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dimanche 4 mars 2018

Détermination de la peine en matière de trafic de cocaïne et de crack

R. c. Moreira, 2011 QCCA 1828 (CanLII)

Lien vers la décision

[18]           L'auteur Clayton C. Ruby présente une revue de la jurisprudence concernant les peines attribuées à travers le Canada pour les infractions en matière de stupéfiants. On constate que ces peines varient énormément en fonction de la nature de la drogue en question. Par exemple, en matière d'héroïne, « [i]t is not uncommon for trafficking sentences to begin at the one – to two – year mark where the offender is not an addict and had no prior record ». En comparaison, il explique que les infractions reliées à la cocaïne étaient généralement considérées comme étant moins graves, mais que cela change, entre autres, en raison du crack, un dérivé de la cocaïne :
Cocaine was once regarded by courts as a drug that is somewhat more serious than marijuana but less serious than heroin. However, due to the existence of crack cocaine and intravenous cocaine users, this attitude appears to be changing. More recent sentences for cocaine seem on par with those imposed for heroin possession or trafficking.
[Soulignage ajouté]
[19]           Le dérivé de la cocaïne que l'on appelle crack ou cocaïne-base serait d'une grande dangerosité et les infractions qui y sont liées entraîneraient des peines importantes. Ainsi, « [o]ffenders caught trafficking even minor amounts may be exposed to incarceration despite mitigating factors ».
[20]           Cette Cour a déjà traité des nombreux risques associés au trafic du crack. Dans l'arrêt R. c. Dorvilus, le juge Baudouin, s'exprimant au nom d'une cour majoritaire, décrivait ainsi les dangers reliés à cette drogue :
Le crack crée chez l'usager une sensation intense et très rapide, mais de courte durée, et une dépendance forte et pratiquement immédiate. C'est une drogue dont l'usage se propage à grande vitesse à l'heure actuelle surtout chez les enfants et chez les jeunes, parce qu'elle est bon marché par rapport à la cocaïne en poudre ou à l'héroïne. Une "roche" de crack se vend en effet entre 10 $ et 15 $ alors que 25 $ à 40 $ sont nécessaires à l'achat d'un quart de gramme de cocaïne en poudre.  On note aussi qu'elle provoque chez l'usager en manque, de l'agressivité et des tendances à la paranoïa.
[21]           Il concluait également à la nécessité pour les tribunaux d'adopter une attitude sévère à l'égard des trafiquants de crack :
[…] les tribunaux ont le devoir de se montrer sévères et non complaisants en matière de trafic de crack, eu égard surtout au fait que la substance crée une grande dépendance et une dépendance quasi-immédiate, qu'elle est une drogue bon marché à la portée donc de la bourse des enfants et des adolescents.
[22]           Il effectue par la suite une revue de la jurisprudence afin de présenter l'éventail des peines attribuées en matière de trafic de crack. Outre une affaire où l'accusé avait été détenu de manière préventive dans des conditions difficiles, toutes les peines mentionnées variaient entre 6 et 54 mois d'emprisonnement. En conséquence, le juge Baudouin décida de confirmer la peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour qui avait été attribuée par le juge de première instance.
[23]           Ainsi, tel que l'intimé l'admet dans son mémoire, la peine de 90 jours d'emprisonnement à purger de manière discontinue imposée par le premier juge se situe clairement à l'extérieur de la fourchette établie par la jurisprudence pour le type d'infraction que l'intimé a commise. Il faut donc évaluer si l'application des principes de détermination de la peine justifiait en l'espèce de s'écarter de cette fourchette.
[24]           L'arrêt majoritaire de cette Cour dans R. c. Lafrance constitue un bel exemple de la possibilité pour un juge de « prononcer une sanction qui déroge de la fourchette établie » à laquelle le juge LeBel faisait référence dans l'arrêt Nasogaluak.
[25]           L'arrêt Lafrance portait justement sur l'appel d'une peine discontinue de 90 jours d'emprisonnement infligée à un accusé ayant plaidé coupable aux infractions de trafic et de possession de cocaïne en vue d'en faire le trafic. L'accusé en était également à sa première infraction et il avait lui aussi commis cette infraction grave dans un esprit de lucre.
[26]           Alors que le juge en chef Bisson, dissident, proposait d'intervenir afin de remplacer la peine retenue par le premier juge par une peine de 9 mois d'emprisonnement, le juge LeBel, alors à la Cour d'appel, et la juge Otis concluaient plutôt au rejet de l'appel.
[27]           Dans ses motifs, le juge LeBel s'attardait à rejeter la théorie du starting point retenue dans d'autres provinces et selon laquelle la jurisprudence aurait défini des minimums absolus concernant la peine attribuable à certaines infractions. Il reconnaît que les tribunaux ont imposé des peines sévères en matière de stupéfiant, mais il considère que le juge a le pouvoir de s'en écarter si les facteurs individuels de l'accusé, par exemple ses possibilités de réadaptation, le justifient :
Clémente, la sentence du premier juge ne paraît pas illégale. Elle repose sur un pari raisonné et justifié par la preuve disponible voulant que Lafrance soit sorti de sa période criminelle. Pour le juge Poirier, il ne pose plus un risque pour la société, dans l'avenir. Il refait sa vie.
[28]           L'importance de l'objectif de réinsertion sociale des délinquants dans cette affaire apparaît encore plus clairement des motifs de la juge Otis. Elle écrit :
Une fois reconnues les dévastations sociales engendrées par les stupéfiants et les drogues et l'adéquation trop fréquente entre l'usage de ces substances et la commission des infractions contre la personne et les droits de propriété, il coule de source que le message de dissuasion et de neutralisation, en regard de ces crimes, doit être porté haut et fort.
Mais il arrive que le juge, à qui incombe le devoir de déterminer la peine, nourisse la conviction sincère que la fonction utilitaire de la sentence, soit la prévention par la dissuasion, ait plus de chances d'atteindre son accomplissement par la mise en oeuvre de la fonction individuelle de la sentence, soit la réhabilitation.
[Soulignage ajouté]
Et plus loin :
Si, dans les infractions reliées au trafic et à la possession pour fins de trafic des stupéfiants, le critère de la dissuasion générale constitue une considération de première importance, il n'en reste pas moins que le critère de la réadaptation, lorsqu'il fait l'objet d'une démonstration particulièrement convainquante, pourra devenir prééminent lors de la détermination de la peine.
[Soulignage ajouté]
[29]           Dans Lafrance, une telle démonstration avait été faite. L'agent de probation avait préparé une évaluation positive de l'accusé en le décrivant comme « une personne autonome et pourvu d'une bonne maturité » et le juge de première instance avait déclaré « [croire] à la réhabilitation possible de l'accusé ».
[30]           Appliquant ce raisonnement aux faits de l'espèce, il est évident qu'une telle démonstration convaincante n'a pas été effectuée. Bien au contraire, le rapport de l'agente de probation, loin d'être favorable à l'intimé, conclut à son immaturité et à son potentiel de récidive. En théorie, il aurait été possible pour le juge de rejeter les conclusions du rapport présentenciel. Or, il a plutôt décidé d'en reprendre de longs passages dans le libellé de son jugement. En particulier, il conclut lui aussi à l'immaturité de l'intimé et il retient même cet élément comme une circonstance aggravante. Il est vrai qu'il ne fait aucun commentaire sur les conclusions de l'agente de probation concernant le potentiel de récidive de l'intimé, mais il ne les rejette pas non plus. De toute façon, en pratique, aucun autre élément de preuve n’aurait pu justifier une telle conclusion.
[31]           Dans ce contexte, le résultat de l'affaire Lafrance n'est pas applicable en l'espèce. Le premier juge n'était pas justifié de s'écarter de la fourchette des peines applicables aux infractions de trafic de stupéfiant et notamment de trafic de crack.
[32]           Une question délicate est toutefois celle de déterminer la sentence qui conviendrait. Tel que mentionné ci-dessus, le juge a lui-même établi la liste des circonstances atténuantes et des circonstances aggravantes applicables en l'espèce. On pourrait même y ajouter, suivant le sous‑paragraphe a)(iv) de l'article 718.2 C.cr., le fait que selon le rapport présentenciel les infractions perpétrées « ont nécessité une association avec un milieu criminalisé et organisé ». Manifestement, il semble y avoir beaucoup plus de facteurs aggravants que de facteurs atténuants.
[33]           Dans ce contexte, une peine de 24 mois d'incarcération ferme est appropriée. Il s'agit en effet d'une peine qui se situe à l'intérieur de la fourchette des peines applicables aux trafiquants de crack, qui, rappelons-le, reçoivent généralement des peines plus sévères que les trafiquants de cocaïne. La peine imposée par cet arrêt doit néanmoins tenir compte des 25 fins de semaines ou 50 jours que l'intimé a purgé en application de la peine infligée par le premier juge.

Le stare decisis et les obiters

R. c. Amyot, 2016 QCCQ 12597 (CanLII)

Lien vers la décision

[25]                 La règle du stare decisis ou l’autorité des jugements est un principe fondamental. Lorsqu’un arrêt antérieur fixe le droit, une interprétation contraire « serait dépourvue de fondement juridique en raison de l’autorité que revêt celui-ci comme précédent ». Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux2014 CSC 49 (CanLII)[2014] 2 R.C.S. 477, par. 22.
[26]                 Alors, à la Cour d’appel du Québec, le juge Gascon, au nom de la Cour, résumait l’importance de la règle :
« [128]      La Cour l'a déjà dit par le passé : « Source de stabilité et de structure pour le système juridique, l'autorité du précédent est l'un des fondements de la primauté du droit. Ce principe qui assure au justiciable non seulement une prévisibilité relative par rapport à la prise de décision judiciaire, mais également une protection contre l'arbitraire dans l'exercice de ce pouvoir. » [31]. » Canada (Procureur général) c.Imperial Tobacco Ltd. 2012 QCCA 2034 (CanLII)
[27]                 Cette règle n’est plus de rigidité absolue. (Canada c. CSN, précité, par. 23) Le réexamen se justifie rarement. La juge en chef McLachlin écrivait dans Canada (Procureur général) c. Bedford2013 CSC 72 (CanLII) :
« [44]         […] la juridiction inférieure ne peut faire abstraction d’un précédent qui fait autorité, et la barre est haute lorsqu’il s’agit de justifier le réexamen d’un précédent.  Rappelons que, selon moi, le réexamen est justifié lorsqu’une nouvelle question de droit se pose ou qu’il y a modification importante de la situation ou de la preuve.  Cette approche met en balance les impératifs que sont le caractère définitif et la stabilité avec la reconnaissance du fait qu’une juridiction inférieure doit pouvoir exercer pleinement sa fonction lorsqu’elle est aux prises avec une situation où il convient de revoir un précédent. »
[28]                 Il est inutile de rappeler que la Cour du Québec doit suivre les arrêts de la Cour d’appel du Québec qui fixent le droit.
[29]                 Cependant, la Cour suprême dans R. c. Kowbel1954 CanLII 12 (SCC)[1954] R.C.S. 498, 502 faisait la distinction suivante quant aux obiters : « Obiter dicta » are not always of equal value. Some are mere casual expressions of opinion, unnecessary for the determination of the case. Some others are of a different nature and carry more weight, if they are not obiter to the view taken of the case by the judge. » (Voir également Power c. Griffin1902 CanLII 85 (SCC)1902 33 R.C.S. 39, 42 : « Anything that may be found in the report of that case (and of any case) that was not necessary for the determination of the controverted points therein is obiter and not binding as authority. »).

Quelle signification doit-on donner à la notion de transport dans la définition de trafic de l’article 2 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances?

R. c. Amyot, 2016 QCCQ 12597 (CanLII)

Lien vers la décision


[10]                 Une controverse jurisprudentielle existe. D’une part, de nombreux jugements interprètent la notion de transport comme exigeant que celui-ci soit fait dans le but de distribuer la drogue à d’autres. D’autre part, la Cour d’appel du Québec écrit que transport veut dire le simple fait de transporter.
[11]                 L’article 2 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances prévoit la définition de trafic :

« trafic Relativement à une substance inscrite à l’une ou l’autre des annexes I à IV, toute opération de vente — y compris la vente d’une autorisation visant son obtention —, d’administration, de don, de cession, de transport, d’expédition ou de livraison portant sur une telle substance — ou toute offre d’effectuer l’une de ces opérations — qui sort du cadre réglementaire. (traffic) »
« traffic means, in respect of a substance included in any of Schedules I to IV,
           (a) to sell, administer, give, transfer, transport, send or deliver the substance,
           (b) to sell an authorization to obtain the substance, or
           (c) to offer to do anything mentioned in paragraph (a) or (b),
otherwise than under the authority of the regulations. (trafic) »

 La notion de transport selon les auteurs et la jurisprudence
Mise en situation
[12]                 Les auteurs de l’ouvrage Drug Offences in Canada résument le débat :
« Most of the actions defined as trafficking under the Controlled Drugs and Substances Act necessarily contemplate a transaction involving two or more persons. Activities such as “selling”, “giving”, “administering”, “transferring”, “sending” and “delivering” clearly imply something more extensive than a use which is only consistent with the participant’s own purposes.
On the other hand, the term “transport” is capable of at least two interpretations: first, a simple carrying of a drug from one place to another for the sole purpose of changing its location and with a view to personal consumption; second, a carrying of the drug with a view to its distribution to other persons.” (MacFarlane, Frater, Michaelson, #5.40.120) »
L’interprétation exigeant que le transport de la drogue soit effectué dans le but de la distribuer à quelqu’un d’autre
[13]                 Dans R. c. Harrington, (R. c. McDonald [1964] 1 C.C.C. 189, 195 (C.A.C-B), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a adopté l’interprétation suivante du mot transport qui se retrouvait dans la Loi sur les stupéfiants. Le juge Bird écrivait :
« In the definition of “traffic”, s. 2 of the Act, the word “transport” is associated with the words “manufacture, sell, give, administer, send, deliver and distribute”. Six, if not all of these words, imply something more extensive than a use for the actor's own purposes. When one uses the word “sell”, “give”, “administer”, “send”, “deliver” or “distribute”, he does not contemplate a transaction involving one person alone, but a transaction involving two or more persons.
These considerations impel me to the view that the word “transport” in the definition of “traffic” is not meant in the sense of mere conveying or carrying or moving from one place to another, but in the sense of doing so to promote the distribution of the narcotic to another. In my opinion, there must be something more extensive than mere conveying, or carrying or moving incidental to one’s own use of the drug to warrant a conviction under s. 4(1) [now s. 5(1) of the Controlled Drugs and Substances Act] for trafficking .”. R. v. Macdonald) (B.C.C.A.). »
[14]                 Cette décision a été suivie par de nombreuses cours, à de nombreuses reprises, que ce soit tant sous l’ancienne Loi sur les stupéfiants que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. (sous l’ancienne loi : R. c. Barron (1977), 38 C.R.N.S. 375.(C.A.Alta); R. c. Turcotte(1981)  22 C.R. (3d) 46 (C.S.P.); R. c. Binkley (1982)  1982 CanLII 2588 (SK CA)69 C.C.C. (2d) 169, (C.A. Sask.)R. c. Keel, 1986 CarswellNfld 48, (Nfld.S.C.T.D.) sous la nouvelle loi United States c. Roseneau, 2009 BCSC 805 (CanLII)R. c. Klostergaard2006 CarswellAlta 2440 (Alta Q.B.)Unites States c. Trotter2013 BCSC 1985 (CanLII), par. 44; R. c. Lavallée2014 SKPC 166 (CanLII)In re United States of America2015 BCSC 604 (CanLII), par. 68.)
[15]                 Des applications récentes de cette interprétation l’illustrent. Dans R. c. Giles2016 BCSC 1800 (CanLII), le juge Ross de la Cour suprême de la Colombie-Britannique écrivait ceci après avoir revu la question :
« 523    Thus, the word "transport" in the context of s. 2(1) of the Controlled Drugs and Substances Act requires something more than mere movement from place to place. It requires the movement to be in the context of distribution to others. Movement incidental to personal use is not sufficient. »
[16]                 Dans R. c. Dickey2015 BCSC 191 (CanLII), par. 130. le juge Greyell écrit : « Transporting has been interpreted to mean « to promote the distribution of the narcotic to another : R. v. Harrington and Scosky, [1964] 1. C.C.C. 189 at p. 195 (B.C.C.A.); R. v. Binkley(1982), 1982 CanLII 2588 (SK CA)69 C.C.C. (2d) 169 (Sask. C.A.)R. v. Gardiner, (1987), 35 C.C.C. (3d) 461 (Ont. C.A.)R. v. Taylor,(1974), 17 C.C.C. (2d) 36 (B.C.C.A.). »
L’interprétation du mot transport comme étant le simple transport d’un endroit à un autre
[17]                 En vertu de la Loi sur les aliments et drogues dans R. c. Pottie(1981), 1981 CanLII 1925 (ON CA)64 C.C.C. (2d) 119, (C.S.N.S.D.A.), au paragraphe 17, la Cour écrit :
« 17.   I have considered the authorities relied upon by the appellant's counsel, and have concluded that in each case the Court decided that the words "transport" and "deliver" should not be given their literal meaning. With the greatest respect, I do not agree with this interpretation. Where words in a statute appear clear and unambiguous, the ordinary and literal meaning should be adopted. I respectfully prefer the reasoning of McFarlane, J.A., in Regina v. O'Connor, supra, and would accordingly dismiss this ground of appeal. »
[18]                 En vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Cour d’appel du Québec dans R. c. Grenier2012 QCCA 166 (CanLII) s’est penchée incidemment sur la question. L’accusé Grenier a été déclaré coupable d’avoir trafiqué de la drogue. Il avait incité sa conjointe à lui apporter de la drogue lors d’une visite au pénitencier.
[19]                 Dans ce contexte d’un transport d’une drogue dans le but de la distribuer à une autre personne, la Cour d’appel a écrit ceci :
« Il est exact, par ailleurs, que le cannabis n’a pas été livré à l’appelant. Toutefois, le simple fait de transporter des stupéfiants constitue un trafic selon la définition de ce terme au paragraphe 2(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. » [par. 30]
Le parallèle : les articles 84 et 100 du Code criminel : la possession en vue de trafic d’armes et la définition de cession
[20]                 Le paragraphe 100(1) C.cr. prévoit :
« 100. (1)  POSSESSION EN VUE D’EN FAIRE LE TRAFIC D’ARMES - Commet une infraction quiconque a en sa possession une arme à feu, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé, des munitions ou des munitions prohibées en vue de les céder, même sans contrepartie, ou d’offrir de les céder, sachant qu’il n’y est pas autorisé en vertu de la Loi sur les armes à feu, de toute autre loi fédérale ou de leurs règlements. »
[21]                 La définition de « cession » inclut le mot transport et se lit comme suit :
« Vente, fourniture, échange, don, prêt, envoi, location, transport, expédition, distribution ou livraison » [nous soulignons]
[22]                 Dans ce contexte, la Cour suprême dans Grant2009 CSC 32 (CanLII), a interprété le mot transport. Grant était accusé de possession en vue de faire le trafic d’armes (par. 100(1) C.cr.). À l’instar de l’accusé dans le présent dossier, Grant avait avoué « qu’il allait « [TRADUCTION] « porter » le revolver plus loin « sur la rue ». Cela « supposait le déplacement de l’arme d’un endroit à un autre et suffisait donc à établir les éléments de l’infraction décrite au par. 100(1). » (par. 142)
[23]                 La Cour suprême a rejeté l’interprétation voulant que le simple transport équivaille à une cession. Elle a acquitté Grant de ce chef d’accusation. Au nom de la majorité, la juge en chef McLachlin et la juge Charron écrivent :
« [144]      Nous souscrivons à l’argument de M. Grant selon lequel, dans l’esprit du législateur, le par. 100(1) ne visait pas le simple déplacement d’une arme à feu d’un endroit à un autre.  Premièrement, la règle d’interprétation législative dite des « mots associés » établit que « lorsqu’au moins deux mots reliés par la conjonction “et” ou “ou” ont une fonction logique et grammaticale analogue dans une disposition, ils doivent être interprétés à la lumière de leurs caractéristiques communes » : McDiarmid Lumber Ltd. c. Première Nation de God’s Lake2006 CSC 58 (CanLII)[2006] 2 R.C.S. 846, par. 30, la juge en chef McLachlin.  Voir aussi R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 227‑231.  Voici encore le libellé de la définition de « cession » à l’art. 84 : « Vente, fourniture, échange, don, prêt, envoi, location, transport, expédition, distribution ou livraison. »  Dans cette énumération, il n’y a que le mot « transport » qui puisse vraisemblablement viser le déplacement d’une chose d’un lieu à un autre sans qu’elle change de mains.  L’élément commun à tous les autres termes est la notion de marché, indicative d’un sens plus restreint que celui qui est donné par le dictionnaire pour le mot « transport ». »

[24]                 Plus loin, elles écrivent :
« Autrement dit, il appert de ces mots que l’intention du législateur n’était pas de criminaliser le simple déplacement des armes à feu, mais plutôt leur transport pour des fins impliquant d’autres personnes.  En outre, la criminalisation de l’« offre » de cession, au par. 100(1), laisse entendre que la « cession » participe de la nature d’un marché. » [par. 145]

L’interprétation retenue et pourquoi
[30]                 Avec égards pour l’opinion contraire, le Tribunal conclut que le passage : «…le simple fait de transporter des stupéfiants constitue un trafic selon la définition de ce terme au paragraphe 2(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. »  de l’arrêt Grenier ne fait pas autorité.
[31]                 Tout d’abord, la Cour d’appel du Québec n’avait pas à traiter de la question, l’interprétation de la loi n’était pas en litige.
[32]                 La Cour d’appel n’avait pas à décider de la question puisque la preuve indiquait que la complice apportait de la drogue à l’intérieur des murs de la prison à l’initiative de l’accusé. Le transport de la drogue était dans le but de la distribuer à une autre personne.
[33]                 La Cour d’appel ne cite aucun jugement qui adopte la position contraire.
[34]                 Avec égards, le passage peut être qualifié d’obiter. Il n’était pas nécessaire pour décider du sort de l’appel d’interpréter le mot transport. (Deglman c. Guaranty Trust Co. of Canada and Constantineau1954 CanLII 2 (SCC)[1954] R.C.S. 725, 733)
[35]                 Le principe fondamental de l’interprétation des lois veut qu’un mot sans ambiguïté s’interprète selon son sens ordinaire. L’auteur Driedger résumait ainsi :
« Today there is only one principle or approach [to statutory interpretation], namely, the words of an Act are to be read in their entire context and in their grammatical and ordinary sense harmoniously with the scheme of the Act, the object of the Act, and the intention of Parliament.1 »E.A. Driedger, The Construction of Statutes, 2d ed. (Toronto: Butterworths, 1983) at 87 »
[36]                 La Cour suprême a repris ce principe à plusieurs reprises. (R. c. Ahmad2011 SCC 6 (CanLII), par. 28; Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.1998 CanLII 837 (CSC)[1998] 1 R.C.S. 27, par. 21 (C.S.C.)
[37]                 Commençons par le sens ordinaire des mots. Selon le dictionnaire, le mot transport peut vouloir dire plusieurs choses. En français,Le Petit Robert, 1995, p. 2297 donne les définitions suivantes : « Cession (d’un droit, d’une créance) ou fait de porter pour faire parvenir en un autre lieu; manière de déplacer ou de faire parvenir par un procédé particulier ».
[38]                 En anglais, selon le dictionnaire Collinswww.collinsdictionary.com, la définition du mot « transport » est : « to carry or cause to go from one place to another, esp over some distance ».
[39]                 Conformément à la définition française, le mot transport est susceptible de plusieurs interprétations. La cession d’un droit ou d’une créance implique une autre personne tandis que le fait de porter pour faire parvenir en un autre lieu ou « to carry or cause to go from one place to another » n’implique pas nécessairement une autre personne.
[40]                 Le principe d’interprétation voulant que lorsque deux mots sont reliés par la conjonction « et » ou « ou », ils doivent être interprétés à la lumière de leurs caractéristiques communes est pertinent en l’espèce. (Grant, précité, par. 144).
[41]                 La définition de trafic à l’article 2 prévoit les actions suivantes :
« toute opération de vente — y compris la vente d’une autorisation visant son obtention —, d’administration, de don, de cession, de transport, d’expédition ou de livraison portant sur une telle substance — ou toute offre d’effectuer l’une de ces opérations. »
[42]                 La vente, l’administration, le don et la cession impliquent tous une autre personne. Le transport, l’expédition et la livraison pourraient ne pas impliquer une autre personne selon un sens donné, mais pourraient également impliquer cette autre personne.
[43]                 À l’instar de la définition de « cession » à l’article 84 C.cr., l’offre d’effectuer ces actions fait partie de la définition de trafic, ce qui laisse entendre que le trafic participe de la nature d’un marché et donc implique une autre personne (par analogie, Grant, précité, par. 145.)
[44]                 Adopter l’interprétation voulant que le simple transport équivaille à un trafic mène à des situations qui selon le Tribunal ne sont pas conformes à l’esprit des dispositions. Cette interprétation transforme les possessions physiques dites simples de drogue en possession en vue de trafic et trafic.
[45]                 Illustrons à l’aide d’exemples.
[46]                 L’acheteur d’une petite quantité de marihuana qui la transporte à sa résidence pour la fumer pourrait être déclaré coupable de possession, possession en vue de trafic et trafic.
[47]                 Le possesseur d’une drogue qui décide de prendre une petite quantité de cocaïne qu’il avait auparavant cachée dans le tiroir de la commode de sa chambre à coucher pour la transporter dans le salon afin de la consommer pourrait être déclaré coupable de possession, possession en vue de trafic et trafic.
[48]                 Un acheteur qui met la roche de crack achetée dans ses poches de pantalon et se dirige 100 mètres plus loin pour la fumer pourrait être déclaré coupable de possession, possession en vue de trafic et de trafic.
[49]                 Dans ces trois exemples, dont les quantités sont minimes, la possession a pour but la consommation personnelle, mais l’effet de l’interprétation du transport comme simple transport, transforme une possession de drogue en infractions beaucoup plus graves.
[50]                 Le Tribunal ne peut conclure que telle était l’intention du législateur. La Loi sur l’interprétation commande une interprétation d’un texte de loi de la façon la plus équitable et compatible avec la réalisation de l’objet. (art. 12)  Avec égards, il serait inéquitable de transformer le simple possesseur en trafiquant.
[51]                 À ce sujet, il est à propos de citer la juge L’Heureux-Dubé, au nom de la majorité de la Cour suprême, qui citait avec approbation les propos du juge Seaton :
« […] la définition de trafic de manière à ce qu’elle comprenne une conduite que des gens sensés ne qualifieraient pas de trafic est préjudiciable et devrait être évité »; voir aussi Bruce A. MacFarlane, Robert J. Frater et Chantal Proulx, Drug Offences in Canada (3e éd. 1996 (feuilles mobiles)), à la p. 5-22; R. c. Lauze (1980), 17 C.R. (3d) 90, par. 6-7 (C.A. Qué.), le juge Monet. »
(R. c. Greyeyes1997 CanLII 313 (CSC)[1997] 2 R.C.S. 825, par. 5 qui cite R. c. Eccleston[1974] 5 W.W.R. 14124 C.C.C. (2d) 564, 568) ».
[52]                 À l’instar des infractions sur les armes à feu, les peines prévues pour les possessions en vue de trafic et trafic sont beaucoup plus sévères que celles prévues pour les possessions dites simples et prévoient même dans certains cas une peine d’emprisonnement à perpétuité ou une peine d’emprisonnement minimale. (Voir l’alinéa 5(3)(a) LRCDAS, Grant, par. 147)
[53]                 Encore une fois, il est à propos de citer les commentaires de la juge L’Heureux-Dubé dans Greyeyes qui même si le contexte est différent s’applique en l’espèce :
« Il ne faudrait pas oublier que l’infraction de trafic est prise très au sérieux tant par les tribunaux que par le public, et qu’une telle déclaration de culpabilité entraîne un grave stigmate social.  Il va sans dire que le mépris public pour un individu étiqueté comme «trafiquant» est très grand.  De plus, les peines imposées pour ces infractions tendent à être très sévères.  J’hésite à approuver une approche qui encourage à prononcer des déclarations de culpabilité dans des cas où l’aide a été accordée seulement à l’acheteur. » [par. 6] »
[54]                 Pour toutes ces raisons et avec égards pour l’opinion contraire, le Tribunal ne peut conclure que le seul fait de transporter sa propre drogue pour sa consommation personnelle est un trafic au sens de la loi.  Le Tribunal retient que l’expression transport implique la preuve hors de tout doute raisonnable d’un transport de drogue dans le but de la distribuer à d’autres.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Des paroles prononcées pour expliquer sa détresse ne constituent pas nécessairement des menaces au sens du Code criminel; il faut analyser ce type de confidence dans le contexte où les paroles sont prononcées

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