[90] Les éléments essentiels de l’infraction de voies de fait sont :
(1) L’emploi intentionnel de la force contre la victime;
(2) L’absence de consentement de celle-ci ;
(3) La connaissance de l’accusé que la victime ne consent pas à la force employée[29].
[91] Le Tribunal, ayant rejeté la version de l’accusé, retient du témoignage de la plaignante que l’accusé prend sa fille comme elle le décrit, soit « comme un ballon de football », que la jeune se débat et crie à l’aide et qu’il la lance dans sa chambre. Il est manifeste que l’accusé fait ceci intentionnellement et qu’il sait qu’elle n’y consent pas.
[92] Le fait de prendre la jeune fille et de la lancer par terre tel que décrit implique l'utilisation de force à son encontre, et ce, sans son consentement.
[93] Ainsi, considérant l’ensemble de la preuve et la crédibilité et la fiabilité qui sont accordées au témoignage de la plaignante, le Tribunal conclut que tous les éléments essentiels requis par cette accusation sont prouvés hors de tout doute raisonnable.
[94] Compte tenu de cette conclusion, il y a lieu d’analyser la défense fondée sur le droit de correction.
Question 5 : L’accusé peut-il bénéficier de la défense fondée sur le droit de correction?
[95] Pour que cette défense soit recevable, un fardeau de présentation (et non de persuasion) revient à l’accusé[30]. S’il existe un air de vraisemblance (air of reality[31]), il appartient au ministère public de persuader le Tribunal, hors de tout doute raisonnable, que la défense ne s’applique pas[32].
[96] À cette étape, le Tribunal tient pour avérée la preuve de l’accusé sans analyser sa crédibilité et apprécier sa force probante[33]. Après analyse, le Tribunal considère que l’accusé se décharge de son fardeau de présentation de la défense de discipline des enfants; il satisfait au critère de l’air de vraisemblance.
[97] Il revient donc au poursuivant d’établir hors de tout raisonnable que l’usage de la force pour discipliner X dans les circonstances n’est pas raisonnable.
[98] Avant de procéder à l’analyse de cette défense, il est utile d’en rappeler les pourtours.
[99] L’article 43[34] C.cr. stipule qu'un parent est autorisé à utiliser une force légère pour discipliner un enfant dans certaines circonstances[35]. Le champ d’application d’une telle défense est bien circonscrit. L’on peut retenir les principes pertinents aux faits en l’espèce qui émanent de l’arrêt Canadian Foundation for Children c. Canada de la Cour suprême :
99.1. La personne qui emploie la force doit viser à éduquer ou à corriger - c’est donc dire que « l’art. 43 ne peut pas excuser les accès de violence à l’égard d’un enfant qui sont dus à la colère ou à la frustration. Il n’admet dans sa zone d’immunité que l’emploi réfléchi d’une force modérée répondant au comportement réel de l’enfant et visant à contrôler ce comportement ou à y mettre fin ou encore à exprimer une certaine désapprobation symbolique à cet égard »[36].
99.2. La correction doit pouvoir avoir un effet bénéfique sur l’enfant, ce qui requiert à la fois la capacité d'en tirer une leçon et la possibilité d'un résultat positif[37].
99.3. La force employée doit être raisonnable dans les circonstances - c’est-à-dire que l’art. 43 ne peut être invoqué si l’emploi de la force cause ou risque de causer des lésions corporelles à l’enfant[38].
99.4. La disposition peut être invoquée uniquement pour l’emploi d’une force légère[39].
99.5. La nature du comportement répréhensible de l’enfant n’est pas une considération contextuelle pertinente[40].
99.6. L’art. 43 doit être interprété de manière restrictive[41].
[100] L’accusé estime avoir agi avec une force raisonnable dans l’objectif que sa fille respecte son autorité.
[101] Dans l’évaluation de cette défense, il y a lieu de répondre à deux questions :
101.1. Est-ce que la force employée était dans le but de corriger ?
101.2. Est-ce que l'utilisation de la force était justifiée compte tenu des circonstances?
Est-ce que la force employée était dans le but de corriger ?
[102] Comme mentionné précédemment, la Cour suprême limite l'usage de cette défense aux personnes qui utilisent la force uniquement dans le but d'éduquer, corriger ou discipliner un enfant en utilisant une force modérée de façon réfléchie. En effet, la correction doit être susceptible d'avoir un impact positif sur l'enfant, ce qui implique à la fois la capacité d'apprendre une leçon et la possibilité de résultats bénéfiques.
[103] L’accusé ne nie pas son exaspération face au comportement de sa fille. Il ressort de la preuve retenue par le Tribunal qu’en effet, l’accusé est poussé à bout et bien qu’il prétende que son but était de corriger le comportement de sa fille et de se faire respecter par celle-ci, la preuve révèle qu’il a réagi dans un accès de colère et de frustration. En effet, le Tribunal considère que la conduite de l'accusé résulte d’une accumulation de stress, de la frustration et de son incapacité à contrôler sa colère.
[104] La force employée ne l’est donc pas uniquement dans le but d'éduquer, corriger ou discipliner son enfant.
Est-ce que l'utilisation de la force était justifiée compte tenu des circonstances ?
[105] Même s’il est inutile de procéder à l’analyse de cette deuxième question compte tenu de la conclusion à la première, le Tribunal en traitera très sommairement.
[106] Il est bien établi que la force employée doit être « raisonnable dans les circonstances » quelle que soit la gravité de l'événement déclencheur[42].
[107] En l’espèce, le Tribunal considère que le fait de prendre une enfant de neuf ans sous son bras comme un ballon de football et de la lancer par terre, n’est pas raisonnable dans les circonstances, et ce, même si l’enfant n’a pas été blessée.
[108] Pour l’ensemble de ces raisons, le Tribunal est d’avis que le poursuivant s’est déchargé de son fardeau de démontrer, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé n’a pas fait l’usage d’une force raisonnable dans les circonstances pour discipliner et corriger X.
[109] De ce fait, le Tribunal est d’avis que l’accusé ne peut bénéficier de la défense de discipline des enfants établie par le cadre de l’article 43 C.cr. relativement aux gestes posés à l’endroit de X le 17 décembre 2022. Il s’agit donc d’une voie de fait au sens du Code criminel.