers à l’appelant ne changera rien à la valeur de la preuve, même s’ils provenaient d’individus criminalisés, d’autant que son ADN a été retrouvé dans une cagoule saisie à l’intérieur.

[92]        De plus, dans ses directives, le juge a attiré l’attention des jurés sur les lacunes invoquées par la défense en ce qui a trait au travail du témoin et cela fait partie du remède.

[93]        Dans ces circonstances, je propose le rejet de ce moyen d’appel.

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