R. c. Deschatelets, 2013 QCCQ 1948
[109] Cette preuve a été complétée par le témoignage d'un expert psychologue-sexologue, monsieur Marc Ravard et par le témoignage de deux médecins pathologistes judiciaires, les docteurs Annie Sauvageau et Yasmine Ayroud.
[110] Monsieur Ravard explique que le terme BDSM est un acronyme qui signifie en anglais : bondage, discipline, domination, soumission, sadisme et masochisme.
[111] Il s'agit d'une activité sexuelle qui comporte plusieurs degrés, allant du petit jeu de rôle anodin jusqu'à l'extrême, comme à son avis, c'est le cas en l'espèce.
[112] Cette pratique est encadrée par des règles et le collier que la victime devait mériter est un symbole de soumission et d'appartenance.
[113] À son avis, la lettre de la victime témoigne d'une relation maître-esclave dans laquelle la victime érotise beaucoup les jeux de pouvoir et de torture. Il note un état d'affaiblissement de la victime et la pratique de gestes déshumanisants.
[114] La sécurité est une règle cardinale de la pratique BDSM. Elle se manifeste par l'établissement d'au moins deux règles importantes.
[115] D'abord, même si l'absence d'un des partenaires peut contribuer à ce que l'attente devienne érotique, il est recommandé de ne pas laisser l'autre dans une situation précaire dont il est incapable de se libérer seul.
[116] Ensuite, puisque la pratique d'activités sado-masochistes entraîne des douleurs et de l'inconfort et qu'elle constitue en quelque sorte un jeu où la vérité et la fantaisie se confondent, les adeptes s'entendent habituellement sur un code, de sorte que lorsqu'un des partenaires utilise le code, l'autre comprend qu'il doit cesser le mauvais traitement ou en diminuer l'intensité.
[117] Cette règle est considérée comme très importante, particulièrement chez les néophytes. Citons ici ce que le docteur Ravard écrit dans son rapport quant à l'aspect sécuritaire de cette activité :
«Le BDSM peut être dangereux, certaines pratiques étant plus dangereuses que d'autres. L'ensemble de la littérature consultée préconise les jeux sexuels qui sont sans danger, sains et consensuels ( selon la devise Safe, Sane and Consensual véhiculée par le mouvement BDSM). On accorde beaucoup d'importance à la communication, à l'établissement de la confiance autour de la mise en scène et le respect des limites de chacun.
La sécurité de la personne soumise doit être une réalité impérative, avec l'utilisation de ce que l'on appelle un "safeword" (mots ou code de sécurité), notamment lorsqu'il s'agit de pratiques sexuelles plus potentiellement dangereuses. Dans bien des cas, la personne dominante tient la vie de la personne soumise entre ses mains. En doute, le dominant ne doit jamais prendre de chances. Celui-ci doit arrêter le jeu, vérifier et poser des questions. Le safeword le plus utilisé est "rouge", "jaune" (pour ralentir, soit un "slowword") et "vert" (pour reprendre ou continuer, soit un "goword".)
On considère dangereux et imprudent de laisser la personne soumise seule, lorsque ligotée, attachée, enchaînée, bâillonnée ou masquée, en cas de blessures importantes, de détresse, de complications, et d'accidents mortels. Ceux qui laissent les personnes soumises seules doivent bien connaître les limites de celles-ci et assurent qu'elles sont en sécurité (par exemple, la personne soumise serait capable de se libérer en cas d'urgence.) Les dominants qui ne le font pas seraient mal perçus et non acceptés dans le mouvement BDSM.”
En conclusion, l'expert écrit :
«À mon avis, le suspect, dans son rôle de partenaire dominant, devait assurer le bien-être et la sécurité de la victime. Il apparaît plus expérimenté et était celui qui dominait et exerçait le contrôle total sur celle-ci. Considérant la nature dangereuse des jeux sexuels pratiqués et le discours entourant l'importance accordée aux règles de sécurité pour la personne soumise, selon mon opinion professionnelle, le suspect aurait fait preuve de négligence et d'imprudence en laissant la victime seule, sans surveillance pendant qu'elle était ligotée, affaiblie, vulnérable et impuissante.»
[150] Comme on l'a dit en introduction, les circonstances de l'affaire sont particulières. La mort de la victime est survenue dans le cadre de la pratique d'activités sado-masochistes. Or, il n'existe pas au Canada de décision qui a tracé les paramètres légaux d'une telle activité. Il y a donc lieu de commencer l'analyse par certains constats.
[151] Il appert que la pratique d'activités connues sous l'acronyme BDSM constitue un jeu, un jeu à connotation sexuelle, un jeu violent et un jeu dangereux.
[152] Ce qui frappe en premier lieu dans les activités sado-masochistes est sa dimension sexuelle.
[170] C'est précisément, parce que certaines activités sado-masochistes comportent un risque pour la sécurité ou pour la vie des personnes que certaines règles de prudence sont suggérées. Ainsi, il est recommandé de ne pas abandonner ou laisser seule une personne placée dans une situation de vulnérabilité et d'utiliser un code pour communiquer.
[171] L'accusé a répété à plusieurs reprises au policier qui l'a interrogé et au tribunal dans son témoignage, que la victime avait consenti à subir toutes ces violences et qu'elle avait consenti à être laissée seule pendant qu'il irait faire une course à l'épicerie. Cet argument est sans valeur d'un point de vue juridique.
[172] Il est vrai que dans notre société une personne peut consentir à ce qu'une autre personne applique sur elle la force ou la violence. En effet, selon l'article 265(1)(a) du Code criminel, la commission de l'infraction de voies de fait simples exige la preuve de l'absence de consentement du plaignant.
[173] Mais il faut rappeler ici que le consentement n'est pas une défense lorsque l'application de la force entraîne la mort.
[174] L'article 14 du Code criminel est clair sur ce point, et la Cour suprême du Canada, à l'arrêt R. c. Jobidon[3] a rejeté cette défense dans les cas de lésions corporelles.
[175] Le consentement n'est pas non plus une défense dans les affaires de négligence criminelle. La négligence criminelle concerne des comportements insouciants, déréglés et téméraires qui mettent en péril la sécurité ou la vie d'autrui. Le fait que ce tiers consente à participer à l'activité dangereuse n'affecte en rien la responsabilité pénale de l'auteur de ces comportements.
[178] La quatrième dimension qui frappe dans l'activité sado-masochiste est son caractère ludique. Il s'agit d'un jeu de rôle où les partenaires peuvent à certaines occasions être le dominant ou le soumis et dans lequel la réalité et la fiction se confondent. C'est la raison pour laquelle il est recommandé d'utiliser un mot de passe sur lequel ils se seront entendus à l'avance. Ainsi, aucune confusion n'est alors possible.
[179] Alors que le «non» avancé par un des partenaires peut n'être qu'une réplique dans le jeu de rôle, le fait de prononcer le mot de code indique clairement et sans équivoque le désir du partenaire que l'activité cesse ou que son intensité diminue. En l'espèce, l'accusé et la victime n'utilisaient pas de mot de passe.
[180] L'activité BDSM est donc un jeu, un jeu sexuel, un jeu violent et un jeu dangereux qui implique la participation d'au moins deux personnes.
[181] Dans ce contexte, le devoir des partenaires de se soucier et de se préoccuper de leur vie et de leur sécurité mutuelle est important et il passe non seulement par le respect de règles élémentaires de sécurité comme l'utilisation de mots de code et le maintien d'une présence permanente, mais aussi par le respect des règles de prudence de la personne raisonnable.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire