R. c. Sekhon, 2014 CSC 15
[43] Comme le dit la Cour dans l’arrêt R. c. Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 9, p. 20‑25, puis le confirme dans R. c. J.-L.J., 2000 CSC 51, [2000] 2 R.C.S. 600, et R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275, l’admissibilité de la preuve d’expert tient au respect des critères suivants : (1) la pertinence, (2) la nécessité d’aider le juge des faits, (3) l’absence de toute règle d’exclusion et (4) la qualification suffisante de l’expert.
[44] S’agissant de la « pertinence », il appert de l’arrêt Mohan que le juge doit se livrer à une analyse des inconvénients et des avantages pour déterminer « si la valeur en vaut le coût » (p. 21, citation de McCormick on Evidence (3e éd. 1984), p. 544). Cette analyse exige la mise en balance de la valeur probante de la preuve et de son effet préjudiciable (Mohan, p. 21).
[45] En ce qui concerne la « nécessité », la Cour conclut dans Mohan que « [s]i, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l’opinion de l’expert n’est pas nécessaire » (p. 23, citation du lord juge Lawton dans R. c. Turner, [1975] 1 Q.B. 834, p. 841). La Cour ajoute que la crainte « inhérente à l’application de ce critère [est] que les experts [usurpent] les fonctions du juge des faits » (p. 24).
[46] Compte tenu des craintes exprimées concernant l’incidence éventuelle du témoignage d’un expert sur l’issue d’un procès — y compris le risque que l’expert usurpe la fonction du juge des faits —, le juge du procès doit veiller à bien encadrer l’expert et à dûment circonscrire son témoignage. Même si le risque est accru dans le cas d’un procès devant jury, le juge, y compris celui qui siège seul, a l’obligation de toujours faire en sorte que le témoignage de l’expert respecte les limites établies. Il ne suffit pas qu’il tienne compte des critères de l’arrêt Mohan au début du témoignage de l’expert et qu’il rende une décision initiale quant à l’admissibilité de la preuve. Il doit faire en sorte que, tout au long de son témoignage, l’expert respecte les limites établies à l’égard d’une telle preuve. Comme le fait observer le juge Doherty dans R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, par. 62 :
[traduction] L’admissibilité du témoignage n’est pas examinée en vase clos. Le juge du procès doit, avant de se prononcer, déterminer la nature et la portée du témoignage proposé. Non seulement il délimite le témoignage, mais il décide aussi, au besoin, des termes que l’expert pourra employer afin de réduire le risque de viciation du procès. Il est essentiel de déterminer avec précaution la portée du témoignage de l’expert et de s’assurer du strict respect des limites ainsi établies si le témoignage est admis. La jurisprudence montre que le non‑respect de telles limites par un témoin‑expert est probablement la faute qui justifie le plus souvent l’infirmation d’une décision en appel . . . [Je souligne; renvois omis.]
[47] Le juge du procès doit veiller à ce que l’expert respecte les justes limites de son domaine d’expertise, puis s’assurer que la teneur de la preuve elle-même fait l’objet à juste titre d’un témoignage d’expert.
[48] On peut s’attendre à des erreurs et, comme en l’espèce, à des témoignages qui dépassent les limites du domaine d’expertise. Il est également prévisible qu’un avocat de la défense omette de faire objection à un témoignage lorsque des propos discutables sont tenus. Dans un procès devant jury, une fois la déclaration faite, il peut être un peu plus difficile de corriger le tir, mais il suffira généralement de donner au jury la directive correctrice de ne pas tenir compte de la preuve inadmissible. Pour sa part, le juge est rompu à l’art de faire abstraction d’une preuve irrecevable. Il va sans dire que lorsque le témoignage dépasse les limites du domaine d’expertise, il est impératif que le juge du procès n’accorde aucune importance aux portions inadmissibles.
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