Richards c. R., 2010 QCCA 359
[38] D'entrée de jeu, je ne retiens pas ce dernier reproche. Le juge a souligné la courte durée d'observation des agresseurs par le témoin Horgan au titre des faiblesses de la preuve d'identification. En revanche, ce témoin a été en mesure de fournir la description des trois agresseurs peu après l'événement. Il affirme d'ailleurs en contre-interrogatoire qu'il s'est battu avec l'un d'eux pendant 10 à 30 secondes. Comme le rappelle le juge Binnie dans l'arrêt R. c. Lohrer, 2004 CSC 80 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 732, au paragraphe 2 :
[…] L'interprétation erronée de la preuve doit porter sur l'essence plutôt que sur des détails. Elle doit avoir une incidence importante plutôt que secondaire sur le raisonnement du juge du procès. Une fois ces obstacles surmontés, il faut en outre (le critère étant énoncé de manière conjonctive plutôt que disjonctive) que les erreurs ainsi relevées aient joué un rôle capital non seulement dans les motifs du jugement, mais encore « dans le raisonnement à l'origine de la déclaration de culpabilité ».
[39] À mon avis, le juge n'a pas mal interprété la preuve à cet égard.
[40] Reste la question de la suffisance de la preuve d'identification permettant de conclure hors de tout doute raisonnable que l'appelant était un des agresseurs. Cet exercice ne vise pas à refaire le procès et à apprécier de nouveau la preuve, ce qui n'est pas le rôle d'un tribunal d'appel. Il consiste plutôt à s'assurer que le verdict prend assise sur la preuve et de déterminer « si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre » : R. c. Biniaris, 2000 CSC 15 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 381.
[41] Dans une décision de la Cour d'appel de la Saskatchewan, R. c. Bigsky (2007), 2006 SKCA 145 (CanLII), 217 C.C.C. (3d) 441, la juge Jackson fait une analyse complète de la jurisprudence et reprend les principes d'intervention d'une cour d'appel en matière d'identification ainsi :
[41] In the judge-alone cases, when a court of appeal will intervene depends on a variety of factors: (i) whether the trial judge can be taken to have instructed himself or herself regarding the frailties of eyewitness testimony and the need to test its reliability; (ii) the extent to which the trial judge has reviewed the evidence with such an instruction in mind; (iii) the extent to which proof of the Crown's case depends on the eyewitness's testimony or, in other words, the presence or absence of other evidence that can be considered in determining whether a court of appeal should intervene; (iv) the nature of the eyewitness observation including such matters as whether the eyewitness had previously known the accused and the length and quality of the observation; and (v) whether there is other evidence which may tend to make the evidence unreliable, i.e., the witness's evidence has been strengthened by inappropriate police or other procedures between the time of the eyewitness observation and the time of testimony.
[42] In those judge-alone cases where a conviction based on eyewitness testimony has been upheld, the court of appeal found that the trial judge has instructed himself or herself properly on the appropriate standard of proof and the frailties of eyewitness testimony and applied those standards in the analysis; the eyewitness has either known the accused; or the evidence formed a part only of evidence of guilt; and there has been no suggestion that the eyewitness identification has been contaminated or weakened by some sighting after the incident. It is also relevant, in the appellate context, whether the accused testified.
[43] Where courts of appeal have found error, the reasons have been insufficient, the eyewitness identification rests on a "fleeting glance" or some improper procedure took place after the incident which may have inappropriately strengthened the witness's testimony.
[42] En l'espèce, contrairement à ce que laisse entendre l'appelant, dès le début de son analyse, le juge reprend les principes de la fragilité d'une preuve d'identification par un témoin oculaire et ceux énoncés dans l'arrêt de principe R. v. Turnbull, (1976) 3 All E.R. 549. Il se met en garde sur les risques inhérents d'une telle preuve. Il écrit :
[61] Il est bien connu que la preuve d'identification par un témoin oculaire s'avère des plus délicates et soulève des risques d'erreur que l'on ne saurait sous-estimer. Cela tient au fait que l'identification par un témoin oculaire n'en reste pas moins une opinion dont on reconnaît la fragilité parce qu'elle repose au fond sur des facultés faillibles que sont la mémoire et l'observation.
[62] L'examen d'une preuve d'identification, et par voie de conséquence, sa valeur probante, exige une analyse soignée de ses caractéristiques intrinsèques, d'une part, et des circonstances extrinsèques, d'autre part. En somme, il s'agit d'en évaluer les forces et les faiblesses.
[43] Il souligne dès après plusieurs aspects qu'il considère comme des faiblesses, soit le peu de temps qu'ont eu les victimes pour identifier les agresseurs, leur consommation d'alcool, les contradictions relatives à la grandeur de ces individus et leur description vestimentaire. Il mentionne également le fait que l'appelant est la seule personne de race noire dans la salle au moment de l'identification faite au procès pour finalement conclure que ces faiblesses ne sont pas déterminantes au vu de l'existence de preuves confirmatives et probantes concernant l'identification.
[47] C'est ce que rappelle le juge Doherty de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Tat (1997), 1997 CanLII 2234 (ON CA), 117 C.C.C. (3d) 481, concernant la valeur de la preuve de l'identification antérieure faite par un témoin :
[38] Where a witness identifies the accused at trial, evidence of prior identifications made and prior descriptions given by that witness do not have a hearsay purpose. In his influential article, Evidence of Past Identification, supra, Professor Libling explains the admissibility of the out-of-court statements where the witness makes an in-court identification in this way, at pp. 271-72.
There is no hearsay problem with this kind of evidence. It is not admitted to prove the truth of the earlier identification, but to add cogency to the identification performed in court. As a general rule, a witness is not permitted to testify as to his own previous consistent statements because they add nothing to the in-court testimony. But evidence of previous identification strengthens the value of the identification in court by showing that the witness identified the accused before the sharpness of his recollection was dimmed by time. Furthermore it is important, in assessing the weight of the identification in Court, to know whether the identifying witness was able to identify the accused before he was aware that the accused was the person under suspicion by the police.
[39] I agree with Professor Libling's analysis. When such evidence is tendered, the trier of fact is not asked to accept the out-of-court statements as independent evidence of identification, but is told to look to the entirety of the identification process before deciding what weight should be given to the identifying witness' testimony. In this respect, evidence that the witness previously gave a description which matched the accused or previously selected the accused in a line-up serves no different evidentiary purpose than would evidence showing that the identifying witness had an ideal vantage point from which to observe the perpetrator of the offence. Both are factors which will assist in weighing the witness' in-court testimony.
[Je souligne].
[48] Dans cette affaire, la Cour d'appel de l'Ontario a annulé les condamnations et inscrit des acquittements au motif que la preuve d'identification révélait des faiblesses déterminantes telles que le changement de version d'un des témoins identifiant les accusés, ses déclarations à différentes personnes qu'elle n'avait pas été témoin de l'incident et les rétractations de sa version en cours de témoignage lors de l'enquête préliminaire. Comme le mentionne le juge Doherty, écrivant pour la Cour, « […] her story changed at least three times between her initial interview on January 24, 1991 and her trial testimony in April, 1992. The changes were dramatic and related to matters of central importance. No plausible explanation was offered for these dramatic changes ». Toutefois, ce sont les faiblesses de l'identification combinées à l'absence d'une preuve circonstancielle ou confirmative qui ont mené à la conclusion que le verdict était déraisonnable. Il retient que :
[131] These factors combined with the absence of any scintilla of supporting evidence, put convictions based solely on Ms T.'s evidence perilously close to the reasonableness line.
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