samedi 26 octobre 2024

La fouille effectuée sans mandat lors d’un contrôle routier aléatoire & la fouille incidente à l'arrestation

R. c. Nolet, 2010 CSC 24



[21] Le présent pourvoi porte essentiellement sur l’épineuse question des fouilles effectuées sans mandat lors d’un contrôle routier aléatoire.  Une fouille sans mandat est présumée abusive et contraire à l’art. 8 de la Charte, qui garantit à chacun le « droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ».  En l’absence d’un mandat, le ministère public doit établir selon la prépondérance des probabilités que la fouille était autorisée par la loi, que celle‑ci n’avait rien d’abusif et que la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive : R. c. Collins1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278, et R. c. Caslake1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51, par. 10.

[22] Le pourvoi fait également entrer en jeu l’art. 9 de la Charte (le « droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires »).  L’interception au hasard d’un véhicule sur la route constitue par définition une détention arbitraire : Dedman c. La Reine1985 CanLII 41 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 2; R. c. Hufsky1988 CanLII 72 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 621; R. c. Ladouceur1990 CanLII 108 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1257 (ci‑après « Ladouceur (Ont.) »); Mellenthin; et R. c. Harris2007 ONCA 574, 87 O.R. (3d) 214.  La détention ne sera justifiée au regard de l’article premier de la Charte (Hufsky, p. 637) que si la police agit dans le cadre des objectifs limités relevant de la réglementation routière en fonction desquels les pouvoirs ont été conférés (Ladouceur (Ont.), le juge Cory, p. 1287).

[23] Les interceptions au hasard de véhicules doivent être limitées aux objectifs auxquels elles répondent.  « Un contrôle routier ne constitue pas et ne saurait constituer un mandat de perquisition général permettant de fouiller les conducteurs à qui l’on demande de s’immobiliser, leur véhicule et les passagers » — le juge Cory dans Mellenthin, p. 629.  Il devient dès lors nécessaire d’examiner le pouvoir invoqué par la police à chaque étape, à partir de la demande initiale faite aux appelants d’immobiliser leur camion sur la route transcanadienne jusqu’à la découverte des billets de banque puis de la marijuana quelque deux heures plus tard, et à la « fouille à des fins d’inventaire » effectuée le lendemain matin, pour déterminer à quel moment la police a, le cas échéant, porté atteinte aux droits garantis aux appelants par les art. 8 ou 9 de la Charte.  Un contrôle routier n’est pas une situation statique.  Les renseignements obtenus progressivement peuvent donner à la police le droit de poursuivre leurs vérifications ou, selon le cas, d’y mettre fin et de laisser repartir le véhicule.

[24] Le débat sur le pourvoi a porté dans une large mesure sur la question de savoir si le sac de toile était ou non visé par le par. 63(5) de la H&TA.  Cette question, certes importante, ne permet cependant pas à elle seule de trancher le débat.  Il faut faire une distinction entre l’existence d’un pouvoir de la police et la question de savoir si ce pouvoir, légal par ailleurs, est exercé en violation de l’art. 8 de la Charte compte tenu de l’attente raisonnable en matière de vie privée que peut avoir un camionneur dans la couchette de la cabine d’un semi‑remorque.  En s’intéressant exclusivement aux pouvoirs conférés à la police par la H&TA, on risque de ne pas accorder aux objectifs de la Charte l’importance qui leur est due.  De même, si la Cour tient uniquement compte des dispositions de la Charte, elle risque de ne pas prêter une attention suffisante à l’importante question préliminaire consistant à savoir si la police avait au départ le pouvoir d’effectuer une fouille.

[25] La Cour a indiqué à plusieurs reprises que les agents de police peuvent, de par les pouvoirs que leur confère la loi, interpeller des personnes au hasard pour « des motifs relatifs à la conduite d’une automobile comme la vérification du permis de conduire, des assurances et de la sobriété du conducteur ainsi que de l’état mécanique du véhicule » : Ladouceur (Ont.), p. 1287.  Voir également R. c. Orbanski2005 CSC 37, [2005] 2 R.C.S. 3, par. 41Mellenthin, p. 624.  En l’espèce, les tribunaux inférieurs ont conclu que l’interception du camion des appelants avait été faite dans l’objectif légitime de procéder à un contrôle de documents en application de la H&TA, et ce point n’est plus sérieusement en litige.  L’interception était légitime.  La présente affaire se distingue clairement en cela de la décision récente de notre Cour dans R. c. Harrison2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, où l’accusé s’était vu ordonner sans aucun motif valable d’arrêter son véhicule.  La police avait également outrepassé ses pouvoirs dans une affaire jugée en Saskatchewan, R. c. Ladouceur2002 SKCA 73, 165 C.C.C. (3d) 321 (ci‑après « Ladouceur (Sask.) »), où les policiers avaient mis sur pied un programme d’interception au hasard appelé « Operation Recovery » visant spécifiquement à déceler non seulement des infractions à la réglementation routière, mais aussi [traduction] « des objets illicites transportés sur nos routes » (par. 69).  Dans ce dessein, le personnel affecté au point de contrôle en Saskatchewan comprenait non seulement des policiers, mais parfois aussi des fonctionnaires des douanes et de l’immigration, des [traduction] « gens du tabac », des fonctionnaires de la faune et des chiens renifleurs (par. 44).  Le programme de contrôle routier au hasard dont il était question dans Ladouceur (Sask.), conçu comme une [traduction] « mesure de contrôle globale des activités criminelles » (par. 43), présentait par conséquent une faille fatale dès le départ. 

[26] Dans la présente affaire, par contre, le programme de contrôle routier aléatoire était directement relié à des objectifs légitimes relevant de la réglementation routière.  Le camionnage commercial est réglementé sous tous ses aspects, du chargement et de sa sécurité, par The Motor Carrier Act, au transport des matières dangereuses, par The Dangerous Goods Transportation Act, S.S. 1984‑85‑86, ch. D‑1.2.  L’interception initiale, effectuée en l’espèce en vertu de l’art. 40 de la Highway Traffic Act, ne portait pas en soi atteinte aux droits des appelants garantis par l’art. 9 : Ladouceur (Ont.), p. 1287; Orbanski, par. 41.

[49] Une fouille est véritablement accessoire lorsque la police tente de « réaliser un objectif valable lié à l’arrestation », et notamment « d’assurer la sécurité des policiers et du public, d’empêcher la destruction d’éléments de preuve par la personne arrêtée ou d’autres personnes, et de découvrir des éléments de preuve qui pourront être utilisés au procès de la personne arrêtée » : Caslake, par. 19 (je souligne); R. c. Golden2001 CSC 83, [2001] 3 R.C.S. 679, par. 74‑75.  Les appelants étaient en état d’arrestation pour possession de produits de la criminalité.  La fouille du véhicule dans lequel on avait trouvé de l’argent liquide était manifestement « accessoire » à cette arrestation en vue de trouver des éléments de preuve relatifs à l’activité criminelle à laquelle était relié l’argent : R. c. Rao (1984), 1984 CanLII 2184 (ON CA), 12 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), et Cloutier c. Langlois1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158.  Les agents pouvaient raisonnablement croire que la fouille de la remorque serait utile à cette fin (car ils avaient auparavant constaté, au bord de la route, la divergence de dimensions).  Ce qui importe, c’est le lien entre le lieu et l’objet de la fouille et les motifs de l’arrestation.



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