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dimanche 15 octobre 2017

La conduite dangereuse, l'analyse du lien de causalité et la théorie de l'acte intermédiaire

Truchon c. R., 2016 QCCA 1396 (CanLII)

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[14]        Il est maintenant acquis que les motifs d'un jugement pour être considérés comme suffisants n'ont qu'à permettre un examen valable en appel de la justesse de la décision. C'est le cas en l'espèce.
[15]        Le juge a pris soin de résumer de façon exhaustive tous les faits pertinents de la cause. Il s'est ensuite inspiré des enseignements pertinents dégagés des arrêts NetteBonin et Quesnel aux fins de trancher la question de la causalité. Finalement, il a conclu qu'il était « évident que la conduite de l'accusé constitu[ait] une cause substantielle de la collision qui nous concerne, et ce, en dépit des éléments contributifs attribuables à Mme Villeneuve [la conductrice du véhicule Honda] ».
[16]        L'appelant plaide la théorie de l'acte intermédiaire (clignotant indiquant que le véhicule Honda allait se ranger à droite pour ensuite effectuer un virage en « U » vers la gauche) pour soutenir qu'il y aurait eu rupture du lien de causalité entre sa conduite dangereuse et les conséquences subies par les victimes.
[17]        Dans l'arrêt Maybin, la Cour suprême mentionne que cette théorie ainsi que celle de la prévisibilité raisonnable de l'acte intermédiaire ne sont que des outils permettant d'analyser la causalité juridique. En définitive, la question pertinente qui se pose en matière de lien de causalité se résume à déterminer si la conduite dangereuse a contribué de façon appréciable à la mort ou aux blessures d’une victime.
[18]        En l'espèce, le juge n'a pas conclu que l'acte intermédiaire invoqué contre la conductrice du véhicule Honda avait supplanté la conduite dangereuse de l'appelant. Après analyse, il a plutôt déterminé que celle-ci avait été une cause appréciable de la collision à la suite de laquelle est survenu le décès de la conductrice du véhicule Honda ainsi que des lésions corporelles à sa passagère.
[19]         L’appelant aurait souhaité que le juge traite précisément de la question du lien de causalité juridique en des termes explicites. Une lecture attentive du jugement fait cependant voir qu’il n’a pas ignoré cette notion alors que le choix des mots pour exprimer son raisonnement sur cette question lui appartenait.
[20]        Par ailleurs, l'hypothèse proposée par l'appelant et admise par l'expert selon laquelle l'accident se serait produit même s’il avait respecté la limite de vitesse est sans pertinence. La Cour dans l'arrêt Bonin a été appelée à traiter du lien de causalité applicable aux paragraphes 249(3) et (4) C.cr. en ces termes :
[31]      Avec égards, à l’instar de la juge de première instance, la Cour est d’avis que la thèse des experts sur des scénarios possibles, si l’appelant avait agi autrement, n’est pas pertinente. Comme le déclare la Cour suprême dans R. c. Nette2001 CSC 78 (CanLII)[2001] 3 R.C.S. 488, par. 49, « [l]e droit criminel ne reconnaît pas la négligence contributive et ne comporte aucun mécanisme de partage de la responsabilité relative au préjudice résultant d'une conduite criminelle, sauf dans le contexte de la détermination de la peine une fois que l'existence d'un lien de causalité suffisant a été établie ».
[32]      Sur le lien requis, la Cour d’appel de l’Ontario énonce dans l’arrêt R. c. Kippax2011 ONCA 766 (CanLII)286 O.A.C. 144, par. 24, que lors d’une accusation sous les par. 249(3) ou 249(4) C.cr., la poursuite se doit de démontrer, hors de tout doute raisonnable, « that an accused’s conduct was a significant contributing cause [cause ayant contribué de façon appréciable] of the death or injuries ».
[33]      En l’espèce, il est indéniable que la conduite de l’appelant a été une cause appréciable des décès de Yann De Courcy et AlexandreDe Courcy-Laplante ainsi que des blessures subies par N… D…, nonobstant la conduite du conducteur de la Hyundai. En effet, l’appelant circulait, en partie, dans la voie inverse au moment de la collision et il n’a effectué aucune manœuvre d’évitement.
[Références omises.]
[21]         L'élément déterminant en cette matière est le risque de dommages ou de préjudices qu'engendre la façon de conduire et non celui auquel aurait pu être exposé le public si l'appelant avait choisi de respecter la loi. Nous reviendrons sur cette question au moment de discuter du moyen d’appel portant sur le verdict déraisonnable.
[22]        En conclusion sur ce premier moyen, le dossier d’appel fait voir que l'enquête a porté sur les bons éléments et que le juge a procédé à un examen sérieux de la façon de conduire de l'appelant, avant de conclure que celle-ci avait contribué de façon appréciable aux conséquences mises en preuve par la poursuite. L’appelant ne démontre pas que le juge s’est mal dirigé en droit sur cette question.

La théorie de l'accident en matière d'infraction de conduite automobile

R. c. Girard, 2017 QCCQ 1275 (CanLII)

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[49]        Dans le présent cas, la défense soumet aussi en quelque sorte une défense d'accident, laquelle soulèverait à tout le moins un doute raisonnable tant en ce qui concerne l'élément matériel des infractions reprochées que l'élément moral de celle-ci.
[50]        Il faut distinguer toutefois entre le caractère volontaire d'un acte et celui de la conséquence ; dans sa plus simple expression, cela peut se traduire par le propos suivant : oui je l'ai frappé, mais je ne voulais pas le tuer ou j'ai tiré un coup de fusil en sa direction, c'était pour faire une blague, mais je n'ai jamais voulu l'atteindre. Dans ces cas, à une accusation d'homicide involontaire ou négligence criminelle, la théorie de l'accident dans le sens de celui reconnu par notre droit quant au caractère volontaire du geste, ne serait très probablement pas applicable.
[51]        L'auteur Hugues Parent définit l'accident comme « un événement soudain et inattendu qui se produit sans participation de la volonté de l'agent ».
[52]        Pour sa part, la Cour d'appel du Québec dans la décision Fils c. La Reine précise que la caractéristique fondamentale de l'accident réside dans l'imprévisibilité d'un événement qui survient inopinément hors du contrôle d'une personne.
[53]        Les propos suivants de l'auteur Parent pour l'appréciation de la défense d'accident nous paraissent pertinents:
Ce n'est donc pas parce que l'accident empêche la constatation de l'intention spécifique de tuer qu'il liquide automatiquement la culpabilité de l'agent. Au contraire, « si cette intention est absente, mais que l'accident cause la mort au moyen d'un acte illégal, le seul verdict possible est alors celui de l'homicide involontaire coupable ». 
[54]        La Cour suprême, par la plume de madame la juge Charron, donne aussi des exemples de ce qui constitue un moyen de défense qui se rapproche de celui de l'accident, mais qui nie l'intention coupable de la conduite dangereuse comme de la négligence criminelle. Ainsi, la maladie ou incapacité physique soudaine d'un conducteur ou encore une conduite dangereuse causée par l'absorption de médicament dont le conducteur n'a pas été averti des effets dangereux et du risque pour la conduite automobile.
[55]        De telles circonstances peuvent constituer un moyen de défense à l'encontre d'une accusation comme celle dont doit répondre l'accusé dans le présent cas. Madame la juge Charron cite le juge McIntyre dans R. v. Tutton :
Si un accusé aux termes de l'art. 202 a une croyance sincère et raisonnablement entretenue en l'existence de certains faits, cela peut être une considération pertinente quant à l'appréciation du caractère raisonnable de sa conduite.  Prenons par exemple un soudeur engagé pour travailler dans un espace restreint, et qui se fit à la parole du propriétaire des lieux qu'aucune matière combustible ou explosive ne se trouve à proximité; lorsque son chalumeau provoque une explosion qui entraîne la mort d'une personne et qu'il est accusé d'homicide involontaire coupable, il devrait pouvoir faire part au jury de sa perception quant à la présence ou l'absence de matières dangereuses là où il travaillait.
[56]        En matière de conduite de véhicule à moteur ou de bateau, cet événement imprévisible, soudain, inattendu et indépendant de toute participation du conducteur peut aussi s'illustrer de façon plus simpliste par un bris mécanique, inattendu, imprévisible, tel le bris de la direction, une crevaison causant une perte de contrôle et un impact fatal ou encore un impact avec un débris dont la présence est totalement imprévisible dans un cours d'eau balisé. Sont aussi des exemples de circonstances niant l'intention coupable, celles d'un malaise soudain du conducteur tel un infarctus ou un décollement de la rétine.
[57]        D'une part, dans la présente affaire se pose la question de savoir s'il est survenu un événement imprévisible, soudain, hors du contrôle et de la participation de l'accusé pour ensuite examiner le cas échéant la question du lien de causalité également soulevé par la défense. En fait, si la preuve soulève un doute raisonnable sur ces questions aussi, l'accusé doit être acquitté. 

Les règles de droit applicables à la conduite dangereuse

R. c. Girard, 2017 QCCQ 1275 (CanLII)

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[36]        Comme pour toutes les infractions criminelles celles reprochées à l'accusé comportent un élément matériel, actus reus, et un élément moral, la mens rea.
[37]        La preuve doit démontrer et convaincre le Tribunal hors de tout doute raisonnable qu'objectivement (critère objectif modifié), l'accusé a conduit son bateau d'une manière dangereuse pour le public eu égard aux circonstances y compris la nature et l'état des eaux (ou mer) et l'usage qui au moment considéré en est ou pourrait raisonnable en être fait.
[38]        À ce stade de l'analyse, la conséquence de l'acte quoique pertinente n'a pas d'incidence sur la détermination de la dangerosité de la conduite de l'accusé.
[39]        En ce qui concerne l'élément moral, le Tribunal doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la conduite objectivement dangereuse de l'accusé résulte d'un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation.
[40]        Dans l'arrêt Roy, la Cour suprême du Canada suggère la méthode d'analyse suivante en deux questions:
La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible. Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé.
[41]        Puisqu'il s'agit de l'élément moral, souvent subjectif pour de nombreuses infractions criminelles, ici pour cette infraction comme pour la négligence criminelle, l'élément moral repose sur un critère objectif modifié, c'est-à-dire celui de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Ce faisant, les qualités caractéristiques personnelles de l'accusé tels l'âge, l'expérience, l'instruction et les habiletés ne sont pas pertinentes.
[42]        Cependant, l'état d'esprit de l'accusé, surtout si ce dernier donne une explication, doit être considéré pour déterminer si une personne raisonnable dans les mêmes circonstances aurait dû être consciente du risque et du danger inhérent : « La norme par rapport à laquelle le comportement doit être apprécié reste toujours la même  il s'agit du comportement auquel on s'attend de la part d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances », affirme madame la juge Charron dans l'arrêt Beatty.
[43]        En d'autres mots, est-ce que la preuve démontre que la façon de conduire de l'accusé était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances, et ce faisant, est-ce que cette conduite créait des risques pour la sécurité du public. Comme l'affirme madame la juge Charron dans l'arrêt Roy«  L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur ».Le public ici inclut les passagers.
[44]        La Cour suprême n'a cessé de rappeler dans ses décisions phares qu'il est important de distinguer la simple imprudence, la négligence civile de la négligence criminelle ou la conduite dangereuse au sens du Code criminel qui sont des infractions graves de sorte que l'intention ne peut se déduire seulement de la dangerosité de la conduite, il faut que celle-ci révèle un écart marqué par rapport à celle de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.
[45]        Mais cet élément moral de l'infraction peut être tiré des inférences que permettent les circonstances prouvées.
[46]        Rappelons que dans le présent cas l'accusé donne une version des événements qui consiste somme toute à dire qu'il ne peut s'expliquer ce qui s'est passé lors de l'accident, qu'il n'a pas prévu, s'appuyant en cela sur le témoignage des experts de la défense qui expliquent la réaction du bateau sur le plan physique, voire scientifique.
[47]        Les décisions de la Cour suprême dans les affaires Beatty et Roy illustrent le cas où, malgré les conséquences tragiques d'une conduite d'ailleurs soudainement très dangereuse, tel un véhicule qui traverse un terre-plein d'autoroute et va frapper un véhicule dans la voie opposée, la preuve ne démontre pas l'intention coupable requise. Ainsi dans Beatty, la Cour suprême affirme :
Il n’y a en l’espèce aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger pour les autres usagers de la route… En fait, la preuve limitée qui a été présentée à propos de l’état mental véritable du conducteur tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée.
[48]        Il en est de même dans l'arrêt Roy où un conducteur s'arrête à l'approche d'une traverse d'autoroute et repart pour traverser alors qu'un véhicule semi-remorque circule perpendiculairement et frappe le véhicule de l'accusé causant la mort du passager de ce dernier. L'accusé ayant perdu connaissance n'a pu donner d'explication. Ici encore la Cour suprême constate que l'accident a été causé par une conduite certes dangereuse, mais manifestée lors d'une seule erreur momentanée de jugement aux conséquences tragiques, ce qui ne permet pas de conclure en l'existence de la preuve de l'intention coupable de l'accusé c'est-à-dire la conscience du risque et le choix de le prendre ou de l'éviter.

Les facultés affaiblies (et le lien de causalité)

R. c. Jetté, 2017 QCCQ 10226 (CanLII)

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[22]        Monsieur Mathieu, l’expert en toxicologie judiciaire, rappelle que :
« L’alcool est un dépresseur du système nerveux central. Il entraîne une diminution graduelle de l’ensemble des fonctions intellectuelles, sensorielles et motrices et cela à mesure que l’alcoolémie augmente.
Les fonctions intellectuelles sont les premières à être affectées par l’alcool. Ceci a pour effet d’entraîner une diminution progressive des inhibitions, de l’attention, du jugement, de la volonté, de la compréhension et du contrôle de soi. La pensée s’obscurcit. Ainsi, sous l’effet de l’alcool, le conducteur est moins présent à son environnement et voit, par le fait même, diminuer ses aptitudes à conduire de façon sécuritaire un véhicule moteur, ce qui fait augmenter les risques de fausses manœuvres.
Au niveau sensoriel, la vision est certainement celle qui joue le rôle le plus important au niveau de la conduite automobile. À mesure que l’alcoolémie augmente, il y a une diminution progressive de l’acuité visuelle dynamique, de la profondeur de champ et du champ de vison latéral balayé par le conducteur (effet tunnel).
Les fonctions motrices sont aussi affectées par l’alcoolémie. La présence d’alcool au niveau du cerveau altère la transmission de l’influx nerveux aux muscles, causant ainsi un retard de la réponse musculaire. Cet aspect physiologique se reflète par l’observation de signes comme : une démarche chancelante, un langage escamoté et indistinct, une perte de dextérité manuelle et une perte de précision dans les gestes et mouvements. Ces manifestations vont s’accentuer pour devenir plus évidentes à des concentrations supérieures à 100 mg/100 ml.
Un autre effet de la présence d’alcool au niveau du cerveau est l’augmentation du temps de réaction. Le conducteur intoxiqué mettra plus de temps à réagir aux stimulis et par le fait même prendra plus de temps à percevoir les événements, à les interpréter et à réagir.
Il est à noter qu’en consommant de l’alcool sur une base régulière, les gens en viennent à développer une tolérance face à cette drogue, ceci se manifestant particulièrement au niveau des fonctions motrices. Ceci fait en sorte que la personne devenue tolérante présentera moins de signes au niveau moteur, voire même aucun, qu’une personne n’ayant point développé cette adaptation physiologique. Cependant à une alcoolémie supérieure à 100 mg/100 ml de sang, le phénomène de tolérance ne peut généralement pas contrer les effets de l’alcool sur la qualité de la conduite automobile.
La conduite automobile est une tâche complexe qui fait en sorte que l’on doit exécuter plusieurs tâches en même temps et pour qu’elle soit sécuritaire, il faut que le conducteur soit capable de bien percevoir les événements, traiter rapidement l’information obtenue, prendre une décision appropriée entre plusieurs alternatives et appliquer rapidement la décision prise. Toutes ces choses deviennent plus difficiles à exécuter sous l’effet de l’alcool, car l’alcool diminue la netteté de la perception, la vitesse du traitement de l’information, l’aptitude à prendre une décision appropriée entre plusieurs alternatives et à appliquer cette décision dans les plus brefs délais. […]
De façon globale, l’alcool diminue l’habileté à partager l’attention, à suivre les cibles avec les yeux, à recueillir et traiter l’information, à prendre les bonnes décisions quant aux manœuvres à effectuer, à y répondre rapidement et, finalement, à maintenir des vitesses sécuritaires. Même à un taux modéré d’intoxication, un individu n’est pas capable de réagir à une situation d’urgence avec son efficacité normale. » 
[24]        La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stellato rappelait que les facultés affaiblies même à un moindre degré suffisaient pour entraîner une culpabilité et la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Blais disait que d’autres éléments comme la fatigue et le stress pouvaient influencer l’effet de la consommation d’alcool et contribuer à l’affaiblissement des facultés.
[25]        Si madame Geneviève Aubin, après avoir vu l’état de confusion de l’accusé et senti « une haleine assez forte d’alcool », a eu « un drôle de réflexe de le faire partir pour ne pas qu’il perde ses permis », c’est que même aux yeux d’une profane l’accusé donnait des signes de facultés affaiblies.
[26]        Si madame Johanne Rochon, alors l’épouse de l’accusé, trouvait qu’il était en état d’ébriété, c’est qu’aux yeux de cette femme qui le connaissait bien et depuis longtemps, il avait les facultés de conduire affaiblies par l’alcool.
[27]        Le sergent Pascal Rochon arrête l’accusé pour conduite avec les facultés affaiblies parce qu’il l’a vu se lever lentement, marcher vers lui très lentement, avoir les yeux rouges, injectés de sang, dégager une très forte odeur d’alcool et avoir un langage pâteux.
[28]        La façon dont l’accident s’est produit indique également que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies.
[30]        « L’état mécanique du véhicule de l’accusé n’est pas contributif à la collision » et « les facteurs environnementaux (condition météo, visibilité et infrastructure) n’ont pas contribué à la collision » conclut l’expert en reconstitution, monsieur Éric Sylvestre.
[31]        C’est, selon le reconstitutionniste, « le facteur humain qui est contributif à la collision ». « Ça prend », rajoute-t-il, « de la vitesse et une manœuvre du conducteur pour se retrouver dans cette situation-là. »
[35]        La vitesse est donc prouvée et le geste brusque de l’accusé, en l’absence de quelque autre explication, ne peut s’expliquer que par le fait qu’il s’est rendu compte trop tard qu’il ne suivait plus sa voie, ce qui l’a amené à donner un coup de volant brusque pour revenir s’y placer, entraînant le dérapage.
[36]        Ce manque de respect de la limite de vitesse, d’attention et de réaction appropriée continue à convaincre que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies.
[37]        En considérant tous ces éléments de preuve, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies par l’effet de l’alcool lors de l’accident.
Le lien de causalité
[38]        Le fardeau du ministère public, une fois que la preuve démontre que les facultés de l’accusé étaient même le moindrement affaiblies, est de démontrer que cet état a contribué même au moindre degré au décès, et non qu’il est la seule cause du décès, disait la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Boisvert.
[39]        Ce doit néanmoins être de façon appréciable que les facultés affaiblies ont contribué au décès a plus tard tenu à préciser la Cour d’appel du Québec.
[40]        Ici, la conduite de l’accusé avec les facultés affaiblies est la seule cause du décès de madame Cousineau, comme le démontre la juxtaposition du rapport d’autopsie et le rapport d’expertise « enquête et collision », de sorte que l’infraction reprochée au premier chef est prouvée hors de tout doute raisonnable.

L’état du droit et de la jurisprudence quant aux facultés affaiblies

R. c. Girard, 2017 QCCQ 7326 (CanLII)

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[179]     La juge Manon Lavoie de la Cour supérieure du Québec résume bien l’état du droit et de la jurisprudence quant aux facultés affaiblies dans l’affaire Maxime Fortin c. R. :
[17]   Il est vrai que le législateur n’a jamais voulu criminaliser toute conduite d’un véhicule suite à une consommation d’alcool.
[18]   De plus, le Code criminel n’a pas créé une présomption de droit qui permet d’inférer du résultat du test, la preuve que les facultés sont affaiblies par l’effet de l’alcool. Il incombe au poursuivant d’établir, dans les faits, la portée de ce résultat en regard de la capacité de conduire. La Cour n’a pas de connaissance judiciaire qu’un résultat donné doit être interprété comme signifiant que la capacité de conduire est affaiblie par l’effet de l’alcool et jusqu’à quel degré elle peut l’être.
[19]   Il est d’ailleurs reconnu par la jurisprudence que le taux d’alcoolémie ne permet pas d’inférer des capacités affaiblies. Une infraction pour facultés affaiblies requiert de la preuve des symptômes pertinents qui permettent d’établir ces facultés affaiblies. D’ailleurs, il fut reproché au juge, à maintes reprises, d’utiliser le taux d’alcoolémie noté au certificat du technicien qualifié pour écarter une preuve contraire soumise par l’intimé.
[20]   Ainsi, la quantité d’alcool consommée n’est pas un élément de l’infraction prévue à l’article 253a) C.cr. Le juge doit simplement déterminer si l’accusé a consommé de l’alcool et s’il a conduit en ayant les capacités affaiblies par l’alcool. L’impact d’une quantité donnée sur la capacité de conduire peut varier d’une personne à l’autre. Il y a aussi d’autres éléments qui, comme la fatigue et le stress, peuvent influencer l’effet de la consommation d’alcool.
[21]   Incidemment, pour démontrer que le conducteur a les facultés affaiblies, la poursuite doit mettre en preuve cet état par le témoignage d’un policier ou de toute autre personne qui établit les caractéristiques de la conduite de l’accusé. Cette étape peut également se déduire de constatations usuelles comme l’odeur de l’alcool, la démarche chancelante ou les yeux vitreux. Une telle démonstration peut aussi être faite au moyen du résultat d’un test d’haleine. Toutefois, si un tel résultat peut corroborer les observations d’un policier quant à la cause de la diminution des capacités de conduire, il ne permet pas à lui seul de déduire la quantité d’alcool consommée ni ses effets, sauf si un expert établit une corrélation entre les résultats et un affaiblissement possible des facultés. Enfin, d’autres tests tels que la capacité de marcher sur une ligne blanche permettent parfois d’inférer que le conducteur avait les facultés affaiblies.
[22]   Toutefois, la jurisprudence établit que pour conclure à des capacités affaiblies, il  ne doit pas exister un écart marqué entre la faculté de conduire de l’appelant et celle d’une personne normale, tel qu’il le fût établi dans l’arrêt R. c. Stellato.

Conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles

R. c. Martel-Poliquin, 2017 QCCQ 7577 (CanLII)


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[120]     La jurisprudence établit que pour prouver le lien de causalité, la poursuite doit démontrer que l’affaiblissement par l’alcool de l’accusé a contribué de façon appréciable à l’accident et entraîné des lésions corporelles à Jacinthe Boucher et Gilles Thibeault.
[121]     Également, la poursuite n’a pas à démontrer que la conduite avec les facultés affaiblies est la seule cause des lésions corporelles. Elle doit seulement y avoir contribué de façon appréciable.
[122]     L’on sait que l’accusé met l’accident sur la faute de la victime Gilles Thibeault, le conducteur du véhicule circulant devant lui, voulant que ce dernier lui ait coupé la route lorsqu’il a pris la décision de changer de voie.
[130]     Ses explications dépassent tout entendement de normalité. Comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, la preuve révèle qu’il regardait en direction de l’auto des victimes dans l’objectif de la dépasser. Il s’est donc approché à environ deux véhicules d’elle, en contre-interrogatoire il dira quand même assez près, sans la percuter. Puis, il a mis son clignotant pour la dépasser et a regardé dans son angle mort. Par la suite, ses yeux sont revenus vers l’avant en direction des véhicules.
[131]     Si le Tribunal retenait sa version, cela voudrait dire qu’il a perdu l’auto de son champ de vision avant l’impact. Or, l’on sait qu’il était très près du véhicule et que la visibilité était très bonne. Dans ces circonstances, sa version des faits est improbable.
[136]     Il n’y avait donc aucune raison quelconque de ne pas voir l’auto et la manœuvre de son conducteur. Tous ces considérants amènent le Tribunal à conclure que sa version ne soulève aucun doute raisonnable.
[137]     Par ailleurs, le Tribunal note que la défense s’est abstenue de confronter en contre-interrogatoire les victimes Jacinthe Boucher et Gilles Thibeault et le beau-frère Raynald Bernatchez sur l’allégation selon laquelle M. Thibeault aurait effectué une manœuvre dangereuse et coupé la route à l’accusé. Le Tribunal y voit une certaine forme d’accroc à la règle d’équité procédurale édictée notamment dans Browne c. Dunn. Par conséquent, cela affecte encore plus la valeur probante des allégations de l’accusé.
[138]     L’avocat qui entend mettre en doute la crédibilité et la sincérité d’un témoin opposé doit lui offrir l’opportunité de répondre et s’expliquer durant son contre-interrogatoire sur les aspects importants du témoignage contradictoire à venir par la partie adverse. Cette règle fut citée avec approbation par la Cour suprême du Canada dans plusieurs décisions.
[139]     L’ensemble de la preuve amène le Tribunal à conclure que l’affaiblissement de la capacité de conduire de l’accusé par l’alcool a fait en sorte qu’il a mal évalué la vitesse réelle de son véhicule et les dangers y étant associés.
[142]     Sans compter qu’il n’existait aucun élément externe qui puisse expliquer l’accident, autre que l’affaiblissement de la capacité de conduire et la mauvaise évaluation de sa vitesse.
[145]     Et même si le Tribunal retenait la version de l’accusé quant aux agissements du conducteur Thibeault, voulant qu’il ait effectué une manœuvre dangereuse en lui coupant la route, cette manœuvre que l’accusé n’aurait pas vue, force est de constater que son intoxication aurait également affecté dans ces circonstances sa capacité de réagir adéquatement et prudemment à cette situation.
[146]     Suivant cette version, il faudrait donc conclure à un bref moment d’inattention puisque rien n’obstruait son champ de vision ou tout simplement, qu’il se serait endormi. Pour le Tribunal, l’inattention ou de s’être endormi n’expliquerait pas qu’il savait, selon son témoignage, qu’il roulait à une vitesse supérieure à celle des victimes puisqu’il s’apprêtait à les dépasser et qu’alors, il aurait donc mal évalué sa vitesse avant l’impact étant donné que la preuve révèle qu’il n’a jamais tenté quelque manœuvre d’évitement que ce soit, ne serait-ce qu’appliquer les freins. Là encore, il aurait agi en fonction d’un comportement imprudent.
[147]     De toute façon, il s’agirait d’un moment d’inattention tout à fait inexplicable lorsqu’on circule sur une autoroute et, surtout, lorsqu’on s’apprête à effectuer une manœuvre de dépassement.
[148]     Là encore l’affaiblissement de la capacité de conduire de l’accusé par l’alcool aurait fait en sorte que cela aurait causé un bref moment d’inattention avec les dangers y étant associés.

Revue de la jurisprudence concernant l’accusation de conduite avec les facultés affaiblies

R. c. Martel-Poliquin, 2017 QCCQ 7577 (CanLII)

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[65]        Pour disposer de l’accusation de conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles, il importe d’abord d’analyser si l’accusé conduisait son véhicule avec les facultés affaiblies.
[66]        L’article 253 (1) a) du Code criminel prohibe la conduite d’un véhicule lorsque la capacité d’une personne est affaiblie par l’effet de l’alcool.
[67]        L’auteur Harrison résume l’état du droit et définit l’infraction « comme étant la diminution du jugement d’une personne des diverses circonstances qu’elle peut rencontrer durant son trajet ».
[68]        La jurisprudence énonce que la poursuite n’a pas « à établir un affaiblissement marqué des capacités […], mais simplement un degré d’intoxication variant d’un minimum à grand ».
[69]        Dans l’arrêt R. c. Aubé, l’état de boisson d’un conducteur se prouve généralement par une preuve circonstancielle « comprenant un certain nombre de manifestations physiques distinctes touchant l’apparence de l’individu, sa façon de parler et de marcher, soit des manifestations anormales qui, à défaut d’explications ou de justification, permettent l’inférence certaine d’un affaiblissement de la capacité de conduire par l’alcool ou une drogue ».
[70]        Un peu plus récemment, la Cour d’appel, dans Lyna c. R., utilise l’expression « faisceau de preuve » qui démontre un degré d’intoxication suffisamment élevé pour conclure aux facultés affaiblies.
[110]     Dans les faits, le comportement routier de l’accusé était tout à fait inhabituel et démontre une conduite automobile nettement aberrante en tenant compte du contexte de lieu, de temps et de température révélé par la preuve.
[111]     Ainsi, même si l’arrêt Faucher de la Cour d’appel reconnait qu’une conduite erratique ne fait pas partie du fardeau de la poursuite dans un cas de facultés affaiblies, la démonstration d’une telle conduite peut être prise en compte lorsque celle-ci existe suivant la preuve présentée. Il en est de même lorsqu’il s’agit d’une conduite inhabituelle comme dans le présent cas.
[112]     Or, quant à l’accident proprement dit, l’explication qu’il fournit n’est pas plausible, encore moins probante.
[115]     D’ailleurs, la Cour d’appel dans l’affaire Blais fait état de ce qui suit concernant le parler pâteux :
Le parler pâteux est également une indication de la consommation de l'alcool et l'appelante n'a présenté aucune preuve pour expliquer que ce parler pâteux pouvait résulter du choc de l'accident.
L'appelante ayant perdu le contrôle de la voiture a eu un accident qui a complètement démoli la voiture en plus de causer des blessures à sa sœur, elle avait un parler pâteux et elle dégageait une forte odeur de boisson alcoolique plus de deux heures après avoir quitté l'aéroport. Ces faits ont été retenus par le premier juge et notre intervention n'est pas justifiée.
[116]     Conséquemment, le Tribunal est d’avis que les explications de l’accusé face aux symptômes physiques constatés par les témoins ne sont pas suffisantes pour soulever un doute dans son esprit.
[117]     Il importe de souligner que la Cour d’appel, dans l’arrêt Leblanc, édicte que le juge, dans sa démarche analytique, ne doit pas morceler la preuve pour analyser chaque symptôme isolément. Il doit plutôt considérer l’effet cumulatif de tous les éléments mis en preuve.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...