samedi 19 octobre 2024

L’admissibilité d’une preuve de conduite indigne

Drouin c. R., 2020 QCCA 1378

Lien vers la décision


[54]      Lafond (moyen 2) et Lafortune (moyen 3) portent tous deux en appel les jugements qui déclarent admissible une preuve de conduite indigne.

[55]      Pour ce qui est de Lafond, l’expert Alain Belleau a été autorisé à témoigner relativement au fonctionnement de l’organisation des Hells Angels, à laquelle Lafond a appartenu par le passé[38]. Ce dernier estime qu’il s’agit d’une erreur puisque la preuve sur les relations qu’il a entretenues avec les Hells Angels n’est pas pertinente et constitue plutôt une preuve de propension dont la valeur préjudiciable surpasse la valeur probante.

[56]      En ce qui concerne Lafortune, la juge de première instance a rejeté sa requête visant à faire déclarer inadmissibles les témoignages de Denis Provencher, Normand Turenne et Richard Cotton, trois entrepreneurs en construction dans le domaine de la maçonnerie[39]. Ces témoignages concernent une rencontre tenue le 25 septembre 2008 au restaurant La Saporita à Repentigny entre ces entrepreneurs, Lafortune, Ouimet et le lobbyiste Gilles Varin (« Varin »). Les discussions lors de cette réunion tournent autour d’un projet de création d’un consortium d’entrepreneurs pour l’obtention de contrats dans le domaine de la maçonnerie. En vertu de cette entente, Varin pourrait obtenir de l’information permettant aux entrepreneurs de faire des soumissions et d’obtenir des contrats, tandis que ceux-ci devraient verser une commission pour les services rendus[40]. Lafortune prétend que la juge a commis une erreur puisque ces témoignages constituent une preuve de propension dont la valeur probante surpasse l’effet préjudiciable. Selon lui, cette preuve tend à démontrer qu’il se livre à des activités de collusion en contravention à la Loi sur la concurrence.

a)      Les principes applicables

[57]      La preuve d’une conduite indigne de l’accusé est généralement inadmissible lorsqu’elle a pour seul but de démontrer la propension de ce dernier à commettre l’infraction qui lui est reprochée[41]. Elle peut néanmoins être admise « (1) si elle a rapport à une autre question litigieuse que la propension ou la moralité, et (2) si sa valeur probante l'emporte sur son effet préjudiciable »[42]:

65        La preuve qui se rapporte directement à la thèse du ministère public est admissible même si elle peut également démontrer la mauvaise moralité de l’accusé, à condition que sa valeur probante l’emporte sur son effet préjudiciableB. (F.F.), précité, à la p. 731. Même si la preuve est admissible en vertu de cette exception, il est évident qu’elle ne peut toujours pas être utilisée pour déterminer la culpabilité simplement parce que l’accusé est le genre de personne susceptible de commettre le crime: B. (F.F.), précité. Le juge du procès a l’obligation de donner des directives au jury à cet égard et de le mettre en garde contre l’utilisation inappropriée de la preuve.[43]

[Soulignements ajoutés]

[58]      Dans l’arrêt Couture c. R., notre Cour abonde dans le même sens :

[78]      Il faut rappeler que plusieurs raisons permettent de justifier la preuve des divers événements en cause que les appelants qualifient de preuve de conduite indigne ou de preuve de caractère. Tel que mentionné précédemment, ces événements peuvent constituer l’un des éléments de l'actus reus, à savoir la commission d’actes criminels pendant la période de l’infraction de gangstérisme ou, encore, dans les cinq ans qui précèdent. Ces événements peuvent être des actes manifestes, recevables dans le cadre de la démonstration d’un complot.  Ils peuvent, dans certains cas, prouver la connaissance, lorsque celle-ci est pertinente. Ils peuvent enfin être recevables parce que nécessaires pour comprendre le récit ou la trame factuelle relatée par un témoin. Dans de telles circonstances, la preuve de moralité ne cherche pas à démontrer seulement que l’accusé est plus susceptible, pour cette raison, d’avoir commis l’infraction reprochée, ce qui serait une preuve non recevable. Cette preuve est admissible parce qu’elle est pertinente à une question en litige, et ce, même si, accessoirement, elle constitue une preuve de mauvaise moralité. Il faudra également, bien entendu, que sa valeur probante l’emporte sur son effet préjudiciable. C’est dans cet esprit qu’il faudra aborder les exemples soulevés par les appelants.[44]

[Soulignements ajoutés; renvoi omis]

[59]      Les auteurs Vauclair et Desjardins, en s’appuyant sur des arrêts de la Cour suprême[45] et de la Cour d’appel de l’Ontario, notamment l’arrêt R. v. L.B.[46], suggèrent quelques facteurs à considérer afin d’évaluer la valeur probante de la preuve de caractère indigne : (1) « la force de la preuve en elle-même »; (2) « dans quelle mesure elle permet l’inférence que l’on veut tirer »; et (3) « dans quelle mesure l’élément à prouver est en litige »[47]. Quant à l’effet préjudiciable, les auteurs proposent les facteurs suivants : (1) « l’importance du préjudice »; (2) « dans quelle mesure la preuve peut entraîner une inférence de culpabilité fondée uniquement sur la preuve de conduite indigne; (3) « dans quelle mesure elle peut fausser le débat relatif aux questions en litige »; et (4) « la capacité de l’accusé d’y répondre »[48].

[60]      Enfin, lorsqu’une telle preuve est admise, le juge « a l’obligation de donner des directives au jury à cet égard et de le mettre en garde contre l’utilisation inappropriée de la preuve »[49]. Par contre, l’omission de le faire ne constitue pas, dans tous les cas, une erreur qui justifie l’infirmation du verdict[50]. En effet, dans un tel cas, le juge Moldaver, écrivant pour la majorité dans l’arrêt R. c. Calnen, expose l’idée que le tribunal d’appel doit examiner les directives données au jury en entreprenant « une démarche fonctionnelle et [en] se demand[ant] si, globalement, l’exposé permettait au juge des faits de trancher l’affaire selon la loi et la preuve »[51]. Il résume comme suit le test applicable :

[9]        En résumé, le test applicable consiste à se demander si le jury a reçu, non pas des directives parfaites, mais des directives appropriées : R. c. Jacquard1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 62. En fin de compte, la question essentielle est celle de savoir si le jury était convenablement outillé pour trancher l’affaire même s’il n’a pas reçu une directive restrictive le mettant en garde contre un raisonnement fondé sur la propension générale.[52]

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