jeudi 24 octobre 2024

Le danger de l’identification par témoin oculaire à l’audience est qu’elle donne l’illusion d’être crédible

Legault c. R., 2013 QCCA 1264



[131]     Toutefois, une identification crédible à l'audience ne peut pas garantir la justesse d'une preuve d'identification. Le juge Arbour rappelle dans l'arrêt R. cHibbert que le danger de l’identification par témoin oculaire à l’audience est qu’elle donne l’illusion d’être crédible, surtout parce qu’elle est honnête et sincère, alors qu'elle est pratiquement dénuée de toute fiabilité[13]

[132]      Dans l'arrêt Proulx c. R, les juges Gendreau, Proulx et Fish rapportent les dangers de la preuve d'identification oculaire :

Il est depuis fort longtemps reconnu que

...de tous les types de preuves, c'est l'identification par témoin oculaire qui est la plus susceptible d'entraîner une erreur judiciaire.

Le même auteur poursuit:

Les commentateurs s'entendent à ce sujet depuis longtemps. Le Criminal Law Revision Committee a déclaré dans son onzième rapport: [TRADUCTION] "Nous considérons les identifications erronées comme la plus grande cause d'erreurs judiciaires réelles ou possibles, et de loin". Ce point de vue s'appuie sur des centaines de cas où des innocents ont été déclarés coupables, emprisonnés et même parfois exécutés à la suite de procès où l'accusation reposait en grande partie sur les dépositions de témoins oculaires. Les cas les plus célèbres ont été commentés en long et en large par les auteurs américains et britanniques. Dans les travaux portant sur les erreurs judiciaires, la conclusion est en fait toujours la même: l'identification erronée constitue la plus grande source d'injustice.[14]

[références omises]

[133]     Le juge Sopinka, au nom de la Cour suprême, explique que ces erreurs sont souvent commises de bonne foi par les témoins et résultent de la seule fragilité de la mémoire humaine :

[52] […] En raison de l'existence de nombreux cas où l'identification s'est révélée erronée, le juge des faits doit être conscient des [traduction] «faiblesses inhérentes de la preuve d'identification qui découlent de la réalité psychologique selon laquelle l'observation et la mémoire humaines ne sont pas fiables»: R. c. Sutton1969 CanLII 497 (ON CA), [1970] 2 O.R. 358 (C.A.), à la p. 368.  Dans R. c. Spatola1970 CanLII 390 (ON CA), [1970] 3 O.R. 74 (C.A.), le juge Laskin (plus tard Juge en chef de notre Cour) fait observer ce qui suit au sujet de la preuve d'identification (à la p. 82):

[traduction]  Les erreurs de reconnaissance ont un long passé documenté.  Les expériences en matière d'identification ont fait ressortir la fragilité de la mémoire et la faillibilité des pouvoirs d'observation.  Des études ont démontré l'assurance qui se bâtit progressivement à partir d'une identification initiale qui peut être erronée [. . .] La question même de l'admissibilité de la preuve d'identification, sous certains de ses aspects, a généré suffisamment de crainte dans certains ressorts pour qu'on hésite avant de s'en remettre aveuglément à une telle preuve, lorsqu'elle est admise, pour prononcer une déclaration de culpabilité . . .[15]

[soulignements originaux omis et je souligne]

[134]     La valeur probante d'une preuve d'identification oculaire ne peut pas être déterminée par le seul test de la crédibilité du témoin qui la rapporte. La jurisprudence exige que le juge des faits soit convaincu de surcroît de la fiabilité objective de cette preuve d'identification :

[3] The authorities have long recognized that the danger of mistaken visual identification lies in the fact that the identification comes from witnesses who are honest and convinced, absolutely sure of their identification and getting surer with time, but nonetheless mistaken. Because they are honest and convinced, they are convincing, and have been responsible for many cases of miscarriages of justice through mistaken identity. The accuracy of this type of evidence cannot be determined by the usual tests of credibility of witnesses, but must be tested by a close scrutiny of other evidence. […] As is said in Turnbull, the jury (or the judge sitting alone) must be satisfied of both the honesty of the witness and the correctness of the identification. Honesty is determined by the jury (or judge sitting alone) by observing and hearing the witness, but correctness of identification must be found from evidence of circumstances in which it has been made or in other supporting evidence. If the accuracy of the identification is left in doubt because the circumstances surrounding the identification are unfavorable, or supporting evidence is lacking or weak, honesty of the witnesses will not suffice to raise the case to the requisite standard of proof and a conviction so founded is unsatisfactory and unsafe and will be set aside. It should always be remembered that in the famous Adolph Beck case, twenty seemingly honest witnesses mistakenly identified Beck as the wrongdoer. [16]

[je souligne]

[135]     La fiabilité objective d'une preuve d'identification provient de l'examen minutieux des circonstances dans laquelle l'identification a initialement été faite.

[136]     Ce faisant, les descriptions contemporaines aux évènements et la première identification hors cours ont une importance capitale dans l'établissement de la fiabilité objective du témoignage à l'audience. Cela est d'autant plus vrai que l'audience a lieu 4 ans et demi après les événements et déclarations initiales. Sans ces déclarations contemporaines et l'identification hors cours initiale, le témoignage lors de l'audience n'a peu ou pas de valeur probante.  À ce sujet, le juge Doherty de la Cour d'appel de l'Ontario fournit les explications suivantes :

36.  Clearly, the evidence of the prior descriptions given and the prior identifications made by the identifying witness constitute prior consistent statements made by that witness. Generally speaking, evidence that a witness made prior consistent statements is excluded as irrelevant and self-serving. However, where identification evidence is involved, it is the in-court identification of the accused which has little or no probative value standing alone. The probative force of identification evidence is best measured by a consideration of the entire identification process which culminates with an in-court identification: e.g. R. v. Langille, supra, at 555; DiCarlo v. The U.S., 6 F.(2d) 364 at 369, per Hough J., concurring, (2d cir. 1925); Clemons v. The U.S., 408 F. (2d) 1230 at 1243 (D.C. cir. 1968)The central importance of the pre-trial identification process in the assessment of the weight to be given to identification evidence is apparent upon a review of cases which have considered the reasonableness of verdicts based upon identification evidence: e.g. see R. v. Miaponoose (1996), 1996 CanLII 1268 (ON CA), 110 C.C.C. (3d) 445 (Ont. C.A.).

37.  If a witness identifies an accused at trial, evidence of previous identifications made and descriptions given is admissible to allow the trier of fact to make an informed determination of the probative value of the purported identification. The trier of fact will consider the entirety of the identification process as revealed by the evidence before deciding what weight should be given to the identification made by the identifying witness. Evidence of the circumstances surrounding any prior identifications and the details of prior descriptions given will be central to that assessment. [17]

 [références omises et je souligne]

[137]     L'importance des déclarations antérieures dans l'examen de la fiabilité objective est consacrée par le traitement que leur accordent les tribunaux.  Dans le même arrêt, le juge Dehorty rapporte les propos du professeur Libling qui explique que la corroboration de l'identification au procès par une déclaration antérieure au même effet permet de pallier les effets négatifs que la contamination ou l'oubli ont pu avoir sur les souvenirs du témoin :

38.  Where a witness identifies the accused at trial, evidence of prior identifications made and prior descriptions given by that witness do not have a hearsay purpose. In his influential article, Evidence of Past Identification, supra, Professor Libling explains the admissibility of the out-of-court statements where the witness makes an in-court identification in this way, at pp. 271-72.

There is no hearsay problem with this kind of evidence. It is not admitted to prove the truth of the earlier identification, but to add cogency to the identification performed in court. As a general rule, a witness is not permitted to testify as to his own previous consistent statements because they add nothing to the in-court testimony. But evidence of previous identification strengthens the value of the identification in court by showing that the witness identified the accused before the sharpness of his recollection was dimmed by time. Furthermore it is important, in assessing the weight of the identification in Court, to know whether the identifying witness was able to identify the accused before he was aware that the accused was the person under suspicion by the police.[18]

[je souligne]

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