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dimanche 9 novembre 2025

Le rôle du juge de paix présidant une enquête préliminaire est différent selon que la preuve est directe ou circonstancielle

Morin c. R., 2019 QCCA 489

Lien vers la décision


[12]        Dans l'arrêt Arcuri, la Cour suprême confirme que le juge de paix présidant une enquête préliminaire renvoie un prévenu à procès s'il estime qu'un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable peut conclure à sa culpabilité.  La Cour écrit :

… Pour les motifs qui suivent, je confirme la règle bien établie selon laquelle un juge présidant l’enquête préliminaire doit décider s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour permettre à un jury, ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable, de conclure à la culpabilité, et le corollaire selon lequel le juge doit évaluer la preuve uniquement pour déterminer si elle peut étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse.  Comme notre Cour l’a énoncé à maintes reprises, cette tâche n’impose pas au juge présidant l’enquête préliminaire de tirer des inférences d’après les faits ou d’apprécier la crédibilité.  Le juge présidant l’enquête préliminaire doit plutôt déterminer si la preuve dans son ensemble peut raisonnablement étayer un verdict de culpabilité, tout en reconnaissant pleinement le droit du jury de faire des inférences de fait justifiables et d’apprécier la crédibilité.[2]

[13]        Le travail du juge est différent selon que la preuve est directe ou circonstancielle :

… Donc, si le juge est d’avis que le ministère public a présenté une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction reprochée, son travail s’arrête là.  Si une preuve directe est produite à l’égard de tous les éléments de l’infraction, l’accusé doit être renvoyé à procès.

 

La tâche qui incombe au juge devient un peu plus compliquée lorsque le ministère public ne produit pas une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction.  Il s’agit alors de savoir si les autres éléments de l’infraction — soit les éléments à l’égard desquels le ministère public n’a pas présenté de preuve directe — peuvent raisonnablement être inférés de la preuve circonstancielle.  Pour répondre à cette question, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve, car la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés — c’est-à-dire un écart inférentiel qui va au-delà de la question de savoir si la preuve est digne de foi […] Par conséquent, le juge doit évaluer la preuve, en ce sens qu’il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse.  Cette évaluation est cependant limitée. Le juge ne se demande pas si, personnellement, il aurait conclu à la culpabilité de l’accusé. De même, le juge ne tire aucune inférence de fait, pas plus qu’il apprécie la crédibilité. Le juge se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité. [3]

[14]        Or, l'absence de preuve ne signifie pas l'absence de toute preuve, mais l'absence de toute preuve pouvant justifier une déclaration de culpabilité et la décision quant à savoir si la preuve peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité relève du juge présidant l’enquête préliminaire[4].

[16]        C’est sur la base de l’une ou l’autre de ces erreurs que l’intimée défend la décision de la Cour supérieure.

[17]        Il demeure que l’évaluation de la suffisance de la preuve mérite la déférence. Donc, un juge saisi d’une demande de certiorari ne peut pas simplement substituer son appréciation de la preuve à celle du juge de l’enquête préliminaire[6].

[18]        Qui plus est, l'erreur dans l'interprétation de la preuve ne saurait constituer une erreur ou un excès de compétence[7]. Même l'erreur de droit, quelle que soit sa gravité, ne peut mener au certiorari[8].

mercredi 18 mai 2016

Objet de l'enquête préliminaire et pouvoir du juge

R. c. Hakim, 2012 QCCQ 7818 (CanLII)


[9]           Selon la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Mills:
L'enquête préliminaire vise à déterminer s'il y a des éléments de preuves admissibles qui sont suffisants pour renvoyer l'inculpé à son procès. C'est la seule fonction du juge.
[10]        C'est donc dire que le juge doit déterminer s'il y a une preuve prima facie ou, comme le soutient le juge Estey de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Skogman, s'il y a un «soupçon de preuve» qui permet de renvoyer l'accusé à procès.
[11]        Toutefois, dans l'analyse de cette preuve, le Tribunal doit s'assurer, comme l'a dit le juge Estey dans l'arrêt Skogman, que «le but d'une enquête préliminaire est d'empêcher l'accusé de subir un procès public inutile, voire abusif, lorsque la poursuite ne possède aucun élément de preuve justifiant la continuation de l'instance.»
[12]        La poursuite ayant soumis que la preuve présentée sur les neuf (9) chefs d'accusation est une preuve directe, alors que la défense soumet qu'il s'agit d'une preuve circonstancielle, et le procureur de l'accusé, dans ses représentations, ayant en quelque sorte invité le Tribunal à évaluer la preuve, l'arrêt de la Cour suprême du Canada, dans Arcuri, apporte une réponse à cette question et un éclairage sur le pouvoir d'un juge lorsque confronté à des preuves directes et circonstancielles.
[13]        Dans cette décision, dès le premier paragraphe, la Juge en chef McLachlin, a répondu à la question concernant l'évaluation de la preuve:
Le présent pourvoi soulève la question de savoir s'il est loisible à un juge présidant l'enquête préliminaire d'«évaluer la preuve» afin de déterminer si celle-ci est suffisante pour justifier le renvoi de l'accusé à son procès. Pour les motifs qui suivent, je confirme la règle bien établie selon laquelle un juge présidant l'enquête préliminaire doit décider s'il existe suffisamment d'éléments de preuve pour permettre à un jury, ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable, de conclure à la culpabilité, et le corollaire selon lequel le juge doit évaluer la preuve uniquement pour déterminer si elle peut étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse. Comme notre Cour l'a énoncé à maintes reprises, cette tâche n'impose pas au juge présidant l'enquête préliminaire de tirer des inférences d'après les faits ou d'apprécier la crédibilité. Le juge présidant l'enquête préliminaire doit plutôt déterminer si la preuve dans son ensemble peut raisonnablement étayer un verdict de culpabilité, tout en reconnaissant pleinement le droit du jury de faire des inférences de fait justifiables et d'apprécier la crédibilité.
[14]        Plus loin, elle ajoute ceci:
… Par conséquent, le juge doit évaluer la preuve, en ce sens qu'il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d'étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse. Cette évaluation est cependant limitée. Le juge ne se demande pas si, personnellement, il aurait conclu à la culpabilité de l'accusé. De même, le juge ne tire aucune inférence de fait, pas plus qu'il apprécie la crédibilité. Le juge se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité.
[15]        Concernant la preuve directe et la preuve circonstancielle, la juge McLachlin mentionne ce qui suit:
… Lorsque le ministère public présente une preuve directe à l'égard de tous les éléments de l'infraction, il y a lieu de procéder à l'instruction de l'affaire, peu importe l'existence de la preuve de la défense, puisque par définition la seule conclusion à laquelle il faut arriver concerne la véracité de la preuve. Cependant, lorsque la preuve présentée par le ministère public est constituée d'éléments de preuve circonstancielle ou en contient, le juge doit procéder à une évaluation limitée afin de déterminer si, dans l'ensemble de la preuve (c.-à-d. qui comprend la preuve de la défense ), un jury équitable ayant reçu des directives appropriées pourrait raisonnablement arriver à un verdict de culpabilité.
[16]        Un résumé du rôle du juge se retrouve dans le Traité général du droit de la preuve et de procédure pénale des auteurs Béliveau et Vauclair.
1851 – En effet, il faut bien admettre que le rôle du juge de paix présidant l'enquête préliminaire est aujourd'hui plutôt limité: il ne vise qu'à examiner l'existence d'une preuve prima facie d'une infraction. Si cette preuve existe, le juge de paix  n'a d'autre choix que de renvoyer l'accusé à procès.
1873 – Le critère de décision est la présence d'une preuve prima facie de l'infraction, c'est-à-dire l'existence d'une preuve qui, soumise à un jury raisonnablement bien instruit en droit ou au juge du procès, permettrait de rendre un verdict de culpabilité. Aussi, afin d'évaluer la suffisance de la preuve, le juge doit donc se limiter à constater l'existence d'éléments de preuve relatifs à tous les éléments essentiels de l'infraction, sans toutefois  évaluer la crédibilité ou la fiabilité des témoins, appréciation qui relèvera plutôt du juge des faits au procès si la tenue de ce dernier est ordonnée. Comme la Cour suprême l'a mentionné dans l'arrêt Arcuri, si le ministère a présenté une preuve directe relativement à chaque élément de l'infraction, le travail du juge de paix s'arrête là en pratique, de sorte que la citation à procès sera normalement automatique, même si l'accusé a présenté une preuve disculpatoire. La seule exception viserait le cas où l'infraction fait appel à l'appréciation d'une marge de raisonnabilité du comportement de l'accusé, par exemple en matière de négligence criminelle. Le juge de paix devra déterminer si la conduite peut satisfaire au critère prescrit par le droit, sans évidemment décider si c'est le cas. À cet égard, il doit procéder à la même évaluation que le juge du procès appelé à déterminer la vraisemblance d'un moyen de défense à être soumis au jury.
[17]        À l'évidence, le pouvoir d'un juge à l'étape de l'enquête préliminaire est très limité et diffère de beaucoup de celui qu'il a lors d'un procès.
[18]        Il en est de même pour la preuve car la poursuite, au lieu de devoir faire une preuve hors de tout doute raisonnable, n'a qu'à faire une preuve prima facie de chacun des éléments de l'infraction reprochée et dont le juge n'a qu'à constater la suffisance.

dimanche 1 février 2015

La question que doit se poser le juge présidant l’enquête préliminaire aux termes de l’art. 548 du Code criminel

R. c. Arcuri, [2001] 2 RCS 828, 2001 CSC 54 (CanLII)


La question que doit se poser le juge présidant l’enquête préliminaire aux termes de l’art. 548 du Code criminel est de savoir s’il existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité.  La question qui se pose dans le présent pourvoi consiste à savoir si la fonction du juge présidant l’enquête préliminaire diffère lorsque la défense présente une preuve exculpatoire. La fonction est essentiellement la même, dans les situations où la défense produit une preuve exculpatoire, qu’elle soit directe ou circonstancielle.  Lorsque le ministère public présente une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction, il y a lieu de procéder à l’instruction de l’affaire, peu importe l’existence de la preuve de la défense, puisque la seule conclusion à laquelle il faut arriver concerne la véracité de la preuve.  Cependant, lorsque la preuve présentée par le ministère public est constituée d’éléments de preuve circonstancielle ou en contient, le juge doit procéder à une évaluation limitée afin de déterminer si, dans l’ensemble de la preuve (c.-à-d. qui comprend la preuve de la défense), un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait raisonnablement arriver à un verdict de culpabilité.

En exerçant cette fonction d’évaluation limitée, le juge présidant l’enquête préliminaire ne tire aucune inférence au regard des faits.  Il n’apprécie pas non plus la crédibilité.  La fonction du juge consiste plutôt à déterminer si, en supposant que la preuve du ministère public soit crue, il serait raisonnable pour un jury ayant reçu des directives appropriées d’inférer la culpabilité.  Dans le cadre de cette fonction qui consiste à procéder à l’« évaluation limitée », le juge n’est jamais tenu d’examiner la fiabilité inhérente de la preuve elle-même.  Il s’agirait plutôt d’une évaluation du caractère raisonnable des inférences qu’il convient de tirer de la preuve circonstancielle.  En l’espèce, avant de renvoyer l’accusé à procès, le juge présidant l’enquête préliminaire a examiné la preuve dans son ensemble, étudiant la preuve circonstancielle présentée par le ministère public, ainsi que la présumée preuve  exculpatoire présentée par la défense.  Il n’y a aucune raison de croire qu’il soit arrivé au mauvais résultat lorsqu’il a renvoyé l’accusé à procès

jeudi 6 novembre 2014

Certains principes relatifs au certiorari

LeBlanc et Steeves c. R., 2009 NBCA 84 (CanLII)


[7]                                       Bien que le Code criminel ne confère aucun droit d’appel soit d’un renvoi à procès soit d’une libération à l’issue d’une enquête préliminaire, l’un et l’autre peuvent faire l’objet d’une révision sur demande présentée à un juge d’une cour supérieure pour le motif que l’ordonnance rendue était le résultat d’une erreur de compétence. Ni le renvoi à procès ni la libération ne seront annulés dans le cadre d’une requête en certiorari, à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de compétence. L’erreur de droit commise dans les limites de la compétence du juge de paix n’est pas suffisante. Dans l’arrêt R. c. Chapelstone Developments Inc. et al. (2004), 277 R.N.‑B. (2e) 350, [2004] A.N.‑B. no 450 (QL), 2004 NBCA 96 (CanLII), par. 11 à 19, le juge d’appel Robertson a résumé les principes qui régissent la révision judiciaire d’une décision prise à l’enquête préliminaire. Essentiellement, les principes directeurs sont énoncés dans le paragraphe suivant de l’arrêt R. c. Russell, [2001] 2 R.C.S. 804, [2001] A.C.S. no 53 (QL), 2001 CSC 53 (CanLII) :

La portée de la révision par voie de certiorari est très limitée.  Même si à certains moments de son histoire, le bref decertiorari permettait une révision plus poussée, le certiorari d’aujourd’hui « permet dans une large mesure d’obtenir qu’une cour supérieure contrôle la façon dont les tribunaux établis en vertu d’une loi exercent leur compétence; dans ce contexte, il s’agit de “compétence” au sens restreint ou strict » :  Skogman c. La Reine1984 CanLII 22 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 93, p. 99.  Par conséquent, la révision par voie de certiorari n’autorise pas une cour de révision à annuler la décision du tribunal constitué par la loi simplement parce que ce tribunal a commis une erreur de droit ou a tiré une conclusion différente de celle que la cour de révision aurait tirée.  Au contraire, le certiorari permet la révision « seulement lorsqu’on reproche à ce tribunal d’avoir outrepassé la compétence qui lui a été attribuée par la loi ou d’avoir violé les principes de justice naturelle, ce qui, d’après la jurisprudence, équivaut à un abus de compétence » : Skogman, précité, p. 100 (citant l’arrêt Forsythe c. La Reine,1980 CanLII 15 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 268) [par. 19].


[8]                                       Comme l’a expliqué la juge McLachlin, juge en chef du Canada, dans l’arrêt Russell, « [l]a portée restreinte des moyens de contrôle reflète l’objet limité de l’enquête préliminaire », laquelle a pour objet la vérification préalable et « n’est pas censée fournir une tribune où se plaide le bien‑fondé de la preuve recueillie contre l’accusé » (par. 20).

[9]                                       Dans l’arrêt R. c. Forsythe, 1980 CanLII 15 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 268, [1980] A.C.S. no 66 (QL), la Cour suprême a eu l’occasion d’expliquer que le défaut de compétence initial et la perte de cette compétence initiale constituent une erreur de compétence. Le juge en chef Laskin s’est dit d’avis qu’« il n’y a que fort peu de cas où il peut y avoir perte de compétence pendant une enquête préliminaire » (p. 271). Il a ajouté ceci :

[…] Cependant, un magistrat perdra compétence s’il omet de se conformer à une disposition impérative du Code criminel: voir l’arrêt  Doyle c. La Reine, [1976 CanLII 11 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 597]. Le droit canadien reconnaît qu’un déni de justice naturelle porte atteinte à la compétence: voir l’arrêt Alliance des Professeurs catholiques de Montréal c. Commission des relations de travail du Québec, [1953 CanLII 45 (SCC), [1953] 2 R.C.S. 140]. Dans le cas d’une enquête préliminaire, je ne peux concevoir que cela se produise à moins que l’accusé ne se voie totalement refuser le droit de citer des témoins ou de contre-interroger les témoins de la poursuite. Le simple rejet d’une ou de plusieurs questions en contre-interrogatoire ou d’autres décisions sur la preuve avancée ne constituent pas, à mon avis, une erreur portant atteinte à la compétence. Cependant, le juge ou le magistrat présidant à l’enquête préliminaire doit obéir aux dispositions relatives à la compétence de l’art. 475 du Code criminel [p. 271 et 272].


[10]                                   Les cas où les tribunaux ont conclu à l’erreur de compétence comprennent le refus du juge de paix d’autoriser l’accusé à faire des observations sur une question substantielle, l’omission de faire à l’accusé la mise en garde prescrite au par. 541(2), l’omission de prendre l’ensemble de la preuve en compte comme l’exige l’al. 548(1)b), le fait d’avoir usurpé les fonctions du juge du procès en recourant au critère du doute raisonnable ou en appréciant la crédibilité, en libérant l’accusé alors qu’il y avait des éléments de preuve sur lesquels un jury ayant reçu des directives appropriées aurait pu s’appuyer pour rendre un verdict de culpabilité et le fait d’avoir soupesé des inférences opposées : E.G. Ewaschuk,Criminal Pleadings & Practice in Canada, 2e éd., feuillets mobiles (Aurora (Ont.) : Canada Law Book, 2009), 13:1210, 13:2005 et 26:2090 et les instances qui y sont mentionnées. À ces cas, j’ajouterais l’omission du juge de paix qui présidait l’enquête préliminaire d’autoriser la comparution de témoins à décharge et la décision erronée d’un juge de paix selon laquelle il n’avait pas compétence pour ordonner la production de certains éléments de preuve : R. c. Ward (1976), reflex, 31 C.C.C. (2d) 466 (H.C.J. Ont.), [1976] O.J. No. 807 (QL), conf. (1977), reflex, 31 C.C.C. (2d) 466n (C.A. Ont.), et R. c. R. (L.) (1995), 1995 CanLII 8928 (ON CA), 127 D.L.R. (4th) 170 (C.A. Ont.), [1995] O.J. No. 1381 (QL).

[11]                                   Bien que les tribunaux aient conclu que ces genres d’erreurs sont des erreurs de compétence, la jurisprudence fait également état d’erreurs qui ne sont pas des erreurs « de compétence ». La principale de ces erreurs est l’erreur de droit. Dans l’arrêt R. c. Skogman1984 CanLII 22 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 93, [1984] A.C.S. no 32 (QL), le juge Estey a souligné ce point :

Soulignons en outre qu’un tel contrôle par voie de certiorari ne permet pas à la cour supérieure d’examiner le fonctionnement du tribunal établi en vertu d’une loi afin d’attaquer une décision rendue par ce tribunal dans l’exercice de la compétence qui lui est conférée, pour le motif qu’il a commis une erreur de droit en rendant cette décision ou qu’il est arrivé à une conclusion différente de celle qu’elle aurait pu tirer elle-même [p. 100].


[12]                                   Vingt ans plus tard, dans l’arrêt Deschamplain, la Cour suprême a réitéré ce principe, cette fois sous la plume du juge Major qui rendait jugement au nom de la majorité :

[…] Le juge de l’enquête préliminaire a compétence pour mener l’enquête conformément aux règles de preuve.   L’erreur dans l’application de ces règles qui ne constitue pas un déni de justice naturelle (lequel touche aussi la compétence : voir les arrêts Dubois, précité, p. 377, et Forsythe, précité, p. 272) reste une erreur de droit et ne devient pas une erreur de compétence.  Les erreurs de droit ne sont pas susceptibles de révision par voie de certiorari [par. 17].


[13]                                   Même lorsque l’on conclut à l’erreur de compétence, le certiorari est une mesure discrétionnaire qui peut être refusée. On trouve un résumé judicieux du droit en la matière dans l’arrêt R. c. Papadopoulos (2005), 2005 CanLII 8662 (ON CA), 196 O.A.C. 335, [2005] O.J. No. 1121 (QL) :

[TRADUCTION]
La décision de faire droit ou non à une demande de bref de prérogative relève, en fin de compte, d’un pouvoir discrétionnaire qu’exerce la cour supérieure dans le cadre de sa compétence générale et inhérente : R. c. Nat Bell Liquors Ltd. (1922),reflex, 37 C.C.C. 129 (C.S.C.); R. c. Workmen’s Compensation Board, Ex parte Kuzyk, 1968 CanLII 180 (ON CA), [1968] 2 O.R. 337 (C.A.); et Re Krawkowski and the Queen (1983), 1983 CanLII 1825 (ON CA), 4 C.C.C. (3d) 188 (C.S.C.). Bien que ce pouvoir discrétionnaire doive être exercé en conformité avec les principes établis, il y a eu des cas où la cour a exercé sa compétence en refusant d’accorder la réparation demandée qu’il y ait eu ou non erreur de compétence – dans le cas, par exemple, où l’on a inutilement tardé à demander le bref ou encore dans celui où le requérant n’a pas agi de bonne foi aux fins de solliciter l’ordonnance en question : voir, par exemple, les arrêts Young c. Attorney‑General of Manitoba, Boxall and Fryer (1960), reflex, 129 C.C.C. 110 (C.A. Man.) et Krawkowski, précité. En général, lorsque les motifs juridiques justifiant l’annulation d’un renvoi à procès sont établis, le bref est délivré. Cela est vrai [TRADUCTION] « sauf », comme l’a souligné sir Wilfred Greene, maître des rôles, dans l’arrêt R. c. Stafford Justices Ex parte Stafford Corp., reflex, [1940] 2 K.B. 33 à la p.44, [TRADUCTION] « si les circonstances font en sorte que l’on est fondé à refuser le redressement sollicité ».

Nous ne voyons aucune raison de principe pour laquelle, si le pouvoir discrétionnaire peut être exercé aux fins de rejeter une demande de bref de prérogative malgré la présence d’une erreur de compétence dans certaines circonstances – comme celles mentionnées ci‑dessus – il ne pourrait pas être exercé de la même manière, si les circonstances le justifient, lorsque le requérant n’a subi aucun préjudice et ce, qu’un déni de justice naturelle ait ou non donné lieu à une erreur de compétence, parce que le renvoi à procès aurait par ailleurs été inévitable […] [par. 20 et 21].

jeudi 3 octobre 2013

La fonction principale de l'enquête préliminaire est de déterminer si le ministère public a présenté une preuve suffisante pour justifier la tenue d'un procès

R. c. Bouchard, 2009 QCCQ 17348 (CanLII)


[3]               La fonction principale de l'enquête préliminaire est de déterminer si le ministère public a présenté une preuve suffisante pour justifier la tenue d'un procès.
[4]               Selon les termes de l'article 548(1), le devoir imposé au juge qui préside l'enquête préliminaire est le même que celui du juge du procès siégeant avec un jury. Le juge doit décider s'il existe de la preuve sur chacun des éléments essentiels de l'accusation et à l'égard desquels un jury pourrait conclure à la culpabilité de l'accusé.
[5]               Le critère demeure le même, qu'il s'agisse d'une preuve directe ou d'une preuve circonstancielle.
[6]               S'il s'agit d'une preuve circonstancielle à l'égard d'un des éléments constitutifs de l'infraction alléguée, le tribunal doit décider si la preuve de cet élément de l'infraction peut raisonnablement être inférée de la preuve circonstancielle.
[7]               Comme le mentionne le juge en chef McLachlin au nom de la Cour suprême dans R. c. Arcuri :
« [23] […] Pour répondre à cette question, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve, car la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés — c’est-à-dire un écart inférentiel qui va au‑delà de la question de savoir si la preuve est digne de foi […] le juge doit évaluer la preuve [circonstancielle], en ce sens qu’il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse.  Cette évaluation est cependant limitée.  Le juge ne se demande pas si, personnellement, il aurait conclu à la culpabilité de l’accusé.  De même, le juge ne tire aucune inférence de fait, pas plus qu’il apprécie la crédibilité.  Le juge se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité.
[…]
[34] […] si le ministère public se fonde sur une preuve circonstancielle, le juge présidant l’enquête préliminaire doit alors procéder à l’évaluation limitée de l’ensemble de la preuve (c.-à-d. qui comprend la preuve de la défense) afin de déterminer si un jury équitable ayant reçu des directives appropriées pourrait raisonnablement parvenir à un verdict de culpabilité. »

Le ministère public peut, à sa discrétion, ne présenter que ce qui constitue une preuve suffisante à première vue au niveau de l'enquête préliminaire

R. c. Barbeau, 1992 CanLII 76 (CSC), [1992] 2 RCS 845


Aujourd'hui, le rôle premier de l'enquête préliminaire consiste à déterminer si la preuve est suffisante pour renvoyer l'accusé à son procès.  En vertu de l'art. 535 du Code criminel, le "juge de paix" doit "enquêter sur l'accusation ainsi que sur tout autre acte criminel qui découle de la même affaire fondé sur les faits révélés par la preuve . . ."  L'enquête préliminaire ne date pas d'hier.  Avant la création des corps de police permanents, elle servait autant à enquêter sur un crime qu'à déterminer la culpabilité probable de l'accusé.

                  Selon l'art. 548, lorsque le juge de paix a recueilli tous les témoignages, il doit renvoyer la personne inculpée à son procès s'il estime que la preuve est suffisante pour la faire passer en jugement à l'égard de l'infraction reprochée ou de tout autre acte criminel relatif à la même opération.  Aux termes du par. 2 du même article, lorsque le juge de paix ordonne que le prévenu passe en jugement à l'égard d'un acte criminel différent ou en sus de celui dont il a été accusé, il doit inscrire sur la dénonciation les accusations à l'égard desquelles le prévenu est astreint à passer en jugement.

                  On ne peut nier que l'enquête préliminaire permet à l'accusé de découvrir l'étendue de la preuve qui pèse contre lui.  Il est vrai que, dans l'arrêt Caccamo c. La Reine, 1975 CanLii 11 CSC, [1976] 1 R.C.S. 786, notre Cour a dit clairement que le ministère public peut, à sa discrétion, ne présenter que ce qui constitue une preuve suffisante à première vue.  Il n'en demeure pas moins que l'enquête préliminaire permet à la personne inculpée de sonder, dans une certaine mesure, la preuve du ministère public.

jeudi 25 juillet 2013

Portée de la révision par voie de certiorari de la décision de la juge de l’enquête préliminaire de libérer l’accusé

R. c. Deschamplain, 2004 CSC 76 (CanLII)


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23                              Selon la jurisprudence de notre Cour, il est indubitable que le juge de l’enquête préliminaire commet une erreur de compétence lorsqu’il se fonde sur l’al. 548(1)a) pour renvoyer un accusé à son procès en l’absence de preuve relative à un élément constitutif de l’infraction : voir les arrêts Skogman c. La Reine,1984 CanLII 22 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 93, p. 104; Dubois, précité, p. 376; et Russell, précité, par. 21.  Par contre, il ne commet pas une erreur de compétence si, après examen de l’ensemble de la preuve et en l’absence de preuve directe concernant chacun des éléments constitutifs de l’infraction, il conclut à tort que l’ensemble de la preuve (directe et circonstancielle) ne suffit pas pour satisfaire au critère applicable en matière de renvoi à procès et, en conséquence, libère l’accusé conformément à l’al. 548(1)b) : voir les arrêts Arcuri, précité, par. 21-23, et Russell, précité, par. 26.  Dans ce cas, il ne conviendrait pas qu’une cour de révision intervienne simplement parce que la conclusion du juge de l’enquête préliminaire diffère de celle qu’elle aurait tirée : voir l’arrêt Russell, précité, par. 19.  Cependant, le juge de l’enquête préliminaire qui agit de façon arbitraire commet une erreur de compétence : Dubois, précité, p. 377.


35                              J’estime que la juge de l’enquête préliminaire a commis une erreur de compétence à l’égard des deux chefs d’accusation en libérant l’intimé sans avoir examiné l’ensemble de la preuve.



36                              Le juge Fish conclut, au par. 82, que toute erreur qu’a pu commettre la juge de l’enquête préliminaire « concernait le caractère suffisant de la preuve et n’était pas susceptible de révision par voie de certiorari ».  Il part du principe suivant, au par. 62 : 

Et il est bien établi qu’une erreur quant au caractère suffisant de la preuve ne saurait à juste titre être qualifiée d’erreur « de compétence », à moins qu’elle n’entraîne un renvoi à procès en l’absence de preuve susceptible d’étayer une déclaration de culpabilité. . .

Il cite ensuite les propos de la juge en chef McLachlin aux par. 28-29 de l’arrêt Russell, précité.  Dans ce passage, la juge en chef McLachlin explique que les principes qui s’appliquent aux erreurs de compétence sont les mêmes, peu importe que l’erreur soit évoquée par le ministère public ou par l’accusé.  Cependant, elle ajoute qu’en pratique les erreurs portant sur les éléments constitutifs d’un crime n’auraient pas les mêmes effets sur le ministère public et l’accusé.  Voici ce qu’elle écrit, au par. 29 :

Il est vrai qu’il découle de ce principe qu’en règle générale l’erreur portant sur des éléments constitutifs du crime n’est susceptible de révision que sur contestation par l’accusé, et non par le ministère public, mais cette disparité se justifie par le rapport des préjudices éventuels de part et d’autre . . . [Souligné dans l’original.]



37                              Comme nous l’avons vu plus haut, au par. 23, lorsqu’il soulève une erreur de compétence, l’accusé aura gain de cause s’il peut démontrer l’absence de preuve relative à un élément constitutif du crime.  J’estime que, lorsqu’elle évoque la disparité des effets sur le ministère public et l’accusé, la juge en chef McLachlin fait allusion au fait qu’en revanche le ministère public ne peut pas établir l’existence d’une erreur de compétence en démontrant simplement qu’il existe des éléments de preuve relatifs à chaque élément constitutif du crime.  Il en va ainsi parce qu’il ne conviendrait pas que la cour de révision intervienne simplement parce qu’elle aurait tiré, quant au caractère suffisant de la preuve, une conclusion différente de celle du juge de l’enquête préliminaire.  Toutefois, une décision sur le caractère suffisant de la preuve n’échappe à la révision par voie de certiorari que si le juge de l’enquête préliminaire agissait dans les limites de sa compétence lorsqu’il l’a prise, conformément aux dispositions impératives de l’art. 548.

dimanche 12 mai 2013

L'évaluation de la suffisance de la preuve par le juge de paix lors de l'enquête préliminaire

R. c. Allard, 2008 QCCS 2972 (CanLII)

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[10]            Quel est le rôle de la Cour supérieure quant à son intervention et quels sont les critères permettant à cette Cour d'intervenir?
[11]            Dans une décision de la Cour Suprême, soit R. c. Skogman, il fut retenu ce qui suit :
[…]
En définitive, le certiorari, ou ce qu'on appelle maintenant l'examen judiciaire, permet dans une large mesure d'obtenir qu'une cour supérieure contrôle la façon dont les tribunaux établis en vertu d'une loi exercent leur compétence; dans ce contexte, il s'agit de « compétence » au sens restreint ou strict. En l'absence d'une clause privative, la cour peut également procéder à la révision lorsqu'il y a erreur de droit manifeste à la lecture du dossier.
[…] Il est toutefois clair que les cours peuvent encore, par voie de certiorari, contrôler le fonctionnement du tribunal devant lequel se déroule l'enquête préliminaire, mais seulement lorsqu'on reproche à ce tribunal d'avoir outrepassé la compétence qui lui a été attribuée par la loi ou d'avoir violé les principes de justice naturelle, ce qui, d'après la jurisprudence, équivaut à un abus de compétence (voir l'arrêt Forsythe c. La Reine, 1980 CanLII 15 (CSC), [1980] 2 R.C.S., 268). Soulignons en outre qu'un tel contrôle par voie de certiorarine permet pas à la cour supérieure d'examiner le fonctionnement du tribunal établi en vertu d'une loi afin d'attaquer une décision rendue par ce tribunal dans l'exercice de la compétence qui lui est conférée, pour le motif qu'il a commis une erreur de droit en rendant cette décision ou qu'il est arrivé à une conclusion différente de celle qu'elle aurait pu tirer elle-même.
[12]            Dans ce même arrêt, on fait référence à la description de l'enquête préliminaire au Canada donnée par G. Arthur Martin, c.r.:
[TRADUCTION] L'enquête préliminaire comporte deux aspects. Son objet principal, évidemment, est de déterminer s'il existe suffisamment d'éléments de preuve pour justifier le renvoi de l'accusé à son procès. Ce faisant, le magistrat qui préside à l'enquête préliminaire ne se prononce pas sur la culpabilité de l'accusé. Son rôle consiste à déterminer s'il y a des éléments de preuve suffisants pour amener un homme prudent à croire que l'accusé est probablement coupable. Il s'ensuit que la question de l'existence d'un doute raisonnable ne se pose pas à ce stade des procédures.
[…]
Du point de vue de l'avocat de la défense, l'enquête préliminaire revêt un autre aspect. Elle lui fournit l'occasion de déterminer à la fois la nature et le poids des éléments de preuve recueillis contre son client et, en cela, elle peut se comparer à un interrogatoire préalable.
(G. Arthur Martin, c.r.: «Preliminary Hearings», Special Lectures of the Law Society of Upper Canada, 1955, à la p.1.
[13]            Dans la cause St-Laurent c. Hétu:
Il ne me paraît pas inutile de préciser que l'expression qu'emploie le juge Estey dans la version originale de son opinion est : « a scintilla of evidence ». Je tire donc la conclusion que la plus petite preuve, sur chaque élément essentiel de l'accusation, est suffisante pour mettre la citation à procès à l'abri du recours en certiorari, parce que le juge a alors exercé, au stade de l'enquête préliminaire, la compétence qui était la sienne en appréciant la suffisance de la preuve.
[14]            Dans l'arrêt R. c. Arcuri2001 CSC 54 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 828, 2001 CSC 54 :
22.               Le critère demeure inchangé qu’il s’agisse d’une preuve directe ou circonstancielle :  voir Mezzo c. La Reine,1986 CanLII 16 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 802, p. 842‑843;  Monteleone, précité, p. 161.  La nature de la tâche qui incombe au juge varie cependant selon le type de preuve présenté par le ministère public.  Lorsque les arguments du ministère public sont fondés entièrement sur une preuve directe, la tâche du juge est claire.  Par définition, la seule conclusion à laquelle il faut arriver dans une affaire comme l’espèce, concerne la véracité de la preuve : voir Watt’s Manual of Criminal Evidence (1998), §8.0 ([TRADUCTION] « [l]a preuve directe est celle qui, si elle était crue, tranche la question en litige »); McCormick on Evidence(5e éd. 1999), p. 641; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), §2.74 (la preuve directe s’entend de la déposition d’un témoin quant au [TRADUCTION] « fait précis qui est au cœur du litige »). Il incombe au jury de dire s’il convient d’accorder foi à la preuve et jusqu’à quel point il faut le faire : voir Shephard, précité, p. 1086‑1087.  Donc, si le juge est d’avis que le ministère public a présenté une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction reprochée, son travail s’arrête là.  Si une preuve directe est produite à l’égard de tous les éléments de l’infraction, l’accusé doit être renvoyé à procès.
23.               La tâche qui incombe au juge devient un peu plus compliquée lorsque le ministère public ne produit pas une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction.  Il s’agit alors de savoir si les autres éléments de l’infraction — soit les éléments à l’égard desquels le ministère public n’a pas présenté de preuve directe — peuvent raisonnablement être inférés de la preuve circonstancielle.  Pour répondre à cette question, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve, car la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés — c’est-à-dire un écart inférentiel qui va au‑delà de la question de savoir si la preuve est digne de foi :  voir Watt’s Manual of Criminal Evidenceop. cit., §9.01 (la preuve circonstancielle s’entend de [TRADUCTION] « tout élément de preuve, qu’il soit de nature testimoniale ou matérielle, autre que le témoignage d’un témoin oculaire d'un fait important.  Il s’agit de tout fait dont l’existence peut permettre au juge des faits d’inférer l’existence d’un fait en cause »); McCormick on Evidenceop. cit., p. 641‑642 ([TRADUCTION] « la preuve circonstancielle [. . .] peut être de nature testimoniale, mais même si les circonstances décrites sont tenues pour vraies, il faut que le raisonnement soit plus poussé afin qu’il puisse mener à la conclusion souhaitée »).  Par conséquent, le juge doit évaluer la preuve, en ce sens qu’il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse.  Cette évaluation est cependant limitée.  Le juge ne se demande pas si, personnellement, il aurait conclu à la culpabilité de l’accusé.  De même, le juge ne tire aucune inférence de fait, pas plus qu’il apprécie la crédibilité.  Le juge se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité.
[15]            Dans l'arrêt R. c. Deschamplain2004 CSC 76 (CanLII), 2004 CSC 76, [2004] 3 R.C.S. 601 :
34.               La jurisprudence canadienne établit maintenant clairement que le juge du procès est tenu non pas d’exposer en détail les motifs de sa décision, mais plutôt d’expliquer sa compréhension de l’affaire, de manière à ce que les parties sachent que l’affaire qu’ils ont plaidée est celle qui a été tranchée : voir l’arrêt Sheppard, précité.  De même, le juge qui préside une enquête préliminaire n’est pas obligé d’expliquer en détail ses motifs.  Il doit toutefois démontrer qu’il a respecté son obligation légale et impérative d’examiner l’ensemble de la preuve.  Il va sans dire que, s’il s’était agi d’un procès au lieu d’une enquête préliminaire, l’acquittement de l’accusé pour les raisons que la juge Serré a données à l’appui de sa décision de ne pas le renvoyer à son procès serait probablement maintenu.  Cependant, parce qu’il est tenu d’examiner l’ensemble de la preuve, le juge de l’enquête préliminaire doit indiquer clairement qu’il a satisfait à cette obligation.  À mon avis, les motifs en cause dans la présente affaire ne respectent pas cette exigence.
[16]            Dans la cause R. c. Munoz, de la Cour supérieure de l'Ontario, 38 C.R. (6th) 376, le juge Ducharme retient :
[25]      The process of inference drawing was described by Doherty J.A. in R. v. Morrissey  1995 CanLII 3498 (ON CA), (1995), 97 C.C.C. (3d) 193 (Ont. C.A.) at p. 209 as follows:

A trier of fact may draw factual inferences from the evidence. The inferences must, however, be ones which can be reasonably and logically drawn from a fact or group of facts established by the evidence.  An inference which does not flow logically and reasonably from established facts cannot be made and is condemned as conjecture and speculation.   As Chipman J.A. put it inR. v. White 1994 CanLII 4004 (NS CA), (1994), 89 C.C.C. (3d) 336 at p.351, 28 C.R. (4th) 160, 3 M.V.R. (3d) 283 (N.S.C.A.):

These cases establish that there is a distinction between conjecture and speculation on the one hand and rational conclusions from the whole of the evidence on the other. [Emphasis added]

The highlighted sentence suggests that there are two ways in which inference drawing can become impermissible speculation and I will discuss each in turn.
[26]      The first step in inference drawing is that the primary facts, i.e. the facts that are said to provide the basis for the inference, must be established by the evidence. If the primary facts are not established, then any inferences purportedly drawn from them will be the product of impermissible speculation.   The decision of Lord Wright in Caswell v. Powell Duffryn Associated Collieries Ltd., [1940] A.C. 152 (H.L.) at 169-70 is often cited as authority for this long-standing principle:
The Court therefore is left to inference or circumstantial evidence. Inference must be carefully distinguished from conjecture or speculation. There can be no inference unless there are objective facts from which to infer the other facts which it is sought to establish. In some cases the other facts can be inferred with as much practical certainty as if they had been actually observed. In other cases the inference does not go beyond reasonable probability. But if there are no positive proved facts from which the inference can be made, the method of inference fails and what is left is mere speculation or conjecture. [Emphasis added]
[17]            Dans la décision La Reine c. Dubois, le juge V. Beaulieu fait le tour de la question sur l'application de l'article 548 1(a) et 1(b) du Code criminel et réfère à de nombreuses jurisprudences soumises par Me Sneider, procureur de Dubois de l'expression "suffisance de preuve". Entre autres, les commentaires du juge Fish de la Cour Suprême du Canada :
[22]      L'Honorable juge Morris Fish de la Cour Suprême du Canada, alors qu'il était membre du Barreau, avait publié un article intitulé "Committal for trial, some evidence is not sufficient". Malgré la date de parution, cet enseignement est toujours d'actualité, il rappelle que:
                        "Insufficiency is the operative standard. It is likewise apparent that the justice must evaluate the evidence."1
Plus loin, il insiste pour rappeler que "some evidence" n'est pas synonyme de "sufficient evidence".
[soulignement du Tribunal]
[23]      L'auteur Salany rappelle:
                        " In discharging this duty, the justice should remember that it is not his function to determine the guilt or innocence of the accused. There must however be more than a more possibility of suspicion that the accused is guilty.
[24]      Quant à l'Honorable Juge Ewaschuck, dans son traité Criminal Pleading in Canada, précise que:
            "que le juge à l'enquête préliminaire fait une erreur de juridiction s'il ne considère pas l'ensemble de toute la preuve."
[25]      Dans leur traité de procédure pénale, les auteurs Béliveau et autres rappellent que le juge, lors de son évaluation afin de décider si la preuve est suffisante ou non, ne peut évaluer la crédibilité d'un témoin car s'il le fait, il usurperait ainsi la prérogative du jury.
[26]      L'honorable juge Jean-Guy Bollard, dans son ouvrage Manuel de preuve pénale, traite ainsi du test de la suffisance de preuve:
"Quel est le test auquel la preuve est assujettie pour éviter un verdict dirigé d'acquittement ou une décision de non-lieu au procès ou encore, pour justifier la citation à procès à la suite d'une enquête préliminaire, puisqu'il est le même?"
La question soulevée dans R. c. Charemsky où le juge Bastarache, porte-parole de la majorité écrivait:
"Pour qu'il y ait des éléments de preuve aux vues desquelles un jury raisonnablement ayant reçu des directives appropriées pourrait conclure à la culpabilité pour chaque élément essentiel de la définition du crime reproché.
Ainsi dans des poursuites pour meurtre, le Ministère public doit présenter des éléments de preuve sur les questions de l'identité, du lieu de causalité, du décès de la victime et de l'état d'esprit requis. Si le Ministère ne présente aucune preuve pour s'acquitter du fardeau qui lui incombe relativement à l'une ou l'autre de ces questions, le juge du procès devait imposer un verdict d'acquittement."

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...