[18] Comme l’explique la Cour dans l’arrêt Sharpe, l’exception relative à l’usage personnel s’applique à trois conditions, et la preuve offerte doit permettre de conclure au respect de chacune d’elles : (1) l’enregistrement doit représenter une activité sexuelle légale, (2) les personnes qui y figurent doivent consentir à l’enregistrement et (3) l’enregistrement doit être conservé pour l’usage personnel.
[19] L’accusé doit établir la vraisemblance du respect de ces trois conditions pour que le moyen de défense soit soumis au jury (Sharpe, par. 116). Une fois qu’il s’est acquitté de sa charge de présentation, le ministère public doit s’acquitter de sa charge de persuasion pour réfuter hors de tout doute raisonnable le moyen de défense. Comme le respect des trois conditions est nécessaire à l’application du moyen de défense, le ministère public n’a qu’à réfuter le respect de l’une d’elles hors de tout doute raisonnable.
(1) Légalité
[20] Premièrement, l’activité sexuelle enregistrée doit être légale. En d’autres termes, elle ne peut constituer un crime en soi. Le consentement des intéressés est une condition préalable à sa légalité. Un enfant de moins de 12 ans ne peut valablement consentir à une activité sexuelle. Au moment où les infractions auraient été commises en l’espèce, les circonstances dans lesquelles un adolescent de moins de 14 ans pouvait valablement consentir à une activité sexuelle étaient restreintes et dépendaient de l’âge des autres participants (Code criminel, par. 150.1(1) et (2)). Un adolescent de moins de 14 ans ne pouvait consentir à une activité sexuelle que si son partenaire était de moins de deux ans son aîné. En outre, il ne pouvait consentir à une activité sexuelle lorsque son partenaire était une personne en situation d’autorité ou de confiance, lorsque la relation était une relation de dépendance ou lorsqu’il s’agissait d’une relation d’exploitation (al. 150.1(2)c) et par. 150.1(3)). Ces conditions s’appliquaient — et s’appliquent toujours — de manière générale, y compris aux contacts sexuels et au fait d’inviter, d’inciter ou d’engager à des contacts sexuels, ainsi qu’à d’autres infractions d’ordre sexuel[1].
[21] L’adolescent âgé de 14 à 17 ans inclusivement pouvait alors consentir valablement à des actes sexuels avec un partenaire de n’importe quel âge. Cependant, comme pour les enfants plus jeunes, l’activité sexuelle était illégale lorsque la relation reposait sur l’exploitation, la dépendance, la confiance ou l’autorité (par. 153(1)). À n’importe quel âge, le consentement demeure non valable lorsqu’il est obtenu notamment par la fraude, la contrainte ou l’abus de pouvoir (Code criminel, par. 265(3) et art. 273.1).
[22] En 2008, le législateur a modifié le Code criminel pour faire passer l’âge du consentement de 14 à 16 ans (L.C. 2008, c. 6). Désormais, un adolescent âgé de 14 ou 15 ans ne peut consentir à un acte sexuel que si son partenaire a à peu près le même âge que lui ou que s’il est marié avec lui (par. 150.1(2.1)).
[23] Dans le contexte d’une poursuite pour pornographie juvénile, les conditions d’origine législative applicables au consentement des mineurs délimitent les circonstances dans lesquelles l’activité sexuelle en cause est légale. Elles circonscrivent par le fait même les circonstances dans lesquelles une personne accusée en vertu de l’art. 163.1 peut invoquer en défense l’exception relative à l’usage personnel. Par conséquent, sous réserve des exceptions expressément prévues dans le Code, le consentement d’une personne de moins de 14 ans (16 ans, désormais) n’est pas valide, et le moyen de défense ne peut être invoqué. L’exception relative à l’usage personnel n’est pas opposable non plus lorsque le ministère public établit hors de tout doute raisonnable que la relation entre les personnes en cause est empreinte d’exploitation, de dépendance, d’abus de pouvoir ou d’abus de confiance, d’où les infractions prévues au par. 153(1). Bien entendu, l’exception ne s’applique pas à l’acte qui constitue en soi une infraction, qu’il y ait ou non consentement, tel l’inceste (art. 155).
[24] En résumé, l’exception relative à l’usage personnel ne peut jamais être opposée à une accusation de pornographie juvénile lorsque les victimes sont des enfants âgés de moins de 12 ans. Pour ce qui concerne les adolescents de 12 ou de 13 ans, le Code criminel circonscrit étroitement les circonstances dans lesquelles l’exception peut être invoquée. Ainsi, au moment où les infractions auraient été commises en l’espèce, l’exception relative à l’usage personnel ne pouvait être soulevée que lorsque l’adolescent qui avait pris part à l’activité sexuelle était âgé de 14 à 17 ans inclusivement; aujourd’hui, il doit s’agir d’un adolescent de 16 ou de 17 ans.
(2) Consentement à l’enregistrement
[25] Deuxièmement, tous les participants doivent consentir à l’enregistrement de l’activité sexuelle légale. L’enregistrement peut en soi, surtout à l’ère numérique, créer un risque de préjudice tout à fait distinct par rapport à l’activité sexuelle représentée. La condition du consentement protège le droit individuel à la vie privée en faisant en sorte que seule l’expression sexuelle consensuelle bénéficie de l’exception à l’interdiction de produire de la pornographie juvénile ou d’en posséder.
(3) Caractère privé
[26] Troisièmement, dans l’arrêt Sharpe, la Cour statue que « [l]’enregistrement doit être conservé strictement en privé par la personne qui l’a en sa possession et être destiné exclusivement à l’usage personnel de son auteur et des personnes qui y sont représentées » (par. 116; voir aussi par. 118). Dès qu’il y a atteinte à ce caractère privé, l’enregistrement cesse de bénéficier de l’exception relative à l’usage personnel. Cela fait en sorte que l’exception ne peut être invoquée dans une affaire comme R. c. L.W. (2006), 2006 CanLII 7393 (ON CA), 208 O.A.C. 42, où l’accusé avait distribué des images — créées de façon consensuelle — de lui-même et sa petite amie de 15 ans après leur rupture.
[27] Même si la question ne se posait pas en l’espèce, le juge du procès et deux parties intervenantes se sont interrogés sur ce qu’il advient lorsqu’une personne exige qu’un enregistrement auquel elle a pris part et qui bénéficie de l’exception lui soit rendu ou soit détruit. Le juge conclut qu’une fois l’enregistrement créé, il demeure possible au participant d’exiger sa remise ou sa destruction, étant entendu que le pouvoir de chacun des participants de décider du sort de l’enregistrement constitue un élément dont la preuve est nécessaire pour qu’il s’agisse de matériel conservé en privé. À son avis, ce pouvoir disparaît [traduction] « lorsque les propriétaires du matériel destiné à l’usage personnel ne peuvent en exiger la remise ou la destruction » (par. 186; voir aussi par. 187 et 271-274).
[28] L’intervenant le procureur général de l’Ontario soutient que l’arrêt Sharpe exige implicitement que l’enfant ait soit un accès continu au matériel, soit un pouvoir de fait sur celui-ci, de sorte qu’il puisse détruire le matériel ou exiger qu’on le détruise s’il vient à regretter d’avoir pris part à sa création (mémoire, par. 20-25). L’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles fait valoir que la condition de la destination à l’usage personnel [traduction] « permet implicitement au propriétaire de l’enregistrement d’en exiger la destruction » (mémoire, par. 18).
[29] Dans l’arrêt Sharpe, la Cour ne fait pas mention d’un accès continu ou d’un droit à la remise ou à la destruction de l’enregistrement lorsqu’elle interprète largement la disposition en cause et formule l’exception de manière à établir un équilibre constitutionnel acceptable. La Cour y reconnaît une exception, mais seulement au bénéfice de l’enregistrement d’activités sexuelles légales qui est « créé en privé », « conservé strictement en privé » et « destiné [. . .] à l’usage personnel de son auteur et des personnes qui y sont représentées » (par. 76 et 116). Toutefois, l’exception ne dépend pas seulement du consentement à la création de l’enregistrement, mais aussi du caractère continu de sa possession. Dès lors, les notions de caractère privé et de pouvoir valent pour la création de l’enregistrement, son utilisation et sa possession continue.
[30] Le droit de l’adolescent qui a participé à l’enregistrement d’en exiger la remise ou la destruction peut fort bien découler implicitement de la mise en balance, dans l’arrêt Sharpe, du préjudice causé par la pornographie juvénile et des valeurs que sont l’épanouissement personnel et la réalisation de soi (par. 102-110). À mon sens, il appert de l’équilibre établi par la Cour dans cet arrêt entre le droit à la liberté d’expression et la prévention de l’infliction d’un préjudice aux enfants que l’adolescent qui prend part à un enregistrement d’ébats sexuels qui bénéficie de l’exception relative à l’usage personnel conserve le pouvoir d’exiger la remise de l’enregistrement ou sa destruction. Cette interprétation de l’exception est de nature à protéger l’adolescent susceptible de vivre de l’anxiété ou de la détresse en apprenant qu’un tiers est en possession du matériel et pourrait le partager illégalement. Elle permet de remédier aux situations où le risque de préjudice l’emporte sur la valeur expressive de l’enregistrement contrairement aux principes dégagés dans l’arrêt Sharpe. Cependant, puisque la question du droit à l’accès ou à la destruction ne se pose pas en l’espèce, je m’abstiens de me prononcer de manière définitive sur ce point.
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