R. c. Bourget, 2023 QCCQ 9229
[74] S’il est vrai que le policier présent auprès de lui avant que les enquêteuses ne le rencontrent mentionne que l’accusé est agité et bouleversé, et qu’il pourrait être intoxiqué, le Tribunal ne retient pas de son témoignage qu’il est dans un état d’esprit qui entrave sa capacité de comprendre ce qui se déroule. En effet, le témoin raconte que si l’accusé est un moulin à paroles et qu’il est difficile d’avoir son attention, il comprend les questions et y répond, même s’il s’éparpille, peut être difficile à suivre, et semble perdu dans ses dates. Si l’accusé ne souhaite initialement pas parler à un avocat, il le fait plus tard. L’accusé, assis sur le trottoir ou dans le véhicule de patrouille, est par ailleurs coopératif et n’est pas menotté pendant les quelque trois heures et trente minutes où le policier est auprès de lui.
[75] Cela dit, même s’il est inutile de déterminer de manière définitive si l’accusé est dans un état d’esprit conscient lors de ce premier volet de l’intervention policière du 13 mai, l’écoute de la rencontre avec les enquêteuses, enregistrée rappelons-le, convainc de l’aptitude de l’accusé alors à comprendre à la fois ce qui lui est dit, incidemment que ses propos pourraient servir de preuve contre lui dans des procédures criminelles, et ce qu’il dit.
[76] À la différence de l’arrêt Ward[27] sur lequel l’accusé attire l’attention, rien ne supporte en l’espèce que l’accusé est dans un état de choc tel qu’il ne sait pas ce qu’il dit et n’a pas la capacité cognitive requise pour satisfaire au critère de l’état d’esprit conscient.
[77] Le Tribunal ne souscrit pas non plus à la possibilité que son état le mène à avoir un certain espoir d’éviter d’être accusé s’il parle à la police, dans le contexte où il a d’abord été accusé avant de ne plus l’être, cette prétention ne reposant aucunement sur la preuve. Rappelons que l’accusé ne témoigne pas.
[78] Revenons à la rencontre.
[79] Après avoir identifié les parties présentes, le moment et le lieu de l’entretien, et avoir fait mention de l’enregistrement de la rencontre, l’enquêteuse Montpetit informe l’accusé de son droit de recourir à l’assistance d’un avocat, lui mentionne qu’il n’est pas en état d’arrestation ni accusé, qu’on cherche à avoir sa version, lui donne son droit au silence et le met en garde. Ce qui précède est fait de manière minutieuse et détaillée. L’accusé manifeste à plusieurs égards sa compréhension, expliquant notamment qu’il a parlé à un avocat plus tôt, qu’il a l’intention de « dire ce qu’il a à dire » malgré les recommandations, et répondant « je comprends » lorsqu’informé du contexte de la rencontre, de son droit au silence, et du fait que tout ce qu’il dira pourra servir de preuve contre lui. Plus tard pendant la rencontre, se souvenant à l’évidence de la mention que les enquêteuses souhaitent en apprendre sur les dernières 24 heures de vie de sa conjointe, l’accusé précise qu’il sait qu’il vient de déborder de cette période, mais qu’il sent le besoin de se raconter. Lors de son récit, il corrige également de lui-même une chronologie à l’évidence incorrecte. De nombreux éléments qu’il rapporte s’avèrent par ailleurs exacts selon ce qui est constaté dans l’appartement.
[80] Autrement, le Tribunal ne retient pas de la preuve que l’accusé est intoxiqué de façon à ce que son état en soit affecté. Rien dans le témoignage des enquêteuses ne le supporte. On constate d’ailleurs à l’écoute de l’enregistrement de la rencontre que l’accusé est courtois, calme et coopératif, et que ses propos sont logiques et cohérents, même s’il peut s’éloigner du sujet, comme vu précédemment lorsqu’il s’écarte des dernières 24 heures de vie de sa conjointe. Il précise son récit quand on lui demande de le faire.
[81] Il est ainsi manifeste que l’accusé est conscient de ce qui se déroule lors de cette rencontre, de ce qu’il fait, et de ce qu’il dit. Il est clair qu’il est en mesure de faire un choix utile de parler ou non à la police, et que ce choix n’est pas indûment influencé par le comportement de l’État.
[82] Le Tribunal ne constate pas par ailleurs de changement contextuel au fil de la rencontre, ni de variation dans l’état de l’accusé.
[83] En ce qui concerne les brefs propos de l’accusé au sujet de la photo qui lui est montrée par une policière en présence des enquêteuses peu de temps après la rencontre, ils sont pour le Tribunal dans la continuité de la rencontre, et aucune procédure supplémentaire n’est nécessaire à l’endroit de l’accusé dans la mesure où son statut dans le cadre de l’enquête est toujours le même, celui d’une personne d’intérêt[28].
[84] Rien dans le témoignage de la policière ou des enquêteuses ne laisse par ailleurs entendre que l’accusé est dans un état différent de celui décrit lors de la rencontre avec les enquêteuses. Le Tribunal note que l’accusé est posément assis dans un véhicule de patrouille attendant de retrouver l’accès à son logement lorsqu’on lui montre la photo.
[85] Maintenant, comme déjà mentionné, l’accusé fait plus tard trois appels sur le cellulaire de l’enquêteuse Montpetit, qui, à la fin de la rencontre, lui laisse son numéro de téléphone s’il a des questions ou si quelque chose lui revient en tête.
[86] Pour le Tribunal, ces appels de l’accusé, où il veut fournir quelques détails supplémentaires, sont aussi dans la continuité de la rencontre avec les enquêteuses, et, comme pour la photo, aucune procédure supplémentaire n’est nécessaire à l’endroit de l’accusé[29]. L’écoute des enregistrements convainc d’autre part que les propos de l’accusé sont ici aussi logiques et cohérents, et qu’il semble dans un état similaire à celui constaté lors de sa rencontre avec les enquêteuses. Ces dernières ne notent aussi rien de différent chez l’accusé par rapport à la rencontre précédente.
[87] Compte tenu des observations qui précèdent, le Tribunal conclut que l’accusé est dans un état d’esprit conscient tout au long des déclarations visées au voir-dire 3, et que les propos qui y sont visés sont volontaires, cela hors de tout doute raisonnable.