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lundi 21 mai 2018

Affirmer sous serment ne pas se souvenir d'un fait qui ne peut pas ne pas être ancré dans sa mémoire constitue aussi un parjure

R. c. Mayrand, 1989 CanLII 850 (QC CA)

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Gerry ("Le Chat") Coulombe, l'un des deux témoins, donne une déposition qui, compte tenu du contre-interrogatoire, est farcie de "Je ne me souviens pas" et truffée de "C'est possible..." et de "Si vous voulez...".  En fait, comme le jugement l'énonce (m.a. 211, 43e et s.), le juge lui a demandé:

  Dites-vous que vous ne vous souvenez pas parce que vous n'avez jamais fait cette chose ou si vous dites que vous pouvez l'avoir faite mais que vous ne vous en rappelez plus ?

 La réponse est révélatrice:

 Les deux, Votre Seigneurie.

De plus, comme cette version incriminante ne doit pas renfermer de contradictions, on croit résoudre cette difficulté par des "je ne me souviens pas".  Oublie-t-on qu'affirmer sous serment ne pas se souvenir d'un fait qui ne peut pas ne pas être ancré dans sa mémoire constitue aussi un parjure.

La nécessité pour le juge d'instance de formuler des motifs lorsque la preuve est embrouillée et contradictoire sur une question clé

Wittmann c. R., 2006 QCCA 1131 (CanLII)

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[49]           Autrement dit, le juge ne fait qu’émettre sa conclusion sans expliquer son cheminement et son raisonnement et sans s’arrêter à certains éléments de preuve qui, pourtant, s’avèrent fort troublants.
[50]           Dans l’arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26 (CanLII)[2002] 1 R.C.S. 869,  le juge Binnie écrit : 
28   Il n’est ni nécessaire ni approprié de limiter les circonstances dans lesquelles une cour d’appel peut s’estimer incapable de procéder à un examen valable en appel.  Le mandat de la cour d’appel consiste à vérifier la justesse de la décision rendue en première instance et un critère fonctionnel exige que les motifs donnés par le juge du procès soient suffisants à cette fin.  La cour d’appel est la mieux placée pour se prononcer sur cette question.  Le seuil est manifestement atteint lorsque, comme en l’espèce, le tribunal d’appel s’estime incapable de déterminer si la décision est entachée d’une erreur.  Les facteurs suivants sont pertinents dans le présent pourvoi : (i) des incohérences ou des contradictions importantes dans la preuve ne sont pas résolues dans les motifs du jugement, (ii) la preuve embrouillée et contradictoire porte sur une question clé en appel et (iii) le dossier ne permet pas par ailleurs d’expliquer de manière satisfaisante la décision du juge de première instance.  D’autres facteurs seront évidemment en cause dans d’autres instances.  En termes simples, la règle fondamentale est la suivante : lorsque la cour d’appel estime que les lacunes des motifs font obstacle à un examen valable en appel de la justesse de la décision, une erreur de droit a été commise.
[51]           En l’espèce, le juge de première instance donne des motifs généraux qui, eu égard à la troisième étape préconisée dans W.(D.), pourraient s’appliquer indistinctement à tous les jugements en matière criminelle de sorte que, vu les circonstances de ce dossier, sur lesquelles je reviendrai plus loin, cela fait obstacle à un examen valable de l’appel.
[52]           Le juge Binnie ajoute, toujours dans Sheppard :
39  Plus récemment, la Cour a étudié les circonstances où, sans qu’on puisse conclure à un verdict déraisonnable, l’omission par le juge de première instance d’exprimer ses motifs sur une question clé dans des circonstances qui exigeaient une explication pouvait être considérée comme une erreur de droit donnant ouverture à un nouveau procès (plutôt qu’à un acquittement, comme c’est le cas lorsque le verdict est déraisonnable).
[53]           Après avoir analysé les arrêts portant sur ce sujet, le juge Binnie résume son interprétation de la jurisprudence en rapport avec la nécessité de formuler des motifs lorsque la preuve est embrouillée et contradictoire sur une question clé en écrivant, notamment :
55  Selon mon interprétation de la jurisprudence, l’état actuel du droit en ce qui concerne l’obligation du juge de première instance de donner des motifs, dans le contexte de l’intervention d’une cour d’appel en matière criminelle, peut se résumer par les propositions suivantes, qui se veulent utiles sans être exhaustives :
            […]
5.      L’exposé des motifs joue un rôle important dans le processus d’appel.  Lorsque les besoins fonctionnels ne sont pas comblés, la cour d’appel peut conclure qu’il s’agit d’un cas de verdict déraisonnable, d’une erreur de droit ou d’une erreur judiciaire qui relèvent de l’al. 686(1)a) du Code criminel, suivant les circonstances de l’affaire, et suivant la nature et l’importance de la décision rendue en première instance.
6.      Les motifs revêtent une importance particulière lorsque le juge doit se prononcer sur des principes de droit qui posent problème et ne sont pas encore bien établis, ou démêler des éléments de preuve embrouillés et contradictoires sur une question clé, à moins que le fondement de la conclusion du juge de première instance ressorte du dossier, même sans être précisé.
[54]           Dans R. c. R. (D.), 1996 CanLII 207 (CSC)[1996] 2 R.C.S. 291, le juge Major rappelle le principe voulant que l’absence de motifs puisse, dans certains cas, constituer une erreur de droit :
54  À mon avis, le juge du procès a commis une erreur de droit en ne traitant pas des éléments de preuve déroutants et en ne distinguant pas la réalité de la fiction. […]
55  […]  De même, dans des cas comme la présente affaire, où il y a des éléments de preuve embrouillés et contradictoires, le juge du procès devrait exposer des motifs expliquant ses conclusions.  Le juge du procès ne l’a pas fait en l’espèce.  Elle n’a pas traité des éléments de preuve troublants et elle n’a pas indiqué sur quoi elle s’est fondée pour déclarer D.R. et H.R. coupables de voies de fait.  Il s’agit là d’une erreur de droit qui commande la tenue d’un nouveau procès.
[55]           Le juge Major a auparavant souligné que la juge de première instance n’avait pas traité d’éléments de preuve bizarres et contradictoires.  J’estime que cette remarque du juge Major s’applique à la présente affaire.  Avec égards pour le juge de première instance, je suis d’avis qu’il a erré en droit en n’abordant pas les incohérences et contradictions que recelait la preuve de la poursuite et qui étaient susceptibles d’affecter la crédibilité de la plaignante.  Comme le mentionne le juge Binnie dans R. c. Braich2002 CSC 27 (CanLII)[2002] 1 R.C.S. 903 :
23  L’absence de motifs ou leur insuffisance en ce qui concerne la crédibilité peut justifier l’intervention de la cour d’appel […].
[56]           Quoique le rôle d’une cour d’appel ne consiste pas à apprécier de nouveau la preuve, «ce qu’un appelant peut cependant exiger, à l’égard des preuves produites au procès et plus particulièrement des éléments de preuve qui peuvent lui être favorables, c’est que le juge du procès en tienne compte.  Son omission de le faire justifie l’intervention du tribunal d’appel» : R. c. Polo[1994] A.Q. n249, confirmé par la Cour suprême du Canada, 1995 CanLII 78 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 44; voir également R. c. Harper1982 CanLII 11 (CSC)[1982] 1 R.C.S. 2.
[57]           Dans R. c. Gagnon2006 CSC 17 (CanLII), les juges Bastarache et Abella écrivent, en rapport avec l’arrêt Sheppard :
13   Huit ans plus tard, dans l’affaire Sheppard, les motifs étaient pour ainsi dire inexistants, notre Cour a expliqué que le juge du procès devait donner les motifs de l’acquittement ou de la déclaration de culpabilité.  L’omission de le faire constitue une erreur de droit.  Une analyse en deux étapes s’impose pour conclure à l’erreur de droit due à l’insuffisance des motifs : 1) les motifs sont‑ils déficients? et, 2) dans l’affirmative, font‑ils obstacle à l’examen en appel?  Autrement dit, notre Cour a conclu que même si les motifs sont objectivement déficients, ils peuvent parfois ne pas faire obstacle à l’examen en appel parce que, au vu du dossier, le verdict est manifestement fondé.  Cependant, lorsque les motifs sont à la fois déficients et insaisissables, un nouveau procès s’impose.
[58]           Ici, les motifs sont déficients en ce qu’ils sont inexistants quant aux raisons expliquant pourquoi la preuve de la poursuite est crédible et convaincante alors qu’elle recèle plusieurs contradictions.  De plus, ils font obstacle à l’examen en appel parce que, vu les contradictions et les incohérences de cette preuve, le verdict n’est pas manifestement fondé.
[59]           Il me paraît que le juge de première instance n’a pas tenu compte de plusieurs éléments de preuve favorables à l’appelant en omettant de prendre en considération des aspects de la preuve qui mettent sérieusement en doute la crédibilité de la plaignante et la fiabilité de sa version.  La crédibilité était au cœur du litige; or le juge ne dit pas pourquoi il croit la plaignante.  Il fallait aborder cette question et surtout, apporter une réponse qui indique qu’il a considéré les aspects troublants de son témoignage.  En l’espèce, l’appelant, qui n’a pas d’antécédents judiciaires et qui était âgé de 65 ans au moment des événements, pouvait s’attendre à ce que le juge tienne compte des éléments de preuve sur lesquels je reviendrai.  Cela n’a malheureusement pas été fait.
[60]           Quant à son obligation de considérer l’ensemble de la preuve, le juge de première instance s’est limité à une simple affirmation, soit que la preuve était suffisamment convaincante, sans analyse ni explication supplémentaire.  Dans ces circonstances, l’on peut légitimement s’interroger et se demander s’il n’a pas condamné l’appelant tout simplement parce qu’il ne l’a pas cru et a rejeté sa version, d’autant plus que certaines raisons qu’il a énoncées pour rejeter son témoignage exigent que l’on tienne d’abord pour avéré celui de la plaignante.  La seule motivation réside dans le rejet de la version de l’accusé; aucun motif n’explique pourquoi celle de la plaignante est retenue.
[61]           Or, certains aspects importants du témoignage de la plaignante étaient préoccupants et requéraient que le juge les considèrent pour expliquer sa décision.  Autrement dit, vu ses contradictions, la preuve ne permet pas de comprendre, en elle‑même, pourquoi le juge retient la version de la plaignante, et les raisons de sa conclusion ne ressortent pas du dossier.

Comment apprécier si un verdict est déraisonnable

R. c. R.P., [2012] 1 RCS 746, 2012 CSC 22 (CanLII)

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[9]                              Suivant les arrêts R. c. Yebes1987 CanLII 17 (CSC)[1987] 2 R.C.S. 168, et R. c. Biniaris2000 CSC 15 (CanLII)[2000] 1 R.C.S. 381, par. 36, pour décider si un verdict est déraisonnable, la cour d’appel doit déterminer s’il s’agit d’un verdict qu’un jury ayant reçu des directives appropriées ou un juge aurait pu raisonnablement rendre. La cour d’appel peut aussi conclure au caractère déraisonnable du verdict si le juge du procès tire une inférence ou une conclusion de fait essentielle au prononcé du verdict (1) qui est clairement contredite par la preuve qu’il invoque à l’appui de cette inférence ou conclusion ou (2) dont on démontre l’incompatibilité avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge (R. c. Sinclair2011 CSC 40 (CanLII)[2011] 3 R.C.S. 3, par. 4, 16 et 19-21; R. c. Beaudry2007 CSC 5 (CanLII)[2007] 1 R.C.S. 190).
[10]                          Si le caractère raisonnable d’un verdict est une question de droit, l’appréciation de la crédibilité des témoins constitue elle une question de faits. L’appréciation de la crédibilité faite en première instance, lorsqu’elle est revue par une cour d’appel afin notamment de déterminer si le verdict est raisonnable, ne peut être écartée que s’il est établi que celle-ci « ne peut pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve » (R. c. Burke1996 CanLII 229 (CSC)[1996] 1 R.C.S. 474, par. 7).

Les principes applicables à l’examen du caractère raisonnable d’un verdict

Vinet c. R., 2018 QCCA 334 (CanLII)

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[41]        Dans Richard c. R., la Cour résume les principes applicables à l’examen du caractère raisonnable d’un verdict :
[23]      L’article 686(1)a)i) C.cr. prévoit qu’une cour d’appel peut, lors d’un appel portant sur une déclaration de culpabilité, accueillir l’appel et infirmer le verdict pour le motif qu’il est déraisonnable ou qu’il ne peut s’appuyer sur la preuve.
[24]      La juge McLachlin (alors juge puînée) écrivait dans R. c. W. (R.) :
Il est donc clair que, pour déterminer si le juge des faits aurait pu raisonnablement conclure à la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, la Cour d’appel doit réexaminer et du moins, dans une certaine mesure, réévaluer l’effet de la preuve.
[25]      Il y a lieu de retenir des arrêts plus récents de la Cour suprême dans R. c. SinclairR. c. R. (P). et R. c. W. (H.), les enseignements suivants :
1.         Le tribunal d’appel doit d’abord déterminer si le verdict est un de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait rendus au vu de l’ensemble de la preuve;
2.         Le verdict est déraisonnable si le juge des faits a tiré une inférence essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve invoquée à l’appui de l’inférence;
3.         Le verdict est déraisonnable si le raisonnement qui le soutient est à ce point irrationnel ou incompatible avec la preuve qu’il a pour effet de vicier le verdict;
4.         Il faut faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation de la crédibilité faite en première instance lorsqu’il s’agit de déterminer si le verdict est déraisonnable;
5.         La cour d’appel qui se prononce sur un verdict de culpabilité doit dûment prendre en compte la position privilégiée des juges des faits qui ont assisté au procès et entendu les témoignages et ne doit pas conclure au verdict déraisonnable pour le seul motif qu’elle entretient un doute raisonnable après l’examen du dossier. Il doit plutôt examiner et analyser la preuve et se demander, à la lumière de son expérience, si l’appréciation judiciaire des faits exclut la déclaration de culpabilité.
[26]      Dans l’arrêt unanime Pardi c. R., notre collègue, Yves-Marie Morissette, écrivait relativement aux paramètres d’intervention d’une cour d’appel lorsque le moyen d’appel est celui du verdict déraisonnable :
[28]      À cette étape, je résume ce qui précède afin de bien situer dans leur cadre les questions à résoudre. Un verdict déraisonnable ou qui ne peut s’appuyer sur la preuve est réformable en appel, et la question de savoir s’il peut être qualifié de tel en est une de droit. Il sera ainsi qualifié s’il s’agit d’un verdict qu’un jury qui aurait reçu les directives appropriées et aurait agi de manière judiciaire n’aurait pu raisonnablement rendre. Dans le cas d’un verdict prononcé par un juge seul, une cour d’appel peut tenir compte des motifs exprimés par le juge pour statuer sur le caractère raisonnable de son verdict, ce qui accroît quelque peu la portée de l’examen à effectuer. Ainsi, une inférence ou une conclusion de fait essentielle au verdict, mais qui est clairement contredite par la preuve à son appui, ou dont on démontre l’incompatibilité avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge, autorise une cour d’appel à casser le verdict qu’elle sous-tend au motif qu’il est déraisonnable. Cela ne va pas jusqu’à permettre aux juges d’une cour d’appel de considérer qu’ils ont « le droit d’avoir une perception subjective de la preuve et [le droit] de se demander s’ils sont convaincus du caractère inattaquable du verdict ». Un doute persistant peut justifier un examen plus approfondi de la preuve pour déterminer si, en effet, le verdict est déraisonnable selon la norme que je viens de rappeler. Cela vaut pour le verdict d’un jury comme pour celui d’un juge siégeant seul, mais examiné dans ce second cas à la lumière des motifs prononcés par le juge. En tout état de cause, cependant, une cour d’appel n’apporte rien de particulier à l’évaluation de la preuve lorsque le juge expose des motifs de jugement détaillés.

Les paramètres d’intervention d’une cour d’appel lorsque le moyen d’appel est celui du verdict déraisonnable

Richard c. R., 2015 QCCA 1523 (CanLII)

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[23]        L’article 686(1)a)i) C.cr. prévoit qu’une cour d’appel peut, lors d’un appel portant sur une déclaration de culpabilité, accueillir l’appel et infirmer le verdict pour le motif qu’il est déraisonnable ou qu’il ne peut s’appuyer sur la preuve.

[24]        La juge McLachlin (alors juge puînée) écrivait dans R. c. W. (R.) :
Il est donc clair que, pour déterminer si le juge des faits aurait pu raisonnablement conclure à la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, la Cour d’appel doit réexaminer et du moins, dans une certaine mesure, réévaluer l’effet de la preuve.
[25]        Il y a lieu de retenir des arrêts plus récents de la Cour suprême dans R. c. SinclairR. c. R. (P.) et R. c. W. (H.), les enseignements suivants :
1.         Le tribunal d’appel doit d’abord déterminer si le verdict est un de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait rendus au vu de l’ensemble de la preuve;
2.         Le verdict est déraisonnable si le juge des faits a tiré une inférence essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve invoquée à l’appui de l’inférence;
3.         Le verdict est déraisonnable si le raisonnement qui le soutient est à ce point irrationnel ou incompatible avec la preuve qu’il a pour effet de vicier le verdict;
4.         Il faut faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation de la crédibilité faite en première instance lorsqu’il s’agit de déterminer si le verdict est déraisonnable;
5.         La cour d’appel qui se prononce sur un verdict de culpabilité doit dûment prendre en compte la position privilégiée des juges des faits qui ont assisté au procès et entendu les témoignages et ne doit pas conclure au verdict déraisonnable pour le seul motif qu’elle entretient un doute raisonnable après l’examen du dossier. Il doit plutôt examiner et analyser la preuve et se demander, à la lumière de son expérience, si l’appréciation judiciaire des faits exclut la déclaration de culpabilité.
[26]        Dans l’arrêt unanime Pardi c. R., notre collègue, Yves-Marie Morissette, écrivait relativement aux paramètres d’intervention d’une cour d’appel lorsque le moyen d’appel est celui du verdict déraisonnable :
[28]      À cette étape, je résume ce qui précède afin de bien situer dans leur cadre les questions à résoudre. Un verdict déraisonnable ou qui ne peut s’appuyer sur la preuve est réformable en appel, et la question de savoir s’il peut être qualifié de tel en est une de droit. Il sera ainsi qualifié s’il s’agit d’un verdict qu’un jury qui aurait reçu les directives appropriées et aurait agi de manière judiciaire n’aurait pu raisonnablement rendre. Dans le cas d’un verdict prononcé par un juge seul, une cour d’appel peut tenir compte des motifs exprimés par le juge pour statuer sur le caractère raisonnable de son verdict, ce qui accroît quelque peu la portée de l’examen à effectuer. Ainsi, une inférence ou une conclusion de fait essentielle au verdict, mais qui est clairement contredite par la preuve à son appui, ou dont on démontre l’incompatibilité avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge, autorise une cour d’appel à casser le verdict qu’elle sous-tend au motif qu’il est déraisonnable. Cela ne va pas jusqu’à permettre aux juges d’une cour d’appel de considérer qu’ils ont « le droit d’avoir une perception subjective de la preuve et [le droit] de se demander s’ils sont convaincus du caractère inattaquable du verdict ». Un doute persistant peut justifier un examen plus approfondi de la preuve pour déterminer si, en effet, le verdict est déraisonnable selon la norme que je viens de rappeler. Cela vaut pour le verdict d’un jury comme pour celui d’un juge siégeant seul mais examiné dans ce second cas à la lumière des motifs prononcés par le juge. En tout état de cause, cependant, une cour d’appel n’apporte rien de particulier à l’évaluation de la preuve lorsque le juge expose des motifs de jugement détaillés.

Des généralités ne peuvent pas objectivement contribuer à l’analyse de la valeur probante de la version de la plaignante

M.M. c. R., 2016 QCCA 1394 (CanLII)

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[123]     La juge considère aussi que la plaignante a bien décrit les lieux de l’agression.
[124]     Avec égards pour la juge, je ne puis voir d’indices de fiabilité dans une version qui décrit avec précision les pièces d’une maison dans laquelle un témoin a vécu plus de 18 ans. Comme le plaide l’appelant, ce sont des généralités qui ne pouvaient objectivement contribuer à l’analyse de la valeur probante de la version de la plaignante.
[125]     Il s’agit d’une erreur en droit de considérer que la plaignante disait la vérité en raison de sa capacité à se remémorer des lieux qui ne font pas nécessairement appel à des circonstances particulières. En l’espèce, les pièces de la maison étaient connues d’elle pour des raisons indépendantes des circonstances entourant les accusations.
[126]     Quant aux gestes reprochés à l’appelant, l’ensemble des événements survenus sous l’escalier et dans la salle de bain bleue se résume à peu. Le récit de la plaignante ne révèle aucun indice susceptible d’ajouter à la fiabilité de sa mémoire. En fait, toutes les agressions survenues à ces endroits se résument aux incitations répétées de l’appelant enjoignant la plaignante à tenir son pénis.
[127]     Il est vrai que la plaignante décrit de façon détaillée l’agression de la chambre à coucher. Mais, encore là, elle a peine à préciser les circonstances qui ont immédiatement précédé cet événement.
[128]     En somme, les raisons pour lesquelles la juge considère probante la version de la plaignante sont discutables et cet aspect de la décision exigeait davantage d’explications.
[129]     Cela dit, il ne revient pas à une Cour d’appel de substituer son opinion à celle du juge de première instance en matière d’appréciation de crédibilité. Cependant, l’analyse de la juge sous ce rapport crée une incertitude à ce point importante que seul un nouveau procès sur les deux chefs d’accusation pourra la dissiper.

La preuve doit être étudiée dans son ensemble et non pas élément par élément

R. c. Polo, 1994 CanLII 5530 (QC CA)

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Appliquant à l'espèce les principes énoncés dans les arrêts Harper et Morin, supra, il apparaît à cette Cour que le premier juge n'a pas examiné «tous les éléments de preuve qui se rapportent à la question ultime à trancher», tant à l'égard des témoignages des enfants que des témoins de la défense et de celui de l'appelant.  Il en résulte une erreur grave qui vicie le procès et entraîne sa nullité, puisque le véritable débat portait sur la crédibilité des témoins.

                             Se greffe à cette conclusion l'autre reproche bien fondé que fait l'appelant au premier juge relativement au fardeau de preuve.  Certes, dans les questions reliées au fardeau de preuve, un juge n'est pas contraint d'énoncer une formule sacramentelle ou le modèle de directives proposé par la Cour Suprême dans l'arrêt R. c. W.(D.)[1992] 1 R.C.S. 742, ou encore de rappeler tous les principes de base qui doivent le guider dans la détermination de la question fondamentale de savoir si la poursuite s'est acquittée de son fardeau de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable.  Si son jugement n'en fait pas mention, on ne saurait présumer qu'il s'y est conformé si par ailleurs, comme en l'espèce, sa lecture fait voir qu'il a imposé, dans les faits, un fardeau de preuve à l'appelant.  Ainsi, en limitant la question à trancher à celle de se demander si les contradictions invoquées suffisent «pour écarter tous ces témoignages accablants pour l'accusé», le premier juge, avec égard, omet de considérer si, sans aller jusqu'à «écarter» les témoignages, ces contradictions pouvaient susciter un doute raisonnable.  Ainsi que l'a affirmé à maintes reprises la Cour Suprême, notamment dans l'arrêt R. c. MacKenzie1993 CanLII 149 (CSC)[1993] 1 R.C.S. 212, la preuve doit être étudiée dans son ensemble et non pas élément par élément.  Il est donc erroné de procéder aux délibérations en deux étapes, de vouloir départager les éléments de façon fragmentaire au lieu de les examiner dans leur ensemble.  C'est par rapport à l'ensemble de la preuve que la question du doute raisonnable se pose.  En l'espèce, le premier juge a artificiellement isolé chacun des volets de la défense, au lieu de se demander si la preuve de la poursuite et la preuve constituée par le témoignage de l'appelant et de ses témoins ne suscitaient pas un doute raisonnable.  L'appelant n'avait pas à contredire la preuve de la poursuite pour bénéficier du doute raisonnable.  Prend ici une importance toute particulière et déterminante, le silence du premier juge sur la crédibilité accordée au témoignage de l'appelant dans le contexte de ce dossier où essentiellement il ne s'est pas interrogé sur la portée de la défense de l'appelant et a erré dans l'application des règles relatives au fardeau de preuve.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...