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lundi 28 juillet 2025

Un amendement ayant pour effet de substituer à une infraction pour une autre ne peut être accordé que lorsque l'amendement a uniquement pour effet de changer la désignation de l'infraction, tout en laissant le corps du dossier intact

Servant c. R., 2007 QCCA 558

Lien vers la décision


[11]           Le paragraphe (2) n'est pas pertinent en l'espèce puisqu'il vise à modifier un chef d'accusation intrinsèquement suffisant, mais qui s'avère non conforme à la preuve présentée. Par conséquent, un juge ne peut autoriser un tel amendement qu'après avoir entendu la preuve[3]. Il s'agit plutôt de déterminer si le juge du procès pouvait autoriser l'amendement en vertu du paragraphe 601(3) C. cr.

[12]           Le ministère public pouvait-il alors demander un amendement pour l'un des motifs énoncés à l'alinéa 601(3)b)? La Cour est d'avis que la réponse est négative. Le législateur a spécifié que dans les cas prévus à cet alinéa, « les choses devant être alléguées dans la modification projetée » doivent être révélées par la preuve recueillie lors de l’enquête préliminaire ou au procès. Dans un arrêt récent, R. c. McConnell[4], le juge Rosenberg de la Cour d'appel de l'Ontario écrivait à ce sujet:

[16]   The problem for the prosecution in this case is that to rely on this part of subsection (3), the matters to be alleged in the amendment must have been disclosed in the evidence. At the opening of the trial, when Crown counsel sought the amendment, there was no evidence. In my view, the submissions of counsel as to what is contained in the disclosure is not evidence.

[…]

[20]   In my view, the interpretation that is most consistent with the wording of the Criminal Code is that there is no power to amend to conform to the evidence until the evidence has been heard. In addition to R. v. Callocchia, see for example, R. v. King (1956), 1956 CanLII 538 (ON CA), 116 C.C.C. 284 (Ont. C.A.). Admittedly, the cases are also almost universally to the effect that if the trial judge errs and permits a premature amendment, if the accused was not prejudiced the appeal will be dismissed, presumably by application of the proviso in s. 686(1)(b)(iii) or (iv) of the Criminal Code. Thus, in addition to R. v. Deal, see R. v. Fiore (1962), 1962 CanLII 593 (ON CA), 132 C.C.C. 213, (Ont. C.A.) and R. v. S.(C.A.) (1997), 1997 CanLII 2519 (BC CA), 114 C.C.C. (3d) 356 (B.C.C.A.) at 360 and 364. But the fact that no prejudice was occasioned by the error cannot create a power of amendment outside the Criminal Code regime.

[13]           Il s'agit exactement de la situation dans le présent dossier. Le juge du procès ne pouvait s'autoriser de l'alinéa 601(3)b) C. cr. pour modifier la dénonciation, puisque aucune preuve n'avait été présentée au moment où le ministère public a présenté sa requête. Force est de conclure que l'amendement était prématuré.

[14]           En l'espèce, l'amendement avait également pour effet de substituer une nouvelle infraction à l'infraction originale. Le juge de la Cour supérieure s'est fondé sur les motifs de la Cour d'appel de l'Ontario (le juge Doherty) dans l'arrêt R. c. Irwin[5], pour conclure qu'il était possible de procéder ainsi quand l'accusé ne subit pas de préjudice. Dans cette affaire, la Cour d'appel de l'Ontario avait permis qu'une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles (article 267 C. cr.) soit modifiée en une accusation d'avoir illégalement causé des lésions corporelles (article 269 C. cr.). Selon le juge Doherty, la modification de l'acte d'accusation était possible dans la mesure où la transaction criminelle faisant l'objet de l'accusation demeurait la même[6], et il poursuit :

[25]   On a plain reading, the section contemplates any amendment which makes a charge conform to the evidence. The limits on that amending power are found, not in the nature of the change made to the charge by the amendment, but in the effect of the amendment on the proceedings, and particularly, on the accused's ability to meet the charge. The ultimate question is not what does the amendment do to the charge, but what effect does the amendment have on the accused?

[26]   I see no useful purpose in absolutely foreclosing an amendment to make a charge conform to the evidence simply because the amendment will substitute one charge for another. As long as prejudice to the accused remains the litmus test against which all proposed amendments are judged, it seems unnecessary to characterize the effect of the amendment on the charge itself. If the accused is prejudiced,  the amendment cannot be made regardless of what it does to the charge. If no prejudice will result from the charge, why should it matter how the change to the charge is described?

[27]   I can also find no reason for holding there is no power to amend to substitute one charge for another while at the same time acknowledging the power to amend based on a variation between the evidence and the charge where the amendment will materially change the charge: e.g. see R. v. Geauvreau [Référence omise]It can be very difficult to distinguish between a change which substitutes one charge for another and a change which materially changes the initial charge. The difference seems to be more in the nomenclature used than in the substance or significance of the change. Some amendments which materially change the charge can have drastic effects on the case against the accused. Some amendments which substitute one charge for another will amount to no more than placing a new label on exactly the same conduct.

[15]           Cet arrêt est difficilement applicable au cas présent pour deux raisons. Premièrement, les motifs du juge Doherty visent la modification d'un acte d'accusation pour le rendre conforme à la preuve présentée au procès. En l'espèce, aucune preuve n'avait été présentée au moment de la requête du ministère public. Deuxièmement, l'affirmation selon laquelle il est possible de modifier un acte d'accusation afin de substituer l'infraction originale par une nouvelle doit être nuancée. À la toute fin de ses motifs dans Irwin, le juge Doherty écrit :

[42]   Cases where an amendment substituting a different offence for the offence charged at trial can be properly made on appeal will be few and far between. I think this is one of those rare cases where the amendment can be made. While the amendment changes the substantive offence from assault causing bodily harm (s. 267) to unlawfully causing bodily harm (s. 269), the amendment does no more than put a new label on the appellant's culpable conduct. The substance of the allegation remains unchanged. I would amend the indictment to charge the appellant with unlawfully causing bodily harm to Andrew Behling and dismiss the appeal.

[16]           Selon le juge Finlayson de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. S.(A.), il faut comprendre les motifs du juge Doherty comme permettant de modifier un acte d'accusation pour substituer l'infraction originale par une nouvelle lorsque la modification ne vise rien de plus que la désignation, le « label » de l'infraction[7]. Manifestement, ce n’est pas le cas avec la substitution de l’infraction originale par la nouvelle accusation dans les circonstances de l’espèce.

[17]           Quant à l'alinéa 601(3)c), il n'était d'aucun secours pour le ministère public, puisque la dénonciation n'était affectée d'aucun vice de forme. Aucune preuve n'a été présentée au soutien de la thèse de l'erreur d'écriture soutenue par le ministère public, et le texte détaillé de la dénonciation est incompatible avec une telle prétention.

[18]           Dans l'arrêt R. c. Daoust[8], le juge Bastarache, pour la Cour suprême, tenait ces propos :

22                  Il est bien établi en droit qu'un accusé est seulement tenu de répondre à l'accusation telle qu'elle a été portée et que la Couronne est tenue de la prouver, quitte à demander par la suite une modification, ce qui n'a pas été fait en temps utile. En vertu du par. 601(3) C. cr.un tribunal peut modifier un chef d'accusation à tout stade des procédures lorsqu'il s'agit d'un détail de l'infraction : Morozuk c. La Reine1986 CanLII 72 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 31 (le juge Lamer, plus tard Juge en chef); Elliott c. La Reine1977 CanLII 209 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 393, p. 427 (le juge Ritchie). Toutefois, un changement à l'acte d'accusation en l'espèce ne constituerait pas une précision apportée à un élément de l'infraction, mais reviendrait plutôt à porter une accusation différente de l'accusation initiale. De toute manière, cette Cour n'est aucunement disposée à modifier l'acte d'accusation à ce stade des procédures.

[Soulignage ajouté]

[19]           En l'espèce, en l’absence de toute preuve, la Cour est d'avis que la modification de la dénonciation ne constituait pas la correction d'un détail de l'infraction ou le changement de sa désignation, et encore moins la correction d'un vice de forme. Par conséquent, le juge du procès ne pouvait l'autoriser. Dans ces circonstances, l'absence de préjudice, question sur laquelle la Cour ne se prononce pas, n'a aucune pertinence.


samedi 26 juillet 2025

Les tribunaux de première instance sont « enclins à modifier les actes d’accusation plutôt que de les annuler lorsque les circonstances le permettent » & la suffisance d’un acte d’accusation comportant une allégation de complot

Haddad c. R., 2020 QCCA 793

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[12]        Notre Cour a reconnu que les tribunaux de première instance sont « enclins à modifier les actes d’accusation plutôt que de les annuler lorsque les circonstances le permettent »[9]. Dans le cas du paragraphe 601(3) C.cr., il s’agit même d’une obligation :

[65]        L’article 601(3) C.cr. énonce l’obligation – on notera l’emploi du mot « shall » dans le texte anglais de la disposition législative – qu’a un tribunal de première instance de modifier l’acte d’accusation dans certaines circonstances. Cette obligation de modifier l’acte d’accusation est présente lors d’une énonciation défectueuse d’un élément constitutif nécessaire (art. 601(3)b)(i) C.cr.), d’un défaut en substance (art. 601(3)b)(iii) C.cr.) ou d’un vice de forme quelconque (art. 601(3)cC.cr.).[10]

[13]        Une modification faite en vertu du paragraphe 601(3) C.cr. peut donc intervenir « à tout stade des procédures lorsqu’il s’agit d’un détail de l’infraction »[11]. Elle ne doit toutefois pas avoir pour effet de créer une nouvelle accusation, différente de l’accusation initiale[12]. Cependant, l’omission d’un élément essentiel dans un chef d’accusation ne sera pas nécessairement fatale si l’accusé a été raisonnablement informé de l’infraction reprochée et qu’il n’en subit pas de préjudice[13].

i)            Le chef 7 (le complot)

[14]        Dans R. c. Douglas, la Cour suprême s’est penchée sur la question du caractère suffisant d’un acte d’accusation comportant une allégation de complot. Elle écrit :

Pour conclure qu'un complot donné est visé par l'acte d'accusation, il suffit que la preuve produite démontre que le complot prouvé met en cause certains des accusés; qu'il a eu lieu au cours de la période indiquée dans l'acte d'accusation; que son objet était le type d'infraction imputé. Groberman fait une remarque très judicieuse sur ce point dans son article intitulé "The Multiple Conspiracies Problem in Canada" (1982), 40 U.T. Fac. L. Rev. 1, aux pp. 9 et 10 :

[TRADUCTIONHabituellement, à moins d'être exceptionnellement précis, le texte de l'acte d'accusation spécifie seulement le type d'infraction qui était l'objet de l'entente, le nom des participants allégués, ainsi que la période durant laquelle le complot se serait déroulé. Même si le complot prouvé vise un nombre de personnes inférieur au nombre des accusés mentionnés, ou s'il n'a eu lieu que durant une partie seulement de la période indiquée, on peut dire que le complot imputé est assimilable à celui qui a été prouvé. Par conséquent, pour qu'un complot donné soit visé par l'acte d'accusation, il suffit qu'il mette en cause certains des accusés, qu'il se soit produit au cours de la période mentionnée dans l'acte d'accusation et que son objet ait été le type de crime allégué.[14]

[Soulignements ajoutés]

[15]        À la fin du procès, le juge a exercé sa discrétion en modifiant le chef 7 pour y préciser que le complot visait une introduction par effraction dans le but de commettre un vol. Ce faisant, le juge ne faisait que spécifier, conformément à la preuve présentée, la nature particulière de l’acte criminel « qui était l'objet de l'entente ». Cette modification n’avait toutefois pas pour effet de créer une autre infraction comportant des caractéristiques différentes de nature à priver l'appelant d’une défense pleine et entière et de son droit à un procès équitable[15].

L’arrêt des procédures & l'amendement en cours de procès pour rendre le chef d’accusation conforme à la preuve

R. c. Dumont-Chamberland, 2017 QCCA 428

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[29]        Lorsque démontré, l’abus de procédure peut entraîner l’arrêt des procédures.

[30]        La Cour suprême a indiqué que cette réparation se justifie uniquement (1) si le préjudice causé à l’accusé ou à l’intégrité du système judiciaire par l’abus en question promet d’être révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou son issue, (2) qu’aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice et (3) que s’il subsiste un degré d’incertitude quant à la possibilité de faire disparaître le préjudice, on doit soupeser, d’une part, l’intérêt d’ordonner l’arrêt des procédures pour dénoncer le comportement fautif et protéger l’intégrité du système de justice et, d’autre part, l’intérêt que représente pour la société d’aller de l’avant et d’obtenir un jugement sur le fond : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 32.

[31]        Si le test est le même pour les deux catégories, la seconde exige un fardeau beaucoup plus lourd et passe nécessairement par la mise en balance des intérêts de la société et le critère des « cas les plus manifestes » : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 44. Il faut notamment se demander si « la tenue d’un procès en dépit de la conduite reprochée causeraitelle un préjudice supplémentaire à l’intégrité du système de justice? » : R. c. Babos, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 38-39.

[32]        La Cour souligne l’importance de cette mise en balance. Le juge doit choisir entre l’arrêt des procédures ou la tenue d’un procès en dépit de la conduite contestée. Plus cette dernière est grave, plus il est nécessaire que le tribunal s’en dissocie :

[41] Par contre, lorsque c’est la catégorie résiduelle qui est invoquée, l’étape de la mise en balance revêt une importance accrue. Si on allègue une atteinte à l’intégrité du système de justice, le tribunal est appelé à décider quelle des deux solutions suivantes assure le mieux l’intégrité du système de justice : l’arrêt des procédures ou la tenue d’un procès en dépit de la conduite contestée. Cette analyse suppose nécessairement une mise en balance. Le tribunal doit prendre en compte des éléments comme la nature et la gravité de la conduite reprochée — que celleci soit un cas isolé ou la manifestation dun problème systémique et persistant , la situation de laccusé, les accusations auxquelles il doit répondre et lintérêt de la société à ce que les accusations soient jugées au fond. De toute évidence, plus la conduite de l’État est grave, plus il est nécessaire que le tribunal s’en dissocie. Lorsque la conduite en question choque la conscience de la communauté ou heurte son sens du francjeu et de la décence, il est peu probable que l’intérêt de la société dans la tenue d’un procès complet sur le fond l’emporte au terme de la mise en balance. Or, dans les cas faisant partie de la catégorie résiduelle, il faut toujours tenir compte de l’équilibre.

(Référence omise)

[33]        Cela dit, il ne fait pas de doute que l’abus en cause se rattache à la catégorie résiduelle, l’atteinte à l’équité du procès n’ayant pas été démontrée par l’intimée ni expliquée par la juge.

[34]        Le juge a raison de dire que le retrait d’une dénonciation suivi du dépôt d’une seconde sera parfois abusif. Ici, deux remarques s’imposent.

[35]        D’abord, cette façon de faire est juridiquement envisageable puisque le retrait d’une première dénonciation avant la présentation de la preuve est « purement technique et ne représente pas une décision fondée sur des motifs juridiques ou factuels » : R. c. Selhi1990 CanLII 130 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 277, 278. Il ne s’agit pas donc pas d’un geste qui, en soi, est abusif.

[36]        Ensuite, saisi d’une demande de modification en cours de procès, un juge peut rendre le chef d’accusation conforme à la preuve : art. 601(2) C.cr. Le retrait de l'accusation et le dépôt d’une nouvelle ne sont pas toujours nécessaires si une modification permet d’arriver aux mêmes fins. Dans la mesure où l’amendement est possible, la substitution ne peut pas être, en soi, abusive.

[37]        Le bien-fondé de la demande de modification est alors évalué à son mérite, dans le contexte de la preuve et du procès, le point focal n’étant pas si une autre infraction est substituée, mais si l’accusé en subit un préjudice. Je suis d’accord avec le raisonnement de l’arrêt R. c. Irwin, (1998), 1998 CanLII 2957 (ON CA), 123 C.C.C. (3d) 316, au par. 26, prononcé dans le contexte de l’appel, où la Cour d’appel de l’Ontario le résume ainsi:

26   I see no useful purpose in absolutely foreclosing an amendment to make a charge conform to the evidence simply because the amendment will substitute one charge for another. As long as prejudice to the accused remains the litmus test against which all proposed amendments are judged, it seems unnecessary to characterize the effect of the amendment on the charge itself. If the accused is prejudiced, the amendment cannot be made regardless of what it does to the charge. If no prejudice will result from the change, why should it matter how the change to the charge is described?

[38]        Dans une analyse convaincante à laquelle je souscris, le juge Cournoyer commente la portée d’une modification similaire à celle que formulait la poursuite en première instance. Comme lui, j’écarte respectueusement la position contraire adoptée dans R. c. Bourbonnais2007 QCCS 2819. Dans son jugement R. c. Cadorette2010 QCCS 1953, au par. 45, il écrit :

[45]      En raison du fait que les deux infractions sont différentes, il est possible qu'en certaines circonstances, le fait d'accorder une modification d'un chef d'accusation comme celle recherchée par la poursuite soit susceptible de causer un préjudice irréparable. Mais comme le prévoit l'alinéa 601(4)c) C.cr., le tribunal doit examiner les circonstances de l'espèce en considérant si une modification devait ou ne devait pas être faite.

[39]        Par contre, comme il avait tenté de le faire en l’espèce, le ministère public ne pouvait pas espérer obtenir une modification présentée avant l’administration de la preuve : R. c. Servant2007 QCCA 558R. c. White2016 QCCA 1566.

[42]        En rétrospective, le ministère public aurait dû commencer le procès, administrer sa preuve, formuler une demande de modification et convaincre le juge, en dépit de l’opposition de la défense, de rendre le chef d’accusation conforme à la preuve présentée : voir notamment R. c. McConnell, (2005), 2005 CanLII 13781 (ON CA), 196 C.C.C. (3d) 28. La défense aurait pu s’opposer en faisant valoir un préjudice.

[43]        L’équité du procès n’étant pas en cause, il faut se demander si la catégorie résiduelle de l’abus de procédure entre en jeu.

[44]        Le test est exigeant puisque « les cas faisant partie de la catégorie résiduelle qui justifient l’arrêt des procédures sont « exceptionnels » et « très rares » : (Tobiass, par. 91» : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 37R. c. Regan2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 297, par. 55R. c. O’Connor1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, par. 73.

[45]        Certes, toute exceptionnelle qu’elle soit, la décision d’arrêter les procédures commande la déférence et, en paraphrasant la Cour dans R. c. Brind’Amour2014 QCCA 33, l’intervention ne sera justifiée que si que le juge s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou lorsqu’elle s’appuie sur une erreur factuelle manifestement erronée et déterminante: R. c. Brind’Amour, 2014 QCCA 33, par. 65-67, citant R. c. Bellusci2012 CSC 44 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 509, par. 17-19.

[46]        L’abus de procédure comporte un élément de causalité nécessaire, c’est-à-dire que l’abus doit avoir causé un préjudice suffisant pour entraîner l’arrêt des procédures : R. c. Regan2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 297, par. 52.

[49]        La négligence dans l’administration d’accusations criminelles sera toujours préoccupante. L’administration de la justice requiert que les personnes impliquées, a fortiori le ministère public, accordent aux dossiers toute l’attention nécessaire et le sérieux requis par la situation. À mon avis, l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 631 le confirme.

[50]        Or, l’ensemble des circonstances ne peut être qualifié d’abus de procédure et entraîner le remède exceptionnel en cause. La précipitation, le manque de jugement dans la conduite du dossier et, j’ajouterais l’erreur, ne sont pas nécessairement générateurs des abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle : R. c. Power1994 CanLII 126 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 601, 607.

[51]        Je rappelle que « lorsque la catégorie résiduelle est invoquée, il s’agit de savoir si l’État a adopté une conduite choquant le sens du franc‑jeu et de la décence de la société et si la tenue d’un procès malgré cette conduite serait préjudiciable à l’intégrité du système de justice » : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 35.

[52]        En ce sens, rien de tel n'est démontré et cela termine l'analyse.

[53]        À cette erreur s’en ajoute une seconde soulignée avec raison par l’appelante, soit l’omission de la juge de mettre en balance les intérêts en jeu, une étape nécessaire et qui comporte un lourd fardeau pour la personne qui recherche la réparation la plus draconienne : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 41-44. Cette analyse, qui doit prendre en compte l’ensemble des circonstances, n’a pas été faite.

[54]        En résumé, la juge commet une erreur en faisant reposer l’abus des procédures sur l’atteinte à l’équité du procès en raison de la simple substitution d’accusations. Vu sous l’angle de la catégorie résiduelle, une conclusion d’abus de procédure dans les circonstances ne peut se justifier en droit.

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