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jeudi 28 août 2025

Cadre juridique concernant l’amende compensatoire et le pouvoir discrétionnaire de répartir la valeur du bien entre des coaccusés

R. c. Vallières, 2022 CSC 10

Lien vers la décision


(1)         La nature de l’amende compensatoire

[24]                        Avant de débuter l’analyse, il convient d’insister sur la nature particulière de l’amende compensatoire comme volet autonome de la détermination de la peine. Même si l’amende compensatoire fait techniquement partie de la peine en vertu de l’art. 673 C. cr., une telle ordonnance se distingue de la peine infligée pour la commission d’une infraction désignée en ce qu’elle a pour but de remplacer le produit de la criminalité plutôt que de punir le contrevenant (R. c. Lavigne2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392, par. 25). L’amende compensatoire tient donc, d’abord et avant tout, de la nature d’une ordonnance de confiscation. Il est de jurisprudence constante que la confiscation fait l’objet d’une analyse qui est indépendante de l’examen plus large réalisé à l’égard de la question de la détermination de la peine, ainsi que des principes qui y sont associés (Lavigne, par. 25-26R. c. Craig2009 CSC 23, [2009] 1 R.C.S. 762, par. 34-37R. c. Ouellette2009 CSC 24, [2009] 1 R.C.S. 818, par. 2R. c. Nguyen2009 CSC 25, [2009] 1 R.C.S. 826, par. 2). Pour cette raison, lors du calcul du montant de l’amende compensatoire, les tribunaux doivent impérativement mettre de côté les principes généraux en matière de détermination de la peine qui sont incompatibles avec la nature de cette ordonnance.

(2)         Le pouvoir discrétionnaire de limiter le montant d’une amende compensatoire aux profits tirés d’une activité criminelle

[25]                        Pour bien cerner la nature de l’amende compensatoire, il importe de la situer dans le contexte plus général de la partie XII.2 du Code criminel intitulée « Produits de la criminalité ». Ce terme est défini largement (R. c. Dwyer2013 ONCA 34, 296 C.C.C. (3d) 193, par. 21). Il s’entend de tout « [b]ien, bénéfice ou avantage qui est obtenu ou qui provient [. . .], directement ou indirectement[,] de la perpétration d’une infraction désignée » (par. 462.3(1) C. cr.). Constitue une « infraction désignée [. . .] toute infraction prévue par [le Code criminel] ou une autre loi fédérale et pouvant être poursuivie par mise en accusation, à l’exception de tout acte criminel désigné par règlement » (par. 462.3(1) C. cr.). Dans la présente affaire, les infractions désignées pour lesquelles M. Vallières a été reconnu coupable sont des chefs de vol, de fraude, ainsi que de trafic de biens obtenus criminellement, le tout en rapport avec des biens dont la valeur dépasse 5 000 $.

[26]                        L’infliction d’une amende compensatoire peut être envisagée lorsque la confiscation du bien qui constitue un produit de la criminalité est devenue irréalisable. Dans un tel cas, le tribunal peut, en remplacement de l’ordonnance de confiscation, infliger au contrevenant une amende égale à la valeur du bien (par. 462.37(3) C. cr.). Même si la présence du terme « peut » signale l’intention du législateur de conférer un certain pouvoir discrétionnaire aux tribunaux, je suis d’avis que ce pouvoir ne leur permet pas pour autant de limiter le montant de l’amende compensatoire aux profits tirés d’une activité criminelle, même dans les cas où une telle limitation respecterait le double objectif de privation du gain et de dissuasion. Voici pourquoi.

[27]                        En premier lieu, le texte du par. 462.37(3) C. cr. est catégorique en ce qui concerne le montant de l’amende. Comme l’indique notre Cour dans l’arrêt Lavigne, « [l]e texte est limpide. Le législateur a lui-même déterminé le montant de l’amende » (par. 34). L’amende est « égale à la valeur du bien » qui constitue un produit de la criminalité (par. 35; R. c. Rafilovich2019 CSC 51, [2019] 3 R.C.S. 838, par. 33).

[28]                        Il est vrai que le terme « produits de la criminalité » englobe non seulement les biens, mais aussi tout « bénéfice » ou « avantage » (par. 462.3(1) C. cr.). L’inclusion de ces termes dans la définition de « produits de la criminalité » s’explique par le fait que certaines infractions désignées, telles que la fraude envers le gouvernement (par. 121(1) C. cr.) ou les actes de corruption dans les affaires municipales (par. 123(1) C. cr.), visent notamment l’offre ou l’acceptation d’un « avantage » ou d’un « bénéfice ». Mais la disposition portant sur l’amende compensatoire se limite à la notion de « bien », la valeur du bien en question dictant le montant de l’amende.

[29]                        Le terme « biens », au sens du Code criminel, comprend les « biens originairement en la possession ou sous le contrôle d’une personne, et tous biens en lesquels ou contre lesquels ils ont été convertis ou échangés et tout ce qui a été acquis au moyen de cette conversion ou de cet échange » (art. 2 C. cr.). Cette définition est suffisamment large pour viser les revenus bruts tirés de la vente de biens obtenus criminellement (voir R. c. Way2017 ONCA 754, 140 O.R. (3d) 309, par. 4-7). Pour reprendre les termes des auteurs R. W. Hubbard et autres, [traduction] « [l]e concept devrait clairement comprendre tous les produits de la criminalité, et non pas seulement ceux qui restent après déduction des dépenses » (Money Laundering & Proceeds of Crime (2004), p. 442). Du reste, le fait de départager les revenus et les dépenses du contrevenant dans le but d’établir sa marge de profits reviendrait essentiellement à légitimer l’activité criminelle. Or, le législateur a justement adopté le par. 462.37(3) C. cr. pour priver les contrevenants des fruits de leur crime et leur retirer toute motivation de poursuivre leurs desseins criminels.

[30]                        En deuxième lieu, le tribunal qui limiterait la portée d’une amende aux profits tirés par un contrevenant de ses activités criminelles ferait fi de la nature de cette ordonnance. En effet, c’est uniquement lorsque la confiscation du bien est irréalisable que l’amende peut être ordonnée à titre de sanction de substitution (R. c. Angelis2016 ONCA 675, 133 O.R. (3d) 575, par. 72R. c. Ford2013 NBCA 63, 412 R.N.-B. (2e) 196, par. 5). L’équivalence entre le montant de l’amende et la valeur du bien est inhérente à la notion de remplacement (Lavigne, par. 35).

[31]                        En l’espèce, bien que du sirop d’érable soit en cause, la hiérarchie entre les différents complices n’est pas sans rappeler celle d’un réseau de trafiquants de drogues. Par analogie, dans l’affaire R. c. Devloo and Ong2018 MBQB 140, par. 49-51 (CanLII), le contrevenant a été condamné à payer une amende compensatoire de 212 000 $, montant qui correspondait aux sommes reçues en échange de stupéfiants. Les profits du contrevenant se limitaient à 4 000 $, le reste ayant été redistribué à d’autres membres de l’organisation criminelle. Le tribunal de première instance a néanmoins refusé de limiter à 4 000 $ le montant de l’amende en l’absence de preuve établissant un partage des profits entre le contrevenant et ses coaccusés, décision qu’a, à juste titre, confirmée la Cour d’appel du Manitoba (R. c. Devloo2020 MBCA 3, 384 C.C.C. (3d) 288, par. 92).

[32]                        À cet égard, l’auteur P. M. German souligne que [traduction] « [l]’arrestation d’un participant fait penser à une version du jeu “Fais tourner la bouteille” (“spin the bottle”) où la bouteille s’arrête devant une personne qui se retrouve en fin de compte responsable de la valeur brute des drogues, alors que d’autres personnes au sein de l’organisation, qui n’ont pas été arrêtées, n’assument aucune part de ce fardeau » (Proceeds of Crime and Money Laundering : Includes Analysis of Civil Forfeiture and Terrorist Financing Legislation (feuilles mobiles), § 15:28). Ce résultat en apparence sévère s’explique par la nature de l’amende compensatoire : si la drogue s’était retrouvée entre les mains du contrevenant, elle aurait été confisquée dans son entièreté (§ 15:28).

[33]                        En dernier lieu, le fait de limiter une amende compensatoire aux profits tirés par le contrevenant de ses activités criminelles sape et occulte l’intention du législateur (R. c. Banayos and Banayos2018 MBCA 86, 365 C.C.C. (3d) 528, par. 64). Comme l’a affirmé notre Cour dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. Laroche2002 CSC 72, [2002] 3 R.C.S. 708, « [l]’objectif législatif poursuivi par la partie XII.2 dépasse visiblement la simple punition du crime » (par. 25; voir aussi Lavigne, par. 25Dieckmann, par. 88). L’amende ne fait pas partie de la peine globale infligée au contrevenant pour la commission de l’infraction désignée (Lavigne, par. 25-26R. c. Schoer2019 ONCA 105, 371 C.C.C. (3d) 292, par. 93Angelis, par. 44R. c. Dritsas2015 MBCA 19, 315 Man. R. (2d) 205, par. 56R. c. Khatchatourov2014 ONCA 464, 313 C.C.C. (3d) 94, par. 55). En ce sens, le montant de l’amende ne varie pas en fonction du degré de culpabilité morale du contrevenant ni des circonstances de l’infraction. L’amende a plutôt comme double objectif de priver le contrevenant des produits de son crime et de le dissuader de récidiver. Mais l’objectif de dissuasion ne vise pas que le contrevenant lui-même : il cible également ses complices potentiels et les organisations criminelles (Lavigne, par. 23).

[34]                        Par la sévérité des dispositions sur les produits de la criminalité, le législateur envoie le message clair que « le crime ne paie pas » et tente ainsi de décourager les individus de s’organiser et de commettre des crimes motivés par l’appât du gain. Dans l’arrêt Lavigne, la juge Deschamps souligne que « [l]’efficacité des moyens mis en œuvre dépend largement de la rigueur des nouvelles dispositions et de leur effet dissuasif » (par. 9). C’est donc à dessein que le législateur recourt à une mesure très sévère en prescrivant que l’amende doit correspondre à la valeur du bien. Réduire une amende aux seuls profits tirés par le contrevenant de ses activités criminelles irait clairement à l’encontre de cet objectif.

[35]                        En somme, le pouvoir discrétionnaire conféré aux tribunaux par le par. 462.37(3) C. cr. ne leur permet pas de limiter le montant de l’amende compensatoire aux profits tirés de l’activité criminelle. Conformément aux enseignements de l’arrêt Lavigne, ce pouvoir discrétionnaire s’applique d’abord à la décision d’infliger ou non une amende, puis à la détermination de la valeur du bien (par. 35).

[36]                        À cette seconde étape, le fardeau qui incombe au ministère public se limite à démontrer que le contrevenant a possédé ou contrôlé un bien qui constitue un produit de la criminalité et à en établir la valeur (Angelis, par. 35Dwyer, par. 24-27). Le ministère public n’a pas à prouver que le contrevenant a profité personnellement des produits de la criminalité (R. c. Piccinini2015 ONCA 446, par. 19 (CanLII); R. c. Siddiqi2015 ONCA 374, par. 6 (CanLII)). Le tribunal n’a pas non plus à s’interroger sur l’utilisation subséquente du bien par le contrevenant, par exemple la manière dont il a dépensé de l’argent liquide (Schoer, par. 105R. c. Dow, 2014 NBCA 15, 418 R.N.‑B. (2e) 222, par. 37; R. c. S. (A.)2010 ONCA 441, 258 C.C.C. (3d) 13, par. 14).

[37]                        La détermination de la valeur du bien doit s’appuyer sur la preuve et non sur « un calcul purement théorique qui ne correspond pas à la réalité » (R. c. Grenier2017 QCCA 57, par. 33 (CanLII)). Dans une situation impliquant la revente d’un bien obtenu criminellement, comme c’est le cas en l’espèce, le produit de la criminalité est, en principe, la somme obtenue en échange du bien originairement en la possession ou sous le contrôle du contrevenant, conformément à la définition du mot « biens » prévue à l’art. 2 C. cr., somme qui n’est pas nécessairement égale à la valeur marchande du bien vendu. Il faut garder à l’esprit que l’amende compensatoire vise à priver le contrevenant des produits de son crime et non à compenser la perte de la victime, ce qui est le propre d’une ordonnance de restitution (R. c. Lawrence2018 ONCA 676, par. 14-15 (CanLII)). Finalement, la capacité de payer du contrevenant ne doit pas être considérée dans la détermination du montant de l’amende compensatoire, pas plus qu’elle ne doit l’être dans le cadre de la décision d’infliger ou non une amende (Rafilovich, par. 32Lavigne, par. 37).

(3)         Le pouvoir discrétionnaire de répartir la valeur du bien entre des coaccusés

[38]                        Les principes généraux sur la détermination du montant d’une amende compensatoire étant exposés, il convient maintenant de se pencher sur les situations impliquant des coaccusés, lesquelles soulèvent des enjeux particuliers. Notre Cour ne s’est pas encore prononcée sur la question de savoir si, exceptionnellement, un contrevenant peut être condamné à payer moins que la valeur totale du bien qui était en sa possession ou sous son contrôle, lorsque plusieurs coaccusés ont possédé ou contrôlé le même bien constituant un produit de la criminalité. Plus précisément, la présente affaire implique une possession successive d’un même bien, en l’occurrence la somme de 10 000 000 $ possédée et contrôlée par M. Vallières, dont il n’a en définitive conservé qu’une partie, après redistribution à ses complices.

[39]                        À mon avis, les tribunaux peuvent diviser la valeur du bien entre plusieurs coaccusés pour éviter un risque de double recouvrement. Ce risque se manifeste lorsque le ministère public réclame l’infliction d’amendes compensatoires contre plus d’un contrevenant à l’égard des mêmes produits de la criminalité. À l’étape de l’infliction de l’amende compensatoire, on ne peut qu’évoquer un « risque » de double recouvrement, parce qu’il se peut fort bien que ce scénario ne se concrétise jamais, dans la mesure où certains coaccusés pourraient se retrouver dans l’incapacité d’acquitter leur amende dans le délai imparti. Cependant, cette éventualité n’empêche pas le tribunal de répartir l’amende entre des coaccusés, dès lors qu’il existe un risque de double recouvrement, qu’une demande en ce sens est formulée par le contrevenant et que la preuve permet d’en décider.

[40]                        Il incombe au contrevenant de demander et de convaincre le tribunal que la répartition de la valeur du bien entre des coaccusés est indiquée, car il s’agit d’une exception au principe général selon lequel le montant de l’amende doit correspondre à la valeur du bien qui était en sa possession ou sous son contrôle.

[41]                        Ce pouvoir discrétionnaire de répartition, dont l’exercice est guidé par le principe directeur consistant à éviter un double recouvrement, est conforme à l’objectif du par. 462.37(3) C. cr. et à la nature de l’ordonnance (Lavigne, par. 27).

[42]                        D’une part, la répartition de la valeur du bien entre des coaccusés respecte le double objectif de privation du gain et de dissuasion. Chacun des coaccusés est privé des fruits qu’il a tirés de l’activité criminelle et, du même coup, la valeur totale du bien demeure susceptible de recouvrement. D’autre part, cette répartition est conforme à la nature d’une ordonnance de substitution. L’infliction d’une ou de plusieurs amendes qui, ensemble, excèdent la valeur totale du bien est incompatible avec la notion de remplacement. En effet, si le bien avait été disponible, il n’aurait été confisqué qu’une seule fois.

a)            Les principes guidant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de répartition

[43]                        L’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal est limité par les circonstances dans lesquelles l’ordonnance doit être rendue (Lavigne, par. 27). Les conditions donnant ouverture au pouvoir discrétionnaire de répartition du tribunal sont les suivantes.

[44]                        Dans un premier temps, un contrevenant ne peut se contenter de plaider qu’il a transféré le bien à un tiers pour avoir droit à une répartition. Encore faut-il que ce tiers soit lui aussi inculpé pour que le contrevenant puisse invoquer un risque de double recouvrement (Siddiqi, par. 6). Il va de soi que le problème du double recouvrement ne se pose pas lorsque le contrevenant fait face seul à la justice (Schoer, par. 95, note 2).

[45]                        À cet égard, l’affaire Dieckmann représente un cas de figure particulier. Il ne pouvait exister un risque réel de double recouvrement en raison du décès des complices, mais la répartition du montant total de la fraude entre la contrevenante et ses complices décédés était néanmoins justifiée dans les circonstances. La preuve démontrait qu’il y avait eu partage des produits de la fraude, les complices décédés étaient clairement coupables de l’infraction reprochée, mais aussi, et surtout, le ministère public a concédé qu’il aurait réparti la valeur du bien entre les complices si leur procès avait eu lieu.

[46]                        Dans un deuxième temps, la preuve doit démontrer que plusieurs coaccusés ont possédé ou contrôlé un même bien ou une partie de celui-ci à un moment ou à un autre (R. c. Lawlor2021 ONCA 692, par. 27 (CanLII)). Dans l’arrêt Dieckmann, la Cour d’appel de l’Ontario énonce à bon droit que [traduction] « s’il y a devant le tribunal des éléments de preuve établissant l’existence d’une répartition des profits ou permettant de conclure en ce sens, il est loisible au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’ajuster le montant de l’amende en conséquence » (par. 100).

[47]                        Dans l’arrêt R. c. Chung2021 ONCA 188, 402 C.C.C. (3d) 145, la Cour d’appel de l’Ontario, interprétant sa propre décision dans Dieckmann, précise également ce qui suit :

[traduction] Toutefois, lorsqu’il y a de nombreux contrevenants devant le tribunal et qu’ils ont tous eu à tour de rôle le bien entre les mains sans que le premier contrevenant ne conserve la pleine valeur du bien en question, le juge chargé de la détermination de la peine peut assigner à celui-ci une portion de l’amende inférieure à la pleine valeur du bien qu’il a eu en sa possession et sous son contrôle, pour autant que le reste de la valeur totale des produits du crime soit réparti entre les autres contrevenants devant le tribunal . . . [Je souligne; par. 101.]

[48]                        Je souscris à cette affirmation. En principe, l’amende d’un contrevenant ne peut être réduite que proportionnellement au montant des amendes infligées à ses coaccusés qui reçoivent leur peine dans la même instance, afin que la valeur totale du bien demeure susceptible de recouvrement. Cette opération discrétionnaire présente un caractère approximatif et mérite déférence. À titre d’exemple, dans l’affaire R. c. Sam (1998), 1998 CanLII 12298 (SK CA), 163 Sask. R. 314, la Cour d’appel de la Saskatchewan a choisi d’assigner en parts égales la valeur totale de substances illicites entre deux coaccusés, lesquels dirigeaient ensemble une opération de trafic de drogues (par. 15-17).

[49]                        L’opération de répartition soulève des difficultés particulières lorsque les coaccusés du contrevenant sont jugés dans des instances distinctes. Dans un tel cas, il est loisible au tribunal de prendre en considération les amendes déjà infligées aux coaccusés, s’il est convaincu qu’elles créent un risque de double recouvrement du même bien. Cela dit, le fait que certains coaccusés n’aient pas encore subi leur procès au moment où un contrevenant reçoit sa peine ne devrait pas priver ce dernier du bénéfice de la répartition. Un tribunal ne peut prévoir si des amendes seront infligées ou non aux coaccusés du contrevenant dans les autres instances, ni leur montant. Pour parer à ce problème, il suffit au tribunal de conclure que la preuve dont il dispose lui aurait permis d’infliger une amende aux coaccusés, si ces derniers s’étaient retrouvés devant lui, justifiant ainsi une répartition fondée sur le risque de double recouvrement. En définitive, la manière d’exercer ce pouvoir discrétionnaire dépendra des circonstances de chaque affaire.

[50]                        Lorsque les conditions créant une possibilité de double recouvrement sont réunies, le tribunal doit procéder à la répartition de la valeur du bien entre les coaccusés afin d’éviter que ce risque ne se concrétise. Le tribunal n’a d’autre choix que de procéder ainsi, car l’exercice de son pouvoir discrétionnaire doit être conforme à la nature de l’amende compensatoire, laquelle remplace le bien non confiscable, ni plus ni moins. Le tribunal conserve cependant une certaine souplesse dans la manière de répartir la valeur du bien entre les coaccusés, vu le caractère approximatif de l’exercice.

b)            Le devoir qui incombe au ministère public

[51]                        Bien que le fardeau de soulever et d’établir que la répartition est indiquée incombe au contrevenant, le ministère public n’est pas pour autant déchargé de toute responsabilité à cet égard.

[52]                        Pour mitiger les risques de double recouvrement, le ministère public devrait, dans la mesure du possible, répartir de son propre chef entre les coaccusés la valeur du bien qui constitue un produit de la criminalité, lorsqu’il dispose d’une preuve indiquant que ce même bien ou une partie de celui-ci a été simultanément ou successivement en la possession ou sous le contrôle de ces derniers. Il s’agit d’un devoir qui incombe au ministère public dans le cadre de son rôle de « représentant de la justice », lequel exclut toute notion de gain ou de perte (R. c. Regan2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, par. 65).

[53]                        Le ministère public devrait s’acquitter de ce devoir en tout temps, mais à plus forte raison lorsque les coaccusés subissent des procès séparés. En effet, le ministère public possède une vue d’ensemble des différentes instances et il peut, en amont, limiter le montant qu’il réclame à titre d’amende compensatoire dans chacune des procédures, afin que le total des amendes infligées aux coaccusés corresponde à la valeur du bien qui constitue un produit de la criminalité.

[54]                        À titre d’illustration, si le ministère public détient la preuve qu’un contrevenant a eu sous son contrôle une somme totale de 100 000 $ provenant d’une fraude, et qu’il a ensuite distribué la somme de 50 000 $ à son coaccusé, le ministère public devrait limiter sa demande à 50 000 $ dans chacune des instances, plutôt que de créer délibérément un risque de double recouvrement en réclamant 100 000 $ au premier contrevenant.

[55]                        Bien entendu, le ministère public demeure libre de renoncer à réclamer une amende compensatoire ou d’en limiter le montant dans le cadre d’une suggestion commune sur la peine de l’un des coaccusés. Lorsque l’État renonce à réclamer une amende ou une partie de celle-ci, il n’existe évidemment aucune possibilité de double recouvrement en rapport avec la somme que le contrevenant est ainsi dispensé de payer. En conséquence, les coaccusés du contrevenant ne peuvent invoquer la somme faisant l’objet de la dispense pour limiter leur propre amende. Je le répète, seule la possibilité d’un double recouvrement donne ouverture à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de répartition du tribunal, afin de respecter la nature substitutive de l’amende compensatoire. Le montant de l’amende est déterminé en fonction de la valeur du bien qui n’est plus confiscable et non des considérations relatives à l’équité ou à la capacité de payer du contrevenant.

c)            Conclusion

[56]                        En résumé, l’amende doit en principe être équivalente à la valeur du bien qu’a possédé ou contrôlé le contrevenant à un quelconque moment. L’exception à ce principe, suivant laquelle le contrevenant peut être condamné au paiement d’une somme inférieure à la valeur totale du bien en sa possession ou sous son contrôle, se justifie par le souci d’éviter qu’il y ait double recouvrement de la valeur d’un même bien auprès de plusieurs coaccusés.

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