Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Leblanc, 2022 QCCS 4444
[24] Il importe de distinguer l’admissibilité d’un élément de preuve, à titre de question de droit, de sa valeur probante, à titre de question de fait. L’admissibilité d’un élément de preuve concerne sa recevabilité légale au procès. Comme le rappelle la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Schneider, 2022 CSC 34, l’admissibilité d’un élément de preuve est déterminée par le juge du droit selon une analyse en trois points :
• Premièrement, la preuve proposée doit être pertinente. Il s’agit d’une condition nécessaire et indispensable. Une preuve est pertinente si elle tend, selon la logique et l’expérience humaine, à accroitre ou à diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige. La pertinence concerne essentiellement la signification de la preuve, et non sa force probante ni même sa véracité.
• Deuxièmement, il faut appliquer les règles d’exceptions visant la preuve proposée. En principe, une preuve pertinente est admissible. Cependant, le droit prévoit diverses exceptions ou règles spécifiques qui peuvent entrainer l’exclusion d’une preuve pertinente qui serait autrement admissible.
• Troisièmement, le juge peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire résiduel, exclure une preuve qui comporte un effet préjudiciable qui surpasse sa valeur probante.
[25] Ensuite, les principes et les règles de preuve du droit criminel s’appliquent au droit pénal québécois, avec quelques réserves incluant l’application de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information, RLRQ c C-1.1. L’art. 61 du Code de procédure pénale stipule ce qui suit :
61. Les règles de preuve en matière criminelle, dont la Loi sur la preuve au Canada (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-5), s’appliquent en matière pénale, compte tenu des adaptations nécessaires et sous réserve des règles prévues dans le présent code ou dans une autre loi à l’égard des infractions visées par cette loi et de l’article 283 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) ainsi que de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1).
Les dispositions du Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46) relatives aux dépositions à distance des témoins s’appliquent, compte tenu des ressources mises à la disposition du tribunal, à l’instruction des poursuites intentées conformément au présent code.
[26] Une règle spécifique s’applique à la preuve documentaire. Pour être admissible, un document doit minimalement être appuyé par une preuve étayant son authenticité, c’est-à-dire une preuve pouvant établir que le document est véritablement ce que l’on prétend qu’il est. Au stade de l’admissibilité, il s’agit seulement pour le juge du droit de vérifier l’existence d’une preuve pouvant fonder l’authenticité du document, car l’appréciation de la valeur probante du document doit être laissée au juge des faits. Le plus souvent, l’authenticité d’un document repose sur les explications d’un témoin, son auteur ou une personne autrement capable de le reconnaitre. Toutefois, l’authenticité peut être démontrée d’une autre façon, par exemple au moyen d’une admission, d’un témoignage d’expert ou même d’une preuve circonstancielle. La règle est essentiellement la même dans le cas d’un document technologique ou généré par un instrument technologique, quoique la question de l’intégrité informatique du document s’ajoute à la question de l’authenticité au sens classique. La notion d’intégrité informatique signifie que les données enregistrées ou produites par un système informatique doivent être intactes (art. 6, 12 à 14 de la La Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, précitée; art. 31.1 à 31.8 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5; D. M. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence, 8e éd., Toronto, Irwin Law, 2020, pp. 561-567; S. N. Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant: The Law of Evidence in Canada, 6e éd., 2022, pp. 1433-1435; G. Chan et S. Magotiaux, Digital Evidence, 2e éd.,Toronto, Emond Montgomery Publications, 2022, pp. 214-230; M. Gourlay, B. Jones, J. Makepeace, G. Crisp et R. Pomerance, Modern Criminal Evidence, Toronto, Emond Publishing, 2021, pp. 538-550; V. Gautrais, La preuve technologique, 2e éd., Montréal, LexisNexis Canada inc., 2018; par. 227; M. Phillips, La preuve électronique au Québec, Montréal, LexisNexis Canada inc., 2010; Benisty c. Kloda, 2018 QCCA 608, para. 85-105; R. c. Major, 2022 SKCA 80; R. c. Durocher, 2019 SKCA 97, para. 74-96; R. c. Richardson, 2020 NBCA 35; R. c. Ball, 2019 BCCA 32; R. c. Hirsch, 2017 SKCA 14).
[27] Toutefois, l’authenticité d’un document (et son intégrité dans le cas d’un document technologique) n’est qu’un critère préliminaire d’admissibilité. Un document ne prouve pas d’emblée la véracité de l’information qu’il contient.
[28] En effet, l’information que contient un document peut être assimilée à une déclaration extrajudiciaire écrite et constituer du ouï-dire, c’est le cas notamment de communications entre des personnes, de notes personnelles ou de données consignées dans un registre. Il s’agit alors de déterminer si l’information contenue au document peut être admise pour faire la preuve de sa véracité en vertu d’une règle d’exception au ouï-dire ou d’une règle spécifique en matière de preuve documentaire, notamment selon la Loi sur la preuve au Canada (M. Vauclair et T. Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 29e éd., Montréal, Yvon Blais, 2022, para. 44.63-44.69). Il importe de rappeler, au passage, qu’une déclaration écrite est parfois produite non pas pour établir sa véracité, mais simplement pour établir son existence.
[29] Par ailleurs, lorsque l’information contenue au document consiste en des données générées automatiquement par un instrument technologique, la preuve ne peut pas être aisément assimilée à une déclaration extrajudiciaire. Une machine ne fait pas de déclaration comme une personne humaine. Conséquemment, la règle du ouï-dire ne s’applique pas. Sur le plan conceptuel, une preuve de données produites automatiquement s’approche plutôt de la preuve matérielle. En définitive, il s’agit d’un « objet » soumis à l’appréciation du juge des faits. Le critère d’authenticité demeure, car ce critère s’applique à la preuve matérielle comme à la preuve documentaire (Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant: The Law of Evidence in Canada, 6e éd., 2022, pp. 1476-1477; M. Gourlay, B. Jones, J. Makepeace, G. Crisp et R. Pomerance, Modern Criminal Evidence, Toronto, Emond Publishing, 2021, p. 549; Saturley c. CIBC World Markets Inc., 2012 NSSC 226, para. 11-13).
[30] Si les données générées automatiquement par un instrument technologique sont présentées au procès pour prouver leur véracité, l’admissibilité du document dépend de l’existence d’une preuve susceptible d’étayer la fiabilité des données comme étant véridiques. Cette exigence de fiabilité n’est pas toujours explicitement énoncée par la jurisprudence et la doctrine, mais elle découle du critère d’authenticité. Ici, une preuve que les données sont authentiques, soit qu’elles sont véritablement ce qu’on prétend qu’elles sont, doit pouvoir démontrer que ces données représentent la vérité. Rappelons qu’il ne s’agit pas d’un fardeau exigeant au stade de l’admissibilité. Le juge du droit doit simplement s’assurer que la fiabilité des données comme étant véridiques prend assise dans la preuve. La nature de cette preuve dépend des circonstances. Une preuve d’expert n’est pas toujours nécessaire, loin de là. Souvent, un témoin ordinaire qui connait bien l’instrument technologique concerné peut témoigner de la fiabilité des données produites par celui-ci, notamment en relatant son expérience d’utilisation de l’instrument ou en expliquant les vérifications qu’il a effectuées. Pour citer un exemple facile, un témoin peut affirmer que sa montre donne l’heure juste, sans qu’il soit nécessaire de faire entendre un expert en horlogerie (R. c. Ball, 2019 BCCA 32, para. 69; R. c. Martin, 2021 NLCA 1, para. 58; R c Major, 2022 SKCA 80; Québec (Procureur général) c. Robitaille, 1991 CanLII 3772 CAQ; G. Chan et S. Magotiaux, Digital Evidence, 2e éd.,Toronto, Emond Montgomery Publications, 2022, pp. 214-230).
[31] De plus, toujours pour étayer la fiabilité des données produites automatiquement par un instrument technologique, la partie qui présente la preuve peut, lorsque la situation s’y prête, demander au juge de prendre connaissance d’office de faits notoires et non contestés relatifs à la technologie ou à la science en cause. C’est ainsi que la jurisprudence a reconnu que la mesure de vitesse captée par un radar ou un cinémomètre laser est admissible pour prouver sa véracité, sans qu’il soit nécessaire de présenter une preuve d’expert. Ces appareils de localisation sont d’usage répandu et leur fonctionnement est bien connu. Il en est de même du calcul de la vitesse en physique élémentaire. Chacun sait que la vitesse est calculée en divisant la distance parcourue par le temps de parcours. Toutefois, la connaissance d’office ayant une portée générale, elle ne suffit habituellement pas à étayer la fiabilité de données produites par un instrument technologique précis dans un cas spécifique (Joliette (Ville) c. Delangis, 1999 CanLII 13438 (CAQ); Baie-Comeau (Ville) c. D'Astous, 1992 CanLII 2956 (CAQ); Brochu c. R., 2018 QCCA 2205; M. Gourlay, B. Jones, J. Makepeace, G. Crisp et R. Pomerance, Modern Criminal Evidence, Toronto, Emond Publishing, 2021, pp. 554-555).
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