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samedi 12 octobre 2024

L'entrave à la justice : le droit applicable

R. c. S.B., 2013 QCCQ 3525

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[63]        L’élément matériel de l’infraction consiste dans le fait pour l’accusé d’adopter une conduite (action ou omission) tendant à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice. Une intention spécifique est requise. Une simple erreur de jugement ne suffit pas. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait bel et bien l’intention d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice : R. c. Charbonneau (1992), 1992 CanLII 2979 (QC CA)13 C.R. (4th) 191 (C.A.Qué.)R. c. Beaudry 2007 CSC 5, aux paragraphes 52 et 85.

[64]        Il existe plusieurs façons de commettre ce crime. Le paragraphe 139(3) C.cr. en prévoit certaines : dissuader ou tenter de dissuader une personne de témoigner durant une instance judiciaire existante ou projetée en lui proposant un pot-de-vin, influencer ou tenter d’influencer un membre du jury dans un procès criminel par menace ou corruption, le fait pour un témoin d’accepter ou tenter d’obtenir un pot-de-vin pour ne pas rendre témoignage devant les tribunaux ou encore, le fait pour un juré corrompu d’accepter ou de solliciter un avantage quelconque pour influencer ou dicter son comportement au sein du jury.

[65]        Le début du paragraphe 139(3) du Code criminel stipule que les façons ainsi évoquées ne doivent pas restreindre la portée générale du paragraphe 139(2) C.cr., qui lui, se veut d’application large et permet d’englober plusieurs conduites criminellement blâmables.

[66]        Le fait que l’accusé n’obtienne pas ce qu’il recherche n’est pas pertinent : R. c. Hearn, 1989 CanLII 14 (CSC)[1989] 2 R.C.S. 1180 Incidemment, même si la fameuse lettre P-2 n’a pas été remise à Y, ni lue par cette dernière, cela demeure sans conséquence.

[67]        De l’arrêt R. c. Barros[8] se dégage un consensus des juges de la Cour suprême sur le sort du pourvoi concernant le chef d’entrave à la justice. Selon les enseignements de la cour, une telle infraction est définie de façon largeLa limite qu’il convient d’imposer se trouve dans l’obligation pour le ministère public de prouver l’élément mental : Barros précité, au paragraphe 46.

[68]        Donc, il n’y aurait pas dû y avoir un verdict imposé d’acquittement en première instance, puisqu’il existait au dossier, selon la Cour suprême, des éléments qui, si on leur ajoutait foi, établiraient l’intention requise, soit celle d’entraver le cours de la justice.

[69]        Dans cette affaire, Il s’agissait d’un ex-enquêteur de la police d’Edmonton embauché par l’avocat de la défense, qui, lors d’une rencontre avec l’enquêteur principal dans une enquête relative aux drogues et gangstérisme, lui fit comprendre qu’il connaissait l’identité de la source et pourrait éventuellement transmettre cette information à son client et qu’il serait par conséquent préférable de mettre un terme à l’inculpation portée.

[70]        Lorsqu’un accusé demande directement ou indirectement à une présumée victime ou un plaignant de solliciter auprès des autorités (DPCP ou policiers) le retrait des accusations criminelles portées (ou dont le dépôt est à venir) contre lui[9], en recherchant ainsi à se soustraire au processus judiciaire[10] (que ce soit dans le but d’éviter une éventuelle condamnation et l’imposition d’une peine ou encore de subir l’opprobre ou le stigmate d’une inculpation criminelle, voire même d’éviter d’engager des honoraires d’avocat pour se défendre[11]), il commet alors une entrave à la justice au sens du paragraphe 139(2) du Code criminel.

[71]        Cela vaut aussi pour toute personne qui agit pour le compte d’un tiers inculpé au criminel, comme par exemple, un avocat[12].

[72]        À moins de particularité en ce sens dans le libellé de l’inculpation, je suis d’opinion qu’aucune preuve d’intimidation, de menace ou de corruption n’est nécessaire sous le paragraphe 139(2) du Code criminel, quoiqu’une telle preuve, si elle existe, puisse faciliter la démonstration de l’intention coupable : R. c. Reynolds2011 CSC 19.

[73]        Dans Reynolds, précité, la Cour suprême a adopté l’opinion du juge dissident en Cour d’appel[13] et a rétabli le verdict de culpabilité rendu en première instance. M. Reynolds avait suggéré à un témoin de se soustraire à son assignation à comparaître en présentant un faux certificat médical. Dans cette affaire, la poursuite avait, à la demande du juge, apporté une précision au chef d’accusation tel qu’exigé, en ajoutant les mots : « by threat or other corrupt means », ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il existe en jurisprudence d’autres exemples de condamnation d’entrave à la justice sous le paragraphe 139(2) C.cr., sans que l’accusé n’ait explicitement recours à des menaces d’intimidation ou de violence, ni autre moyen de corruption[14].

[74]        Évidemment, simplement inciter ou tenter de convaincre un éventuel témoin à ne s’en tenir qu’à exposer la vérité dans son éventuel témoignage ne constitue pas une entrave à la justice : R. c. Paré2010 ONCA 563 au paragraphe 9.

jeudi 10 octobre 2024

Le fait pour un accusé d'essayer de convaincre un témoin de changer sa version afin qu'il dise la vérité avec un argumentaire raisonné n'est pas de l'entrave à la justice

R. v. Pare, 2010 ONCA 563

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[9]               This case turns on the meaning to be attached to s. 139(3)(a) of the Criminal Code, which provides that every one who, in a judicial proceeding, “dissuades or attempts to dissuade a person by threats, bribes or other corrupt means from giving evidence” shall be deemed to wilfully attempt to obstruct the course of justice.  The gist of the offence is the use of corrupt means to influence a witness.  As is said in some of the cases, merely attempting by reasoned argument to have a witness tell the truth is not an offence.  But attempting to persuade a witness to change their testimony, even to change the testimony to what the accused believes is the truth, is an offence where the means of persuasion is corrupt.  Offering money to a complainant in a criminal case to change her testimony is a classic example of corrupt means.  See R. v. Kotch (1990), 1990 ABCA 348 (CanLII), 61 C.C.C. (3d) 132 (Alta. C.A.) at 136.

[10]         In my view, the mens rea of the offence is made out where the accused intentionally offers the improper inducement for the purpose of dissuading the witness from giving evidence, even if the accused is merely trying to persuade the witness to tell what the accused believes is the truth.  The term “wilfully” requires that the accused act intentionally – for example, that the words used be intended as a threat.  More importantly, “wilfully” also requires proof that the threat or inducement was made for the prohibited purpose of dissuading the witness.  But the Crown need not prove that the accused otherwise had an improper motive.  Equally, it is no defence that the accused’s motive was to ensure that the truth was told at the judicial proceeding.  For the purposes of this case it is unnecessary to decide whether recklessness would also suffice to establish that the accused acted wilfully.  See R. v. Buzzanga and Durocher (1979), 1979 CanLII 1927 (ON CA), 49 C.C.C. (2d) 369 (Ont. C.A.), at 379-82.

Offrir une compensation à un témoin, qu'elle quelle soit, dans l'objectif de le convaincre de ne pas rendre témoignage dans une procédure judiciaire équivaut à de l'entrave à la justice

R. v. Kotch, 1990 ABCA 348

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[13]                       Any attempt to pay compensation, in any form, to a witness that has as its purpose a direct tendency to influence the witness not to give evidence in a judicial proceeding - irrespective of the motive for doing so, is a corrupt attempt to obstruct justice. So concluded Salhany, Co. Ct. J. in R. v. Targon (1981) 1981 CanLII 3326 (ON SC), 61 C.C.C. (2d) 554. I see no distinction arising from the fact that the person who is approached may not be a witness or potential witness, like Burton, in the traditional sense, if, as here, he is the complainant or the perceived voice of the complainant and is seen as the one who commands the prosecution. The object is the same in either case; the frustration of a lawful prosecution by oblique means.


Essayer de convaincre un témoin de changer sa déclaration constitue de l'entrave à la justice

R. v. Patterson, 2003 CanLII 30300 (ON CA)

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[63] The appellant argues that the core of the offence of attempting to obstruct justice is a corrupt attempt and that the trial judge erred in his instructions to the jury by failing to state that expressly.

[64] No objection to the trial judge's charge on this offence was voiced by any of the four trial counsel.

[65] A review of the trial judge's charge to the jury on this offence makes it clear that the jury would have correctly understood that the offence was made out if they found that the appellant had said or done anything in an attempt to get the complainant to withdraw or change the statement she had made to the police about Burton.

[66] The evidence before the jury amply supported a finding that the appellant made a corrupt attempt to obstruct justice when he tried to get the complainant to change the statement she had made against Burton: R. v. Kotch (1990), 1990 ABCA 348 (CanLII), 61 C.C.C. (3d) 132 (Alta. C.A.), at p. 136. Accordingly, I would dismiss this ground of appeal.

lundi 24 février 2014

Un avocat ne peut pas dissimuler une preuve matérielle démontrant la perpétration d'une infraction

R. v. Murray, 2000 CanLII 22378 (ON SC)


Although the accused had a duty of confidentiality to B, absent solicitor-client privilege there was no legal basis permitting concealment of the tapes. Nor could it be said that concealing the critical tapes was permissible because they might have some exculpatory value. They were overwhelmingly inculpatory. While he had no obligation to assist the police in their investigation or the Crown in its prosecution, the accused could not be a party to concealing this evidence. Having removed the tapes from their hiding place, he could not hide them again; nor could he implement any instructions from B that would result in their continued concealment. Once he had discovered the overwhelming significance of the critical tapes, the accused was left with three legally justifiable options: immediately turn over the tapes to the prosecution, either directly or anonymously; deposit them with the trial judge; or disclose their existence to the prosecution and prepare to do battle to retain them. The accused's concealment of the critical tapes was an act that had a tendency to pervert or obstruct the course of justice and, therefore, the actus reus of the offence is made out.

(...)

The accused testified that he believed his conduct was lawful. Section 139(2) of the Code casts a broad net, and does not specifically isolate as criminal the conduct engaged in by the accused. The only official guide given to lawyers in Ontario by the Law Society, in the L.S.U.C. Professional Conduct Handbook, was not helpful. While the accused made only a token effort to find out what his obligations were, had he done careful research he might have remained confused. The weight of legal opinion in Ontario is to the effect that lawyers may not conceal material physical evidence of crime, but how this rule applies to particular facts has been the subject of extensive discussion. The accused may well have believed that he had no legal duty to disclose the tapes until resolution discussions or trial. In the context of the whole of the evidence, his testimony raised a reasonable doubt as to his intention to obstruct justice. The accused is, therefore, found not guilty.

[149] While Murray made only a token effort to find out what his obligations were, had he done careful research he might have remained confused. The weight of legal opinion in Ontario is to the effect that lawyers may not conceal material physical evidence of crime, but how this rule applies to particular facts has been the subject of extensive discussion. Lawyers in the United States have been afflicted with the same dilemma. In the materials supplied to me by counsel, there is reference to at least 15 law journal discussions on the issue.

jeudi 11 juillet 2013

La question de savoir s'il y a eu entrave au cours de justice doit être déterminée sur la base d'une appréciation de l'ensemble des circonstances

R. c. Cecere   , 2013 QCCQ 1305 (CanLII)


[16]        L'infraction d'entrave au cours de la justice prévue à l'article 139 C. cr. est prouvée lorsqu'il est établi que l'accusé a volontairement accompli ou tenté d'accomplir un acte tendant à contrecarrer ou à entraver le cours de la justice. Il n'est pas nécessaire de prouver que l'accusé a atteint son objectif ou qu'il est parvenu à commettre l'acte en question. Comme il s'agit d'une infraction requérant une intention spécifique, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait l'intention d'adopter une conduite tendant à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice. Une simple erreur de jugement ne suffit pas.
[17]        La question de savoir s'il y a eu entrave au cours de justice doit être déterminée sur la base d'une appréciation de l'ensemble des circonstances. 

La limite qu’il convient d’imposer à l'infraction d'entrave à la justice se trouve dans l’obligation du ministère public de prouver l’élément mental

R. c. Barros, 2011 CSC 51 (CanLII), [2011] 3 RCS 368

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[46]                          L’accusation ne porte pas seulement sur le fait que l’appelant a tenté de découvrir le nom de l’indicateur de police, mais aussi sur le fait qu’il a agi[TRADUCTION] « dans le but de nuire aux procédures criminelles », c’est‑à‑dire de faire retirer les accusations portées contre M. Qureshi.  Si le bien‑fondé de cette allégation est établi, alors la cueillette de renseignements ne visait pas un objectif légitime.  Le crime prévu à l’art. 139 est considéré comme ayant été commis lorsqu’il est établi que l’accusé a tenté d’accomplir l’un ou l’autre des actes qui y sont décrits, et ce sans qu’il soit nécessaire de démontrer qu’il a atteint son objectif ou qu’il est parvenu à commettre l’acte en question : R. c. Hearn1989 CanLII 14 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1180.  L’infraction est définie de façon large.  La limite qu’il convient d’y imposer se trouve dans l’obligation du ministère public de prouver l’élément mental : R. c. Beaudry2007 CSC 5 (CanLII), 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, par. 52.  Or, il existe des preuves contre M. Barros qui, si on leur ajoutait foi, établiraient l’intention d’entraver la justice.

jeudi 4 juillet 2013

Le «cours de la justice» comprend‑il les enquêtes?

R. c. Wijesinha, 1995 CanLII 67 (CSC), [1995] 3 RCS 422

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27 Les procédures d'une cour, ou celles de la plupart des tribunaux administratifs, commencent presque invariablement par une enquête. L'enquête sert à déterminer s'il y a eu perpétration d'un crime ou d'une injustice. C'est la première étape essentielle de toute procédure judiciaire ou quasi judiciaire qui peut donner lieu à une poursuite. Dans le cours normal des choses, celui qui détourne le cours d'une enquête se trouve aussi à détourner le cours de la justice. Il ne fait aucun doute, par exemple, que la personne qui ment à la police chargée d'enquêter sur un accident d'automobile quant à l'identité du conducteur, se trouve, par ce mensonge, à détourner le cours de la justice. De même, il ne fait aucun doute que la personne qui ment à un inspecteur de la sécurité au sujet de l'état d'un chantier, et qui lui en cache ainsi les dangers, se trouve, par ce mensonge, à détourner le cours de la justice. Il s'ensuit que le fait de tromper intentionnellement au cours de cette première étape de l'enquête a autant l'effet de détourner le cours de la justice que verser un pot‑de‑vin à un témoin pour l'inciter à modifier sa déposition au procès. La seule différence tient au fait que, dans le premier exemple, le crime est perpétré dès le début des procédures alors que, dans le deuxième exemple, il est perpétré vers la fin.

28 La jurisprudence appuie la position selon laquelle l'expression «le cours de la justice» doit inclure l'étape de l'enquête. Dans l'affaire Kalick c. The King 1920 CanLII 80 (SCC), (1920), 61 R.C.S. 175, l'accusé a été déclaré coupable d'avoir frustré, par corruption, «l'administration de la justice». Il avait offert un pot‑de‑vin à un policier afin d'éviter d'être accusé d'avoir enfreint la Saskatchewan Temperance Act, S.S. 1917, ch. 23. Le juge Anglin (tel était alors son titre) a dit à la p. 183:

[traduction] Il importe peu que l'agent de police ait effectivement voulu ou prévu engager une poursuite. Il suffit que l'appelant ait donné le pot‑de‑vin avec l'intention d'éviter une telle procédure. Il y a autant entrave à l'administration de la justice lorsqu'on empêche illicitement l'engagement d'une poursuite que lorsqu'on a recours à la corruption pour en étouffer une qui est déjà commencée.

29 Dans une opinion concordante, le juge Brodeur a déclaré à la p. 186:

[traduction] Je suis d'avis que l'«administration de la justice» mentionnée à l'article 157 du Code criminel ne devrait pas se limiter à ce qui se produit après la déposition d'une dénonciation; elle comprend les mesures nécessaires pour amener devant le tribunal compétent et l'y faire punir pour son crime la personne qui a commis une infraction. Il s'agit d'un terme très large qui couvre la détection, la poursuite et le châtiment des délinquants.

30 Il est vrai que l'expression «l'administration de la justice» n'est pas la même que «le cours de la justice». J'estime toutefois que la deuxième expression a probablement un sens plus large que la première. En fait, l'arrêt Kalick a été cité comme faisant autorité dans des cas d'allégations de violation du par. 139(2). Voir par exemple l'arrêt R. c. Morin (1968), 5 C.R.N.S. 297 (C.A. Qué.), à la p. 299.

31 De même, dans l'affaire R. c. Spezzano (1977), 34 C.C.C. (2d) 87 (C.A. Ont.), l'accusé avait donné un faux nom à l'agent de police, tentant ainsi d'éviter d'être inculpé pour conduite sans permis. Dans cette affaire, le juge Martin a conclu que l'expression «le cours de la justice» au par. 139(2) comprenait les tentatives pour entraver, détourner ou contrecarrer une poursuite que l'accusé pense pouvoir être intentée. Il a fondé sa conclusion sur l'arrêt Kalick et dit ceci à la p. 91:

[traduction] L'expression «le cours de la justice» au par. 127(2) [maintenant par. 139(2)] comprend des procédures judiciaires en cours ou projetées, mais ne se limite pas à ces procédures. L'infraction prévue au par. 127(2) comprend aussi les tentatives faites par une personne pour entraver, détourner ou contrecarrer une poursuite qu'elle pense pouvoir être intentée, même si aucune décision de poursuivre n'a encore été prise.

Puis, à la p. 93:

[traduction] . . . des éléments de preuve appuient la conclusion du juge de première instance selon laquelle l'appelant a fait une fausse déclaration au constable qui procédait à une enquête à l'égard d'une infraction possible et qu'il a fait cette déclaration afin d'échapper à la poursuite qu'il appréhendait. En de pareilles circonstances, le «cours de la justice» avait déjà commencé.

32 Dans l'affaire R. c. Rogerson (1992), 174 C.L.R. 268, la Haute Cour australienne a poursuivi la logique en étendant ce raisonnement aux tribunaux disciplinaires. Dans cette affaire, le juge en chef Mason a écrit à la p. 277:

[traduction] . . . il suffit qu'un acte tende à contrecarrer ou à détourner une poursuite ou des procédures disciplinaires devant un tribunal judiciaire que l'accusé pense pouvoir être engagées, même si la possibilité d'instituer la poursuite ou les procédures disciplinaires n'a pas été examinée par la police ou par l'organisme compétent chargé de l'application des lois.

33 En l'espèce, il ressort clairement de la preuve que si, par suite de ses enquêtes, le personnel de la Société du barreau concluait que les allégations portées contre un avocat n'étaient pas fondées, on n'engageait pas de procédures disciplinaires.

34 En résumé, puisqu'une fausse déclaration à l'étape de l'enquête peut empêcher l'institution de poursuites et, partant, détourner le cours de la justice, le par. 139(2) doit comprendre des procédures d'enquête.

La portée de l'infraction d'entrave à la justice en common law

R. c. Wijesinha, 1995 CanLII 67 (CSC), [1995] 3 RCS 422

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44 De plus, dans l'arrêt Rogerson, précité, la Haute Cour d'Australie a conclu que la tentative de fausser une enquête factuelle qui pouvait donner lieu à une audience disciplinaire de la police constituait une tentative de détournement du cours de la justice. En se fondant sur l'arrêt Vreones, précité, le juge en chef Mason a conclu, à la p. 276:

[traduction] . . . le cours de la justice ne se limite pas à la justice qui est administrée par le système judiciaire traditionnel. Dans l'affaire Vreones, l'infraction de l'accusé consistait à avoir falsifié des échantillons que devaient utiliser des arbitres, qui devaient «être considérés comme un tribunal qui administre la justice publique», pour reprendre encore une fois les termes du baron Pollock. Le cours de la justice comprend pertinemment les procédures de tribunaux judiciaires, c'est‑à‑dire de tribunaux qui ont compétence pour déterminer les droits et les obligations des parties et qui ont le devoir d'agir de façon judiciaire.

Les juges Brennan et Toohey ont souscrit aux motifs du juge en chef Mason qui a écrit à la p. 283:

[traduction] Ni la police ni d'autres organismes d'enquête n'administrent la justice au sens propre du terme. Toutefois, dans le cadre de leur devoir d'application de la loi, ils ont pour fonction d'engager ou d'aider à engager des poursuites et, parfois, d'engager des procédures de nature disciplinaire devant un tribunal approprié en vertu du code disciplinaire applicable. Lorsqu'il exerce son pouvoir, le tribunal dont la compétence s'étend à l'application ou à l'évaluation de droits et obligations en vertu de la loi et dont la procédure revêt un caractère judiciaire, participe à l'administration de la justice de sorte que l'engagement des procédures faisant appel à cette compétence peut déclencher le cours de la justice approprié. L'infraction de détournement ou de tentative de détournement du cours de la justice peut être perpétrée à l'égard de procédures semblables devant un tribunal comme à l'égard de procédures devant une cour de justice.

45 Je trouve que le raisonnement exprimé dans l'arrêt Rogerson est intéressant et convaincant.

46 Il est manifeste que le par. 139(2) s'applique aux enquêtes faites en vue de déterminer s'il y a lieu pour la Société du barreau d'engager des procédures disciplinaires. Cette constatation est suffisante pour les fins de la présente espèce. Toutefois, la Cour d'appel a examiné soigneusement la question de la portée à donner à l'article, et suggéré comme règle qu'un organisme décisionnel serait visé par l'expression «le cours de la justice» s'il était: (1) "un organisme qui juge"; et si (2) "[s]on pouvoir de juger lui [était] conféré par une loi" (pp. 602 et 603). J'ajouterais à cela que l'organisme décisionnel doit, aux termes de sa loi habilitante, agir judiciairement. Il doit par exemple être tenu de procéder à des enquêtes et d'engager des procédures visant l'application de normes d'origine législative en matière de conduite, de produits ou de discipline.

47 Lorsqu'il confère de tels pouvoirs à un organisme, le législateur provincial ou fédéral prévoit que celui‑ci agira judiciairement, et cette décision doit être reconnue par les tribunaux judiciaires. En outre, dans l'exercice de pouvoirs aussi importants, l'organisme doit agir judiciairement sinon il se trouverait à dénier la justice naturelle aux parties qui se présentent devant lui, avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner.

48 Dans l'arrêt Rogerson, précité, le juge en chef Mason a observé avec justesse que le cours de la justice ne se limite pas à la justice qui est administrée par le système judiciaire traditionnel. Ses propos reconnaissent les réalités de la société contemporaine. La règle proposée par la Cour d'appel, accompagnée des ajouts proposés, accepte cette réalité et fournit un fondement raisonnable à l'examen de cas d'infractions à des règlements ou à des codes de conduite ou de discipline qui sont habituellement confiées à des tribunaux administratifs ou à des tribunaux disciplinaires habilités en vertu d'une loi.

49 Il se peut que les cours de justice aient une certaine réticence à reconnaître qu'un grave détournement de la justice peut se produire tout aussi bien dans les travaux de tribunaux administratifs ou d'organismes disciplinaires que dans des procédures judiciaires. Et pourtant c'est bien là, selon moi, la situation qui existe dans notre société contemporaine. On ne peut oublier qu'aujourd'hui, une large part de la conduite des affaires des gens n'est plus contrôlée par les cours, mais par des tribunaux créés par une loi. Les cours de justice ne peuvent tout simplement pas s'occuper de la multitude des problèmes qui exigent des mesures de réglementation, d'enquête et d'application pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens. Par la force des choses, ce rôle est dévolu à des tribunaux administratifs ou à des comités de discipline établis par une loi.

50 Pour assurer la sécurité et la santé de ses membres, la société doit se préoccuper d'un grand nombre d'aspects de la vie quotidienne. Qu'il s'agisse de la sécurité en milieu de travail ou dans les immeubles publics, de la qualité de la nourriture ou de l'eau, ou encore de la propreté dans les restaurants et les hôtels, les manquements aux normes légales peuvent entraîner des effets désastreux pour la société. Voilà pourquoi les divers organismes établis par la loi doivent enquêter, inspecter et engager les procédures appropriées en cas de manquement à ces normes minimales ou de violation des règlements. J'estime que le cours de la justice peut être détourné si, par exemple, on induit intentionnellement en erreur des enquêteurs chargés d'assurer la qualité de l'eau, au même titre que si l'on versait un pot‑de‑vin à un policier pour qu'il modifie son témoignage devant la cour.

51 Il peut y avoir détournement de la justice dans une multitude de situations engageant un tribunal ou un organisme habilité par une loi à déterminer des droits et des obligations. Il suffit d'examiner quelques lois de l'Ontario choisies au hasard pour s'en rendre compte. Par exemple, la Loi sur l'inspection des viandes (Ontario), L.R.O. 1990, ch. M.5, prévoit que nul ne doit abattre un animal, vendre, transporter ou livrer de la viande, ou se livrer à la production, à la transformation ou à la manutention de produits carnés sans se conformer aux règlements. Il faut obtenir un permis auprès du directeur, lequel lorsqu'il examine l'opportunité de délivrer, de renouveler, de suspendre ou de révoquer un permis, tient une audience. La Loi prévoit aussi que le ministre peut nommer un inspecteur habilité à pénétrer dans tout immeuble autre qu'un logement pour y inspecter les animaux et la viande qui s'y trouvent. La Loi prévoit en outre que nul ne doit gêner ou entraver l'action du directeur ou d'un inspecteur dans l'exercice de leurs fonctions. Enfin, quiconque enfreint une disposition de la Loi est coupable d'une infraction et passible, sur déclaration de culpabilité, d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement.

52 Il importe que l'abattage d'animaux et la vente de viandes s'effectuent en toute salubrité. C'est la santé de la société qui en dépend. Il s'ensuit que quiconque chercherait à détourner le cours de la justice en donnant de faux renseignements à un inspecteur ou au directeur serait visé par le par. 139(2). Des dispositions semblables figurent dans la Loi sur les commerçants de véhicules automobiles, L.R.O. 1990, ch. M.42. Encore une fois, pour que la société soit protégée contre la vente d'automobiles dangereuses par des commerçants malhonnêtes, il faut que le par. 139(2) soit applicable à cette loi

mardi 2 juillet 2013

Revue de la jurisprudence sur la notion d'entrave à la justice (Actus reus / Mens rea / Moyens de corruption)

R c Gillis, 2013 NBCP 3 (CanLII)

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[90] Dans R. c. Wijesinha, 1995 CanLII 67 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 422, 100 C.C.C. (3d) 410, la Cour suprême du Canada a examiné l’article 139 et observé que l’article, dans son ensemble, « décrit les actes qui constituent une entrave ou un détournement de la justice » (p. 438 du R.C.S.). La Cour a ajouté que le paragraphe (2) est libellé de façon très large et vise toute conduite décrite par le paragraphe qui n’est pas une conduite interdite décrite au paragraphe (1) (voir pages 438 et 439 du R.C.S.). La Cour a également fait remarquer que l’article en question « décrit […] une infraction dont la portée est beaucoup plus large et qui englobe beaucoup plus d’actes que ceux qui sont décrits au par. (1) et (3) ». Voir à la page 439 du R.C.S.

[91] Il s’agit d’une infraction substantielle, même si elle est décrite comme une tentative, [TRADUCTION] « dont l’élément essentiel est la commission d’un acte qui tend à entraver ou à détourner le cours de la justice et qui est accompli dans ce but ». Voir R. c. May reflex, (1984), 13 C.C.C. (3d) 257 à la page 260; autorisation de pourvoi refusée à [1984] C.S.C.R. no 113.

[92] Dans l’arrêt R. c. Yarlasky, 2005 CarswellOnt 599, 195 O.A.C. 188 (C.A. Ont.), la Cour a énoncé les éléments essentiels d’une déclaration de culpabilité pour l’infraction en question : (1) l’accusé doit avoir posé un geste suffisant pour créer un risque, sans autre action de sa part, qu’une injustice s’ensuive; (2) la tentative d’entrave à la justice doit avoir été commise volontairement par l’accusé.

[93] Est-ce que les paroles que Gillis a adressées à Landry, conjuguées à la pièce C‑1, « tendaient » (ainsi que ce terme est utilisé dans certaines sources jurisprudentielles pertinentes) à détourner ou à entraver le cours de la justice et est-ce qu’elles ont été prononcées dans ce but? À ce sujet, je n’ai aucun doute. Gillis voulait que Landry, essentiellement, empêche de témoigner les employés qui travaillaient au sein de l’Office et il croyait que cela viendrait saboter la preuve que possédait le ministère public contre Branch. Il s’agissait d’une tentative volontaire de la part de Gillis d’influencer de façon illicite le résultat d’un procès.

La mens rea

[94] Il y a un certain nombre de décisions qui ont décrit l’élément mental qui est visé au paragraphe 139(2) comme étant [TRADUCTION] « une intention spécifique d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice ». Voir R. c. Graham reflex, (1985), 20 C.C.C. (3d) 210 (C.A. Ont.); confirmé à 1988 CanLII 94 (SCC), (1988), 38 C.C.C. (3d) 574 (C.S.C.).

[95] Dans l’article précité, rédigé par la juge Hughes, elle mentionne, à la page 6, la décision R. c. Kirkham reflex, (1998), 126 C.C.C. (3d) 397 (C.B.R. Sask.), où le juge décrit, aux pages 408 à 410, l’élément mental prévu dans l’article en question comme incluant deux intentions : l’acte doit être intentionnel par opposition à accidentel ou involontaire et il doit être accompli dans l’intention spécifique d’entraver le cours de la justice. Aux pages 410 et 411 de la décision Kirkham, le juge ajoute :

[TRADUCTION]

Les sources jurisprudentielles révèlent également que la composante mentale de l’infraction est interprétée de façon étroite. L’élément essentiel de l’infraction prévue au paragraphe 139(2) est l’intention spécifique corrompue de tenter d’entraver la justice […] par conséquent, à moins que l’accusé ait eu l’intention spécifique d’entraver la justice, il ne sera pas coupable d’avoir commis l’infraction criminelle prévue au paragraphe 139(2) […]

[97] S’agissant de l’entrave à la justice, une décision importante a été rendue par la Cour d’appel de Terre-Neuve, décision qui a été confirmée par la Cour suprême du Canada. Dans l’affaire R. c. Hearn and Fahey 1989 CanLII 3938 (NL CA), (1989), 48 C.C.C. (3d) 376 (C.A.T.-N.), confirmé à 1989 CanLII 14 (SCC), (1989), 53 C.C.C. (3d) 352 (C.S.C.), le juge en chef Goodridge (tel était alors son titre), a décrit l’élément essentiel de l’infraction prévue à l’article 139 comme suit, à la page 38 :

[TRADUCTION]

[…] la tentative volontaire d’entraver la justice. Peu importe que la tentative connaisse du succès ou non, ni même qu’elle n’ait aucune chance de connaître du succès. Lorsqu’il y a tentative volontaire, si mal inspirée soit-elle, d’influencer de manière illicite le résultat d’un procès, l’infraction est perpétrée.

Un accusé peut être déclaré coupable même si la tentative était d’emblée vouée à l’échec. Voir R. c. May, précité.

[98] Selon la jurisprudence, il est donc évident que le mot « volontairement » est le signe de la mens rea de l’infraction et le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention d’entraver le cours de la justice.

[99] Est-ce que la conduite de Gillis était intentionnelle, plutôt qu’accidentelle ou involontaire? Ce fait est clair aussi d’après la preuve : la conduite était évidemment intentionnelle et constituait une tentative d’influencer de manière illicite le résultat d’un procès.

L’actus reus

[100] S’agissant de l’actus reus de l’infraction, cet élément a été décrit dans R. c. May, précité, à la page 260 :

[TRADUCTION]

[…] la commission d’un acte qui tend à entraver ou à détourner le cours de la justice et qui est accompli dans ce but.

[101] Dans R. c. Graham, précité, à la page 213, la Cour a énoncé un critère à appliquer afin de déterminer si oui ou non un acte tend à détourner ou à entraver le cours de la justice. Le critère est le suivant :

[TRADUCTION]

[…] la preuve doit établir que [l’accusé] a posé un geste suffisant pour créer un risque, sans autre action de sa part, qu’une injustice s’ensuive. Autrement dit, il doit y avoir une possibilité que le geste qu’il a posé « sans plus » puisse mener à une injustice.

[102] En l’espèce, une fois que Gillis eut proposé à Landry d’empêcher les témoins de l’Office de témoigner, et qu’il eut proposé que l’Office verse à Branch la somme de 200 000 $ en règlement de toutes les poursuites civiles en instance, le geste posé par l’accusé était suffisant pour qu’il y ait un risque, sans autre action de sa part, qu’une injustice s’ensuive. Les bases avaient été jetées et tout ce qu’il restait à faire à Landry était d’empêcher ses témoins de témoigner et d’accepter l’offre de règlement amiable.

AUTRES MOYENS DE CORRUPTION

[103] La dénonciation reproche à Gillis d’avoir tenté d’entraver la justice en dissuadant une personne par « des menaces, des pots-de-vin ou d’autres moyens de corruption » de témoigner. Quel est le sens de la locution « autres moyens de corruption »?

[104] Dans la décision R. c. McIntyre, [2006] A.J. No. 855, 403 A.R. 1, le juge Allen, de la Cour provinciale, a examiné la jurisprudence pertinente en ce qui concerne cette locution, à partir du paragraphe 58 de son jugement :

[TRADUCTION]

Il faudrait donner au mot corruption son sens grammatical ordinaire selon qu’il est prévu par le contexte de l’article et la loi même. L’application de la règle dite ejusdem generis, ou règle des choses du même ordre, peut nous aider à isoler le sens de ce terme. C'est-à-dire que les mots spécifiques qui précèdent le terme général auquel il faut donner un sens, en l’occurrence « pots-de-vin, menaces », viennent circonscrire le sens qu’il faut donner à ce terme. La règle est seulement utile lorsque les mots spécifiques sont du même ordre. Il est difficile d’énoncer avec certitude la nature exacte des mots du même ordre, sauf peut-être pour dire que ces mots décrivent des moyens d’influence illicite utilisés pour persuader une autre personne à ne pas fournir un témoignage […] Un acte qui s’apparente à l’attribution d’un pot-de-vin ou à une menace serait suffisant, par exemple, le fait de porter des coups ou de faire des menaces implicites […], toujours en se rappelant que le ministère public a le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que la personne a été dissuadée en raison des menaces, des pots-de-vin, ou des « autres moyens de corruption ». Si le ministère public ne réussit pas à établir hors de tout doute raisonnable que les moyens utilisés étaient des moyens de corruption, comme il est expliqué ici, l’accusé doit être acquité.

[105] Dans R. c. Reynolds, [2010] O.J. No. 3908, 332 D.L.R. (4th) 217, 260 C.C.C. (3d) 35, le juge d’appel Blair a défini le terme « corrompre » [TRADUCTION de to corrupt] comme suit, au paragraphe 69 :

[TRADUCTION]

Corrompre : inciter à agir malhonnêtement. [Corrupt, en anglais.] The Shorter Oxford Dictionary on Historical Principles, troisième édition, Clarendon Press, Oxford.

[108] J’ajouterais tout simplement que ce qui s’est produit en l’espèce, ou ce qui devait se produire entre Gillis et le ministère public si la poursuite civile avait été réglée, ne relevait pas du tout de la négociation d’un plaidoyer. Bien entendu, la négociation d’un plaidoyer est très acceptable de nos jours. Comme le juge d’appel McLung l’a affirmé dans R. c. Kotch, [1990] A.J. No. 1029, [TRADUCTION] : « La négociation d’un plaidoyer dans le but de faire réduire ou de faire retirer des accusations criminelles est très courante de nos jours. Cette négociation a lieu en raison d’une insuffisance de preuve ou en échange d’une recommandation faite par le ministère public au juge qui prononce la sentence quant à la durée convenue d’une peine. En effet, ces négociations sont une réalité essentielle d’un système de justice pénale qui fonctionne avec des ressources limitées ».

[109] En l’espèce, la première étape n’engageait pas du tout la participation du ministère public. Plutôt, elle consistait en une tentative de couper l’herbe sous les pieds du ministère public en tentant d’empêcher certains témoins à charge de témoigner, ce qui mettait en péril la preuve du ministère public, de sorte qu’il n’ait pas le choix de mettre fin aux poursuites engagées contre Branch, ou encore, qu’il accepte de négocier un plaidoyer qui serait plus favorable à Branch. Du point de vue du ministère public, « l’entente » proposée aurait été complètement à son détriment. Du point de vue de Gillis, elle aurait été complètement à son avantage. Pareille manœuvre ne saurait constituer la négociation d’un plaidoyer.

mercredi 26 juin 2013

Le droit applicable à l'infraction d’entrave à la justice

R. c. S.B., 2013 QCCQ 3525 (CanLII)

Lien vers la décision

[63] L’élément matériel de l’infraction consiste dans le fait pour l’accusé d’adopter une conduite (action ou omission) tendant à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice. Une intention spécifique est requise. Une simple erreur de jugement ne suffit pas. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait bel et bien l’intention d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice : R. c. Charbonneau 1992 CanLII 2979 (QC CA), (1992), 13 C.R. (4th) 191 (C.A.Qué.); R. c. Beaudry 2007 CSC 5 (CanLII), 2007 CSC 5, aux paragraphes 52 et 85.

[65] Le début du paragraphe 139(3) du Code criminel stipule que les façons ainsi évoquées ne doivent pas restreindre la portée générale du paragraphe 139(2) C.cr., qui lui, se veut d’application large et permet d’englober plusieurs conduites criminellement blâmables.

[66] Le fait que l’accusé n’obtienne pas ce qu’il recherche n’est pas pertinent : R. c. Hearn, 1989 CanLII 14 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1180. Incidemment, même si la fameuse lettre P-2 n’a pas été remise à Y, ni lue par cette dernière, cela demeure sans conséquence.

[67] De l’arrêt R. c. Barros se dégage un consensus des juges de la Cour suprême sur le sort du pourvoi concernant le chef d’entrave à la justice. Selon les enseignements de la cour, une telle infraction est définie de façon large. La limite qu’il convient d’imposer se trouve dans l’obligation pour le ministère public de prouver l’élément mental : Barros précité, au paragraphe 46.

[70] Lorsqu’un accusé demande directement ou indirectement à une présumée victime ou un plaignant de solliciter auprès des autorités (DPCP ou policiers) le retrait des accusations criminelles portées (ou dont le dépôt est à venir) contre lui, en recherchant ainsi à se soustraire au processus judiciaire (que ce soit dans le but d’éviter une éventuelle condamnation et l’imposition d’une peine ou encore de subir l’opprobre ou le stigmate d’une inculpation criminelle, voire même d’éviter d’engager des honoraires d’avocat pour se défendre), il commet alors une entrave à la justice au sens du paragraphe 139(2) du Code criminel.

[71] Cela vaut aussi pour toute personne qui agit pour le compte d’un tiers inculpé au criminel, comme par exemple, un avocat.

[72] À moins de particularité en ce sens dans le libellé de l’inculpation, je suis d’opinion qu’aucune preuve d’intimidation, de menace ou de corruption n’est nécessaire sous le paragraphe 139(2) du Code criminel, quoiqu’une telle preuve, si elle existe, puisse faciliter la démonstration de l’intention coupable : R. c. Reynolds, 2011 CSC 19 (CanLII), 2011 CSC 19.

[73] Dans Reynolds, précité, la Cour suprême a adopté l’opinion du juge dissident en Cour d’appel et a rétabli le verdict de culpabilité rendu en première instance. M. Reynolds avait suggéré à un témoin de se soustraire à son assignation à comparaître en présentant un faux certificat médical. Dans cette affaire, la poursuite avait, à la demande du juge, apporté une précision au chef d’accusation tel qu’exigé, en ajoutant les mots : « by threat or other corrupt means », ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il existe en jurisprudence d’autres exemples de condamnation d’entrave à la justice sous le paragraphe 139(2) C.cr., sans que l’accusé n’ait explicitement recours à des menaces d’intimidation ou de violence, ni autre moyen de corruption.

[74] Évidemment, simplement inciter ou tenter de convaincre un éventuel témoin à ne s’en tenir qu’à exposer la vérité dans son éventuel témoignage ne constitue pas une entrave à la justice : R. c. Paré, 2010 ONCA 563 (CanLII), 2010 ONCA 563 au paragraphe 9.

Comment traiter une menace et l'expression « le cours de la justice » relative à une accusation d'entrave à la justice

Couture c. R., 2012 QCCA 243 (CanLII)

Lien vers la décision

[46]           Une menace à l'égard d'une victime peut empêcher l'institution de poursuites et détourner le cours de la justice.  L'expression « le cours de la justice » inclut l'étape de l'enquête donnant lieu à une poursuite judiciaire ou quasi judiciaire

jeudi 18 novembre 2010

Les éléments constitutifs de l'infraction d'entrave à la justice

R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190

52 Deuxièmement, l’infraction d’entrave au cours de la justice, dont les paramètres sont bien établis par la jurisprudence, a-t-elle été commise? Pour résumer, l’élément matériel de l’infraction ne sera établi que si l’acte tendait à contrecarrer ou à entraver le cours de la justice (R. c. May reflex, (1984), 13 C.C.C. (3d) 257 (C.A. Ont.), le juge Martin; voir aussi R. c. Hearn reflex, (1989), 48 C.C.C. (3d) 376 (C.A.T.-N.), le juge en chef Goodridge, conf. par 1989 CanLII 14 (C.S.C.), [1989] 2 R.C.S. 1180). En ce qui concerne la mens rea, nul ne conteste qu’il s’agit d’une infraction requérant une intention spécifique (R. c. Charbonneau 1992 CanLII 2979 (QC C.A.), (1992), 13 C.R. (4th) 191 (C.A. Qué.)). La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait bel et bien l’intention d’adopter une conduite tendant à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice. Une simple erreur de jugement ne suffit pas. L’accusé qui a agi de bonne foi, mais dont la conduite ne peut être assimilée à un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire, n’a pas commis l’infraction criminelle d’entrave à la justice.

jeudi 23 septembre 2010

L’expression « cours de la justice » contenue à l’article 139 (2) du Code criminel comprend les enquêtes

R. c. Paradis, 2007 QCCQ 5368 (CanLII)

[129] La Cour suprême du Canada dans l’affaire de R. vs Wijesinha 1995 3 RCS 422 a eu à se prononcer si l’expression « cours de la justice » contenue à l’article 139 (2) du Code criminel comprenait les enquêtes. Le tribunal ne citera que les paragraphes 27 et 34 de cette décision qui sont éloquents et qui se lisent comme suit :

« Le “cours de la justice” comprend‑il les enquêtes?

27 Les procédures d'une cour, ou celles de la plupart des tribunaux administratifs, commencent presque invariablement par une enquête. L'enquête sert à déterminer s'il y a eu perpétration d'un crime ou d'une injustice. C'est la première étape essentielle de toute procédure judiciaire ou quasi judiciaire qui peut donner lieu à une poursuite. Dans le cours normal des choses, celui qui détourne le cours d'une enquête se trouve aussi à détourner le cours de la justice. Il ne fait aucun doute, par exemple, que la personne qui ment à la police chargée d'enquêter sur un accident d'automobile quant à l'identité du conducteur, se trouve, par ce mensonge, à détourner le cours de la justice (…)

34 En résumé, puisqu'une fausse déclaration à l'étape de l'enquête peut empêcher l'institution de poursuites et, partant, détourner le cours de la justice, le par. 139 (2) doit comprendre des procédures d'enquête. »

[130] Quant au type d’infraction, les procureurs soumettent à bon droit qu’il s’agit d’une infraction d’intention spécifique. La Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Beaudry, jugement rendu le 31 janvier 2007 le réitère comme suit :

« 52 Deuxièmement, l’infraction d’entrave au cours de la justice, dont les paramètres sont bien établis par la jurisprudence, a-t-elle été commise? Pour résumer, l’élément matériel de l’infraction ne sera établi que si l’acte tendait à contrecarrer ou à entraver le cours de la justice (R. c. May reflex, (1984), 13 C.C.C. (3d) 257 (C.A. Ont.), le juge Martin, voir aussi R. c. Hearn reflex, (1989), 48 C.C.C (3d) 376 (C.A.T.-N.), le juge en chef Goodridge, conf. par 1989 CanLII 14 (C.S.C.), [1989] 2 R.C.S. 1180). En ce qui concerne la mens rea, nul ne conteste qu’il s’agit d’une infraction requérant une intention spécifique (R. c. Charbonneau 1992 CanLII 2979 (QC C.A.), (1992), 13 C.R. (4th) 191 (C.A. Qué.)). La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait bel et bien l’intention d’adopter une conduite tendant à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice. Une simple erreur de jugement ne suffit pas (…) »

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le juge a une discrétion afin de permettre l'usage de questions suggestives lors de l'interrogatoire en chef

R. v. Muise, 2013 NSCA 81 Lien vers la décision [ 23 ]                                               The law on the use of leading questions...