mercredi 23 octobre 2024

La norme d’intervention en matière d’identification oculaire lors d'un appel

LSJPA — 189, 2018 QCCS 1108 



[23]        Dans un arrêt très récent[8], la Cour d’appel du Québec souligne que les questions liées à la fiabilité de la preuve et à sa valeur probante constituent généralement, tout comme celles portant sur l’évaluation de la crédibilité d’un témoin, des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait. Un tribunal d’appel n’est donc justifié d’intervenir dans l’un ou l’autre de ces domaines qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante, le juge d’instance jouissant d’un haut degré de déférence dans son appréciation des faits.[9]

[24]        Ce principe doit néanmoins être interprété à la lumière des enseignements de l’honorable André Rochon, j.c.a. qui, citant avec approbation l’auteur Tristan Desjardins[10], rappelle la position particulière qu’occupe une cour d’appel en matière d’identification oculaire :

« En matière d’identification oculaire, une cour d’appel est parfois aussi bien placée que le tribunal d’instance pour évaluer la force probante de la preuve offerte :

Dans les cas particuliers où l’issue d’un verdict repose sur une preuve d’identification oculaire, il est cependant reconnu que la cour d’appel peut être aussi bien placée que le tribunal d’instance afin d’évaluer la qualité de ce type de preuve. En effet, étant donné que l’appréciation de la force probante d’une preuve d’identification oculaire n’est généralement pas liée à une question de crédibilité, mais plutôt à l’ensemble des circonstances entourant cette identification, un verdict fondé sur une telle preuve pourra être écarté par la cour d’appel en vertu de l’alinéa 686(1) a) (i) du Code criminel si cette preuve a été obtenue de manière honnête, mais erronée. »[11]

                                                                                   [Notre soulignement]

[25]        Il y a plusieurs années, la Cour d’appel de l’Ontario avait également reconnu, dans R. v. Tat[12], que les situations d’identification oculaire se prêtent particulièrement bien au pouvoir de révision limité énoncé à l’alinéa 686(1)a)(i) C.cr.  L’honorable juge Doherty, j.a. soulignait en effet :

“ While recognizing the limited review permitted under s. 686 (1)(a)(i), convictions based on eyewitness identification evidence are particularly well suited to review under that section. This is so because of the well recognized potential for injustice in such cases and the suitability of the appellate review process to cases which turn primarily on the reliability of eyewitness evidence and not the credibility of the eyewitness: e.g. see R. v. Miaponoose, supra; R. v. Biddle (1993), 1993 CanLII 8506 (ON CA)84 C.C.C. (3d) 430 at 434-5 (Ont. C.A.), rev. on other grounds (1995), 1995 CanLII 134 (CSC)96 C.C.C. (3d) 321 (S.C.C.); R. v. Quercia (1990), 1990 CanLII 2595 (ON CA)60 C.C.C. (3d) 380 (Ont. C.A.).”[13]

                                                                                                          [Nos soulignements]

[26]        Le juge confronté à une identification oculaire doit impérativement se mettre en garde contre les dangers inhérents à ce type de preuve. En outre, il lui faut appliquer cette mise en garde aux faiblesses particulières de la preuve d’identification dont il est saisi.[14] Lorsque cette dernière comprend des lacunes évidentes, le juge d’instance doit obligatoirement démontrer qu’il les a considérées dans son analyse.[15]

[27]        Commentant cette obligation à double volet, les auteurs Béliveau et Vauclair mentionnent :

« Lorsque la preuve de la poursuite repose entièrement ou dans une large mesure sur une preuve oculaire contestée, le juge doit clairement mettre le jury en garde contre les risques inhérents à une telle preuve, qui découlent du fait que les témoins sont généralement des personnes qui sont crédibles, dont on ne met spontanément pas en cause l’honnêteté et en conséquence, dont on peut facilement avoir tendance à accepter la version. Il faut comprendre que le témoin le plus honnête peut se tromper [ … ] ainsi, la mise en garde doit alerter le jury à la faiblesse inhérente de cette preuve, expliquer la nécessité d’une telle mise en garde et l’inviter à examiner soigneusement les conditions dans lesquelles l’identification a été faite en plus de faire le lien entre cette nécessité et les faits de l’espèce. Si le juge siège sans jury, les motifs de sa décision doivent faire ressortir qu’il a dûment pris acte de ces écueils et de la preuve pertinente à cet égard. »[16]

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