[28] Il est admis depuis longtemps qu’une preuve d’identification oculaire erronée, mais apparemment convaincante entraîne d’importants risques de condamnation injustifiée.[17] Un témoin parfaitement honnête peut en effet, en toute bonne foi, induire le juge des faits en erreur en livrant un témoignage inexact relativement à l’identité de l’accusé, « le lien existant entre le niveau de confiance d’un témoin et l’exactitude de son témoignage [étant] très ténu » en la matière.[18] Ce risque d’erreur judiciaire demeure présent lorsque plusieurs témoins identifient le même accusé.[19] Le juge d’instance doit donc nécessairement se mettre en garde contre la fragilité intrinsèque d’une preuve d’identification :
« La jurisprudence regorge de mises en garde contre l'acceptation fortuite d'une preuve d'identification, même lorsque cette identification est faite par confrontation visuelle directe de l'accusé. En raison de l'existence de nombreux cas où l'identification s'est révélée erronée, le juge des faits doit être conscient des [Traduction] "faiblesses inhérentes de la preuve d'identification qui découlent de la réalité psychologique selon laquelle l'observation et la mémoire humaines ne sont pas fiables": R. c. Sutton, 1969 CanLII 497 (ON CA), [1970] 2 O.R. 358 (C.A.), à la p. 368. Dans R. c. Spatola, 1970 CanLII 390 (ON CA), [1970] 3 O.R. 74 (C.A.), le juge Laskin (plus tard Juge en chef de notre Cour) fait observer ce qui suit au sujet de la preuve d'identification (à la p. 82):
[Traduction] Les erreurs de reconnaissance ont un long passé documenté. Les expériences en matière d'identification ont fait ressortir la fragilité de la mémoire et la faillibilité des pouvoirs d'observation. Des études ont démontré l'assurance qui se bâtit progressivement à partir d'une identification initiale qui peut être erronée [. . .] La question même de l'admissibilité de la preuve d'identification, sous certains de ses aspects, a généré suffisamment de crainte dans certains ressorts pour qu'on hésite avant de s'en remettre aveuglément à une telle preuve, lorsqu'elle est admise, pour prononcer une déclaration de culpabilité . . . »[20]
[29] Dans R. v. Turnbull, le juge en chef de la Cour d’appel d’Angleterre écrivait :
“First, whenever the case against an accused depends wholly or substantially on the correctness of one or more identifications of the accused which the defence alleges to be mistaken, the judge should warn the jury of the special need for caution before convicting the accused in reliance on the correctness of the identification or identifications. In addition he should instruct them as to the reason for the need for such a warning and should make some reference to the possibility that a mistaken witness can be a convincing one and that a number of such witnesses can be mistaken. Provided this is done in clear terms the judge need not use any particular form of words.”[21]
[30] Ces commentaires furent depuis lors entérinés à plusieurs reprises par nos tribunaux canadiens.[22] Rappelons par ailleurs que les probabilités de condamnation indue découlant d’une identification oculaire erronée s’avèrent particulièrement élevées en l’absence d’autres éléments de preuve incriminants. Dans Rex v. McDonald, l’honorable juge O’Halloran déclarait :
« The opportunity for honest mistake in cases of identification is too well known to require elaboration. It has been examined in various aspects in this Court's decisions in Rex v. Yates, 1946 CanLII 230 (BC CA), 1 C.R. 237, [1946] 1 W.W.R. 449 at 454-5, 62 B.C.R. 307, 85 C.C.C. 334, [1946] 2 D.L.R. 521, 1946 Can. Abr. 169; Rex v. Browne and Angus (1951), 1951 CanLII 393 (BC CA), 11 C.R. 297, 1 W.W.R. (N.S.) 449 at 455, 99 C.C.C. 141, 1951 Can. Abr. 320; and Rex v. Harrison (No. 3) (1951), 1951 CanLII 403 (BC CA), 12 C.R. 314, 3 W.W.R. (N.S.) 318, 100 C.C.C. 143, 1951 Can. Abr. 321. Of course when surrounding inculpatory circumstances exist, evidence of identification as such may easily sink into secondary importance. Rex v. Demick (unreported) decided by this Court on 13th June last is a good illustration of the latter type of case. But here as in Rex v. Harrison (No. 3) there are no surrounding inculpatory circumstances and the trustworthiness of the identification is of paramount importance. »[23]
[31] En somme, l’appréciation d’une preuve d’identification devrait prioritairement porter sur sa fiabilité et non simplement sur sa crédibilité. L’honnêteté du témoin est insuffisante à elle seule.[24] Les conditions dans lesquelles l’identification a été réalisée doivent être suffisamment garantes de sa véracité et de son exactitude. Pour reprendre les commentaires du juge Darling dans l’Affaire Morrison :
« You must not convict a man on one suspicion. You must not convict him on a thousand suspicions; you must not add a thousand suspicious circumstances together and say 'that is proof.' No, you must find somewhere a solid anchorage upon which you can say ... 'I'm secure of this basis'. »[25]
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