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mercredi 3 décembre 2025

Le rôle de l'avocat du Ministère public dans une affaire criminelle & la possibilité de corriger une erreur suivant l'enregistrement d'un plaidoyer de culpabilité dans la précipitation

D.K. c. R., 2009 QCCA 987

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[52]           Je rappelle une règle connue, mais dont l'importance nécessite qu'elle soit répétée ici. L'avocat du Ministère public s'acquitte d'un devoir public qui consiste à veiller à ce que la preuve légale et disponible soit présentée au juge pour que justice soit rendue. Même si son action se situe dans un système contradictoire, son rôle exclut toute notion de gain ou de perte.

[53]           Dans Nelles c. Ontario[16], la Cour suprême écrit ceci au sujet du rôle de l'avocat du Ministère public :

Traditionnellement, le procureur général jouait le rôle de conseiller juridique auprès de la Couronne et des différents ministères du gouvernement.  Plus spécifiquement, sa tâche principale consistait, et consiste encore, à poursuivre les délinquants.  La nomination de procureurs de la Couronne pour représenter le procureur général tient au fait que ce dernier avait de plus en plus de difficulté à s'acquitter efficacement de toutes ses fonctions, devant l'accroissement de la population et l'expansion des régions habitées.

Le rôle premier du procureur de la Couronne consiste à poursuivre les actes criminels et les infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité et à exercer une surveillance à cet égard.  Le procureur de la Couronne administre la justice au niveau local et, en cela, agit au nom du procureur général.  Le procureur de la Couronne a traditionnellement été décrit comme un [TRADUCTION] « représentant de la justice » qui « devrait se considérer plus comme un fonctionnaire de la cour que comme un avocat ».

[54]           Dans R. c. Stinchcombe, la Cour suprême reprend une citation célèbre du juge Rand dans l'arrêt R. c. Boucher[17] :

On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n'ont pas pour but d'obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l'on allègue être un crime.  Les avocats sont tenus de veiller à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés:  ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d'une façon juste.  Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s'acquitte d'un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle.  Le poursuivant doit s'acquitter de sa tâche d'une façon efficace, avec un sens profond de la dignité, de la gravité et de la justice des procédures judiciaires. [18]

[55]           Ici, l'avocate du Ministère public n'a sans doute pas cherché à tromper le juge de première instance ou l'avocat de l'appelant. Elle a simplement fait état du caractère « mandatoire » de la disposition visée, ce qui est strictement exact[19]. En revanche, elle s'est retranchée derrière le fait que la décision était rendue pour refuser d'aider à corriger une erreur commise par l'avocat de l'appelant, au préjudice de son client. En principe, la règle du functus officio, appliquée de façon rigoureuse, empêchait la correction de l'erreur. En pratique cependant, des erreurs dues à la précipitation qui règne dans certaines salles de cours peuvent être corrigées, lorsque toutes les parties et le juge y consentent.

[56]           Sans excuser totalement l'erreur de l'avocat de l'appelant, il faut constater que celle-ci a été dénoncée dans les quelques minutes suivantes, et que le juge était prêt à entendre sa demande. Il faut aussi reconnaître que le Ministère public n'aurait subi aucun préjudice si son avocate avait consenti à l'audition d'une demande sous le paragraphe 490.012(4) C.cr. Le motif qu'elle avance aujourd'hui, à savoir qu'elle était susceptible de faire appel de la peine, est sans pertinence. Elle aurait, en effet, pu préciser ce fait devant le juge de première instance, d'une part, et même si elle ne l'avait pas fait, son consentement à l'audition de la demande de l'appelant aux termes du paragraphe 490.012(4) C.cr. n'aurait pas constitué un obstacle à une demande d'appel, d'autre part.

[57]           L'attitude de l'avocate du Ministère public était-elle raisonnable? Il n'est pas nécessaire de trancher cette question. En effet, les circonstances de l'affaire permettent de conclure qu'elle n'a pas joué son rôle adéquatement en affirmant seulement et, sans avoir annoncé sa demande, que l'ordonnance était « mandatoire ». Si cette affirmation était strictement exacte, il faut aussi constater qu'elle était clairement incomplète. Vu qu'elle connaissait l'existence de l'exception, elle aurait dû attirer l'attention du juge sur la disposition au complet ou préciser le caractère obligatoire de l'ordonnance sauf si l'exception s'applique. Sinon, ses observations apparaissent comme une stratégie inacceptable en raison des conséquences pour l'appelant.

La démarche à suivre lorsque les versions anglaise et française d'une loi ne concordent pas

D.K. c. R., 2009 QCCA 987 

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[38]           Dans son ouvrage intitulé The Law of Bilingual Interpretation, le juge Michel Bastarache indique la démarche à suivre lorsque les versions anglaise et française d'une loi ne concordent pas :

1.         The first step consists in examining the two versions to determine whether there is a discordance between the two versions. "Discordance" here has the same meaning as "conflict" does in many earlier cases: the important notion here is simply that the two versions are different. If the two versions are the same, there is really no issue. If there is a discordance, the interpreter must proceed to the next step.

2.         The second step consists in determining the nature of the discordance, and determining the shared meaning. There are three possibilities here:

(a)        The versions are in "absolute conflict". Each is clear and no shared meaning can be found.

(b)        One version is ambiguous and the other clear. The clear version provides the shared meaning.

(c)        One version is broad and the other narrow. The narrow version provides the shared meaning.

At the conclusion of the second step, the interpreter is armed either with (i) a shared meaning, arising out of (b) or (c), or (ii) a conclusion that no shared meaning exists, arising out of (a).

3.   The third step consists in an appeal to extrinsic methods of determining the intention of the legislator with respect to the provision. There are two possibilities here:

(a)        The extrinsic evidence of intent allows for a choice between the two conflicting versions as to which provides the true meaning of the provision.

(b,c)  The extrinsic evidence of intent is examined to ensure that the shared meaning is not inconsistent with it.

La requête de type Corbett a pour objectif de restreindre le contre-interrogatoire de la poursuite sur les antécédents de l'accusé

Pallagi c. R., 2024 QCCA 1694

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[14]      L’appelant a un long casier judiciaire, ayant notamment été déclaré coupable de tentative de meurtre, d’enlèvement, de vol à main armée, de possession et utilisation d’une arme à feu prohibée et arme à autorisation restreinte, de vol, d’évasion d’une garde légale, de violation des conditions, de méfait, d’entrave au travail d’un officier de police, et de possession de drogues, parmi d’autres.

[15]      L’appelant ayant choisi de témoigner au procès pour démentir avoir commis les vols qualifiés et pour suggérer qu’un tiers en était l’auteur, il a présenté une requête de type Corbett sollicitant une ordonnance restreignant le contre-interrogatoire de la poursuite sur ses antécédents à ceux qui n’impliquaient pas de violence physique, d’arme à feu ou de vol qualifié[10].

[16]      Le juge a accueilli en partie la requête, en interdisant toute mention des déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre et enlèvement pendant le contre-interrogatoire. Toutefois, il a autorisé la poursuite à poser des questions sur toutes les autres condamnations, y compris celles pour vol qualifié.

[17]      L’appelant fait appel en ce qui concerne ses condamnations antérieures pour vol qualifié. Il ne nie pas que sa crédibilité est l’une des questions au cœur du procès[11]. Il reconnaît également que les condamnations antérieures sont admissibles en preuve et que leur exclusion est l’exception[12]. Il reconnaît en outre que le vol qualifié peut être assimilé à une conduite malhonnête [traduction] « dans la mesure où la duperie est implicite dans l’élément de vol de cette infraction »[13]. Toutefois, il prétend, vu que les condamnations antérieures pour vol qualifié visent des gestes de même nature que les accusations pesant contre lui au procès, qu’il existe un risque réel que le jury interprète ces condamnations antérieures comme la preuve d’une propension à commettre des vols qualifiés[14]. Par conséquent, l’appelant soutient que le juge de première instance a erré en concluant que l’effet préjudiciable des condamnations antérieures pour vol qualifié ne l’emportait pas sur leur valeur probante.

[18]      Le juge de première instance a expliqué en ces termes sa décision de ne pas exclure les condamnations pour vol qualifié[15] :

[traduction]

[50]      À l’issue de son interrogatoire principal, M. Pallagi a demandé à la Cour de reconsidérer sa décision sur la requête de type Corbett. Il a demandé que ses condamnations pour vol qualifié soient présentées comme des condamnations pour vol. La Cour a confirmé sa décision pour les motifs suivants :

50.1.     Tenant pour acquis que la décision sur la requête de type Corbett peut être modifiée à ce stade, je confirme toutefois cette décision.

50.2.     Il n’y a pas lieu d’exclure les condamnations pour vol qualifié. La valeur probante de ces condamnations l’emporte encore sur leur effet préjudiciable. La preuve de la défense ne s’écarte pas nettement de ce qui a été divulgué. Les antécédents criminels de M. Pallagi demeurent d’une grande utilité pour apprécier sa crédibilité, à la lumière de tous les facteurs pertinents, dont la nécessité de ne pas présenter un portrait déformé de la réalité au jury, étant donné que le témoignage de M. Pallagi suggère que d’autres individus ont perpétré les vols qualifiés.

[…]

[54]      En effet, la crédibilité de M. Pallagi est l’une des questions en litige. Il proclame son innocence et désigne un tiers responsable des braquages de banque dont il est accusé. Le jury a le droit d’apprécier sa crédibilité à la lumière de toute l’information pertinente. Exclure ses condamnations pour des infractions graves contre la personne brosserait un portrait déséquilibré et trompeur de la réalité. L’extrait suivant des motifs du juge en chef Dickson dans l’arrêt Corbett, aux paragraphes 35 et 36, s’applique bien à la présente situation :

35.        Il y a peut‑être le risque que le jury, si on lui apprenait que l’accusé a un casier judiciaire, attache à ce fait plus d’importance qu’il ne le devrait. Cependant, la dissimulation du casier judiciaire d’un accusé qui témoigne prive le jury de renseignements se rapportant à sa crédibilité et crée un risque sérieux que le jury obtienne une description trompeuse de la situation.

36.        À mon avis, la meilleure façon de réaliser l’équilibre et d’atténuer ces risques est de fournir au jury des renseignements complets, mais de lui donner, en même temps, des directives claires quant à l’usage limité qu’il doit faire de ces renseignements. Les règles qui imposent des restrictions aux renseignements pouvant être portés à la connaissance du juge des faits devraient être évitées sauf en dernier recours. Il vaut mieux s’en remettre au bon sens des jurés et leur donner tous les renseignements pertinents, à condition que ceux‑ci soient accompagnés de directives claires dans lesquelles le juge du procès précise les limites de leur valeur probante en droit.

[55]      Qui plus est, le mépris persistant de l’accusé pour la loi est pertinent pour apprécier sa crédibilité. Ses nombreuses condamnations, notamment pour des crimes violents, pourraient témoigner de son manque de respect pour les lois, les règles de la société et la vérité (Tremblay c. R., 2006 QCCA 75, paragr. 18R. v. Saroya,1994 CanLII 955 (C.A. Ont.), paragr. 10R. v. Charland1996 ABCA 30, paragr. 36confirmé par R. c. Charland[1997] 3 R.C.S. 10061997 CanLII 300R. v. Ivey2003 CanLII 29755 (Q.C. Qué.), paragr. 14).

[56]      Plus particulièrement s’agissant des condamnations pour vol qualifié, bien que violentes par nature, ces infractions impliquent aussi une certaine malhonnêteté. Ce facteur plaide pour leur admission aux fins de l’appréciation de la crédibilité (LSJPA—10372010 QCCA 1627, paragr. 155; voir également Gabriel c. R.2020 QCCA 1210, paragr. 88). S’il est vrai que ces infractions sont semblables aux infractions visées par l’acte d’accusation, les exclure minimiserait indûment la gravité et la constance du casier judiciaire de M. Pallagi (R. v. Clarke2014 ONCA 777, paragr. 4-11).

[19]      Conformément à ces conclusions, dans ses directives au jury, le juge de première instance a expliqué aux jurés qu’ils ne devaient pas considérer les condamnations antérieures de l’appelant comme une preuve de sa propension à commettre des vols qualifiés, mais qu’ils devaient tenir compte de ces condamnations exclusivement pour évaluer la crédibilité de son témoignage[16].

[traduction]

(E) condamnations antérieures

[66]      Vous avez entendu que M. Pallagi a déjà été déclaré coupable d’un certain nombre d’infractions criminelles. La défense a choisi de divulguer d’emblée le casier judiciaire de M. Pallagi. L’avocat de la poursuite l’a également interrogé à cet égard. Vous ne devez pas considérer le fait que M. Pallagi a commis des crimes par le passé comme une preuve qu’il a commis les crimes dont il est accusé.

[67]      Vous ne pouvez tenir compte des condamnations antérieures que pour vous aider à déterminer quel poids donner au témoignage de M. Pallagi. Prenez en considération le nombre, la nature et les dates des condamnations antérieures. Certaines condamnations, par exemple celles pour des infractions impliquant une certaine malhonnêteté, pourraient être plus pertinentes que d’autres. De la même façon, une condamnation plus ancienne pourrait être moins importante qu’une condamnation plus récente.

[68]      L’existence de condamnations antérieures ne rend pas forcément le témoignage de M. Pallagi non crédible ou non fiable. Ce n’est que l’un des nombreux facteurs à prendre en compte dans l’appréciation du témoignage de M. Pallagi.

[69]      J’insiste : vous ne devez pas vous appuyer sur la preuve des condamnations antérieures pour conclure que M. Pallagi est une personne de mauvaise moralité et qu’il est par conséquent probable qu’il a commis les crimes dont il est accusé.

(F) Interdiction de la preuve de mauvaise moralité et de la preuve de propension contre l’accusé

[70]      Il est possible que vous pensiez, vu la preuve, que M. Pallagi a un mode de vie douteux, un comportement répréhensible ou des relations discutables.

[71]      Dans notre système de justice, nous jugeons les accusés pour les chefs énumérés dans l’acte d’accusation, et non pour quelque autre conduite répréhensible passée ou présente, leur mode de vie, leur réputation, leur mauvaise moralité ou leur disposition. Vous ne pouvez pas inférer que M. Pallagi est coupable du fait qu’il est le genre de personne qui est susceptible de commettre une infraction criminelle. Un tel raisonnement est injuste, inutile et trompeur et n’a pas sa place dans une cour de justice.

[72]      Et, comme je viens de le dire, le casier judiciaire de M. Pallagi ne doit servir qu’à évaluer la crédibilité de son témoignage.

[20]      Nous ne voyons aucune erreur dans le raisonnement du juge de première instance.

[21]      Comme la Cour l’a statué dans l’arrêt Tremblay c. R.[17], un mépris persistant des lois est pertinent dans l’appréciation de la crédibilité d’un témoin. Bien qu’il puisse exister des situations dans lesquelles un tribunal de première instance estime souhaitable de priver le jury d’informations sur des condamnations antérieures, chaque cas doit être décidé sur la base des faits propres à l’espèce, étant entendu que l’admissibilité des condamnations antérieures devrait être favorisée plutôt que leur exclusion, comme le notait le juge en chef Dickson dans l’arrêt Corbett[18] :

Je suis d’accord avec mon collègue le juge La Forest pour dire que les règles fondamentales du droit de la preuve comportent un principe d’inclusion en vertu duquel il est permis de produire en preuve tout ce qui sert logiquement à prouver un fait en litige, sous réserve des règles d’exclusion reconnues et des exceptions à celles‑ci. Pour le reste, c’est une question de valeur probante. La valeur probante d’un élément de preuve peut être forte, faible ou nulle. En cas de doute, il vaut mieux pécher par inclusion que par exclusion et, à mon avis, conformément à la transparence de plus en plus grande de notre société, nous devrions nous efforcer de favoriser l’admissibilité, à moins qu’il n’existe une raison très claire de politique générale ou de droit qui commande l’exclusion.

[Soulignement ajouté]

[22]      En l’espèce, l’appelant a décidé de témoigner tant pour démentir son implication dans les vols qualifiés que pour orienter les soupçons vers un tiers. Ce faisant, il a fait de sa crédibilité un élément central du procès. Dans ce contexte, le juge de première instance n’a commis aucune erreur révisable en admettant les condamnations antérieures pour vol qualifié, ses directives au jury étant une manière adéquate de gérer l’effet préjudiciable des condamnations en ce qui a trait à la propension.

dimanche 16 novembre 2025

Les principes régissant une arrestation sans mandat & l'ordre d'un policier adressé à un conducteur de sortir de son véhicule automobile alors qu'il ne dégage aucune odeur d'alcool

Patel c. R., 2023 QCCS 4623

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[23]        Dans R. c. Beaver, 2022 CSC 54, la Cour suprême fait une analyse exhaustive des principes essentiels régissant une arrestation sans mandat. Il est utile d’en reprendre ces longs extraits :

[72]                         […] :

1.   Une arrestation sans mandat requiert l’existence de motifs d’arrestation subjectifs et objectifs. Le policier qui procède à l’arrestation doit posséder subjectivement des motifs raisonnables et probables pour agir, et ces motifs doivent être justifiables d’un point de vue objectif (R. c. Storrey1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 250‑251R. c. Latimer1997 CanLII 405 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 217, par. 26R. c. Tim2022 CSC 12, par. 24).

2.   Dans l’appréciation des motifs d’arrestation subjectifs, il faut se demander si le policier qui a procédé à l’arrestation croyait sincèrement que le suspect avait commis l’infraction (R. c. Shepherd2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 17). Les motifs d’arrestation subjectifs sont souvent établis par le témoignage du policier (voir, par exemple, Storrey, p. 251; Latimer, par. 27Tim, par. 38), ce qui oblige le juge du procès à évaluer la crédibilité du policier, une conclusion qui commande une déférence particulière en appel (R. c. G.F.2021 CSC 20, par. 81R. c. Beaudry2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, par. 4).

3.   Les motifs subjectifs du policier de procéder à l’arrestation doivent être justifiables d’un point de vue objectif. Cette appréciation objective tient compte de l’ensemble des circonstances connues du policier au moment de l’arrestation — y compris le caractère dynamique de la situation — considérées du point de vue d’une personne raisonnable possédant des connaissances, une formation et une expérience comparables à celles du policier ayant procédé à l’arrestation (Storrey, p. 250‑251; Latimer, par. 26Tim, par. 24).

4.   Les éléments de preuve fondés sur la formation et l’expérience du policier qui a procédé à l’arrestation ne devraient pas être acceptés sans réserve, mais il n’y a pas lieu non plus de se montrer « trop sceptiqu[e] » à leur égard (R. c. MacKenzie2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, par. 64‑65). Bien que l’analyse soit effectuée du point de vue d’une personne raisonnable mise « à la place du policier [qui a procédé à l’arrestation] », il ne faut pas nécessairement faire preuve de déférence à l’égard du point de vue du policier sur les circonstances du fait de sa formation ou de son expérience (R. c. Chehil2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 45 et 47MacKenzie, par. 63). Les motifs du policier de procéder à l’arrestation doivent être plus qu’une « intuition » (Chehil, par. 47).

5.   Dans l’évaluation des motifs d’arrestation objectifs, les tribunaux doivent reconnaître que [traduction] « [s]ouvent, la décision du policier d’effectuer une arrestation doit être prise rapidement dans une situation instable qui évolue vite. La réflexion judiciaire n’est pas un luxe que celui‑ci peut s’offrir. Le policier doit prendre sa décision en fonction des renseignements dont il dispose, lesquels sont souvent loin d’être exacts ou complets » (R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743 (C.A.), p. 750, le juge Doherty). Les tribunaux doivent également se rappeler que [traduction] « [d]éterminer s’il existe des motifs suffisants pour justifier un exercice des pouvoirs policiers ne constitue pas “un exercice scientifique ou métaphysique”, mais plutôt un exercice qui commande l’application “[du] bon sens, [de] la flexibilité et [de] l’expérience pratique quotidienne” » (R. c. Canary2018 ONCA 304, 361 C.C.C. (3d) 63, par. 22, la juge Fairburn (maintenant juge en chef adjointe de l’Ontario), citant l’arrêt MacKenzie, par. 73).

6.   Les « motifs raisonnables et probables » constituent une norme plus rigoureuse que celle des « soupçons raisonnables ». La norme des soupçons raisonnables exige la possibilité raisonnable d’un crime, alors que celle des motifs raisonnables et probables exige la probabilité raisonnable d’un crime (Chehil, par. 27R. c. Debot1989 CanLII 13 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1140, p. 1166). Par ailleurs, la police n’a pas besoin, avant de procéder à une arrestation, de disposer d’une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité (Storrey, p. 251; Shepherd, par. 23Tim, par. 24). Elle n’a pas non plus besoin d’établir selon la prépondérance des probabilités que l’infraction a été commise (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 114; voir aussi R. c. Henareh, 2017 BCCA 7, par. 39 (CanLII)R. c. Loewen2010 ABCA 255, 490 A.R. 72, par. 18). Pour satisfaire à la norme des motifs raisonnables et probables, il faut plutôt avoir des « motifs raisonnables de croire qu’une personne [. . .] est » impliquée dans l’infraction (MacKenzie, par. 74 (italique omis); Debot, p. 1166). Des motifs raisonnables de croire existent s’ils possèdent « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera, par. 114; voir aussi R. c. Al Askari, 2021 ABCA 204, 28 Alta. L.R. (7th) 129, par. 25R. c. Omeasoo2019 MBCA 43, [2019] 6 W.W.R. 280, par. 30R. c. Summers, 2019 NLCA 11, 4 C.A.N.L.R. 156, par. 21). La police n’est pas non plus tenue, avant de procéder à une arrestation, de pousser l’enquête pour trouver des facteurs disculpatoires ou pour écarter des explications possiblement innocentes pour les événements (Chehil, par. 34Shepherd, par. 23R. c. Ha2018 ABCA 233, 71 Alta. L.R. (6th) 46, par. 34R. c. MacCannell2014 BCCA 254, 359 B.C.A.C. 1, par. 44‑45R. c. Rezansoff2014 SKCA 80, 442 Sask. R. 1, par. 28; E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), § 5:40).

7.   La police ne peut pas invoquer des éléments de preuve découverts après l’arrestation pour justifier les motifs d’arrestation subjectifs ou objectifs (R. c. Biron1975 CanLII 13 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 56, p. 72R. c. Brayton2021 ABCA 316, 33 Alta. L.R. (7th) 241, par. 43Ha, par. 20‑23R. c. Montgomery2009 BCCA 41, 265 B.C.A.C. 284, par. 27; Ewaschuk, § 5:40).

8.   Lorsqu’un policier donne l’ordre à un autre policier de procéder à une arrestation, il faut que le policier qui a donné l’ordre ait eu des motifs raisonnables et probables. Il importe peu que le policier qui procède à l’arrestation ait eu ou non lui‑même des motifs raisonnables et probables (Debot, p. 1166‑1167).

[73]                          L’existence de motifs raisonnables et probables de procéder à une arrestation sans mandat est fondée sur les conclusions factuelles du juge du procès, lesquelles sont susceptibles de contrôle uniquement en cas d’erreur manifeste et dominante. La question de savoir si les faits constatés par le juge du procès constituent des motifs raisonnables et probables est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Shepherd, par. 20Tim, par. 25).

[24]        Tout d’abord, quant à la demande à l’appelant de sortir de son véhicule automobile, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’un ordre légal et légitime.

[25]        La première juge ne commet aucune erreur lorsqu’elle accepte l’explication de la policière à l’effet qu’il y avait urgence d’agir vu l’état anormal de l’appelant, que le véhicule automobile était au neutre et en marche (Notes sténographiques, décision, page 26). Il y avait un danger, non théorique, que l’appelant puisse faire avancer la voiture.

[26]        Il ressort aussi du témoignage de la policière qu’à partir du moment où ils ont écarté la possibilité d’un malaise, ils se sont concentrés sur l’enquête pour facultés affaiblies, les motifs raisonnables prenant forme.

[27]        La demande de sortir du véhicule automobile fut faite en raison de la configuration des lieux qui n’étaient pas sécuritaires et parce qu’il n’était pas possible de travailler dans ces circonstances.

[28]        Les propos tenus par l’honorable James Brunton JCS dans Lefebvre c. R.*, 2008 QCCS 1926 trouvent application en l’espèce :

[10]           Dans l'arrêt Mann, la Cour suprême a noté qu'elle avait adopté, précisé et appliqué progressivement l'analyse à deux volets adoptée dans l'arrêt R. c. Waterfield[1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.) pour déterminer si un policier a agi conformément aux pouvoirs que lui confère la common law :[…]

[11]           La Cour est d'avis, en se servant de cette grille d'analyse, que les gestes posés par l'agent de la paix à l'endroit de l'appelant lors de son interception n'ont résulté dans aucune violation constitutionnelle.

[12]           La détention initiale pour enquêter un véhicule sans plaque d'immatriculation, qui roulait à grande vitesse, rencontrait le premier volet de l'arrêt Mann. Le policier avait le devoir, en vertu de la common law et du Code de la sécurité routière, de voir au respect de l'enregistrement des véhicules et de la sécurité sur les voies publiques.

[13]           Ayant constaté une odeur d'alcool et en présence d'un conducteur qui était détenteur d'un permis de conduire probatoire, le policier avait le devoir de poursuivre son enquête. Encore, ce devoir reflétait l'obligation du policier de voir à la sécurité sur les voies publiques.

[14]           La décision du policier de demander à l'appelant de descendre du véhicule rencontrait le deuxième volet de l'analyse adoptée par Mann. La demande était raisonnablement nécessaire pour permettre au policier de poursuivre son enquête. La nature de l'atteinte à la liberté de l'appelant, à ce moment, était minime. On demandait à l'appelant de descendre de son véhicule pour quelques secondes et de diriger son haleine vers le policier.

[15]           Ces faits distinguent cette cause des arrêts Lalonde et Lessard. Dans Lalonde, le policier a avoué qu'il n'avait aucune raison de demander au conducteur de descendre de son véhicule :

[…]

[18]           Ayant décidé dans le présent dossier que le policier était en droit de demander à l'appelant de descendre de son véhicule, la Cour rejette l'argument avancé que les soupçons de consommation d'alcool devaient exister avant cet ordre. Si le policier avait le droit de formuler sa demande, il avait le droit d'acquérir des soupçons de consommation une fois l'appelant sorti de son véhicule.

[29]        En l’espèce, il ne ressort nulle part dans la preuve que l’ordre de sortir du véhicule automobile fut donné dans le but de faire des tests symptomatiques, ce qui est par ailleurs reconnu par l’appelant.

[30]        Évidemment, les policiers n’ont pas à détourner le regard lorsque l’appelant marche. Ils ont constaté qu’il titubait.

[31]        Ils avaient déjà acquis des motifs raisonnables lors du réveil de l’appelant, alors qu’il était encore assis dans son véhicule automobile. Sa démarche chancelante n’a que cristallisé ces motifs. Par la suite, ils ont procédé à l’arrestation de l’appelant (Notes sténographiques du 24 mai 2022, pages 62-63).

[32]        Aussi, la policière témoigne à l’effet que « l’absence d’odeur d’alcool » avant l’arrestation de l’appelant ne l’a pas fait « douter » quant à l’existence de motifs raisonnables déjà acquis (Notes sténographiques du 24 mai 2022, pages 64).

[33]        La policière ajoute lors de son témoignage que s’ils n’ont pas soumis l’appelant à des épreuves de coordination de mouvement c’est qu’à sa sortie du véhicule automobile ils avaient déjà acquis des motifs raisonnables de croire (Notes sténographiques du 24 mai 2022, page 66).

[34]        La première juge ne commet aucune erreur en affirmant que ni la durée de l’enquête ni l’absence d’odeur d’alcool ne sont des éléments déterminants quant à la formation de motifs raisonnables et cite adéquatement les affaires R. v. Bush, 2010 ONCA 554, par. 70 et Kovacs c. R., 2016 QCCS 6521. (Décision, notes sténographiques du 27 septembre 2022, page 17)

[35]        Le juge du procès doit éviter d’analyser isolément les symptômes considérés par les policiers.

[36]        La première juge ne commet aucune erreur en considérant l’ensemble des symptômes tout en soulignant l’absence d’odeur d’alcool.

[37]        La policière n’avait pas à pousser plus loin l’enquête. Ce serait pure spéculation de penser que d’avoir pris plus de temps à enquêter ou d’avoir procéder à des tests symptomatiques que ceci aurait pu affecter les motifs raisonnables déjà acquis.

[38]        La policière, après avoir écarté la possibilité d’un problème médical, formait déjà des motifs raisonnables, puisqu’elle ne pouvait envisager d’autres causes que l’intoxication pour expliquer l’état anormal de l’appelant.

[39]        Le défaut de recourir à certains moyens d’enquête comme l’ADA ou les tests symptomatiques ne font pas obstacle à ce qu’un policier puisse entretenir une croyance fondée sur des motifs raisonnables (R. v. Gunn, 2012 SKCA 80).

[41]        Dans les circonstances, la première juge n’avait pas à spéculer sur des hypothèses qui ne trouvaient aucune assise dans la preuve.

[42]        Elle pouvait raisonnablement conclure que les observations des policiers permettaient à une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, d’acquérir ces mêmes motifs.

[43]        En résumé, la première juge a considéré adéquatement l’effet cumulatif des facteurs suivants :

         L’appelant dormait profondément au volant de son véhicule automobile;

         Le véhicule automobile est en marche;

         L’appelant ne réagit aucunement aux nombreux coups donnés dans la vitre, à la sirène, au klaxon, à la vitre qui éclate en morceaux;

         L’appelant ne réagit pas aux mouvements de la policière qui tente de débarrer la portière;

         Il ne se réveillera qu’après plusieurs stimuli et cris des policiers;

         Il a les yeux injectés de sang, qui roulent vers le haut;

         Il a des mouvements lents dans le véhicule automobile;

         En sortant du véhicule, il doit se tenir sur celui-ci;

         Il a de la difficulté à marcher, il titube.

         L’absence d’odeur d’alcool.

[44]        Ces facteurs analysés globalement étaient suffisants pour conférer au policier des motifs raisonnables de procéder à l’arrestation de l’appelant.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...