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dimanche 7 septembre 2025

Retrait d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé pour cause de méconnaissance d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente, à savoir l’interdiction de territoire issue de la LIPR

Zamiara c. R., 2020 QCCA 841

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a.         Principes

[51]        Dans Wong, les juges Moldaver, Gascon, Brown et Rowe, sous la plume des trois premiers, décrivent ainsi le premier volet du test applicable en matière de retrait d’un plaidoyer de culpabilité :

[9]        Nous reconnaissons que l’accusé doit tout d’abord établir qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente au moment de plaider coupable et nous souscrivons à une méthode générale d’évaluation de la pertinence d’une conséquence indirecte pour juger si un plaidoyer de culpabilité était suffisamment éclairé. Nous convenons également qu’une conséquence indirecte juridiquement pertinente est habituellement imposée par l’État, découle de la déclaration de culpabilité ou de la peine et touche des intérêts sérieux de l’accusé. Et, tout comme notre collègue, nous n’estimons pas nécessaire de définir la portée exacte de ces conséquences ou leurs caractéristiques pour les besoins du présent pourvoi. Toutefois, à notre avis, la formulation du deuxième volet par notre collègue pose problème sous deux rapports.

[Je souligne]

[19]      À notre avis, l’accusé qui souhaite retirer son plaidoyer de culpabilité doit prouver l’existence d’un préjudice au moyen d’un affidavit établissant la possibilité raisonnable qu’il aurait (1) enregistré un plaidoyer différent ou (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Cette façon de faire atteint ce que nous considérons être le juste équilibre entre le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé.

[20]      S’agissant du premier type de préjudice — lorsque l’accusé aurait opté pour un procès et plaidé non coupable — il se présentera évidemment des situations où l’accusé n’aura que peu ou pas de chances d’avoir gain de cause à son procès, et que choisir de subir son procès n’est pour lui qu’une tentative de dernier recours. Mais de faibles chances d’avoir gain de cause au procès ne signifient pas forcément que l’accusé n’est pas sincère lorsqu’il affirme qu’il aurait enregistré un plaidoyer différent. Pour certains accusés, comme celui dans l’affaire Lee, la conséquence certaine, quoiqu’auparavant inconnue, d’une déclaration de culpabilité rendait intéressantes même de faibles chances d’avoir gain de cause à l’issue d’un procès. Dans un tel cas, et si la cour reconnaît la véracité de ses propos, l’accusé aura su prouver l’existence d’un préjudice et devrait être autorisé à retirer son plaidoyer.

[21]      Ce qui nous laisse le second type de préjudice — lorsque l’accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Le fait qu’un accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions, suffira à établir l’existence d’un préjudice si la cour arrive à la conclusion que l’accusé aurait insisté pour que son plaidoyer de culpabilité soit assorti de ces conditions et si cellesci auraient dissipé la totalité ou une partie des effets négatifs de la conséquence juridiquement pertinente. Nous n’avons pas la prétention d’énumérer toutes les conditions susceptibles de donner lieu à un préjudice si elles sont soulevées par l’accusé. Cellesci comprennent par contre à tout le moins le consentement à plaider coupable à une accusation réduite relativement à une infraction moindre et incluse, le retrait d’autres accusations, l’engagement du ministère public à ne pas donner suite à d’autres accusations ou la présentation d’une recommandation conjointe relative à la peine.

[…]

[23]      Nous notons incidemment que l’accusé n’est pas tenu de prouver un moyen de défense valable à l’égard de l’accusation dont il fait l’objet en vue de retirer un plaidoyer pour des motifs d’ordre procédural. [traduction] « [L]e préjudice réside dans le fait qu’en plaidant coupable, l’accusé a renoncé à son droit à un procès » (R. c. Rulli2011 ONCA 18, par. 2 (CanLII)). Exiger de l’accusé qu’il fasse état de la voie menant à son acquittement va à l’encontre de la présomption d’innocence et de la nature subjective de la décision de plaider coupable. L’accusé a parfaitement le droit de garder le silence, de ne présenter aucune défense et d’obliger le ministère public à s’acquitter de son fardeau de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Il serait insensé de permettre à un accusé de subir un procès en première instance sans avoir à présenter une quelconque défense tout en insistant sur une telle défense dans le cas du retrait d’un plaidoyer non éclairé qui renverrait l’affaire à procès. Même si la décision de subir un procès pourrait s’avérer malavisée ou même téméraire, nous ne cherchons pas à protéger l’accusé contre luimême. Nous cherchons plutôt à protéger le droit de l’accusé d’enregistrer un plaidoyer éclairé.

[…]

[26]      Même si son analyse porte principalement sur le choix subjectif de l’accusé, le tribunal n’a pas à accepter automatiquement la prétention de celuici. Comme c’est le cas pour toutes les conclusions sur la crédibilité, la prétention de l’accusé quant à savoir quel aurait été son choix subjectif et pleinement éclairé est appréciée en fonction de circonstances objectives. Le tribunal doit donc examiner attentivement la prétention de l’accusé et se pencher sur la preuve circonstancielle et objective permettant de mettre à l’épreuve la véracité de cette prétention au regard d’une norme de possibilité raisonnable. Figurent au nombre de ces facteurs la solidité du dossier du ministère public, les concessions ou déclarations faites par le ministère public au sujet de son dossier (notamment s’il s’est montré disposé à présenter une recommandation conjointe ou à réduire l’accusation à celle d’une infraction moindre et incluse) et tout moyen de défense pertinent que l’accusé pourrait faire valoir. Le tribunal pourrait aussi évaluer la solidité du lien de causalité entre le plaidoyer de culpabilité et la conséquence indirecte, c’estàdire examiner si l’élément déclencheur de la conséquence indirecte est la déclaration de culpabilité comme telle et non la durée de la peine. Plus précisément, lorsque la conséquence indirecte dépend de la durée de la peine — sans oublier qu’un plaidoyer de culpabilité atténue généralement la peine imposée —, le tribunal pourrait avoir des raisons de douter de la véracité de la prétention avancée par l’accusé.

[…]

[28]      Bien entendu, l’examen judiciaire de la prétention d’un accusé ne se fonde pas uniquement sur les circonstances objectives concomitantes au plaidoyer initial, puisque ces circonstances pourraient ne pas témoigner des préférences propres à l’accusé. Par conséquent, le tribunal de révision doit en outre mettre à l’épreuve la véracité des affirmations de l’accusé comme telles. Un tribunal pourrait conclure à juste titre que les préférences exprimées par un accusé sont crédibles et qu’elles établissent une possibilité raisonnable de préjudice en s’appuyant exclusivement sur le contenu de l’affidavit de l’accusé et sur le fait que ce dernier ne s’est pas compromis lors de son contreinterrogatoire.

[29]      Cependant, tout au long de la mise à l’épreuve de la prétention de l’accusé, il faut s’attacher à ce que l’accusé en cause — et seulement lui — aurait fait. Cette analyse subjective repose sur le caractère subjectif de la décision initiale d’enregistrer un plaidoyer. Puisque le plaidoyer de culpabilité initial exprime le jugement subjectif de l’accusé, il s’ensuit logiquement que le test permettant le retrait du plaidoyer porte lui aussi sur ce même jugement. Cette approche établit un juste équilibre entre l’intérêt qu’a la société dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé en annulant son plaidoyer uniquement s’il avait procédé différemment.

[…]

[33]      Rappelons que le cadre d’analyse pour l’annulation d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé comporte deux volets distincts : (1) l’accusé a été mal informé au sujet de renseignements pouvant avoir des conséquences suffisamment graves; (2) ce manque de renseignements donne lieu à un préjudice (motifs du juge Wagner, par. 44). Bien que cette distinction entre les deux volets se confonde parfois dans les motifs du juge LeBel dans Taillefer, à notre avis, l’interprétation la plus juste de ses motifs devrait conserver cette distinction.[29]

[24]      Pour cette même raison, nous sommes d’accord avec notre collègue que le cadre d’analyse de l’assistance inefficace de l’avocat n’est pas pertinent en l’espèce (motifs du juge Wagner, par. 60). Ce cadre d’analyse porte essentiellement sur la source de l’information erronée (ou incomplète) plutôt que sur l’information erronée ellemême. La source d’une information erronée n’entre pas en ligne de compte lorsque vient le temps d’examiner si cette information a donné lieu à un préjudice. Comme la juge Saunders l’a expliqué en Cour d’appel, l’erreur judiciaire survenue en l’espèce résulte de l’invalidité du plaidoyer de M. Wong (2016 BCCA 416, 342 C.C.C. (3d) 435, par. 24).[30]

[54]        Bref, une fois prouvée sa méconnaissance d’une conséquence indirecte, mais juridiquement pertinente, méconnaissance qui entache le caractère éclairé du plaidoyer, l’accusé doit donc également démontrer l’existence d’un préjudice en établissant la « possibilité raisonnable qu’[il aurait] soit (1) opté pour un procès et plaidé non coupable, soit (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions »[31]. Et, ajoutent les juges majoritaires dans Wong, « [p]our évaluer la véracité de cette prétention, les cours peuvent examiner des éléments de preuve concomitants et objectifs. L’analyse est donc subjective visàvis de l’accusé, mais permet d’évaluer objectivement la crédibilité de la prétention subjective avancée par l’accusé »[32].

Les cas de figure où l’individu qui n’est pas un résident permanent sera interdit de territoire s’il est déclaré coupable par le Tribunal

Zamiara c. R., 2020 QCCA 841

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[19]        En vertu des al. 36(1)a)(2)a) et (3)a) LIPR, l’individu qui n’est pas un résident permanent (ce qui inclut la personne se trouvant au Canada en vertu d’un permis de travail) est donc interdit de territoire s’il est déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale passible d’un emprisonnement de dix ans ou plus ou s’il est déclaré coupable d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation (ce qui, en vertu de la présomption édictée par l’al. 36(3)a) LIPR, inclut l’infraction mixte, assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation).

[20]        Un rapport d’interdiction de territoire doit alors être établi en vertu du paragr. 44(1) LIPR, ce qui, sur décision du ministre (paragr. 44(2) LIPR) ou de la Section de l’immigration (al. 45d) LIPR), entraînera une mesure de renvoi. En raison du paragr. 63(3) LIPR, l’étranger interdit de territoire pour grande criminalité ou pour criminalité ne dispose d’aucun droit d’appeler de cette mesure. Un recours en contrôle judiciaire de la mesure de renvoi peut cependant être envisageable (art. 72 LIPR).

[21]        En l’espèce, il se trouve que l’agression sexuelle (al. 271a) C.cr.), l’entrave à la justice (paragr. 139(2) C.cr.) et l’omission de se conformer à une condition d’un engagement (al. 145(3)a) C.cr.), infractions mixtes, ont fait l’objet d’une mise en accusation. Les deux premières sont dès lors passibles d’un emprisonnement de dix ans et engendrent toutes les deux une interdiction de territoire pour grande criminalité au sens des al. 36(1)a) et 36(3)a) LIPR, de même qu’une interdiction de territoire pour criminalité au sens des al. 36(2)a) et 36(3)a) LIPR, l’appelant étant un étranger au sens de l’art. 2 LIPR et non un résident permanent. La troisième entraîne une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et une interdiction de territoire pour criminalité au sens de l’al. 36(2)a) LIPR. Dans tous les cas, vu le statut d’étranger de l’appelant, la peine effectivement imposée n’importe pas, sous réserve de l’absolution, sur laquelle je reviendrai.

[22]        À la suite du jugement de première instance, un rapport d’interdiction de territoire a été dressé, comme on l’a vu, puis une mesure de renvoi prise à l’endroit de l’appelant. Celui-ci, en sa qualité d’étranger[14], était privé de tout droit d’appel et n’a par ailleurs pas demandé le contrôle judiciaire de cette mesure ni son sursis.

[23]        Précisons enfin que l’intimée reconnaît que la triple condamnation de l’appelant l’exposait à une interdiction de territoire et à une mesure d’expulsion, tout comme elle reconnaît que, au moment de plaider coupable, l’appelant ignorait bel et bien que de telles conséquences s’ensuivraient.

La conséquence juridique qui découle de l’application automatique de l’article 36 de la LIPR suffit pour établir que l’absolution est dans l’intérêt de l’appelant au sens de l’article 730

Reyes c. R., 2014 QCCS 4434

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[32]        L’article 36 est reproduit plus haut.

[33]        Il prévoit que le fait d’être condamné[5] au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation emporte, sauf pour le résident permanent, une interdiction de territoire pour criminalité. 

[34]        Même si l’appelant a été déclaré coupable de deux infractions punissables sur procédure sommaire, le paragraphe 36(3) prévoit que l’infraction sommaire est assimilée à une infraction punissable par mise en accusation[6].

[35]        Le texte clair du paragraphe 36(2) de la LIPR n’exige aucune interprétation[7]. Son objet a été décrit par le juge Décary de la Cour d’appel fédérale dans Cha : « [l]'objet de l'article 36 est clair : les non-citoyens qui commettent certains types d'infractions criminelles ne doivent pas entrer ou demeurer au Canada »[8].

[36]        Les condamnations de l’appelant emportent automatiquement une interdiction de territoire pour criminalité[9]. Il est vrai que des considérations humanitaires peuvent entrer en jeu et pourraient faire l’objet d’une demande par un étranger[10].

[37]        Cependant, il serait inopportun de conclure que l’intérêt véritable de l’accusé n’a pas été établi au sens de l’article 730 C.cr. parce que la LIPR prévoit la possibilité de faire valoir de tels motifs. 

[38]        Dans la présente affaire, le juge d’instance a été informé des conséquences indirectes par l’avocate de l’appelant, mais il n’en a pas tenu compte.

[39]        Il semble qu’il n’ait pas correctement identifié la portée du paragraphe 36(2) et son effet qui est indéniable.  

[40]        Contrairement à l’affirmation de la poursuite, le juge ne peut avoir eu à l’esprit les principes de l’arrêt Pham et les avoir appliqués s’il n’a pas tenu compte du texte même de l’art. 36 de la LIPR.

[41]        En pratique, pour reprendre l’expression utilisée dans l’arrêt Pham, le juge n’était pas au courant de ces conséquences indirectes.

[42]        Par ailleurs, le juge d’instance ne pouvait considérer que l’omission pour l’avocate de l’appelant de présenter une preuve au sujet des conséquences en matière d’immigration était une décision stratégique de sa part.

[43]        En effet, il n’était pas nécessaire de présenter une preuve, car les conséquences de la condamnation découlent tout simplement de l’application de la LIPR. La condamnation de l’appelant emporte l’interdiction de territoire.

[44]        Finalement, il faut souligner « qu'il n'est pas nécessaire de démontrer que ces conséquences se manifesteront réellement; il suffit qu'une possibilité existe »[11].

[45]        La conséquence juridique qui découle de l’application automatique de l’article 36 de la LIPR suffit pour établir que l’absolution est dans l’intérêt de l’appelant au sens de l’article 730.

[46]        Cette erreur de droit ayant été établie, le Tribunal ne peut toutefois accueillir l’appel et ordonner une nouvelle audience de détermination de la peine. 

[47]        En effet, en pareilles circonstances, le tribunal d’appel « inflige une peine juste dans ce qui équivaut à une nouvelle audience de détermination de la peine »[12] en fonction du dossier tel que produit devant lui.

[48]        La conclusion que l’absolution est dans l’intérêt véritable de l’appelant ne suffit pas pour justifier l’octroi d’une absolution. Les conséquences indirectes en matière d’immigration sont un facteur pertinent, mais ne justifie pas automatiquement une absolution[13]. Il convient d'évaluer maintenant si l’absolution nuira à l’intérêt public.

mercredi 19 mars 2025

L’intérêt public et le besoin d’exemplarité lors de la détermination de la peine

Ivanov c. R., 2025 QCCA 301

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[75]      Bien que la juge liste les éléments à considérer dans l’analyse de l’intérêt public[29], il semble qu’elle les évalue à l’aune du facteur de la confiance du public envers le système judiciaire. En effet, les constats qu’elle dresse à partir des facteurs pertinents ressortent de ces passages du jugement sur la peine :

[109]   Ce critère doit s’apprécier en tenant compte de ce que pourrait penser une personne raisonnable et renseignée, advenant l’imposition d’une telle mesure.

[110]   Ainsi, y a-t-il un risque que le justiciable perde confiance dans le système judiciaire si tel était le cas?

[111]    Le tribunal répond par l’affirmative à cette question.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[76]      Cette réponse a conduit au rejet de la demande d’absolution :

[124]   Le Tribunal conclut en effet que l’absolution ne constitue pas une peine juste et proportionnée en l’espèce. Car absoudre l’accusé irait à l’encontre des objectifs selon lesquels il faut dénoncer le caractère inacceptable et criminel de la violence conjugale et accroître la confiance des victimes et du public dans l’administration de la justice.

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[77]      Tout en étant des notions distinctes, la confiance du public dans le système de justice participe avec d’autres facteurs à évaluer l’intérêt public au sens où l’entend le paragraphe 730(1) C.cr.

[78]      L’intérêt public s’apprécie notamment au regard du besoin de dissuasion générale, de la gravité objective et subjective de l’infraction et de son incidence dans la collectivité. Il est aussi bon de préciser que l’octroi de l’absolution n’a pas à être dans l’intérêt public, même s’il ne doit pas lui nuire[30].

[79]      En ce qui a trait au maintien de la confiance du public dans le système judiciaire, ce facteur doit être apprécié au regard de l’opinion d’une personne raisonnable et bien informée sur le fonctionnement du système de justice, du contexte infractionnel et du profil du contrevenant[31].

[80]      Dans le cadre de tout ce processus d’évaluation, le juge de la peine ne doit pas perdre de vue la possibilité, si démontrée, qu’un contrevenant devienne un jour une personne utile à sa communauté[32]. Les auteurs Parent et Desrosiers écrivent « [qu’]il est dans l’intérêt public de ne pas nuire aux efforts déjà entrepris par l’accusé afin d’assurer sa réinsertion sociale »[33].

***

[81]      Le motif principal retenu par la juge pour exclure la possibilité d’une ordonnance d’absolution sous conditions repose sur l’insuffisance de la dénonciation que comporte cette mesure en matière de violence conjugale avec comme conséquence d’affecter la confiance du public dans le système de justice. Ce faisant, la juge commet une erreur similaire à celle relevée par mon collègue le juge Vauclair dans Harbour c. R. :

[97]      S’il faut, à l’occasion de l’évaluation de l’intérêt public, être sensible à la réaction de la personne raisonnable et bien renseignée […], cette sensibilité ne peut amener le juge [à] refuser une peine si elle est adéquate.[34]

[Renvois omis]

[82]      Dans R. c. Umakanthan, au soutien de sa décision de confirmer une ordonnance d’absolution prononcée en première instance, la Cour écrit :

[4]        […] The conditions that accompany the conditional discharge express a clear concern for denunciation and deterrence in a manner that is consistent with other objectives of sentencing.[35]

[Renvoi omis]

[83]      De plus, l’arrêt de la Cour suprême rendu dans R. c. Bertrand Marchand[36] enseigne qu’une absolution assortie de conditions strictes peut servir les objectifs de dissuasion et de dénonciation dans certaines circonstances[37].

[84]      En somme, surseoir au prononcé de la peine et l’absolution sous conditions sont deux mesures orientées sur la réinsertion sociale du contrevenant. L’imposition de certaines conditions facultatives dans l’ordonnance de probation jointe à ces mesures permet de concilier la clémence associée à ces deux modalités tout en leur conférant un certain aspect punitif.

[85]      Cela dit, je reconnais aisément qu’en matière de dissuasion spécifique, ces deux modalités de peine emportent des conséquences juridiques distinctes sur la personne du contrevenant. Toutefois, sur le plan de la dissuasion générale, une composante importante de l’intérêt public, je doute qu’une absolution assortie des mêmes conditions que celles prévues dans une ordonnance de probation (conditions facultatives) jointe à une ordonnance de surseoir à la peine suscite une grande inquiétude chez l’observateur averti en mesure de comprendre les mécanismes inhérents à chacune de ces modalités.

[86]      L’erreur de la juge aura donc été de mettre en place, au nom de la dissuasion générale, une mesure axée sur la dissuasion spécifique en exposant inutilement l’appelant aux tourments inhérents à un statut précaire alors qu’il est déjà reconnu dans le jugement sur la peine qu’une absolution sous conditions est dans son intérêt.

[87]      De plus, la mesure attaquée en appel ne comporte pas dans les faits un niveau d’exemplarité supérieur à une absolution assortie des mêmes conditions facultatives que celles ordonnées en première instance.

[95]      L’appelant était âgé de 19 ans au moment de l’infraction et il en a maintenant 25. À l’exception de son geste répréhensible, son parcours de vie est sans tache. Son jeune âge au moment des événements, son absence d’antécédents judiciaires tout comme son absence de prédisposition à la criminalité constituent d’autres facteurs atténuants auxquels j’accorde un poids important.

[96]      La dissuasion spécifique de l’appelant est acquise. Le dossier fait voir que l’expérience judiciaire vécue à ce jour lui a occasionné un important stress[38]. L’agent de probation note également que les premiers contacts de l’appelant avec le système judiciaire auront un effet dissuasif significatif sur son comportement futur[39].

[97]      Les démarches thérapeutiques de l’appelant doivent également être considérées comme étant un facteur atténuant, car elles démontrent sa volonté de s’amender. Il s’est d’abord inscrit au service d’aide thérapeutique de la ressource PRO‑GAM. Il a participé à quatre rencontres d’évaluation, à trois rencontres thérapeutiques individuelles et à une rencontre de groupe. Il s’est ensuite inscrit au programme de gestion de la colère offert par l’organisme COPATLA et il a complété avec succès les 15 séances du programme.

[98]      De plus, en date du 26 novembre 2021, l’appelant avait complété 57 heures de bénévolat au sein de la banque alimentaire du même organisme.

[99]      Je considère aussi que le faible risque de récidive doit être rangé parmi les facteurs atténuants importants. Le rapport présentenciel suggère cette conclusion alors qu’il y est mentionné que le programme de gestion de la colère a fourni à l’appelant des outils efficaces pour prévenir les comportements violents et résoudre les conflits[40].

[100]   De plus, l’inexistence d’une dépendance quelconque chez l’appelant, le soutien familial dont il bénéficie et son engagement dans la communauté sont autant d’éléments positifs qui appuient l’idée d’un risque de récidive qualifié de faible.

[101]   Tout ce qui précède confirme aussi le haut niveau d’avancement de l’appelant dans son processus de réinsertion sociale marqué par un parcours exemplaire depuis son arrestation en 2018.

[102]   La question à laquelle je dois maintenant répondre est celle de l’admissibilité de l’appelant à une absolution sous conditions. Or, cette mesure n’est ni une sentence routinière ni une sentence d’exception[41]. Si elle doit être accordée avec modération et non de façon systématique, elle peut être ordonnée dès lors que ses conditions d’ouverture sont réunies[42], « le seul test étant l'équilibre entre les intérêts de la société et ceux de l'accusé »[43].

[103]   En appel, le poursuivant ne revient pas sur la conclusion de la juge selon laquelle l’appelant à un intérêt véritable dans la mesure recherchée. Ce dernier risque d’être interdit de territoire pour raison de « grande criminalité ». Il ne m’est pas nécessaire de jauger l’ampleur de ce risque si ce n’est de dire que toute condamnation exposera l’appelant à différentes tracasseries administratives en raison de son statut actuel au Canada avec comme conséquence de générer inutilement de l’anxiété pour lui et ses proches.

[104]   De plus, la bonne moralité de l’appelant qui n’est pas remise en cause en appel et son absence d’antécédents judiciaires sont autant de facteurs qui militent pour la clémence[44].

[105]   Cela dit, et si, comme la juge l’a décidé, une probation comportant des conditions de nature corrective et punitive s’avère suffisamment exemplaire au regard de la situation de l’appelant, je demeure convaincu que le même niveau d’exemplarité peut être atteint par l’imposition des mêmes conditions, mais cette fois jointes à une absolution. Pour conclure ainsi, je m’appuie notamment sur ce passage de l’arrêt R. c. Bertrand Marchand :

[133]   En l’espèce, une absolution conditionnelle assortie de conditions strictes de probation servirait les objectifs de dissuasion et de dénonciation. En revanche, une peine de placement sous garde serait disproportionnée et ne rendrait pas compte du degré réduit de responsabilité d’un jeune délinquant qui en est à sa première infraction, lequel bénéficierait surtout d’une rééducation, et non d’une sanction excessive. Par conséquent, j’ordonnerais à l’égard de ce délinquant représentatif une absolution conditionnelle avec mise en probation de six mois[45].

[Soulignement ajouté]

[106]   De plus, et comme l’explique mon collègue le juge Vauclair dans l’arrêt Harbour c. R., l’absolution sous conditions comporte un mécanisme « par lequel le juge peut annuler l’absolution et infliger au contrevenant une peine pour l’infraction originale en plus de toute autre peine »[46]. Traitant de ce mécanisme, la doctrine souligne que « l’imposition d’une absolution conditionnelle comporte un aspect dissuasif qui est souvent sous-estimé »[47].

[107]   En ce qui a trait à l’attention particulière que je dois apporter au fait que l’infraction implique un mauvais traitement à une partenaire intime, j’estime que, si de l’avis du poursuivant et de la juge, les conditions imposées en première instance au moment de surseoir au prononcé de la peine permettent de satisfaire à ce facteur, les mêmes conditions facultatives, reprises cette fois au soutien d’une absolution sous conditions, devraient être en mesure d’atteindre cet objectif.

[108]   Finalement, il me semble que surseoir au prononcé de la peine plutôt que d’absoudre l’appelant sous conditions est susceptible de mettre à mal l’objectif important de réhabilitation rattaché à son jeune âge. Comme le souligne la Cour supérieure dans le jugement Camps c. R., « [p]lusieurs années peuvent s’écouler avant que l’appelant ne connaisse l’issue finale de son destin migratoire advenant le maintien de la peine infligée »[48]. Cette incertitude n’est certes pas favorable à la réhabilitation.

[109]   En somme, je suis d’avis que la personne raisonnable et bien informée de ce qui précède, au courant de tous les tenants et aboutissants de l’infraction en cause, consciente du profil favorable de l’appelant et de son haut niveau de réhabilitation tout en sachant que l’absolution sous conditions peut être annulée en cas de manquement de sa part, ne pourrait faire autrement que demeurer confiante dans notre système de justice.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...