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dimanche 9 novembre 2025

La légitime défense peut être un moyen de défense recevable face à une accusation de vol qualifié

R. c. Ladouceur, 2024 QCCQ 7185


[2]           Dans la nuit du 14 novembre 2021, l’accusé décide de prendre un taxi pour se rendre au centre‑ville de Montréal. Il n’est pas satisfait du trajet emprunté et du service offert. Une dispute éclate entre lui et le chauffeur.

[3]           Le chauffeur, plaignant dans la présente cause, allègue que l’accusé a fissuré le pare‑brise du taxi et l’a agressé physiquement avant de s’enfuir avec son véhicule.

[4]           Pour sa part, l’accusé admet avoir eu une altercation verbale avec le chauffeur et être parti avec le taxi sans permission. Il soutient que ce geste était justifié pour se sauver du chauffeur qui voulait s’en prendre à lui. Il nie avoir agressé le chauffeur ou avoir frappé le pare‑brise du véhicule.

[38]        Le poursuivant n’a pas précisé sur quel paragraphe de l’article 343 il fonde l’accusation de vol qualifié. Ainsi, pour établir l’infraction, le poursuivant peut satisfaire son fardeau en prouvant les éléments essentiels requis soit par le paragraphe 343a) ou b) C.cr.[19], les paragraphes c) et d) n’étant pas pertinents dans les circonstances de cette affaire[20]. Pour prouver l’infraction de vol qualifié prévue à l’article 343a) C.cr., le poursuivant doit établir :

1)   que l’accusé a commis un vol tel que défini à l’article 322 C.cr.;

2)   par l’emploi de la violence ou de menaces de violence;

3)   pour extorquer la chose volée ou empêcher ou maîtriser toute résistance au vol.[21]

[39]        Pour sa part, 343b) s’applique lorsque la violence est employée contre la victime d’un vol immédiatement avant, durant ou après le vol[22]. Il n’est pas exigé que les actes aient été commis avec l’intention de faciliter la perpétration du vol[23]. Cependant, la « violence » mentionnée à l’article 343b) doit être plus qu’une voie de fait mineure[24].

[40]        Que ce soit en vertu de l’article 343a) ou b) C.cr., le vol qualifié comporte une double exigence de mens rea. Par conséquent, le poursuivant doit prouver non seulement que l’accusé avait l’intention générale d’employer la violence ou la force, mais également qu’il avait la mens rea requise pour un vol, qui comprend une intention frauduleuse, l’absence de droit ou d’apparence de droit sur le bien et l’intention de priver le propriétaire de son bien temporairement ou de manière permanente[25].

[41]        Bien que l’accusé admet avoir pris le taxi sans permission, il soutient qu’il n’avait pas l’intention requise pour un vol, car il ne voulait pas garder le véhicule, mais simplement l’utiliser pour se sauver. Il souligne d’ailleurs que le véhicule a été retrouvé à proximité de la scène de l'incident.

[42]        Le Tribunal est plutôt d’avis que la version de l’accusé, même si elle était acceptée, ne saurait susciter un doute raisonnable quant à l’intention requise pour le vol.

[43]        En effet, il ne s’agit pas d’un cas où l’accusé prétend avoir une apparence de droit sur le bien. Par ailleurs, l’accusé admet que lorsqu’il a immobilisé le taxi, il a jeté les clés au fond de la voiture « pour pas que la voiture reste en marche puis que si je sors de l’auto l’homme puisse venir me rattraper ». Ainsi, selon son témoignage, l’accusé avait l’intention non seulement de s’éloigner en utilisant le taxi qui ne lui appartenait pas, mais également de priver le plaignant temporairement du véhicule pour qu’il ne puisse pas s’en servir. Dans ces circonstances, et même s’il fallait conclure que le mobile ou le but ultime était louable, il s’agit d’un vol[26].

[44]        N’empêche que le Tribunal doit acquitter l’accusé de l’infraction de vol qualifié s’il retient sa version des faits ou si un doute raisonnable subsiste puisque l’accusé nie avoir employé des menaces ou de la violence avant, durant ou après le vol, un élément essentiel pour établir un vol qualifié[27].

[45]        Par ailleurs, l’argument qu’il invoque pour justifier le vol s’apparente à la défense légitime en vertu de l’article 34 C.cr. Depuis les amendements à cette disposition en 2013, il est possible d’invoquer la légitime défense pour justifier non seulement l’usage de force, mais également pour justifier « tout acte », incluant un vol de véhicule, pour autant que les exigences de l’article 34(1) C.cr. sont remplies[28].

[46]        En l’espèce, tenant pour véridique la version de l’accusé, cette preuve satisfait le critère de la vraisemblance[29]. Il revient donc au poursuivant d’établir hors de tout doute raisonnable non seulement que les éléments essentiels des infractions sont établis, mais également que la légitime défense invoquée ne s’applique pas[30]. S’il ne parvient pas à satisfaire ce fardeau, l’accusé doit être acquitté.

lundi 13 octobre 2025

On ne peut s’attendre à ce qu’une personne qui se défend contre une attaque, raisonnablement appréhendée, évalue avec précision la mesure exacte de l’action défensive nécessaire

Toussaint c. R., 2025 QCCA 1155

Lien vers la décision


[14]      Le fardeau repose sur le poursuivant de prouver hors de tout doute raisonnable que la défense ne s’applique pas. Ainsi, un doute raisonnable sur chacune des trois exigences de base mènera à un acquittement.

[15]      Ces exigences sont les suivantes :

1)   le catalyseur (34(1)a) C.cr.) – la personne accusée doit croire, pour des motifs raisonnables, qu’on emploie la force ou qu’on menace de l’employer contre elle ou quelqu’un d’autre;

2)   le mobile (34(1)b) C.cr.) – le but subjectif de la réaction à l’emploi de la force (ou à la menace d’emploi de la force) doit être de se protéger soi-même ou de protéger autrui;

3)   la réaction (34c) C.cr.) – la personne accusée doit agir de façon raisonnable dans les circonstances.[5]

[16]      En l’espèce, le poursuivant concède le catalyseur, soit que l’appelant croyait raisonnablement que la force était employée contre Roussin-Bizier, et le mobile, soit que le coup porté à la victime avait pour but de défendre ou de protéger Roussin-Bizier. La juge note correctement que seule la troisième exigence, soit la raisonnabilité de la réaction de l’appelant, est en litige[6].

[36]      La juge conclut que « [les facteurs] favorables à l’accusé, principalement celui en lien avec son rôle de pacificateur et le peu de temps dont il disposait pour réagir, ne font pas le poids devant la force excessive et disproportionnée qu’il a utilisée »[18]. La nature de la menace ne justifiait aucunement d’utiliser, avec force, une canne comme arme pour frapper la tête de la victime, d’autant plus que l’appelant connaissait les conséquences possibles d’une commotion cérébrale : il s’agit d’un comportement « hautement dangereux et complètement disproportionné en réaction à la menace d’un coup au visage »[19].

[37]      En résumé, malgré la violence du premier coup porté par la victime et la menace sérieuse et imminente que la violence se poursuive, deux éléments retenus dans le jugement font échec au troisième critère du moyen de défense[20] : premièrement, l’existence d’autres moyens pour parer l’emploi éventuel de la force (par. 34(2)b) C.cr.), et deuxièmement, la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force (par. 34(2)g) C.cr.). La défense de légitime défense est repoussée, selon la juge, précisément parce que l’appelant a choisi i) de frapper la victime à la tête plutôt que de la frapper ailleurs ou d’user d’un autre moyen pour protéger son cousin, comme une diversion, et ii) d’utiliser une arme, ce qui rend la force utilisée par l’appelant excessive et disproportionnée.

[38]      Une revue des motifs de la juge quant à ces deux éléments met en évidence des erreurs qui résultent de l’application d’une norme juridique aux faits. Il s’agit donc d’une question de droit susceptible de contrôle par la Cour au regard de la norme de la décision correcte[21].

[39]      Premièrement, la conclusion de la juge selon laquelle l’appelant a fait le « choix de frapper [la victime] à la tête »[22] est une inférence dégagée de la preuve vidéo, que la juge a visionné au ralenti et qu’elle décortique seconde par seconde dans le jugement[23]. Or, l’analyse doit porter sur les circonstances telles qu’elles se présentaient à l’appelant. De plus, bien que la vidéo démontre clairement que la victime a été atteinte à la tête par le coup porté par l’appelant, la juge omet de considérer le « choix » de ce dernier, en l’occurrence comment et où frapper, dans le contexte précis d’un geste défensif et immédiat, destiné à faire cesser l’agression contre son cousin.

[40]      Rappelons que deux secondes s’écoulent entre le moment où la victime frappe violemment le cousin de l’appelant et le coup de canne qu’elle reçoit à la tête[24]. L’appelant disposait donc d’une fraction de seconde pour réagir à la « menace sérieuse »[25] qui pesait sur son cousin. Néanmoins, la juge conclut qu’un autre choix s’offrait à lui pour repousser l’attaque. Elle écrit :

[304]   Toutefois, le peu de temps qu’il avait pour réfléchir ne justifie pas que T ait choisi de frapper F... B. à la tête. Son choix de le frapper à la tête plutôt que sur une autre partie de son corps n’a rien à voir avec le temps dont il disposait pour choisir la façon de faire cesser l’attaque. Il n’avait qu’à créer une diversion pour détourner l’attention de F... B..., ce qui aurait permis à R-B de se sauver ou de se défendre. D’ailleurs, au moment où T donne le coup de canne, R-B est déjà en train de se sauver.

[Soulignements ajoutés]

[41]      Ce raisonnement fait abstraction d’un principe cardinal du cadre analytique en matière de légitime défense qui ne permet pas d’imposer rétroactivement à l’accusé le devoir de mener une réflexion approfondie avant d’agir.

[42]      Ce principe, énoncé il y a plus de 50 ans dans l’arrêt Baxter[26], demeure fondamental dans l’évaluation de la raisonnabilité d’un geste posé en légitime défense. La Cour suprême le souligne de nouveau dans Khill[27] :

[205]   Premièrement, la réalité pratique est que [traduction] « les personnes en situation de danger, ou même de danger perçu, n’ont pas le temps de réfléchir de façon approfondie, et que des erreurs d’interprétation et de jugement seront commises » (Paciocco, p. 36). Vu cette réalité, l’analyse relative à la légitime défense a toujours reconnu qu’on [traduction] « ne peut s’attendre à ce qu’une personne qui se défend contre une attaque, raisonnablement appréhendée, évalue avec précision la mesure exacte de l’action défensive nécessaire » (R. c. Baxter (1975), 1975 CanLII 1510 (ON CA)27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.), p. 111; R. c. Hebert, 1996 CanLII 202 (CSC)[1996] 2 R.C.S. 272, par. 18). […]

[43]      Le juge qui examine la proportionnalité de la réponse défensive d’un accusé ne doit pas remettre en question une réaction qui ne pouvait être mesurée avec précision dans le feu de l’action. Dans Deslauriers c. R., le juge Chamberland note ceci[28] :

[27]      Dans son évaluation du caractère raisonnable, ou non, des gestes posés par la personne qui se défend en réaction à la force qu’on emploie, ou menace d’employer, contre elle, le juge doit se rappeler que les personnes confrontées à des situations stressantes et dangereuses n’ont pas le luxe d’une réflexion approfondie et elles commettront inévitablement des erreurs de jugement et de fait, par exemple dans l’évaluation de la force requise pour contrer la menace. Leurs actes ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection.

[Renvois omis]

[44]      Dans Robitaille Drouin c. R., le juge Ruel, s’exprimant pour la Cour, explique fort bien le principe[29] :

[35]      Le droit de repousser une attaque comprend celui de répliquer physiquement. En ce qui concerne l’ampleur de la réplique, la personne qui agit en légitime défense ne peut être tenue de mesurer, et peut de toute manière ne pas être capable de calibrer avec précision dans le feu de l’action le degré de force requis pour repousser une agression imminente. Il faut éviter d’évaluer la proportionnalité de la réponse en rétrospective et de manière non contextualisée, en se fondant uniquement ou exagérément sur la gravité des blessures qui ont été occasionnées au plaignant.

[Renvois omis]

[45]      En reprochant à l’appelant de ne pas avoir choisi de frapper ailleurs afin de minimiser les dommages (puisqu’il « connaissait les conséquences possibles d’une commotion cérébrale »[30]) et de ne pas avoir plutôt créé une diversion, la juge procède à une évaluation en rétrospective, possiblement exacerbée par le visionnement de la vidéo au ralenti[31]. Cette revue de la preuve néglige de prendre en compte la réalité d’une réaction instinctive et immédiate au danger, bien qu’elle reconnaisse que l’appelant n’avait « pas eu beaucoup de temps pour réfléchir à d’autres moyens pour faire cesser l’attaque »[32]. La juge commet ainsi une erreur en exigeant une réaction mesurée et réfléchie dans les fractions de seconde suivant l’agression par la victime envers son cousin.

[46]      Quant au « choix » de l’appelant « d’utiliser une arme », la juge omet de le considérer dans le contexte qu’elle avait pourtant résumé, soit que l’appelant avait déjà sa canne en main lorsqu’il a réagi à l’attaque contre son cousin[33].

[47]      À ne point en douter, les conséquences de ce coup sont dévastatrices. Toutefois, la raisonnabilité de la réaction de l’appelant ne peut s’analyser en fonction de la gravité des blessures occasionnées à la victime. Au contraire, un juge doit bien se garder de ne pas être influencé par les conséquences tragiques – malheureusement souvent présentes dans des dossiers mettant en cause une légitime défense.

Conclusion

[48]      Malgré une revue soignée des principes de droit applicables, la juge a commis une erreur de droit dans l’application du cadre d’analyse du caractère raisonnable de la force utilisée. Sa conclusion, à savoir que la force utilisée était « excessive et disproportionnée »[34], résulte d’une analyse en rétrospective du seul coup porté par l’appelant.

dimanche 3 août 2025

Survol des règles de droit applicables en matière de légitime défense et de défense des biens

Cormier c. R., 2017 NBCA 10

Lien vers la décision


[40]                                                                       Le paragraphe 34(1) énumère trois critères, qui doivent tous être remplis pour que ce moyen de défense puisse intervenir. Autrement dit, la légitime défense n’est pas applicable si le poursuivant prouve hors de tout doute raisonnable que l’on n’a pas satisfait à un de ces critères. Ces critères sont les suivants :

 

1.                  La croyance raisonnable : l’accusé doit avoir cru, pour des motifs raisonnables, que la force était employée ou qu’on menaçait de l’employer contre lui ou une autre personne (la perception subjective est objectivement vérifiée);

2.                  L’objectif défensif : il doit avoir réagi à la menace dans le but subjectif de se protéger ou de protéger une autre personne (il s’agit d’un état d’esprit subjectif);

3.                  La réaction raisonnable : il doit avoir agi de façon raisonnable dans les circonstances (cela est évalué de façon objective).

 

Voir l’arrêt R. c. Bengy2015 ONCA 397[2015] O.J. No. 2958 (QL), au par. 28.

 

[41]                                                                       L’amendement est venu codifier deux éléments de la légitime défense qui découlent de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Lavallee1990 CanLII 95 (CSC)[1990] 1 R.C.S. 852[1990] A.C.S. no 36 (QL); l’un étant que l’imminence de l’attaque n’est pas une condition qui doit être strictement respectée pour que ce moyen de défense puisse être accueilli, mais seulement un facteur à considérer lorsque l’on évalue le caractère raisonnable de la réaction d’un accusé; l’autre étant que la nature de la relation de violence entre l’accusé et la victime est aussi un facteur à considérer lorsque l’on cherche à déterminer si l’accusé a agi de façon raisonnable.

 

[42]                                                                       La notion d’agression « illégale » comme condition d’application du moyen de défense au titre des dispositions maintenant abrogées a été éliminée. On y a substitué le concept de perception raisonnable de l’emploi ou de la menace d’emploi de la force. De plus, l’appréciation du caractère raisonnable de la réaction de l’accusé à une menace a changé. Dans l’arrêt R. c. Gunning2005 CSC 27[2005] 1 R.C.S. 627, la Cour suprême avait laissé entendre que le caractère raisonnable de la réaction pourrait être substitué au concept voulant qu’une personne ne doive faire « usage que de la force nécessaire » (par. 22). La question de savoir si une personne a agi de façon raisonnable est maintenant évaluée à la lumière des neuf facteurs non exhaustifs qui sont énoncés au par. 34(2).

 

[43]                                                                       Le professeur Kent Roach, dans un article intitulé A Preliminary Assessment of the New Self-Defence and Defence of Property Provisions (2012), 16 Rev. can. D.P. 275, commente ce qu’il qualifie [TRADUCTION] d’« élément essentiel des nouvelles dispositions sur la légitime défense et la défense des biens »; nous souscrivons à ses commentaires. Il y déclare ce qui suit :

 

[TRADUCTION]
L’élément essentiel des nouvelles dispositions sur la légitime défense et la défense des biens se trouve à l’alinéa 34(1)c) et à l’alinéa 35(1)d) qui prescrivent respectivement que la personne qui commet des actes dans le but de se défendre ou de défendre d’autres personnes ou des biens doit agir « de façon raisonnable dans les circonstances ». Cette exigence sera la question cruciale et sans doute la plus difficile à trancher dans la plupart des instances.  Les nouvelles dispositions, toutefois, n’apportent que fort peu de précisions en ce qui concerne la façon de trancher cette question. Dans le cas de la légitime défense, le nouveau paragraphe 34(2) enjoint simplement au juge des faits de prendre en considération les neufs facteurs énumérés mais non exhaustifs. Dans le cas de la défense des biens, le texte législatif ne donne aucune orientation en ce qui concerne la façon de déterminer ce qui peut être raisonnable dans les circonstances. On est tenté d’affirmer que le nouveau paragraphe 34(2) en dit trop en ce qui concerne les facteurs à considérer pour déterminer si l’accusé a agi de façon raisonnable alors que l’article 35 ne donne aucune précision à cet égard. Le résultat est toutefois le même dans les deux cas. Le caractère raisonnable d’une conduite ou d’un acte en particulier sera considéré comme un archétype de la question de jugement qui est associée aux décisions du jury, que le procès soit ou non un de ces rares procès tenus devant jury. Autrement dit, toute évaluation des nouvelles dispositions sera forcément préliminaire. Dans les instances à venir, les tribunaux devront étoffer le sens du mot « raisonnable » et préciser son rapport avec les anciennes dispositions sur la légitime défense et la défense des biens.

 

[44]                                                                       Dans un article intitulé The New Defence Against Force (2014), 18 Rev. Can. D.P. 269, le juge David Paciocco fait les observations suivantes sur les nouvelles dispositions relatives à la légitime défense :

 

[TRADUCTION]
Il ne fait aucun doute que ce nouveau moyen de défense contre l’emploi de la force est non seulement plus simple que les anciennes règles de droit sur la légitime défense et la défense d’autrui, mais également plus généreux. Il en est ainsi malgré le fait que les trois prérequis factuels maintenant énoncés à l’article 34 existaient également dans le cas de chacune des dispositions maintenant défuntes qui régissaient la légitime défense. Ce qui permet aux nouvelles dispositions d’avoir une application plus généreuse dans les cas de légitime défense est la souplesse de leurs facteurs d’évaluation. L’ancien texte législatif imposait, de diverses façons, des conditions fixes et strictes à la légitime défense, y compris l’absence de provocation, la proportionnalité (la force proportionnelle); la nécessité (la force requise); et même, dans certains cas, la tentative d’abandon ou de fuite. Bien que les décideurs doivent prendre en considération des facteurs semblables en application des nouvelles dispositions, ils possèdent maintenant un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’incidence que ces facteurs auront, ce qui les laisse libres d’accueillir le moyen de défense en leur absence, chose qui n’était pas possible en application des anciennes dispositions.

 

Bien que cette éventualité ait été qualifiée de plus théorique que réelle, il y a également des situations où les moyens de défense que sont la légitime défense et la défense d’une autre personne pourraient être rejetés en application des nouvelles dispositions alors qu’ils auraient pu être accueillis en application des anciennes dispositions. Pour en donner un exemple simple, certaines des dispositions existantes autorisaient l’emploi d’une force excessive, même si elle n’était pas proportionnelle à l’agression contre laquelle on se défendait. Les dispositions actuelles n’imposent aucune limite de cette nature et autorisent le décideur à déclarer l’accusé coupable parce que la force qu’il a employée pour se défendre a excédé la force que l’on menaçait d’employer contre lui. De même, les dispositions antérieures énonçaient un concept restreint de la provocation; la provocation ne pouvait être prise en compte que dans certains cas et ce n’est qu’alors que l’on déterminait les facteurs qui pouvaient être pris en compte. La provocation n’était pas, en soi, un facteur d’évaluation. Maintenant, le rôle joué par l’accusé lors de l’incident, y compris, notamment, la provocation, est un facteur d’évaluation que le décideur est libre d’utiliser dans tous les cas. Il s’ensuit qu’il est tout à fait possible que l’accusé se voie refuser ce moyen de défense parce qu’il a été l’artisan de son propre malheur alors même que les dispositions précédentes n’auraient pas permis que cela soit pris en compte.

 

[45]                                                                       Les premières décisions dans lesquelles les modifications ont été interprétées traduisent le sentiment que les nouvelles dispositions sur la légitime défense semblent plus faciles à appliquer que leurs prédécesseures. Voici ce qu’a dit le juge d’appel Beveridge dans l’arrêt R. c. Levy2016 NSCA 45[2016] N.S.J. No. 211 (QL) :

 

[TRADUCTION]
[…] À première vue, le moyen de défense est beaucoup plus simple. Un article s’applique à toutes les formes de légitime défense. Si la légitime défense a une apparence de vraisemblance, aucune infraction n’est commise à moins que le ministère public ne réfute l’existence d’au moins un des éléments suivants : 1) l’accusé croyait, pour des motifs raisonnables, que la force était employée ou qu’on menaçait de l’employer contre elle ou une autre personne; 2) l’accusé a commis les actes en question dans le but de se défendre ou de se protéger ou de défendre ou de protéger une autre personne; 3) l’accusé a agi de façon raisonnable dans les circonstances. En ce qui concerne le dernier élément, il est précisé que le juge des faits doit tenir compte des neufs facteurs non exclusifs qui sont énumérés au par. 34(2). [par. 107]

 

[46]                                                                       Dans un Guide technique à l’intention des praticiens publié par le ministère de la Justice et intitulé Réforme de la légitime défense et défense des biens : Guide technique à l’intention des praticiens, ministère de la Justice, Canada, mars 2013, les auteurs soulignent que l’intention du législateur était de simplifier le texte législatif; toutefois, l’amendement n’avait pas pour but de modifier substantiellement les principes de la légitime défense. En réalité, toutefois, les nouvelles dispositions ont substantiellement modifié les principes de la légitime défense. Dans l’arrêt R. c. Evans2015 BCCA 46[2015] B.C.J. No. 189 (QL), le juge d’appel Frankel a conclu que les nouvelles dispositions marquent une modification fondamentale du droit applicable qui entraîne une application plus généreuse susceptible de donner lieu à plus d’acquittements que l’ancien régime. Nous sommes du même avis.

 

(2)               La défense des biens

 

[47]                                                                       En ce qui concerne les dispositions sur la défense des biens, elles semblent avoir une portée très large. L’article 35 s’applique à une vaste gamme d’infractions et à tous les biens de quelque nature qu’ils soient. La disposition établit les genres d’obstruction à la « possession paisible » d’un bien qui peuvent susciter une réaction défensive. Ce moyen de défense s’applique lorsqu’une personne croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien et qu’une autre personne est sur le point de commettre des actes précis relativement à ce bien, c’est-à-dire, selon le cas, qu’elle : (1) est sur le point ou est en train d’entrer dans ou sur ce bien ou y est entrée, sans en avoir légalement le droit; (2) est sur le point, est en train ou vient de le prendre; ou (3) est sur le point ou est en train de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant. Lorsque le moyen de défense s’applique, un acte commis pour empêcher l’événement déclencheur est justifié si son auteur agit « de façon raisonnable dans les circonstances ». La condition ressortissant à l’objectif défensif doit être évaluée de façon subjective. Par contre, le caractère raisonnable de la réaction est évalué objectivement. Toutefois, contrairement au par 34(2) qui énumère des facteurs susceptibles de faciliter cette évaluation en matière de légitime défense, l’art. 35 ne donne aucune orientation.

 

[48]                                                                       C’est la jurisprudence qui devra déterminer ce qui est raisonnable au sens de l’art. 35. Avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’arrestation par des citoyens et la légitime défense, la jurisprudence avait clairement établi qu’il n’était pas raisonnable de tuer quelqu’un pour empêcher un crime ne visant que des biens : R. c. Gee1982 CanLII 198 (CSC)[1982] 2 R.C.S. 286[1982] A.C.S. no 69 (QL), le juge Dickson (tel était alors son titre) qui citait l’ouvrage intitulé Halsbury’s Laws of England (4e éd.), vol. 11, à la p. 630. C’était là la règle de droit qui était en vigueur depuis longtemps, ainsi que le souligne l’arrêt Rossignol c. R.2005 NBCA 11[2005] A.N.-B. no 36 (QL), à propos du par. 41(1) du Code criminel, aujourd’hui abrogé, qui autorisait une personne ayant la possession paisible d’un bien réel à employer la force nécessaire pour empêcher une intrusion ou expulser un intrus :

 

Il est de jurisprudence constante que l’article 41 du Code criminel ne s’applique pas lorsque le geste posé par la personne en possession de l’immeuble occasionne le décès de l’intrus. Un tel geste ne peut être justifié que par l’application de l’article 34 : voir R. c. Price (1835), 7 Car. & P. 178, 173 E.R. 78R. c. Baxter (1975), 1975 CanLII 1510 (ON CA)27 C.C.C. (2d) 96 (Ont. C.A.), R. c. Scopelliti (1981), 1981 CanLII 1787 (ON CA)34 O.R. (2d) 524 (C.A.), R. c. Clark (1983), 1983 ABCA 65 (CanLII)44 A.R. 141 (C.A.) et R. c. Bacon[1999] A.Q. n19 (C.A.). [par. 12]

 

[49]                                                                       Le professeur Kent Roach, dans son article, se désole du fait que le législateur soit resté muet sur la question de la proportionnalité à l’art. 35 bien qu’il en ait fait une considération en matière de légitime défense en le mentionnant parmi les facteurs à prendre en compte en application du par. 34(2). On se rappellera que « la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force » sont mentionnées à l’al. 34(2)g), comme facteur à considérer. Le professeur Roach se dit d’avis que [TRADUCTION] « les tribunaux devraient considérer qu’une obligation de proportionnalité fait implicitement partie de la disposition en l’absence d’un texte législatif clair écartant l’abondante jurisprudence sur la proportionnalité ». Dans le sommaire de son article, le professeur Roach souligne que l’absence de la proportionnalité parmi les critères énoncés à l’art. 35 pourrait permettre [TRADUCTION] « de façon troublante que le fait de tuer une personne intentionnellement afin de défendre ses biens puisse potentiellement mener à un acquittement ».

 

[50]                                                                       Franchement, il est difficile de concevoir comment un tribunal pourrait jamais conclure que le fait d’avoir tué une personne dans le seul but de défendre un bien constitue une réaction raisonnable dans les circonstances. Ce qui se produit habituellement, c’est que l’intrus oppose une résistance à la force employée pour l’empêcher de s’en prendre à un bien et du fait de l’agression commise par l’intrus, la situation devient un cas de légitime défense. Le professeur Roach fait valoir ce qui suit :

 

[TRADUCTION]
Les anciennes dispositions sur la défense des biens disposaient que l’intrus qui résistait à une tentative en vue de protéger des biens personnels ou réels serait réputé avoir commis des voies de fait. Ces dispositions complexes ne sont pas présentes dans le nouvel article 35. Néanmoins, cela n’empêche pas un chevauchement fréquent entre les dispositions sur la défense des biens et celles sur la légitime défense. Par exemple, une personne qui protège un bien pourrait aussi être fondée à invoquer la légitime défense si elle croit, pour des motifs raisonnables, que l’on emploie la force ou que l’on menace d’employer la force contre elle.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...