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mardi 10 juin 2025

Les essentiels essentiels de l'infraction de négligence criminelle

CFG Construction inc. c. R., 2023 QCCA 1032

Lien vers la décision


[82]      Selon notre Cour, la poursuite devait démontrer un actus reus qui dénote une insouciance téméraire ou déréglée et qui révèle un écart marqué et important à la norme de la personne raisonnable. La juge consacre d’ailleurs deux sections distinctes à l’analyse de chacun de ces éléments[47].

[83]      Or, le cadre d’analyse de la négligence criminelle qui résulte de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Javanmardi est légèrement différent. Voici les observations de la juge Abella sur les éléments essentiels de l’infraction de négligence criminelle :

[19]      L’actus reus de la négligence criminelle causant la mort exige que l’accusé ait commis un acte — ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir — et que l’acte ou l’omission ait causé la mort d’autrui.

[20]      L’élément de faute consiste à ce que l’acte ou l’omission de l’accusé « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». Les termes « déréglée » et « téméraire » ne sont pas définis dans le Code criminel, mais dans R. c. J.F.2008 CSC 60 (CanLII), [2008] 3 R.C.S. 215, notre Cour a confirmé que l’infraction de négligence criminelle causant la mort impose une norme de faute objective modifiée — la norme objective de la « personne raisonnable » (par. 7‑9; voir aussi R. c. Tutton1989 CanLII 103 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1392, p. 1429‑1431; R. c. Morrisey2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90, par. 19R. c. Beatty2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 7).

[21]      Comme pour les autres infractions criminelles fondées sur la négligence, l’élément de faute de la négligence criminelle causant la mort est apprécié en déterminant la mesure dans laquelle la conduite de l’accusé s’écartait de celle d’une personne raisonnable dans la même situation[3]. Pour certaines infractions fondées sur la négligence, comme la conduite dangereuse, un écart « marqué » correspond à l’élément de faute (J.F., par. 10; voir aussi : Beatty, par. 33R. c. Roy2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, par. 30R. c. L. (J.) (2006), 2006 CanLII 805 (ON CA), 204 C.C.C. (3d) 324 (C.A. Ont.), par. 15R. c. Al‑Kassem2015 ONCA 320, 78 M.V.R. (6th) 183, par. 6). Dans le contexte de la négligence criminelle causant la mort, toutefois, le degré d’écart requis a été décrit comme étant élevé, c’est‑à‑dire marqué et important (J.F., par. 9, appliquant Tutton, p. 1430‑1431, et R. c. Sharp (1984), 1984 CanLII 3487 (ON CA), 12 C.C.C. (3d) 428 (C.A. Ont.)).

[22]      Ces normes ont beaucoup de traits communs. Elles posent toutes deux la question de savoir si les actions de l’accusé ont créé un risque pour d’autres personnes, et si « une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible » (voir Roy, par. 36; Stewart, p. 248). La distinction entre ces normes a été décrite comme étant une question de degré (voir R. c. Fontaine (2017), 2017 QCCA 1730, 41 C.R. (7th) 330, par. 27R. c. Blostein (2014), 2014 MBCA 39, 306 Man. R. (2d) 15, par. 14). Comme l’a expliqué le juge Healy dans Fontaine :

            Ces différences de degré ne peuvent être mesurées au moyen d’une règle, d’un thermomètre ou de tout autre instrument étalonné. Les termes « marqué et important » sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression « insouciance déréglée ou téméraire » de l’article 219 du Code criminel. Ils ne peuvent pas servir à fixer une échelle de gravité objective qui soit déterminante d’un cas à l’autre. Tant le comportement que la faute doivent s’apprécier de façon entièrement contextuelle par le juge des faits. [par. 27]

[23]      Dans l’arrêt J.F., le juge Fish n’a pas expliqué en détail comment faire la distinction entre un écart « marqué » et un écart « marqué et important », étant donné que l’affaire ne « port[ait] ni sur la nature ni sur l’étendue des différences entre ces deux normes » (par. 10‑11). Dans le présent pourvoi, également, les différences terminologiques ne sont pas déterminantes et il n’est pas nécessaire qu’elles soient tranchées. Quoi qu’il en soit, en présentant leurs arguments, les parties ont tenu pour acquis que le critère qu’il convient d’appliquer en matière de négligence criminelle causant la mort est l’écart « marqué et important », et c’est sur ce fondement que j’aborde la question dans les présents motifs. Afin d’obtenir un verdict de culpabilité pour négligence criminelle causant la mort, le ministère public doit donc prouver que l’accusée a commis un acte, ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir, et que l’acte ou l’omission a causé la mort d’autrui (l’actus reus). Selon l’arrêt J.F., le ministère public doit en outre établir que la conduite de l’accusée constituait un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusée (l’élément de faute).

[Les soulignements sont ajoutés]

[84]      Comme on peut le remarquer, et contrairement à la conclusion de notre Cour, c’est dans l’élément de faute et non dans l’actus reus que réside l’évaluation de l’acte ou de l’omission qui « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». En effet, comme l’explique la juge Abella : « Dans l’arrêt J.F., notre Cour a affirmé que la question de savoir si la conduite de l’accusé s’écartait de la norme requise est en fait une appréciation de la faute, et non de l’actus reus ». Pour la négligence criminelle, le degré d’écart requis doit être marqué et important[48].

[85]      Dans l’arrêt J.F., le juge Fish énonçait les essentiels de la négligence criminelle. Il précise qu’une conduite téméraire ou déréglée a été assimilée à un écart marqué et important par rapport à la norme de la personne raisonnable :

[68]      Pour ce qui est de la négligence criminelle, l’actus reus sera établi s’il est prouvé (1) que l’accusé était légalement tenu d’accomplir quelque chose; (2) qu’il a omis, d’un point de vue objectif, de s’acquitter de son devoir légal et, (3) que, par cette omission, il a montré, encore une fois d’un point de vue objectif, une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. La preuve de la mens rea découlera de la conclusion que la conduite de l’accusé était déréglée ou téméraire. La conduite déréglée ou téméraire a été assimilée à un écart marqué et important par rapport à la norme (H. Parent, Traité de droit criminel (2e éd. 2007), t. 2, p. 299), ce qui inclut nécessairement la conduite constituant un écart marqué[49].

[Le soulignement est ajouté]

[86]      L’élément de faute de la négligence criminelle sera donc établi lorsque l'acte ou l'omission exhibe une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui, c’est-à-dire un écart marqué et important avec la conduite de la personne raisonnable[50].

[87]      Il ne s’agit pas de deux normes distinctes, comme l’explique le juge Healy dans l'arrêt Fontaine cité avec approbation par la juge Abella dans l’arrêt Javanmardi : « [l]es termes ‘‘marqué et important’’ sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression ‘‘insouciance déréglée ou téméraire’’ de l’article 219 du Code criminel ». Finalement, il demeure essentiel que l’actus reus et la mens rea soient distingués[51].

[95]      Il faut analyser la portée de ce paragraphe dans l’ensemble de la décision. La juge réfère ici à la notion de prudence au sens de l’arrêt R. c. Roy, qui s’appuie lui-même sur l’arrêt Beatty :

La mens rea réside dans le fait que le degré de diligence de l’accusé constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (Beatty, par. 43).  Le degré de diligence que manifeste l’accusé est apprécié par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnablement prudent dans la même situation.  L’infraction ne sera établie que si le degré de diligence dont a fait preuve l’accusé constitue un écart marqué par rapport à cette norme[55].

[96]      Ainsi, la juge considère la prudence de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances exerçant la même activité que l’appelante. Même si l’expression « norme de prudence » qu’emploie la juge d’instance n’est pas l’expression retenue par la jurisprudence, je pense qu’il est évident qu’elle sous-tend la norme de la personne raisonnablement prudente placée dans les mêmes circonstances. Je ne vois pas comment l’utilisation de cette terminologie pourrait s’avérer fautive.

[97]      Qui plus est, l’exigence de prudence pouvait être analysée par la juge, puisque celle-ci fluctue selon l’activité exercée, comme le fait valoir l’arrêt Javanmardi :

[37]      La juge McLachlin a toutefois expliqué qu’une plus grande prudence peut être attendue d’une « personne raisonnable » selon la nature et les circonstances dans lesquelles s’exerce l’activité (p. 72). Certaines activités, par exemple, nécessitent une attention et des compétences particulières. Il peut être conclu qu’un accusé qui se livre à une telle activité a contrevenu à la norme de la personne raisonnable s’il n’est pas qualifié pour exercer la prudence nécessaire qu’exige l’activité, ou s’il a négligé d’exercer une telle prudence lorsqu’il s’est livré à l’activité. De cette façon, le droit assure une « norme minimale constante » pour toute personne qui se livre à une activité exigeant une diligence et des compétences particulières : ces personnes doivent à la fois être qualifiées et exercer la prudence particulière qu’exige l’activité.

[Le soulignement est ajouté]

[98]      Ainsi, dans un domaine d’activité aussi fortement réglementé et dangereux, on pouvait s’attendre à ce que l’appelante veille à l’entretien de ses véhicules, tout comme l’aurait fait une personne raisonnable exerçant la même activité dans les mêmes circonstances.

vendredi 6 juin 2025

L’actus reus de l’homicide involontaire coupable commis au moyen d’un acte illégal

R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54

Lien vers la décision


[25]                        L’actus reus de l’homicide involontaire coupable commis au moyen d’un acte illégal dont il est question à l’al. 222(5)a) oblige le ministère public à prouver que l’accusé a commis un acte illégal et que l’acte illégal a causé la mort (R. c. Creighton1993 CanLII 61 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 3, p. 42‑43; R. c. DeSousa1992 CanLII 80 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 944, p. 959 et 961‑962). On qualifie l’acte illégal d’infraction « sous‑jacente » (DeSousa, p. 956; Creighton, p. 42). Dans le cas de Mme Javanmardi, l’infraction sous‑jacente est d’avoir administré une injection intraveineuse en contravention de l’art. 31 de la Loi médicale du Québec, une infraction de responsabilité stricte.

[26]                        Il y a eu une certaine incertitude entourant la question de savoir si le ministère public doit prouver que l’infraction sous‑jacente était « objectivement dangereuse » (voir Larry C. Wilson, « Too Many Manslaughters » (2007), 52 Crim. L.Q. 433, p. 459, citant Isabel Grant, Dorothy Chunn et Christine Boyle, The Law of Homicide (feuilles mobiles), p. 4‑15, 4‑16 et 4‑20; Stanley Yeo, « The Fault Elements for Involuntary Manslaughter : Some Lessons from Downunder » (2000), 43 Crim. L.Q. 291, p. 293). À mon avis, l’exigence relative à l’« objectivité dangereuse » n’ajoute rien à l’analyse qui n’est pas comprise dans l’élément de faute de l’homicide involontaire coupable commis au moyen d’un acte illégal — la prévisibilité objective du risque de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère (Creighton, p. 44‑45). Un acte illégal, accompagné d’une prévisibilité objective du risque de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère, est un acte objectivement dangereux.

[27]                        Cette position est étayée par l’arrêt DeSousa, qui a été cité comme représentant un énoncé faisant autorité quant à l’élément de faute de l’homicide involontaire coupable commis au moyen d’un acte illégal (Creighton, p. 44‑45). Dans l’arrêt DeSousa, le juge Sopinka a examiné le sens de l’expression « acte illégal » en ce qui concerne l’infraction d’infliction illégale de lésions corporelles, et a conclu que l’acte illégal doit être objectivement dangereux en ce sens que les lésions corporelles sont objectivement prévisibles :

        La jurisprudence anglaise a toujours maintenu que l’acte illégal sous‑jacent requis dans le cas d’homicide involontaire coupable exige la preuve que l’acte illégal était « de nature à blesser une autre personne » ou autrement dit mettait en danger l’intégrité physique d’autrui (voir aussi R. c. Hall (1961), 45 Cr. App. R. 366 (C.C.A.)R. c. Church (1965), 49 Cr. App. R. 206 (C.C.A.)Director of Public Prosecutions c. Newbury (1976), 62 Cr. App. R. 291 (H.L.), et Director of Public Prosecutions c. Daley (1978), 69 Cr. App. R. 39 (C.P.)). La plupart des tribunaux canadiens ont aussi adopté ce point de vue. [p. 959]

[28]                        Les décisions subséquentes et la doctrine confirment que l’actus reus ne comporte aucune exigence indépendante de dangerosité objective. Comme l’a souligné Patrick Healy, notre Cour dans l’arrêt Creighton a convenu que l’élément de dangerosité suggère un élément de faute (« The Creighton Quartet : Enigma Variations in a Lower Key » (1993), 23 C.R. (4th) 265, p. 271‑273). D’autres auteurs ont suggéré que [traduction] « la dangerosité peut être vue comme étant entièrement intégrée dans le concept de la prévisibilité du préjudice, et devrait être écartée puisqu’elle est inutilement compliquée » (Grant et autres, p. 4‑15 à 4‑16; voir aussi R. c. Plein (2018), 2018 ONCA 748 (CanLII), 50 C.R. (7th) 41, par. 30R. c. Kahnapace (2010), 2010 BCCA 227 (CanLII), 76 C.R. (6th) 38, par. 28R. c. L.M.2018 NWTTC 6, par. 31 (CanLII); R. c. P.S.2018 ONCJ 274, par. 205‑206 (CanLII)).

[29]                        À mon avis, il ne serait guère avantageux d’inviter les juges ou les jurés à examiner d’abord la « dangerosité » objective des actes de l’accusé dans l’abstrait, et à reproduire ensuite cette opération à l’aide du contexte lorsqu’ils arrivent à l’élément de faute de l’infraction. Les modèles de directives au jury évitent déjà une telle répétition, qui ajoute une complexité inutile à l’infraction d’homicide involontaire coupable commis au moyen d’un acte illégal, augmentant le risque de confusion et d’erreur juridique (l’hon. juge David Watt, Watt’s Manual of Criminal Jury Instructions (2e éd. 2015), p. 739; Gerry A. Ferguson et l’hon. juge Michael R. Dambrot, CRIMJI : Canadian Criminal Jury Instructions (4e éd. (feuilles mobiles)), vol. 2, p. 6.39‑6; Institut national de la magistrature, Modèles de directives au jury (en ligne, par. D.6)).

[30]                        En conséquence, l’élément d’actus reus de l’homicide involontaire coupable commis au moyen d’un acte illégal est établi au moyen d’une preuve hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis un acte illégal qui a causé la mort. Il n’existe pas d’exigence indépendante de dangerosité objective.

[31]                        L’élément de faute de l’homicide involontaire coupable commis au moyen d’un acte illégal est, comme il a été mentionné, la prévisibilité objective du risque de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère, à laquelle s’ajoute l’élément de faute de l’infraction sous-jacente (Creighton, p. 42‑43; DeSousa, p. 961‑962). Je souscris à l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle lorsque l’infraction sous‑jacente en est une de responsabilité stricte, comme en l’espèce, l’élément de faute pour cette infraction doit être interprété comme étant un écart marqué par rapport à la norme qu’une personne raisonnable respecterait dans la même situation (voir aussi Grant et autres, p. 4‑14 à 4‑15; Larry C. Wilson, « Beatty, J.F., and the Law of Manslaughter » (2010), 47 Alta. L. Rev. 651, p. 663‑664; Kent Roach, Criminal Law (7e éd. 2018), p. 466; R. c. Curragh Inc. (1993), 1993 CanLII 16934 (NS PC), 125 N.S.R. (2d) 185 (C. prov.); R. c. Fournier2016 QCCS 5456, par. 62‑70 (CanLII); et L.M., par. 44‑49). Cette démarche est conforme à celle adoptée dans l’arrêt Creighton, où la juge McLachlin a précisé que les infractions sous‑jacentes comportant un élément de négligence doivent être interprétées comme nécessitant un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable (p. 59).

L’élément de faute de la négligence criminelle

R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54

Lien vers la décision


[19]                        L’actus reus de la négligence criminelle causant la mort exige que l’accusé ait commis un acte — ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir — et que l’acte ou l’omission ait causé la mort d’autrui.

[20]                        L’élément de faute consiste à ce que l’acte ou l’omission de l’accusé « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». Les termes « déréglée » et « téméraire » ne sont pas définis dans le Code criminel, mais dans R. c. J.F.2008 CSC 60 (CanLII), [2008] 3 R.C.S. 215, notre Cour a confirmé que l’infraction de négligence criminelle causant la mort impose une norme de faute objective modifiée — la norme objective de la « personne raisonnable » (par. 7‑9; voir aussi R. c. Tutton1989 CanLII 103 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1392, p. 1429‑1431; R. c. Morrisey2000 CSC 39 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 90, par. 19R. c. Beatty2008 CSC 5 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 49, par. 7).

[21]                        Comme pour les autres infractions criminelles fondées sur la négligence, l’élément de faute de la négligence criminelle causant la mort est apprécié en déterminant la mesure dans laquelle la conduite de l’accusé s’écartait de celle d’une personne raisonnable dans la même situation[3]. Pour certaines infractions fondées sur la négligence, comme la conduite dangereuse, un écart « marqué » correspond à l’élément de faute (J.F., par. 10; voir aussi : Beatty, par. 33R. c. Roy2012 CSC 26 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 60, par. 30R. c. L. (J.) (2006), 2006 CanLII 805 (ON CA), 204 C.C.C. (3d) 324 (C.A. Ont.), par. 15R. c. Al‑Kassem2015 ONCA 320, 78 M.V.R. (6th) 183, par. 6). Dans le contexte de la négligence criminelle causant la mort, toutefois, le degré d’écart requis a été décrit comme étant élevé, c’est‑à‑dire marqué et important (J.F., par. 9, appliquant Tutton, p. 1430‑1431, et R. c. Sharp (1984), 1984 CanLII 3487 (ON CA), 12 C.C.C. (3d) 428 (C.A. Ont.)).

[22]                        Ces normes ont beaucoup de traits communs. Elles posent toutes deux la question de savoir si les actions de l’accusé ont créé un risque pour d’autres personnes, et si « une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible » (voir Roy, par. 36; Stewart, p. 248). La distinction entre ces normes a été décrite comme étant une question de degré (voir R. c. Fontaine (2017), 2017 QCCA 1730 (CanLII), 41 C.R. (7th) 330, par. 27R. c. Blostein (2014), 2014 MBCA 39 (CanLII), 306 Man. R. (2d) 15, par. 14). Comme l’a expliqué le juge Healy dans Fontaine :

        Ces différences de degré ne peuvent être mesurées au moyen d’une règle, d’un thermomètre ou de tout autre instrument étalonné. Les termes « marqué et important » sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression « insouciance déréglée ou téméraire » de l’article 219 du Code criminel. Ils ne peuvent pas servir à fixer une échelle de gravité objective qui soit déterminante d’un cas à l’autre. Tant le comportement que la faute doivent s’apprécier de façon entièrement contextuelle par le juge des faits. [par. 27]

[23]                        Dans l’arrêt J.F., le juge Fish n’a pas expliqué en détail comment faire la distinction entre un écart « marqué » et un écart « marqué et important », étant donné que l’affaire ne « port[ait] ni sur la nature ni sur l’étendue des différences entre ces deux normes » (par. 10‑11). Dans le présent pourvoi, également, les différences terminologiques ne sont pas déterminantes et il n’est pas nécessaire qu’elles soient tranchées. Quoi qu’il en soit, en présentant leurs arguments, les parties ont tenu pour acquis que le critère qu’il convient d’appliquer en matière de négligence criminelle causant la mort est l’écart « marqué et important », et c’est sur ce fondement que j’aborde la question dans les présents motifs. Afin d’obtenir un verdict de culpabilité pour négligence criminelle causant la mort, le ministère public doit donc prouver que l’accusée a commis un acte, ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir, et que l’acte ou l’omission a causé la mort d’autrui (l’actus reus). Selon l’arrêt J.F., le ministère public doit en outre établir que la conduite de l’accusée constituait un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusée (l’élément de faute).

La différence entre l'écart marqué et l'écart marqué et important

Fournier c. R., 2016 QCCS 5456

Lien vers la décision


[73]        Voici comment la norme de faute doit être établie selon la juge Charron :

[48]      Toutefois, il n’est pas nécessaire de prouver une mens rea subjective du type que je viens de décrire pour établir l’infraction, puisque la faute que visait le législateur en adoptant l’art. 249 englobe une gamme plus étendue de comportements. Par conséquent, bien que la preuve de la mens rea subjective soit clairement suffisante, elle n’est pas essentielle. Dans le cas d’infractions de négligence comme celle qui nous intéresse, le fait de commettre l’acte interdit, en l’absence de l’état mental de diligence approprié, peut en effet suffire pour constituer la faute requise. On détermine la présence d’une mens rea objective en appréciant le comportement dangereux par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnablement prudente. Si le comportement dangereux constitue un « écart marqué » par rapport à cette norme, l’infraction sera établie. Comme nous l’avons vu, ce qui constitue un « écart marqué » par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent est une affaire de degré. Le manque de diligence doit être suffisamment grave pour mériter d’être puni. Il n’y a aucun doute qu’un comportement de quelques secondes peut constituer un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. Néanmoins, comme l’a souligné avec justesse le juge Doherty dans l’arrêt Willock, [TRADUCTION] « un comportement de si courte durée se produisant pendant la conduite d’un véhicule, conduite par ailleurs irréprochable à tous égards, suggère davantage l’extrémité civile que l’extrémité criminelle du continuum de la négligence » (par. 31). Bien que l’affaire Willock concerne l’infraction de négligence criminelle, qui se situe à un point plus élevé sur le continuum de la conduite négligente, cette observation s’applique tout autant à l’infraction de conduite dangereuse.

[49]      Si le comportement ne constitue pas un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse. L’infraction n’aura pas été établie. En revanche, si le juge des faits est convaincu, hors de tout doute raisonnable, que la conduite objectivement dangereuse constitue un écart marqué par rapport à la norme, il devra considérer la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé — si une telle preuve a été présentée — pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement.  En l’absence d’une telle preuve, le tribunal pourra déclarer l’accusé coupable.

[Le soulignement est ajouté]

[74]        Dans l'affaire J.F.[44], un acte d’accusation unique comportait deux chefs d’homicide involontaire coupable par omission. Chaque chef reprochait une infraction sous-jacentes différente : dans un cas, la négligence criminelle (art. 219 C.cr.); dans l'autre l'omission de fournir les choses nécessaires à l’existence (art. 215 C.cr.).

[75]        Comme l'explique le juge Fish, le même élément de faute doit être prouvé pour les deux infractions :

[7]        L’élément de faute nécessaire pour entraîner une déclaration de culpabilité était, pour l’essentiel, commun aux deux chefs d’accusation d’homicide involontaire coupable. Pour le premier chef, il s’agissait de l’élément de faute de l’infraction sous-jacente de négligence criminelle et, pour le deuxième chef, de l’élément de faute de l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence. Aucune de ces infractions n’exige la preuve de l’intention ou de la prévision réelle d’une conséquence prohibée. Le jury devait déterminer, à l’égard des deux chefs, non pas ce que savait l’intimé ou quelle était son intention, mais ce qu’il aurait dû prévoir.

[76]        Le juge Fish décrit ensuite la différence entre l'écart marqué (art. 215) et l'écart marqué et important (art. 219) :

[8]        Quant au chef reposant sur l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence, il incombait au ministère public d’établir que l’omission de protéger l’enfant placé en famille d’accueil constituait « un écart marqué par rapport à la conduite d’un parent raisonnablement prudent dans des circonstances où il était objectivement prévisible que l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence risquerait de mettre en danger la vie de l’enfant ou d’exposer sa santé à un péril permanent » : R. c. Naglik1993 CanLII 64 (CSC)[1993] 3 R.C.S. 122, p. 143 (je souligne).  On comprendra plus tard pourquoi j’ai souligné le mot « risquerait » dans la description de l’infraction faite par le Juge en chef, qui s’exprimait au nom de la Cour sur ce point.

[9]        Quant au chef alléguant la négligence criminelle, le ministère public devait démontrer que la même omission constituait un écart marqué et important (par opposition à un écart marqué) par rapport à la conduite d’un parent raisonnablement prudent dans des circonstances où l’accusé soit a eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie de son enfant, sans pour autant l’écarter, soit ne lui a accordé aucune attention : R. c. Tutton1989 CanLII 103 (CSC)[1989] 1 R.C.S. 1392, p. 1430-1431R. c. Sharp (1984), 1984 CanLII 3487 (ON CA)12 C.C.C. (3d) 428 (C.A. Ont.).

[77]        L'élément de faute nécessaire n'exige pas la preuve de l'intention ou de la prévision réelle d'une conséquence prohibée, mais plutôt ce que l'accusé aurait dû prévoir[45].

[78]        Les éléments essentiels de l'infraction d'homicide involontaire coupable retenus par le juge Fish dans cette affaire peuvent être résumés par le tableau suivant[46] :

Omission de fournir les choses nécessaires à l’existence (art. 215 C.cr.)

Négligence criminelle (art. 219 C.cr.)

(1) L’accusé a manqué à son obligation de fournir les choses nécessaires à l’existence.

(1) L’accusé a manqué à son obligation.

(2) La conduite de l’accusé représentait un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances en ce qu’il était objectivement prévisible que l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence risquerait de mettre en danger la vie de la victime ou d’exposer sa santé à un péril permanent.

(2) La conduite de l’accusé représentait un écart marqué et important (par opposition à un écart marqué) par rapport à la conduite d’un parent raisonnablement prudent dans des circonstances où l’accusé soit a eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie de son enfant, sans pour autant l’écarter, soit ne lui a accordé aucune attention.

(3) L’accusé prévoyait, ou aurait dû prévoir, le risque que sa conduite créait.

(3) L’accusé prévoyait, ou aurait dû prévoir, le risque que sa conduite créait.

[79]        Le cadre d'analyse adopté par le juge Fish dans l'arrêt J.F. permet l'identification des éléments essentiels applicables en l'espèce.

[80]        Lorsque l'infraction sous-jacente sur laquelle se fonde une accusation d'homicide involontaire coupable consiste en une infraction de responsabilité stricte, la poursuite doit établir les éléments suivants : 1) la commission d'une infraction de responsabilité stricte objectivement dangereuse; 2) la conduite de l'accusé constitue un écart marqué à la conduite d'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances[47]; et 3) compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable aurait prévu le risque de lésions corporelles.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les délais préinculpatoires peuvent être considérés en vertu de la Charte

R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557 Lien vers la décision [ 16 ]          Plus récemment, dans l’affaire  Hunt , il a été réitéré que les délais p...