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dimanche 30 mars 2025

LE DÉFAUT DE FAIRE RAPPORT AU JUGE DE PAIX DANS LES PLUS BREFS DÉLAIS POSSIBLE

Lanthier c. R., 2020 QCCS 5162

Lien vers la décision


[135]     Le Tribunal considère que la preuve ne démontre pas, par prépondérance des probabilités, que les policiers n’ont pas fait rapport au juge de paix dès que matériellement possible ou, dans le cas de la saisie de substances désignées, dès que les circonstances le permettaient. La question a été à peine effleurée par les accusés dans le cadre du voir dire. Le matériel présenté par les accusés sur ce point ne suffit pas à démontrer que les policiers ont gardé les objets saisis sans faire rapport conformément aux exigences de la loi, et que la rétention de ceux-ci a entrainé une atteinte au droit résiduel des accusés à la vie privée.

[136]     Les Cours d’appel de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique reconnaissent que le défaut de faire rapport au juge de paix après saisie peut entrainer une violation du droit à la protection de la vie privée. Une personne conserve une expectative de vie privée vis-à-vis les objets que l’État a légalement saisis et qu’il continue à détenir: il est en effet probable que dans le cadre d’une enquête, les objets saisis et gardés soient examinés plus avant, expertisés ou copiés. La production d’un rapport au juge de paix après saisie est l’élément déclencheur du régime général de contrôle judiciaire de la rétention des objets saisis mis en place par le Code criminel, à l’art. 490, régime auquel renvoie l’art. 13 de la LRCDAS avec certaines réserves. C’est suite à la production d’un tel rapport que le juge de paix ordonne soit la remise des choses saisies, soit leur rétention pour une période initiale de trois mois. Un juge peut ensuite prolonger la période de rétention des choses saisies, mais pas sans qu’on ait donné avis d’une telle demande à leur possesseur. Le possesseur légitime ou le propriétaire d’une chose dont la rétention a été ordonnée peut de son côté demander à un juge qu’elle lui soit remise.

[137]     Ainsi, le défaut de se conformer aux exigences de faire rapport après saisie rendra déraisonnable la rétention de l’objet saisi, et entrainera une violation de l’art. 8 de la Charte, lorsque ce défaut affecte un objet à l’égard duquel l’accusé conserve une attente en matière de vie privée.

[138]     Dans l’arrêt Garcia-Machado, le policier avait fait rapport 15 mois après la saisie du dossier médical et d’un échantillon sanguin de l’accusé. Dans les arrêts Craig et Villaroman, les policiers avaient fait complètement défaut de rapporter, dans le premier cas, la saisie des données conservées par le fournisseur d’accès Internet de l’accusé, et dans le second, la saisie d’un ordinateur confié par l’accusé à un technicien informatique. Dans tous les cas, les Cours d’appel ont conclu que le défaut de se conformer aux exigences de rapport après saisie entrainait une violation de l’art. 8 de la Charte. Voir R. v. Garcia-Machado2015 ONCA 569, § 44, 45, 55; R. v. Craig2016 BCCA 699, § 180-182; R. v. Villaroman2018 ABCA 220, § 10-12; R. v. Flintroy2019 BCSC 110, §29, 30.

[139]     L’article 13(1) de la LRCDAS pose que « les articles 489.1 et 490 du Code criminel s’appliquent à toute chose saisie aux termes de la présente loi », sous réserve des dispositions particulières traitant des biens infractionnels et des substances désignées. Aux termes de l’art. 489.1 (1) C.cr., l’agent de la paix qui a saisi des biens en vertu d’un mandat doit, dans les plus brefs délais possible, soit emmener les biens saisis qu’il n’entend pas remettre à leur possesseur devant le juge de paix, soit faire rapport au juge de paix des biens qu’il a saisis et entend conserver. Aux termes du par. 490(1), le juge de paix doit ensuite ordonner leur rétention ou leur remise. Leur remise ne pourra pas être ordonnée si leur détention est nécessaire aux fins d’une enquête, d’une enquête préliminaire, d’un procès ou de toute autre procédure.

[140]     L’expression dans les plus brefs délais possible a pour pendant l’expression as soon as is practicable dans la version anglaise du par. 489.1(1). Il s’agit d’une exigence souple, variant selon les particularités de chaque affaire, et fonction de l’examen de la preuve auquel les policiers doivent nécessairement procéder avant d’être en mesure de faire dûment rapport : R. v. Canary2018 ONCA 304, § 47; R. v. Kift2016 ONCA 374, § 10; R. v. Eddy2016 ABQB 42, § 53, 54; R. v. Butters2014 ONCJ 228, § 57 (confirmé en appel à 2015 ONCA 1583). Pour décider si rapport a été fait dans les plus brefs délais possible / as soon as is practicable, il importe de se demander s’il l’a été sans délai déraisonnable : R. v. Kift, 2016 ONCA 374, § 10.

[141]     Au par. 13(4) de la LRCDAS, on précise certaines informations qui doivent apparaître au rapport et à qui celles-ci doivent être transmises, lorsque la chose saisie est une substance désignée. On y définit autrement qu’au par. 489.1 (1) C.cr. le délai pour produire un rapport, soit au moyen de l’expression dès que les circonstances le permettent ou as soon as is reasonable in the circumstances dans la version anglaise. Il est difficile de dire si les expressions dans les plus brefs délais possible et dès que les circonstances le permettent doivent être considérées équivalentes ou s’il y a entre elles une forme de gradation. Le but poursuivi par ces deux dispositions est toutefois clairement le même: R. v. Flintroy2019 BCSC 110, §29, 30. Le par. 13(4) de la LRCDAS auquel nous référons ici a été remplacé en juin 2018 (L.C. 2017, ch. 7, art. 11). Son successeur, l’art. 12.1 de la LRCDAS, précise que les agents de la paix ont trente jours pour faire rapport de la saisie d’une substance désignée.

[142]     La partie III de la LRCDAS traite de la disposition des biens saisis en général, et des biens infractionnels et des substances désignées en particulier. Le renvoi de l’art. 13(1) LRCDAS vers les art. 489.1 et 490 C.cr., fait en sorte que ces dispositions du Code criminel s’appliquent aux objets saisis en exécution d’un mandat délivré en vertu de l’art. 11 de la LRCDAS, qu’il s’agisse d’un mandat de perquisition ou d’un télémandat. Le renvoi du par. 11(2) de la LRCDAS vers l’art. 487.1 C.cr. n’incorpore que les éléments définissant les conditions d’émission d’un télémandat en vertu de cette loi. L’exigence du par. 489.1(9) C.cr. de faire rapport au plus tard dans les sept jours de l’exécution d’un télémandat émis en vertu de cet article ne concerne pas l’émission d’une telle autorisation. Cette exigence particulière ne trouve donc pas application aux objets saisis en exécution d’un mandat délivré en vertu de l’art. 11 de la LRCDAS.

[143]     À la lumière de la preuve soumise, qu’est-ce qui est plus probable? Que les policiers aient fait rapport dans les délais prévus par la loi ou non? La preuve présentée ne permet pas de le savoir. Peut-être que ce délai de 28 jours représente le temps qu’il lui a effectivement fallu pour examiner, analyser, traiter et répertorier l’ensemble des items saisis. Peut-être pas. La responsable des pièces à conviction laisse entendre que oui, sans toutefois l’affirmer. Elle ne fournit pas de détails à ce sujet, mais les parties ne lui demandent pas d’en fournir. Les feuilles de contrôle des pièces à conviction sont signées dans les deux semaines suivant les perquisitions, et rapport est fait au juge de paix deux semaines plus tard. Les raisons de ces délais n’ont pas été explorées sur voir-dire. Par ailleurs, nous ne sommes pas dans une situation où il a y défaut pur et simple de faire rapport ou dépassement des trois mois de rétention initiale qui peut être ordonnée. Nous sommes aussi dans une situation où les policiers traitent à la fois avec des substances désignées et d’autres objets. En l’espèce, le Tribunal ne dispose donc pas d’une base factuelle suffisante pour conclure à une contravention aux exigences de rapport après saisie et donc à la violation de l’article 8 de la Charte.

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