R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19
[55] L’expression « l’activité sexuelle » ne vise pas les conditions ou les caractéristiques de l’acte physique, telles les mesures contraceptives qui sont prises ou la présence de maladies transmissibles sexuellement. En conséquence, à la première étape de l’analyse relative au consentement, le ministère public doit prouver l’absence d’accord volontaire subjectif à l’acte sexuel physique précis. Les tromperies rattachables aux conditions ou aux caractéristiques de l’acte physique peuvent vicier le consentement si les éléments constitutifs de l’infraction de fraude prévue à l’al. 265(3)c) du Code criminel sont réunis.
[56] Cette approche cadre bien avec le sens ordinaire du par. 273.1(1) et l’économie du Code; de plus, elle ne soulève aucun problème d’incertitude, de surcriminalisation ou d’incompatibilité avec les arrêts Cuerrier et Mabior.
[57] À notre avis, l’expression « accord volontaire [. . .] à l’activité sexuelle » englobe en outre tant la nature sexuelle de l’activité (c.‑à‑d. le fait qu’il s’agissait d’un acte de nature sexuelle par opposition à un acte accompli à une autre fin, par exemple un examen médical), que l’identité du partenaire (facteur défini étroitement comme étant l’identité précise d’un partenaire que connaît personnellement le plaignant). Bien que la question de l’identité et celle de la nature sexuelle de l’acte aient constitué des aspects complexes dans les premières décisions, et bien que, dans l’arrêt Cuerrier, une remarque incidente suggère que ces questions pourraient être examinées à la deuxième étape de l’analyse relative au consentement, soit sous le régime de l’al. 265(3)c), l’approche qu’il convient d’adopter est la suivante : il y a absence d’« accord volontaire [. . .] à l’activité sexuelle » au sens du par. 273.1(1) si le plaignant n’a pas subjectivement consenti à la nature sexuelle de l’acte ou à l’identité précise de son partenaire. Par conséquent, en cas de croyance erronée du plaignant quant à l’identité de son partenaire ou à la nature sexuelle de l’acte — que cette erreur résulte ou non d’une tromperie —, il n’y a pas eu consentement au sens du par. 273.1(1) du Code criminel.
[58] La nature sexuelle de l’acte est un élément expressément inclus comme en témoigne le qualificatif utilisé dans l’expression « l’activité sexuelle » au par. 273.1(1). Si une personne donne volontairement son accord à une activité non sexuelle (un examen médical par exemple), elle ne consent pas volontairement à une activité sexuelle. De même, nous sommes d’avis que l’expression « l’activité sexuelle » figurant au par. 273.1(1) devrait inclure la notion d’identité du partenaire, au sens étroit de ce terme; en effet, si la plaignante donne son accord à une activité sexuelle avec A, une personne précise qu’elle connaît personnellement, elle ne consent pas à une activité sexuelle avec B.
[59] Un certain nombre d’anciennes décisions appuient cette interprétation. Dans R. c. Flattery (1877), 2 Q.B.D. 410 (Cr. Cas. Res.), par exemple, le tribunal a confirmé la déclaration de culpabilité pour viol prononcée contre un homme qui avait eu des rapports sexuels avec une jeune femme en prétendant qu’il s’agissait d’un traitement médical. La cour a souligné qu’il ne s’agissait pas d’un cas où un homme avait incité sa victime à consentir par la fraude, mais plutôt d’un cas où, comme la victime avait consenti à une intervention chirurgicale — et non à un acte sexuel —, il n’y avait pas eu consentement à une activité sexuelle.
[60] De même, dans l’affaire R. c. Dee (1884), 14 L.R. Ir. 468 (Cr. Cas. Res.), une déclaration de culpabilité pour viol a été confirmée dans le cas d’un homme qui avait prétendu être le mari de la victime. D’affirmer le juge en chef May, [traduction] « [l]’acte qu’elle a autorisé ne peut à bon droit être considéré comme l’acte véritable ayant eu lieu; il y a donc eu, à mon avis, relations sexuelles sans son consentement, et le crime de viol a été établi » (p. 479).
[61] Dans Dee, le baron en chef Palles s’est pour sa part exprimé en ces termes :
[traduction] . . . un acte accompli par une personne qui croit en toute bonne foi qu’il s’agit d’un acte essentiellement différent ne constitue pas en droit un acte de cette personne. Nous sommes en présence d’un tel cas — une affaire qui, il n’est guère besoin de le souligner, n’est pas un cas de consentement que l’on veut dans les faits faire déclarer nul pour cause de fraude, mais plutôt une situation où il n’y a jamais eu consentement à ce qui s’est déroulé. La personne par qui l’acte devait être accompli faisait partie de l’essence même de l’acte. Le consentement résultant de l’intelligence, le seul consentement connu en droit, valait uniquement pour les actes accomplis par le mari . . . [En italique dans l’original; p. 488.]
[62] Dans Clarence, le juge Stephen a reconnu l’existence d’une abondante jurisprudence étayant la thèse selon laquelle les fraudes portant sur l’identité du partenaire ou la nature sexuelle de l’acte vicient le consentement. Il a toutefois formulé l’observation suivante :
[traduction] Je préfère pour ma part dire que, dans de tels cas, aucun consentement n’a été donné, parce que l’acte auquel il a été consenti n’est pas celui qui a été accompli. Le consentement à une intervention chirurgicale ou à un examen médical ne constitue pas un consentement à des relations sexuelles ou à un attentat à la pudeur. La femme qui consent à des relations sexuelles avec son mari ne consent pas à l’adultère. [p. 44]
[63] Plus récemment, dans R. c. G.C., 2010 ONCA 451, 266 O.A.C. 299, autorisation d’appel refusée, [2010] 3 R.C.S. v, la Cour d’appel de l’Ontario a adopté cette approche et conclu que, comme la plaignante croyait que le partenaire était son petit ami, alors qu’il s’agissait en fait du frère jumeau identique de ce dernier, il n’y avait eu aucun consentement, au sens de l’art. 273.1 du Code criminel, à « l’activité sexuelle ». (Voir aussi R. c. O.A., 2013 ONCA 581, 310 O.A.C. 305.)
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