dimanche 20 octobre 2024

Les dessins assimilables à de la poronographie juvénile et la défense de type Sharpe

R. c. Houde, 2019 QCCQ 16457

Lien vers la décision


LE MOYEN DE DÉFENSE PRÉVU À L’ARTICLE 163.1(6) DU CODE CRIMINEL

 

[51]        Ce n’est pas en toutes circonstances que la possession de matériel qui correspond à la définition de pornographie juvénile constitue une infraction criminelle.  Le législateur a expressément permis la possession de matériel correspondant à la définition de pornographie juvénile si les actes qui constitueraient l’infraction ont un but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts, et qu’ils ne posent pas de risque indu pour les personnes âgées de moins de dix-huit ans.

 

L’INTERPRÉTATION DU MOYEN DE DÉFENSE PRÉVU À LA LOI

[52]        La Cour suprême aborde la méthode d’interprétation de ce moyen de défense de la façon suivante :

 Le paragraphe 163.1(6) établit un moyen de défense à l’égard du matériel qui a un but médical, éducatif ou scientifique.  Il s’agit du but auquel le matériel peut objectivement servir et non du but dans lequel la personne l’a effectivement en sa possession.  La manière dont le matériel a été produit ou est conservé est évidemment pertinente à cet égard.  Bien qu’on puisse soutenir que peu d’ouvrages médicaux, éducatifs ou scientifiques seraient visés par le par. 163.1(1), le législateur dit clairement que, même s’ils le sont, leur possession est légale.  La procédure applicable à ce moyen de défense est la même que pour le moyen de défense fondé sur la valeur artistique.

 

À l’instar des autres moyens de défense, le moyen de défense fondé sur la possession dans un but médical, éducatif ou scientifique doit être interprété libéralement et en conformité avec l’intention du législateur. Dans cette optique, la possession de matériel à des fins thérapeutiques pourrait satisfaire aux exigences de ce moyen de défense.[33]

 

 

LA NOTION DE BUT LÉGITIME PRÉVUE À LA LOI

[53]        C’est dans l’affaire Katigbak[34] que la Cour suprême précise le fardeau de preuve ainsi que la notion de but légitime prévue au paragraphe 163.1(6)a) C.cr :

 

Comme nous l’expliquerons plus loin, les al. 163.1(6)a) et b) doivent être traités comme des exigences distinctes l’une de l’autre.  L’accusé doit d’abord invoquer le moyen de défense en s’appuyant sur des faits à même de soulever un doute raisonnable quant à savoir si les deux exigences sont satisfaites, après quoi il incombe au ministère public d’établir hors de tout doute raisonnable que l’une ou l’autre de celles-ci ne l’est pas. 

 

[…]

 

Le tribunal doit d’abord se demander s’il subsiste un doute raisonnable quant à savoir si, d’un point de vue subjectif, l’accusé avait un motif valable et de bonne foi d’avoir de la pornographie juvénile en sa possession dans l’un des buts énumérés.  Cependant, l’examen ne s’arrête pas là.  Si le législateur avait voulu que le tribunal se contente d’examiner si l’accusé avait subjectivement un but lié à au moins l’une des activités énumérées, il n’aurait pas ajouté le qualificatif « légitime » au mot « but ».  Il aurait simplement écrit « a un but lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts ».

 

Il est bien établi en droit qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC)[1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; et R. c. McIntosh, 1995 CanLII 124 (CSC)[1995] 1 R.C.S. 686, par. 21.  De plus, il faut présumer que chaque terme d’une loi joue un rôle dans l’atteinte de l’objectif de celle-ci.  Par ailleurs, il ne faut jamais interpréter une disposition législative de façon telle qu’elle devienne superfétatoire : R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII)[2000] 1 R.C.S. 61, par. 28McIntosh, par. 21Rizzo, par. 21; R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 6 et 210-213.

 

Si l’on applique ces principes d’interprétation des lois au libellé de l’al. 163.1(6)a), on voit clairement que le législateur entendait exiger plus que la simple existence d’un but subjectif lié à l’une des activités énumérées, peu importe les circonstances.  Le libellé de la disposition impose plutôt au tribunal le devoir de se demander si le but déclaré de l’accusé est « légitime ».  À notre avis, le critère de la légitimité est respecté s’il existe un lien objectivement vérifiable entre l’acte reproché à l’accusé et le but qu’il dit poursuivre.  En outre, ce but doit être objectivement lié à au moins l’une des activités énumérées.  En d’autres termes, la personne raisonnable conclurait, eu égard à l’ensemble des circonstances, (1) qu’il y a un lien objectif entre les actes de l’accusé et le but qu’il dit poursuivre, et (2) qu’il y a un lien objectif entre ce but et l’une des activités protégées (administration de la justice, science, médecine, éducation ou arts).[35]

 

 

LA NOTION DE RISQUE INDU PRÉVUE À LA LOI

[54]        C’est également dans Katigbak[36] que la Cour suprême précise le cadre d’application de la notion de risque indu prévue au paragraphe 163.1(6)b) C.cr :

 

La deuxième exigence à satisfaire pour invoquer l’actuel moyen de défense consiste à établir que les actes de l’accusé « ne posent pas de risque indu pour les personnes âgées de moins de dix-huit ans ».  Encore là, cette disposition appelle une interprétation téléologique.  Les tribunaux doivent établir l’équilibre entre l’importance de la liberté d’expression et la nécessité de réduire le risque qu’un préjudice ne soit causé à des enfants.  Cette disposition ne s’applique qu’après que le tribunal a conclu que l’accusé avait un « but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts ».  La question est de savoir quel degré de préjudice sera toléré dans le cas d’une activité menée dans un but légitime.  À cette fin, le juge doit se demander si les actes en cause posent un « risque indu » pour les enfants.  Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir comment le juge apprécie le risque que ces actes causent un préjudice à des enfants.

 

Le critère du « risque indu » que pose l’al. 163.1(6)b) rappelle la jurisprudence antérieure relative à l’infraction d’obscénité prévue au par. 163(8), qui utilise également le terme « indu ».  Pendant plusieurs années, on a estimé que les tribunaux devaient tenir compte des valeurs morales de la société lorsqu’il s’agissait de déterminer si l’exploitation à caractère sexuel dans le matériel contesté était « indue ».

 

Dans R. c. Labaye, 2005 CSC 80 (CanLII)[2005] 3 R.C.S. 728, les juges majoritaires de notre Cour ont rejeté l’approche fondée sur les « valeurs morales de la société » qui servait à déterminer ce qui était « indu » et l’ont remplacée par une norme fondée sur le préjudice important objectivement vérifiable.  S’exprimant pour la majorité, la juge en chef McLachlin a formulé le raisonnement suivant :

 

[A]u fil du temps, les tribunaux en sont venus progressivement à reconnaître que les valeurs morales et les goûts étaient subjectifs et arbitraires, qu’ils n’étaient pas fonctionnels dans le contexte criminel, et qu’une grande tolérance des mœurs et pratiques minoritaires était essentielle au bon fonctionnement d’une société diversifiée.  Cela a mené à l’adoption d’une norme juridique fondée sur un préjudice objectivement vérifiable plutôt que sur une désapprobation subjective.  [Nous soulignons; par. 14.]

 

En plus de poser l’exigence relative au préjudice objectivement vérifiable, la Cour a conclu dans cet arrêt que la conduite de l’accusé doit poser un « risque appréciable de préjudice » (par. 30) ou créer un niveau de préjudice qui est « incompatible avec le bon fonctionnement de la société » (par. 24).

 

À notre avis, l’interprétation donnée dans Labaye s’applique au présent pourvoi.  En effet, il convient d’interpréter les termes « risque indu » utilisés à l’al. 163.1(6)b) comme signifiant un risque appréciable de préjudice objectivement vérifiable, comme l’exigent les dispositions législatives en matière d’obscénité, plutôt que comme l’expression de l’ancienne approche fondée sur les « valeurs morales de la société ».  Cette approche serait tout aussi impraticable pour les infractions en matière de pornographie juvénile qu’elle l’est pour les accusations en matière d’obscénité.  Des personnes raisonnables peuvent avoir des points de vue très divergents sur ce qu’elles sont disposées à tolérer pour ce qui est du risque que pose pour les personnes mineures une expression artistique ou une recherche scientifique données.  Les tribunaux doivent plutôt se demander si le préjudice est objectivement vérifiable et si le degré de préjudice pose un risque important pour les enfants.  Il va sans dire que le préjudice peut être physique, psychologique, ou les deux.[37]

LES MOYENS DE DÉFENSE CRÉÉS PAR LA JURISPRUDENCE

[55]        En plus du moyen de défense codifié, la Cour suprême a, en surplus, créé une exemption constitutionnelle qui exclut de la portée de l’article 163.1 C.cr., deux applications problématiques de cette disposition. 

[56]        La juge en chef, dans l’affaire Sharpe, pour la majorité, formule l’exemption constitutionnelle ainsi:

[…] l’art. 163.1 pourrait être considéré comme incorporant une exception applicable à la possession :

 

1.  de matériel expressif créé par l’intéressé : c’est-à-dire les écrits ou représentations créés par l’accusé seul et conservés par ce dernier exclusivement pour son usage personnel;

 

2.  d’enregistrements privés d’une activité sexuelle légale : c’est-à-dire tout enregistrement visuel créé par l’accusé ou dans lequel ce dernier figure, qui ne représente aucune activité sexuelle illégale et qui est conservé par l’accusé exclusivement pour son usage personnel.[38]

 

[57]        Elle définit ainsi par la suite le cadre d’application de ces exemptions:

La première catégorie protégerait les expressions écrites ou visuelles de la pensée créées par une seule personne et conservées par celle-ci pour son seul usage personnel.  Le journal intime de l’adolescent entrerait dans cette catégorie, de même que toute autre œuvre écrite ou représentation créée par une seule personne, qui est en la possession exclusive de cette personne et qui est destinée à être vue uniquement par elle.

 

La seconde catégorie protégerait la représentation d’une personne par elle-même, comme la photo qu’un enfant ou un adolescent a prise de lui-même seul, qu’il conserve strictement en privé et qui est destinée à son seul usage personnel.  Elle irait jusqu’à protéger l’enregistrement d’une activité sexuelle légale, pourvu que certaines conditions soient remplies.  La personne qui a en sa possession l’enregistrement doit avoir enregistré personnellement l’activité sexuelle en question ou y avoir participé.  Cette activité ne doit pas être illégale, ce qui a pour effet de garantir que toutes les parties ont consenti et d’empêcher que des enfants soient exploités ou maltraités.  Il faut aussi que toutes les parties aient consenti à la création de l’enregistrement.  L’enregistrement doit être conservé strictement en privé par la personne qui l’a en sa possession et être destiné exclusivement à l’usage personnel de son auteur et des personnes qui y sont représentées.  Ainsi, par exemple, la disposition ne s’appliquerait pas à un couple d’adolescents qui créerait et conserverait des photos sexuellement explicites d’eux-mêmes séparément ou ensemble en train de se livrer à une activité sexuelle légale, pourvu qu’ils aient pris les photos ensemble et qu’ils ne les aient échangées qu’entre eux.  Le fardeau de la preuve à l’égard de ces catégories d’exceptions serait semblable à celui qui s’applique aux moyens de défense fondés sur la « valeur artistique », le « but éducatif, scientifique ou médical » et le « bien public ».  L’accusé soulèverait l’exception en indiquant des faits susceptibles de lui permettre de s’en prévaloir, après quoi il incomberait au ministère public d’établir hors de tout doute raisonnable que cette exception ne s’applique pas.

 

Ces deux exceptions s’appliqueraient nécessairement aussi à l’infraction de « production de pornographie juvénile » prévue au par. 163.1(2) (mais non à l’impression et à la publication de ce matériel, ou au fait de l’avoir en sa possession à des fins de publication); sinon, une personne qui ne pourrait pas être poursuivie pour possession de matériel de cette nature resterait susceptible de l’être pour l’avoir créé.

 

Je répète que la protection accordée par cette exception ne s’appliquerait qu’au matériel destiné uniquement à un usage personnel.  S’il était démontré que du matériel est conservé à une autre fin que l’usage personnel, la possession de ce matériel ne relèverait plus de l’exception et tomberait entièrement sous le coup du par. 163.1(4).  En fait, une telle possession pourrait aussi tomber sous le coup des dispositions relatives aux infractions de production et de distribution des par. 163.1(2) et (3).

 

Il appert que la possibilité de se prévaloir de le seconde exception dépend de la question de savoir si le législateur a criminalisé l’activité sexuelle représentée.  Le législateur peut modifier le champ d’application de l’exception en restreignant ou en élargissant l’étendue des activités sexuelles criminalisées.  (Dans un sens plus large, il va sans dire que le législateur peut, dans sa sagesse, choisir de reformuler la disposition en cause de manière à dissiper les préoccupations qui obligent notre Cour à statuer que cette disposition ne peut pas s’appliquer constitutionnellement aux deux exceptions prévues.)

 

Ainsi décrite, l’exception proposée ne s’applique qu’au matériel qui ne présente qu’un risque négligeable de préjudice pour les enfants, mais qui touche profondément aux valeurs consacrées par l’al. 2b) et au droit à la liberté garanti par l’art. 7, en raison de sa nature extrêmement privée et de son lien potentiel avec l’épanouissement personnel et la réalisation de soi.[39]

[58]        La juge McLachlin rappelle le principe fondamental devant guider le juge d’instance :

Je reconnais que l’application des catégories d’exceptions peut soulever certaines questions.  On peut toutefois en dire autant du texte actuel de l’art. 163.1.  Il appartiendra aux tribunaux de se pencher sur des questions d’interprétation précises lorsqu’elles seront soulevées, en tenant compte de l’objectif fondamental du législateur, qui est d’interdire la possession de pornographie juvénile suscitant une crainte raisonnée qu’un préjudice ne soit causé à des enfants. [40]

 

APPLICATION DU DROIT AUX FAITS

LES DESSINS ET LA DÉFENSE DE TYPE SHARPE

[59]        Les dessins saisis sont-ils admissibles à une défense de type Sharpe, à savoir : s’agit-il d’œuvres que l’accusé seul a créées et conservées exclusivement pour son usage personnel?

[60]        La preuve démontre que les dessins saisis, dont plusieurs constituent de la pornographie juvénile[41], ont été créés par l’accusé en ce que c’est avec sa main qu’il les a effectivement dessinés.

[61]          La preuve démontre cependant aussi que le contenu des dessins ne provient pas exclusivement de l’imaginaire de l’accusé.   En effet, celui-ci a reconnu avoir utilisé les images saisies[42], provenant de l’internet, pour s’inspirer dans la création de ses dessins.  Les photos imprimées saisies[43] étaient pour lui des modèles pour calquer et ainsi se représenter dans les dessins.[44]

[62]        Le Ministère public prétend que cet aspect de la présente affaire peut être tranché en appliquant le raisonnement émanant de l’affaire T.W.[45]  Dans ce dossier l’accusé avait confectionné un journal intime dans lequel il collait des images pornographiques qu’il commentait dans un cadre sexuel explicite où il décrivait notamment certains de ses fantasmes.  Certaines des images dans le journal intime étaient en soi de la pornographie juvénile.  Analysant le tout, le juge en est venu à la conclusion que le journal intime ne pouvait bénéficier de la défense de type Sharpe car il n’avait pas été créé exclusivement par l’accusé :

In my view this exception is inapplicable, as a matter of law, in the circumstances of the present case, as the written materials and visual representations in his journal were not created solely by the accused.  The Supreme Court of Canada decision in R. v. Sharpe, at paras. 59, 75, 77, 99-100, 105, 107-108, 110, 115, 118, 120, 128(6a), 129, makes it clear that this is one of the key legal components of this exception.

While the handwritten commentaries throughout the journal clearly originated from the accused, those commentaries were only part of the journal.  There is no gainsaying the reality that, to a very significant extent, the accused’s journal consists of pornographic images that the accused secured from some external source, such as a book, magazine, or internet website.  Indeed, as I have already concluded, some of these pornographic images in the accused’s journal are themselves child pornography. 

Parliament's purpose in the creation of crimes surrounding “child pornography” was to prevent harm to children by banning the manufacture, distribution, possession and access to child pornography, and by sending the message to Canadians “that children need to be protected from the harmful effects of child sexual abuse and exploitation and are not appropriate sexual partners.”  See: R. v. Sharpe, at para. 34; R. v. Smith (2005), 2005 CanLII 23805 (ON CA)76 O.R. (3d) 435198 C.C.C. (3d) 499 (C.A.), at para. 36, leave denied: [2005] S.C.C.A. No. 464; House of Commons, Debates, 3rd Sess., 34th Parl., vol. XVI, June 3, 1993, at p. 20328.  The exceptions judicially created in R. v. Sharpe were designed to address two factual situations where the legislation appeared to capture the possession of “child pornography” which raised little or no risk of harm to children.

Where an individual has created a personal diary or journal not entirely from their own thoughts and actions, but by the use of pornographic images (including some images of child pornography) created by another, the harmful risk to children remains very real, regardless of whether the images were obtained from the internet, magazines, still photographs or elsewhere.  The images of child pornography contained in the accused’s journal were, of course, originally manufactured in a way that necessarily involved the sexual abuse or victimization of children. [46]

[63]        De l’avis du Tribunal, la présente affaire se distingue de l’affaire T.W. 

[64]        Dans T.W. certaines portions du journal intime n’avaient pas été créées par l’accusé lui-même.  Les images, collées à même le journal intime, n’avaient pas été produites par lui.  Le juge Campbell, considérant cet ajout de matériel ne provenant pas de l’accusé, en est venu à la conclusion que le journal intime, dans son ensemble[47], ne pouvait bénéficier de la caractérisation « créé seulement par l’accusé ».

[65]        Dans la présente affaire, dans le sens littéral, les dessins ont été créés seulement par l’accusé.  En effet, lorsque l’on regarde les dessins, tout ce que l’on voit a été dessiné par un trait de crayon dirigé par l’accusé.

[66]        Cependant, l’accusé ne s’est pas seulement inspiré de pornographie juvénile mais il s’est est servi pour calquer[48].  À ce sujet les extraits ci-après reproduits de son témoignage sont particulièrement explicites :

Q.            Alors P-7, pour vous, c’étaient des modèles?

R.            Oui, des modèles pour calquer pour me représenter.[49]

 

————————-

 

Q             Boylinks. Plus tôt dans votre contre-interrogatoire, vous disiez que c’était pratiquement juste de ce site-là que vous alliez chercher des photos ?

R             Ben à mes souvenirs.

Q             À vous souvenirs, c’était de ce site-là ?

R             Il y en avait sûrement d’autres.

Q             O.k.

R             Mais des sites « soft », pas des…

Q             Mais c’est tous des sites où on ne voyait pas le pénis des enfants ?

R             Ben quelques fois, oui.

Q             Quelques fois, oui, o.k. Puis vous, vous preniez ces photos-là ?

R             Il y a eu quelques photos, c’est sûr, qui étaient un peu plus explicites.

Q             O.k.

R             Quand j’en trouvais, mais j’allais pas… c’est pas ce que je recherchais.

Q             Ce n’est pas ce que vous cherchiez ?

R             Mais si j’en trouvais, ben je le prenais, puis j’aurais pu… les actes que je faisais dans mes dessins, ben certaines photos que j’ai pu tomber qu’il y avait des actes, ben c’était moins d’ouvrage à reproduire.[50]

[67]        Le fait que l’accusé se soit inspiré de dessins, en opposition à l’action d’incorporer les dessins comme dans l’affaire T.W. doit-il emporter la conclusion que les dessins n’ont pas été créés seulement par l’accusé comme le prétend la poursuivante?

[68]        Pour répondre à cette question il y a lieu de garder à l’esprit le principe fondamental devant guider les juges d’instance : l’objectif fondamental du législateur est d’interdire la possession de pornographie juvénile suscitant une crainte raisonnée qu’un préjudice ne soit causé à des enfants.

[69]        Le fait que l’accusé a utilisé des modèles contenant de la pornographie juvénile pour calquer, et non seulement pour stimuler son imaginaire, afin de mieux se représenter dans les dessins implique qu’un préjudice a été causé à des enfants qui ont servi de modèle, et ce au sens direct, dans le processus de création de dessins de l’accusé.

[70]        Comme le reconnait la Cour suprême dans Sharpe,  les liens entre la possession de pornographie juvénile et le préjudice causé aux enfants sont plus ténus que ceux qui existent entre la production et la distribution de pornographie juvénile et le préjudice causé aux enfants.  Toutefois, la possession de pornographie juvénile contribue au marché de cette forme de pornographie, lequel marché stimule à son tour la production qui implique l’exploitation d’enfants.

[71]        Ici, l’accusé s’est approvisionné pour son inspiration auprès de fournisseurs d’images qui rendent disponibles des images d’enfants exploités.

[72]        Il n’a pas seulement stimulé son imaginaire par de telles images mais s’en est servi pour calquer et reproduire ainsi le plus fidèlement possible de jeunes victimes.

[73]        Ainsi, bien que ténu, le lien entre l’exploitation d’enfants et les dessins de l’accusé est bien réel. On ne peut prétendre que les dessins de l’accusé ont été créés dans des circonstances qui ne comportent aucune exploitation d’enfants.

[74]        La situation aurait été totalement différente si l’accusé avait puisé son inspiration exclusivement dans son imaginaire, sans lien direct avec des enfants exploités.

[75]        Pour tous ces motifs, la défense de type Sharpe ne peut être retenue concernant les dessins saisis chez l’accusé.

LES DESSINS ET LES IMAGES SONT-ILS VISÉS PAR LA DÉFENSE CODIFIÉE À L’ARTICLE 163.1(6) DU CODE CRIMINEL

[76]        Les dessins créés par l’accusé ainsi que les images :

a)    auxquelles l’accusé a accédé sur internet et conservées chez lui en format papier;

b)    les images numériques sur une clé USB ainsi que sur une carte micro SD également conservées chez lui;

c)   les autres images de pornographie juvénile consultées avec son ordinateur Asus;

sont-ils visés par la défense codifiée à l’article 163.1(6) du Code criminel, soit la possession de matériel pornographique dans un but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts et ne posant pas de risque indu pour les personnes âgées de moins de dix-huit ans?

[77]        Dit autrement, un accusé qui a accédé à du matériel pornographique juvénile à des fins de démarche thérapeutique, dans le cadre d’un auto-traitement visant à découvrir son identité sexuelle, peut-il être trouvé coupable de possession de matériel pornographique juvénile?

[78]        Tel qu’indiqué précédemment, la Cour suprême indique que ce moyen de défense doit être interprété libéralement et en conformité avec l’intention du législateur.

[79]         La Cour suprême précise également le type de matériel visé par une telle défense :

 Le paragraphe 163.1(6) établit un moyen de défense à l’égard du matériel qui a un but médical, éducatif ou scientifique.  Il s’agit du but auquel le matériel peut objectivement servir et non du but dans lequel la personne l’a effectivement en sa possession.  La manière dont le matériel a été produit ou est conservé est évidemment pertinente à cet égard.  Bien qu’on puisse soutenir que peu d’ouvrages médicaux, éducatifs ou scientifiques seraient visés par le par. 163.1(1), le législateur dit clairement que, même s’ils le sont, leur possession est légale.  La procédure applicable à ce moyen de défense est la même que pour le moyen de défense fondé sur la valeur artistique.[51]

[80]        Ainsi, si l’accusé subjectivement a accédé au matériel dans un but médical, cela n’est pas suffisant pour donner ouverture au moyen de défense. Le critère applicable est que le matériel puisse objectivement servir dans un but médical, éducatif ou scientifique.

[81]        Il faut se rappeler pourquoi la Cour suprême a considéré que, dans certaines circonstances, la possession de pornographie juvénile pourrait être justifiée :

La pornographie juvénile ne contribue généralement ni à la recherche de la vérité ni au discours social et politique canadien.  D’aucuns doutent qu’elle fasse même intervenir la valeur de l’épanouissement personnel si ce n’est l’aspect abject de l’exploitation sexuelle.  On craint toutefois, en l’espèce, que la disposition ne vise accidentellement des formes d’expression qui touchent plus sérieusement à l’épanouissement personnel et qui ne présentent aucun risque de préjudice aux enfants.[52]

 

[82]        Ainsi, il y a lieu de se poser la question suivante : le matériel en question constitue-t-il une forme d’expression qui touche sérieusement à l’épanouissement personnel et qui ne présente aucun risque de préjudice aux enfants en ce qu’il est lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts?

[83]        Le matériel en question consiste principalement[53] en de la pornographie juvénile trouvée sur internet[54].  Il est indéniable que ce matériel a été créé dans des conditions qui causent préjudice à des enfants.

[84]        L’arrêt Sharpe rappelle que la pornographie juvénile est fondamentalement préjudiciable aux enfants et à la société.  Il nous indique que ce préjudice existe indépendamment de toute diffusion réelle ou potentielle et il découle de l’existence des représentations pornographiques qui portent elles‑mêmes atteinte aux droits à la dignité et à l’égalité des enfants.  Il précise que ce préjudice comportemental inhérent à la pornographie juvénile n’est ni mesurable empiriquement ni susceptible d’être prouvé de la façon traditionnelle, mais que son existence peut être déduite des représentations ou des traitements avilissants ou déshumanisants. L’expression avilissante ou déshumanisante est préjudiciable en soi, car tous les membres de la société souffrent lorsqu’il y a renforcement des comportements préjudiciables.  Il précise que le risque que des représentations pornographiques soient diffusées accroît le risque de préjudice comportemental et que l’atteinte aux droits à la vie privée des personnes représentées constitue un risque supplémentaire de préjudice qui découle de la possibilité de diffusion. 

[85]        De l’avis du Tribunal, l’affirmation de l’accusé à l’effet que les images provenaient de sites où les enfants n’étaient pas abusés est fausse.  Supposant que les enfants sur les sites consultés n’étaient pas abusés au sens physique, tel qu’indiqué au paragraphe précédent, ces images sont intrinsèquement préjudiciables aux enfants.

[86]        Le matériel en question ne peut objectivement servir dans un but médical, éducatif ou scientifique.  La manière dont le matériel a été produit et conservé milite en faveur de cette conclusion. 

[87]        Il ne s’agit pas ici de volumes de sexologie, de pédiatrie ou d’autres ouvrages de nature didactique, il s’agit d’images trouvées sur internet. La simple consultation des pièces déposées est suffisante pour comprendre que ces images sont intrinsèquement préjudiciables aux enfants.  La violence physique faite aux enfants dans de nombreux dessins est dégoutante et abjecte. Les propos violents ajoutés aux dessins sous forme de dialogue sont encore plus troublants.

[88]        Outre le préjudice aux enfants, ce matériel ne correspond pas à du matériel créé à des fins légitimes.  La Cour suprême parle d’œuvres créées à des fins éducative, médicale ou scientifique :

[Les] limites inhérentes à la définition du par. 163.1(1) sont complétées par une panoplie de moyens de défense destinés à augmenter la protection de la liberté d’expression en excluant du champ d’application de la disposition le matériel dont les effets sociaux bénéfiques rachètent ses lacunes.  Les œuvres d’art, même celles dont la valeur artistique est douteuse, ne sont absolument pas visées.  Le matériel créé dans un « but éducatif, scientifique ou médical », au sens large, fait aussi l’objet d’une exception.[55]

[89]        Compte tenu que le matériel visé :

a)   n’a pas été créé dans un « but éducatif, scientifique ou médical », et ce même dans son sens le plus large;

b)   ne peut objectivement servir dans un but médical, éducatif ou scientifique;

c)   a été créé dans des conditions qui causent préjudice à des enfants;

le Tribunal est d’avis que la défense prévue à l’article 163.1(6) du Code criminel est inapplicable.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire