R. c. Costanzo-Peterson, 2024 QCCA 1282
Le choix et le nouveau choix
[73] Il faut rappeler que les actes criminels en cause ne sont pas de juridiction absolue d’un juge de la cour provinciale au sens de l’article 553 C.cr. Aucun n’entraîne la possibilité d’un emprisonnement de plus de 14 ans et, par conséquent, aucune enquête préliminaire ne peut être demandée : par. 536(2) C.cr.
[74] Toutefois, le Code criminel précise que le prévenu doit faire le choix d’être jugé par un juge de la cour provinciale sans jury, par un juge sans jury ou encore par un tribunal composé d’un juge et d’un jury. Si aucun choix n’est fait, le prévenu est réputé avoir choisi d’être jugé par un tribunal composé d’un juge et d’un jury : par. 536(2.1) C.cr.
[75] En l’absence de choix, le dossier est donc réputé être devant la Cour supérieure.
[76] Après l’arrêt Jordan, les parties devraient se préoccuper du fait que le dossier est alors soumis à un plafond de 30 mois. En outre, le prévenu doit nécessairement tenir compte du fait que l’absence de choix ne peut avoir comme effet de créer un piège pour la poursuite : R. c. Lapointe, 2021 QCCA 152.
[77] Il faut aussi rappeler qu’à tout moment après qu’un prévenu est réputé avoir fait un choix, le paragraphe 574(1.1) C.cr. accorde au ministère public la possibilité de présenter un acte d’accusation contre lui à l’égard de tout chef d’accusation contenu dans une ou plusieurs dénonciations, ou à l’égard d’un chef d’accusation inclus. L’article 548 C.cr. ne s’appliquant pas en l’absence d’une enquête préliminaire, l’initiative appartient aux parties de porter le dossier devant la Cour supérieure, par exemple en formulant une demande pour la désignation d’un juge responsable de la gestion de l’instance suivant 551.1 C.cr. afin de faire progresser le dossier.
[78] Il est alors toujours possible pour le prévenu réputé avoir choisi d’être jugé autrement que par un juge de la cour provinciale, au plus tard soixante jours avant la date fixée pour son procès, de choisir un autre mode de procès qui n’est pas un procès devant un juge de la cour provinciale, sauf avec le consentement du ministère public : al. 561(1)b) C.cr.
[79] Dans ce contexte, la juge a conclu que le plafond de 18 mois était connu depuis les accusations initiales, car aucune enquête préliminaire n’était possible. La juge écrit ceci au sujet de la poursuivante :
[34] Elle sait aussi, dès le départ, qu’aucun chef d’accusation n’est assujetti à la tenue d’une enquête préliminaire, donc le plafond du délai s’avère de dix-huit mois. Elle doit donc se gouverner en conséquence avant d’entamer les procédures et avoir un plan d’action pour mener à bien son procès.
R. c. Costanzo-Peterson, 2022 QCCQ 1843, par. 34.
[80] L'appelant reproche à la juge de retenir que ce plafond lui était connu dès le début puisque les intimés n’avaient pas fait leur choix du mode de procès et étaient donc réputés avoir choisi un procès devant un juge et un jury. Je suis d’avis que l’appelant a raison de dire que le plafond de 30 mois s’appliquait, car les intimés n’avaient pas fait de choix, ils l’avaient réservé.
[81] À la décharge de la juge d’instance, l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 631 (ci-après « Jordan »), se prête à plusieurs interprétations pour déterminer le plafond applicable devant un juge de cour provinciale alors qu’il n’y a pas ou ne peut y avoir d’enquête préliminaire.
[82] Voici ce que la Cour suprême écrit à propos des plafonds, un concept au cœur du nouveau cadre d’analyse :
[49] La caractéristique la plus importante du nouveau cadre d’analyse réside dans le fait qu’il fixe un plafond au‑delà duquel le délai est présumé déraisonnable. Dans le cas des affaires instruites devant une cour provinciale, il est fixé à 18 mois entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès. Dans le cas des affaires instruites devant une cour supérieure, ce plafond est fixé à 30 mois entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès[2]. Signalons que le plafond de 30 mois s’applique également aux affaires instruites devant une cour provinciale au terme d’une enquête préliminaire[3]. Comme nous le verrons, les portions du délai que la défense renonce à invoquer ou celui qui lui est imputable ne comptent pas dans le calcul pour déterminer si le plafond en question a été ou non atteint. Autrement dit, ces délais doivent être ignorés.
Jordan, par. 49, notes [2] et [3] omises, caractères gras ajoutés.
[83] La note [2] n’est pas pertinente en l’espèce, car elle précise que l’al. 11b) de la Charte s’applique à la détermination de la peine, mais que cette étape n’est pas incluse dans les plafonds. À l’inverse, la note [3] est pertinente. La Cour y reconnaît que :
Bien que la plupart des instances où il y a enquête préliminaire soient instruites subséquemment devant une cour supérieure, ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, il se peut qu’une affaire soit instruite devant une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire si la province où se déroule le procès en offre la possibilité (comme le Québec), ou si l’accusé change d’avis et opte pour un procès devant une cour de ce type au terme d’une enquête préliminaire. Le plafond de 30 mois s’appliquerait dans les deux cas.
Jordan, par. 49, note [3].
[84] On comprend que le plafond de 18 mois est celui d’un procès devant un juge de la cour provinciale, au sens de l’art. 2 C.cr., dont la définition inclut la Cour du Québec et les cours des poursuites sommaires :
juge de la cour provinciale Toute personne qu’une loi de la législature d’une province nomme juge ou autorise à agir comme juge, quel que soit son titre, et qui a les pouvoirs d’au moins deux juges de paix. La présente définition vise aussi les substituts légitimes de ces personnes. (provincial court judge) | provincial court judge means a person appointed or authorized to act by or pursuant to an Act of the legislature of a province, by whatever title that person may be designated, who has the power and authority of two or more justices of the peace and includes the lawful deputy of that person; (juge de la cour provinciale) |
[85] Au Canada, le juge de la cour provinciale entend les procès en matière sommaire (art. 785 C.cr.), les procès pour les actes criminels prévus à l’article 553 C.cr. ou, lorsque le Code criminel le permet, les procès des prévenus qui choisissent d’être jugés par un juge de cour provinciale (art. 554 C.cr.). Dans tous ces cas, aucune enquête préliminaire ne précède le procès.
[86] Le plafond est porté à 30 mois si le procès se tient devant la Cour supérieure.
[87] Le plafond peut alors paraître lié à la cour qui entend le procès.
[88] Toutefois, la Cour suprême précise que si une enquête préliminaire est tenue et que le procès se tient devant un juge de la cour provinciale, que ce soit 1) en vertu de la loi ou 2) en raison d’un nouveau choix fait après une enquête préliminaire, le plafond est également de 30 mois.
[89] Le plafond peut alors paraître lié au fait que la procédure se tient en deux étapes.
[90] Force est de constater que les hypothèses envisagées par la Cour suprême comportent des omissions ou des imprécisions. Une première réside dans le fait qu’elle ne fait aucune distinction entre le procès qui est tenu devant la Cour supérieure sans ou après une enquête préliminaire ou encore sans ou avec un jury. Une seconde est l’absence de mention de la réalité québécoise où un juge de la Cour du Québec entend des affaires à titre de « juge » au sens de l’article 552 C.cr., sans enquête préliminaire, une compétence qui, dans toutes les autres provinces, est attribuée à la Cour supérieure.
[91] En ce concerne la première imprécision, il est intéressant de noter que la Cour supérieure du Québec a décidé que le plafond d’une affaire qui se trouve devant elle à la suite d’un acte d’accusation direct, et donc sans enquête préliminaire, est de 30 mois : R. c. Corriveau, 2016 QCCS 5799; R. c. Lafortune, 2019 QCCS 4693; R. c. Wong, 2023 QCCS 5065.
[92] Des cours d’appel ont adopté la position de l’affaire Corriveau : R. c. Schenkels, 2017 MBCA 62, aux par. 46-48 et R. c. Bulhosen, 2019 ONCA 600, aux par. 69 et s.
[93] Dans l’arrêt R. v. Shaikh, 2019 ONCA 895, repris dans l’arrêt R. c. Wookey, 2021 ONCA 68, la Cour d’appel de l’Ontario explique que le plafond de 18 mois s’applique à un procès tenu devant la cour provinciale après un consentement à renvoi à procès (art. 549 C.cr.). Pour la Cour d’appel, la logique de Jordan ne permet aucune autre conclusion. Dans R. c. Wookey (par. 64), elle reprend ces propos, tirés de l’arrêt Jordan (caractères gras ajoutés, et que je cite dans sa version en langue française) :
[62] Les accusés ont parfois des raisons valables de vouloir réexercer leur option et de choisir — soit avant, soit pendant leur enquête préliminaire — de ne plus être jugés par une cour supérieure, mais plutôt de l’être par une cour provinciale. Pour ce faire, ils doivent obtenir le consentement du poursuivant (Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 561). Bien sûr, il serait généralement loisible au ministère public de poser comme condition à son consentement que l’accusé renonce à invoquer le délai découlant du nouveau choix.
[94] Ce passage de l’arrêt Jordan appuie ce que la Cour d’appel de l’Ontario écrit dans l’arrêt R. c. Shaikh :
[57] The bright line approach that I consider myself compelled to follow does not enable the defence to manufacture a s. 11(b) delay by re-electing into a shorter presumptive period of delay. Section 561(1) of the Criminal Code requires Crown consent before the accused can re-elect to a trial by a provincial court judge. Where re-election would create the risk of s. 11(b) problems, the Crown has the authority to, and should, refuse consent, absent a s. 11(b) waiver.
R. c. Shaikh, 2019 ONCA 895, par. 57, mentionné dans nos arrêts R. c. Brousseau, 2020 QCCA 1199 et R. c. Lapointe, 2021 QCCA 152.
[95] Il faut noter que dans ces affaires de l’Ontario, le procès est alors véritablement un procès devant un juge de cour provinciale au sens du Code criminel, puisqu’un nouveau choix de procès devant un « juge sans jury » (art. 552 C.cr.) signifierait un procès devant la Cour supérieure.
[96] Ce n’est pas le cas au Québec. Le nouveau choix peut mener à un procès devant un « juge sans jury » au sens de l’art. 552 C.cr., lequel se tient alors devant la Cour du Québec. Dans l’arrêt Hamel, ce nouveau choix s’était manifesté pendant l’enquête préliminaire après une renonciation prévue (art. 549 C.cr.) Notre Cour a statué que le plafond était alors de 30 mois :
[8] Il est vrai que l’appelant a renoncé à la tenue formelle de son enquête préliminaire, mais cette renonciation est intervenue dans le cadre de la tenue de cette enquête déjà fixée devant un juge de paix assigné à cette fin. C’est d’ailleurs précisément à ce stade des procédures que l’appelant est renvoyé à son procès. Le paragraphe 549(2) C.cr. prévoit les conséquences reliées à un renvoi au procès au stade de l’enquête préliminaire avec le consentement du prévenu et de la poursuivante :
549.(2) Lorsqu’un prévenu est astreint à passer en jugement aux termes du présent article, le juge de paix inscrit sur la dénonciation une mention du consentement du prévenu et du poursuivant, et le prévenu est par la suite traité à tous égards comme s’il était astreint à passer en jugement aux termes de l’article 548.
[9] La juge a donc eu raison de conclure que l’appelant subissait son procès devant la Cour du Québec après y avoir été renvoyé au terme d’une enquête préliminaire. La jurisprudence prévoit qu’un plafond de 30 mois s’applique à cette situation.
R. c. Hamel, 2022 QCCA 476, par. 8 et 9 (références omises, soulignement dans le texte).
[97] Dans le cas où un procès se tient devant elle, sans enquête préliminaire, à titre de juge au sens de 552 C.cr., la Cour du Québec est divisée sur le plafond applicable. Dans l’affaire R. c. Côté, 2018 QCCQ 1763, le juge a tranché que le plafond est de 18 mois. D’autres ont conclu que le plafond de 30 mois s’appliquait : R. c. Catania, 2016 QCCQ 15023; R. c. Deschenes et al., 2017 QCCQ 18086; R. c. Seepersad, 2024 QCCQ 1787.
[98] Je suis donc d’accord avec l’appelant que l’absence de choix à la comparution a fait en sorte que les intimés étaient réputés avoir choisi de subir leur procès devant un juge de la Cour supérieure et un jury. La juge ne pouvait donc pas conclure que le plafond était de 18 mois dès le départ.
[99] Par contre, dans le présent dossier, le plafond de 18 mois ne fait plus de doute après le 15 janvier 2021, date où les intimés choisissent un procès devant un juge de la cour provinciale. Aucune renonciation n’est invoquée.
[100] Je reprends les propos de la Cour qui, dans l’arrêt Lapointe, souligne :
[18] En effet, il serait décevant et inacceptable que le cadre d’analyse établi par la Cour suprême pour améliorer la performance de la justice criminelle au pays permette la création artificielle d’un problème de délai qui s’avérait inexistant puisque le cheminement des dossiers progressait normalement à l’intérieur du plafond de 30 mois jusqu’alors applicable.
R. c. Lapointe, 2021 QCCA 152, par. 18, citant R. c. Shaikh, 2019 ONCA 895, par. 57.
[101] En l’espèce, on ne peut pas dire que les intimés ont créé artificiellement le délai de 18 mois, auquel l’appelant a consenti. Je suis aussi d’avis que la suite des choses illustre que l’affaire n’a pas été menée avec la célérité voulue. L’appelant a notamment trébuché sur deux obstacles qu’il avait lui-même dressés sur le parcours, soit la communication de la preuve et son consentement à un procès devant un juge de la cour provinciale.
[102] Le déroulement du dossier soutient la conclusion de la juge. Pendant sept mois après la comparution initiale, l’enquête policière s’est poursuivie. Rien ne laisse entendre que l’appelant était prêt à procéder. Au contraire, il a porté de nouvelles accusations et cherchait à tenir un procès sur le tout.
[103] Je note qu’il ne s’écoule alors qu’environ quatre mois avant que les intimés fassent leur choix, que l’appelant a accepté. Ainsi, si le dossier évoluait initialement avec un plafond de 30 mois, l’appelant consent le 15 janvier 2021 à ce que les intimés choisissent un procès devant un juge de cour provinciale. L’arrêt R. c. Shaikh, 2019 ONCA 895 en rappelait les conséquences et il ne pouvait pas être ignoré. L’appelant ne montre pas qu’il s’en est préoccupé. Il s’est plutôt empêtré dans l’avancement de son dossier avec les difficultés créées par l’engagement de confidentialité et la communication de la preuve évolutive. Les faits au dossier décrivent l’appelant comme inébranlable lorsque, en octobre 2021, l’audition de la requête fondée sur l’alinéa 11b) est annoncée et fixée en mars 2021, soit 18 mois après la comparution de septembre 2020.
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