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mercredi 28 mai 2025

L’article 650 du Code criminel du Canada

Dedam c. R., 2018 NBCA 52 

Lien vers la décision


[15]                                                           Voici le texte actuel du paragraphe 650(1) du Code criminel :

 

650(1) Subject to subsections (1.1) to (2) and section 650.01, an accused, other than an organization, shall be present in court during the whole of his or her trial.

650(1) Sous réserve des paragraphes (1.1) à (2) et de l’article 650.01, l’accusé, autre qu’une organisation, doit être présent au tribunal pendant tout son procès.

 

[16]                                                           Les paragraphes (1.1) et (1.2) énoncent les circonstances dans lesquelles un accusé pourrait être amené à comparaître par l’entremise d’un avocat ou en utilisant la télévision en circuit fermé, alors que le par. (2) prévoit les cas dans lesquels le juge du procès peut ordonner ou permettre qu’un accusé soit exclu lors de l’instruction de l’instance.  En voici le texte :

 

650(2) The court may

 

(a) cause the accused to be removed and to be kept out of court, where he misconducts himself by interrupting the proceedings so that to continue the proceedings in his presence would not be feasible;

 

(b) permit the accused to be out of court during the whole or any part of his trial on such conditions as the court considers proper; or

 

(c) cause the accused to be removed and to be kept out of court during the trial of an issue as to whether the accused is unfit to stand trial, where it is satisfied that failure to do so might have an adverse effect on the mental condition of the accused.

650(2) Le tribunal peut, selon le cas :

 

a) faire éloigner l’accusé et le faire garder à l’extérieur du tribunal lorsqu’il se conduit mal en interrompant les procédures, au point qu’il serait impossible de les continuer en sa présence;

 

b) permettre à l’accusé d’être à l’extérieur du tribunal pendant la totalité ou toute partie de son procès, aux conditions qu’il juge à propos;

 

c) faire éloigner et garder l’accusé hors du tribunal pendant l’examen de la question de savoir si l’accusé est inapte à subir son procès, lorsqu’il est convaincu que l’omission de ce faire pourrait avoir un effet préjudiciable sur l’état mental de l’accusé.

 

[17]                                                           En somme, sous réserve de certaines modifications et exceptions, le par. 650(1) du Code prévoit que « l’accusé […] doit être présent au tribunal pendant tout son procès » (je souligne). En l’espèce, aucune des modifications ou exceptions n’était applicable.

 

[18]                                                           Le paragraphe 650(1) repose sur deux principes importants : en premier lieu, l’exigence garantit que l’accusé sera présent pour entendre la preuve qui pèse contre lui, et il est ainsi en mesure d’opposer une défense; en second lieu, l’accusé assiste au déroulement de l’ensemble de la procédure suivie pour le juger et il peut veiller à ce qu’elle soit correcte et à ce que le procès soit équitable.

 

[19]                                                           Dans l’arrêt R. c. Barrow, 1987 CanLII 11 (CSC)[1987] 2 R.C.S. 694[1987] A.C.S. no 84 (QL), le juge en chef Dickson, au nom des juges majoritaires, affirme que le second principe « revêt une importance considérable pour la perception que l’on peut avoir de l’impartialité de la justice criminelle canadienne » (par. 20). Pour décider si l’exclusion d’un accusé porte atteinte au par. 650(1), il faut répondre à la question suivante : L’exclusion est-elle survenue pendant le procès? La Cour suprême a fourni certaines lignes directrices quant aux procédures qui constituent « le procès » pour l’application du par. 650(1). Citant les propos du juge Lamer (tel était alors son titre) dans l’arrêt Vézina et Côté c. La Reine, 1986 CanLII 93 (CSC)[1986] 1 R.C.S. 2[1986] A.C.S. n2 (QL), le juge en chef Dickson (tel était alors son titre) affirme dans l’arrêt Barrow que « le par. 577(1) [l’actuel par. 650(1)] s’applique chaque fois que les “intérêts vitaux” de l’accusé sont en jeu » (par. 21).

 

[20]                                                           Le juge en chef Dickson reprend la déclaration faite par le juge d’appel Martin dans R. c. Hertrich, 1982 CanLII 3307 (ON CA)[1982] O.J. No. 496 (C.A. Ont.) (QL), et fait sienne la définition portant qu’une procédure fait « partie intégrante du procès », pour l’application du par. 650(1), « lorsqu’une décision [qui y sera rendue] a un effet sur [TRADUCTION] “la conduite du procès en soi” ».

 

[21]                                                           Dans Hertrich, le juge d’appel Martin affirme ce qui suit :

 

[TRADUCTION] En règle générale, le procès d’un accusé ne commence qu’après le plaidoyer : voir Giroux v. The King (1917), 1917 CanLII 81 (SCC), 29 C.C.C. 258, à la p. 268.  Toutefois, le terme « procès », aux fins du principe selon lequel un accusé a le droit d’être présent à son procès, inclut manifestement les procédures qui font partie intégrante du processus normal du procès en vue de décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé, comme l’interpellation et le plaidoyer, la formation du juryla réception des éléments de preuve (y compris les procédures de voir‑dire concernant l’admissibilité d’éléments de preuve)les décisions au sujet des éléments de preuve, les plaidoiries des avocats, dont celles au jury, l’exposé du juge au jury, y compris les demandes de directives supplémentaires du juryle prononcé du verdict et de la sentence si l’accusé est reconnu coupable. [par. 50]

[C’est moi qui souligne.]

 

[22]                                                           La décision rendue dans l’affaire R. c. E. (F.E.)2011 ONCA 783[2011] O.J. No. 5738 (QL), donne aussi des indications précises sur les procédures qui font partie intégrante du procès pour l’application du par. 650(1) :

 

[TRADUCTION]
Lorsqu’un débat survient au sujet du bien-fondé d’une stratégie effective ou proposée en vue du contre-interrogatoire d’un témoin à la barre des témoins, il arrive fréquemment que les deux parties ou l’une d’elles demandent, et que le juge du procès ordonne, le retrait du jury et du témoin pendant que le différend est débattu et tranché. Du point de vue du témoin ordinaire, les exclusions ne sont pas assimilables à une irrégularité de procédure. Cependant, l’accusé qui témoigne pour son compte n’est pas un témoin ordinaire. L’accusé qui assume le rôle de témoin demeure un accusé qui doit être présent pendant tout le procès en application du par. 650(1) du Code criminel. Malgré le consentement d’un avocat à l’exclusion d’un témoin, les juges de première instance doivent rester vigilants pour veiller à ce que le témoin qu’ils excluent ne soit pas un accusé. [par. 39]

[C’est moi qui souligne.]

 

Le juge d’appel Watt a ajouté :

 

[TRADUCTION]
En l’espèce, l’exclusion intentionnelle et compréhensible d’un témoin a entraîné l’exclusion de l’appelant et la violation du par. 650(1) du Code criminel. Cela n’aurait pas dû se produire. Un accusé a le droit d’être présent pendant tout son procès, y compris pendant les discussions concernant le contre-interrogatoire. [par. 44]

 

[23]                                                           Les passages soulignés des extraits précédents sont d’une pertinence particulière dans le cadre du présent appel. Sur le fondement de l’arrêt Hertrich, les avocats sont d’accord pour dire que l’exclusion de M. Dedam pendant que les avocats et la juge discutaient de questions d’établissement du calendrier ne constituait pas une exclusion survenue pendant « une partie intégrante du procès ». Sauf dans ces cas précis d’exclusion, M. Dedam aurait dû être présent. Son exclusion dans les cas où son témoignage a été interrompu était particulièrement grave. Il semble que les avocats et la juge aient estimé à tort que M. Dedam doit être traité comme n’importe quel autre témoin. Par conséquent, M. Dedam a été exclu et n’a pas entendu les discussions concernant le témoignage tenues en l’absence du jury. À mon avis, les « intérêts vitaux » de M. Dedam étaient en jeu lorsque ces questions ont été débattues en son absence. Ainsi, il y a eu des violations évidentes du par. 650(1) du Code criminel.

mardi 27 mai 2025

L'arrêt de principe en matière de retrait de plaidoyer

R. c. Wong, 2018 CSC 25

Lien vers la décision


[2]                              Pour un accusé, plaider coupable est manifestement une décision importante. En plaidant coupable, un accusé renonce à son droit constitutionnel à un procès, libérant ainsi le ministère public du fardeau de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Cette démarche est si importante qu’elle est l’une des rares décisions du processus pénal qui reviennent personnellement à l’accusé. En effet, les règles de déontologie obligent l’avocat de la défense à s’assurer que le choix ultime est bien celui de l’accusé.

[3]                              De plus, le règlement des poursuites par voie de plaidoyer est au cœur même du système de justice pénale dans son ensemble. La vaste majorité des poursuites criminelles se termine en plaidoyer de culpabilité et le caractère définitif de ces plaidoyers est d’un grand intérêt pour la société. Il est donc important de maintenir ce caractère définitif afin d’assurer la stabilité, l’intégrité et l’efficacité de l’administration de la justice. En revanche, le caractère définitif du plaidoyer de culpabilité exige également que celui‑ci soit libre, sans équivoque et éclairé. Et pour que le plaidoyer soit éclairé, l’accusé [traduction] « doit être au courant de la nature des allégations faites contre lui, ainsi que des effets et des conséquences de son plaidoyer » (R. c. T. (R.) (1992), 1992 CanLII 2834 (ON CA), 10 O.R. (3d) 514 (C.A.), p. 519).

[4]                              Nous convenons avec notre collègue le juge Wagner que, pour qu’un plaidoyer soit éclairé, l’accusé doit avoir connaissance de ses conséquences pénales et de ses conséquences indirectes juridiquement pertinentes. Une conséquence indirecte juridiquement pertinente en est une qui touche des intérêts juridiques suffisamment sérieux de l’accusé. En l’espèce, M. Wong n’était pas au courant des conséquences que sa déclaration de culpabilité et sa peine pouvaient avoir sur le plan de l’immigration. De telles conséquences touchent des intérêts juridiques suffisamment sérieux pour constituer des conséquences juridiquement pertinentes. Par conséquent, le plaidoyer de culpabilité de M. Wong n’était pas éclairé.

[9]                              Nous reconnaissons que l’accusé doit tout d’abord établir qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente au moment de plaider coupable et nous souscrivons à une méthode générale d’évaluation de la pertinence d’une conséquence indirecte pour juger si un plaidoyer de culpabilité était suffisamment éclairé. Nous convenons également qu’une conséquence indirecte juridiquement pertinente est habituellement imposée par l’État, découle de la déclaration de culpabilité ou de la peine et touche des intérêts sérieux de l’accusé. Et, tout comme notre collègue, nous n’estimons pas nécessaire de définir la portée exacte de ces conséquences ou leurs caractéristiques pour les besoins du présent pourvoi. Toutefois, à notre avis, la formulation du deuxième volet par notre collègue pose problème sous deux rapports.

[10]                          En premier lieu, un cadre d’analyse objectif modifié ne tient pas compte de la nature fondamentalement subjective du plaidoyer de culpabilité. Comme l’a fait remarquer devant nous le procureur général de l’Alberta :

                         [traduction] . . . la décision de plaider coupable ou non est éminemment personnelle et, en première instance, l’accusé peut tout simplement lancer les dés, peu importe que son avocat lui dise ou non qu’il risque réellement d’être déclaré coupable ou que le fait d’aller en procès va avoir un effet préjudiciable sur la peine.

                    . . .

                         . . . parfois les gens sont très malavisés de subir un procès.

(transcription, p. 122-123)

[11]                          Nous sommes du même avis. La décision de plaider coupable témoigne de considérations éminemment personnelles, comme le niveau subjectif de tolérance au risque, les priorités, la situation familiale et la situation en matière d’emploi, ainsi que les particularités de chacun. C’est pourquoi cette décision est l’une des rares du processus pénal au sujet desquelles les avocats de la défense doivent, sur le plan déontologique, obtenir des instructions directement de leur client (R. c. G.D.B.2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 34).

[12]                          En termes simples, la décision de plaider coupable appartient à l’accusé et non à un accusé raisonnable ou à une personne s’apparentant à l’accusé. Permettre aux tribunaux de révision de substituer leur propre appréciation de ce qu’aurait fait une personne se trouvant dans la situation de l’accusé revient à risquer sérieusement de commettre une injustice envers cet accusé. Un exemple tiré de la jurisprudence des États‑Unis suffit pour illustrer ce point. Dans l’arrêt Lee c. United States825 F.3d 311 (6th Cir. 2016), l’accusé cherchait, tout comme M. Wong, à retirer son plaidoyer au motif qu’il n’avait pas connaissance des conséquences de celui‑ci sur son statut d’immigrant. La Sixth Circuit Court of Appeals a rejeté la requête de l’accusé. Même après avoir pris en compte la situation particulière de l’accusé, cette cour a écrit :

                    [traduction] . . . aucun défendeur sensé qui est accusé d’une infraction le rendant passible d’expulsion et qui est confronté à une « preuve accablante » de culpabilité choisirait de subir un procès plutôt que de négocier un plaidoyer de culpabilité en échange d’une peine d’emprisonnement plus courte. [par. 2]

[13]                          Dans Lee, l’accusé avait déclaré qu’il aurait choisi de subir un procès dont la conséquence est une expulsion presque certaine plutôt que de négocier un plaidoyer dont la conséquence est une expulsion certaine, même s’il risquait une plus longue peine d’emprisonnement s’il était déclaré coupable à l’issue de son procès. Malgré ce que la Sixth Circuit Court considérait comme la seule décision logique à prendre, le droit de l’accusé de demeurer aux États‑Unis lui importait davantage qu’une éventuelle peine d’emprisonnement, peu importe la durée. Or, la décision de la Sixth Circuit Court a été infirmée par la Cour suprême des États‑Unis dans l’arrêt Lee c. United States, 137 S. Ct. 1958 (2017), qui a rejeté la démarche objective adoptée pour évaluer l’existence d’un préjudice.

[14]                          Notre collègue souligne très justement que la Cour a appliqué un critère objectif modifié dans d’autres contextes, comme lorsqu’il s’agit d’évaluer la possibilité d’invoquer les moyens de défense fondés sur la nécessité (R. c. Latimer2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3, par. 32) ou sur la contrainte (R. c. Ruzic2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687, par. 61) (motifs du juge Wagner, par. 88). Mais il ne s’ensuit pas qu’un critère objectif modifié convient tout autant pour évaluer les facteurs entourant la décision de plaider coupable. Certes, le droit criminel repose lui‑même en grande partie sur des facteurs objectifs, en ce sens qu’il « [tient compte] des valeurs de la société [quant à] ce qui est approprié et ce qui constitue une transgression » (Latimer, par. 34; voir aussi Perka c. La Reine1984 CanLII 23 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 232, p. 248). La possibilité de recourir à un moyen de défense valable, comme celui fondé sur la nécessité ou celui fondé sur la contrainte, ne peut donc pas être abordée de façon purement subjective, au risque de [traduction] « devenir simplement le masque de l’anarchie » (Latimer, par. 27, citant Southwark London Borough Council c. Williams[1971] Ch. 734 (C.A.), p. 746). Toutefois, il en va autrement pour la décision de l’accusé de plaider coupable. Cette décision ne se veut pas le reflet des valeurs de la société quant à ce qui est bien et ce qui est mal. Elle est plutôt le fruit du choix subjectif de l’accusé. Contrairement aux facteurs applicables à la question de savoir si un moyen de défense valable peut être invoqué, il n’y a aucun mal à laisser des facteurs propres à l’accusé dicter s’il aurait ou non, dans les circonstances, enregistré un plaidoyer de culpabilité éclairé. Au bout du compte, c’est la décision de l’accusé de plaider coupable ou de subir un procès qui importe et non le point de savoir si quelqu’un d’autre jugerait cette décision téméraire ou insensée.

[15]                          Nous convenons que notre collègue ne propose pas un cadre d’analyse purement objectif, mais bien un cadre d’analyse objectif modifié. Ce cadre permet de tenir compte « de la situation et des caractéristiques de l’accusé » en général dans la mesure où cette analyse se fait du point de vue d’une personne qui se trouve « dans la situation particulière de l’accusé » (voir motifs du juge Wagner, par. 80 et 87). Il souffre néanmoins des mêmes lacunes qu’une analyse purement objective : il porte principalement sur ce qu’une personne hypothétique, fruit du raisonnement des tribunaux, aurait fait, et non sur la façon dont l’accusé en cause aurait agi.

[16]                          Le deuxième problème que pose, à notre avis, le cadre d’analyse objectif modifié est qu’il risque de se révéler difficile à appliquer pour les tribunaux d’instance inférieure. Notre collègue parle de ce qu’aurait fait « une personne raisonnable placée dans la même situation » (par. 80). Mais la norme en question est mitigée par son affirmation selon laquelle on n’a pas à présumer que cette personne raisonnable « aurait pris la “meilleure” démarche ou la démarche la plus logique » (par. 82). Vu le caractère hautement contextuel et même idiosyncrasique des facteurs qui influencent les décisions importantes (comme choisir de plaider coupable ou non), l’adoption d’une norme fondée sur ce qu’aurait fait une personne raisonnable hypothétique (qui n’a pas toujours un comportement des plus rationnels) confère dans les faits aux tribunaux de révision le pouvoir discrétionnaire illimité d’arriver à la conclusion qu’ils estiment juste et entraîne immanquablement l’injustice qui a mené à l’intervention de la Cour suprême des États‑Unis dans Lee.

[17]                          Le cadre d’analyse objectif modifié sera également difficile à appliquer parce qu’il est fonction d’une norme d’examen variable. Notre collègue soutient que, lorsque la conséquence indirecte d’un plaidoyer est « aussi grave que l’expulsion », le tribunal appliquerait une norme de raisonnabilité plus clémente, par laquelle les « conséquence[s] [. . .] moins manifestement grave[s] » font l’objet d’« une analyse plus poussée » (par. 100). Il va de soi que différents accusés — même des accusés placés dans une situation semblable — n’accordent pas la même importance à différentes conséquences indirectes en raison de leurs valeurs et préférences idiosyncrasiques. Partant, et avec égards, nous ne considérons pas l’importance d’une conséquence en particulier comme une « question de bon sens » (ibid.). Et, comme l’approche du juge Wagner se rapporte non pas à un accusé donné, mais à une personne raisonnable, la cour de révision peut être réduite à deviner quelle norme d’examen s’applique à la conséquence en question.

[18]                          En somme, l’approche objective modifiée de notre collègue risque, selon nous, d’entraîner l’annulation de plaidoyers de culpabilité même lorsque rien ne prouve que l’accusé aurait lui‑même agi différemment. Nous dirions même plus : l’accusé qui admet en contre‑interrogatoire qu’il aurait procédé de la même façon aurait toujours le droit de retirer son plaidoyer si un accusé raisonnable placé dans sa situation retirerait son plaidoyer. Cela imposerait des exigences inutiles et considérables à un système de justice pénale déjà surchargé, et ce, au détriment des autres acteurs de ce système, dont les accusés, les victimes ainsi que les membres du grand public qui souhaitent le règlement efficace et juste des plaintes au criminel.

B.            Le cadre d’analyse du préjudice subjectif

(1)           Types de préjudice

[19]                          À notre avis, l’accusé qui souhaite retirer son plaidoyer de culpabilité doit prouver l’existence d’un préjudice au moyen d’un affidavit établissant la possibilité raisonnable qu’il aurait (1) enregistré un plaidoyer différent ou (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Cette façon de faire atteint ce que nous considérons être le juste équilibre entre le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé.

[20]                          S’agissant du premier type de préjudice — lorsque l’accusé aurait opté pour un procès et plaidé non coupable — il se présentera évidemment des situations où l’accusé n’aura que peu ou pas de chances d’avoir gain de cause à son procès, et que choisir de subir son procès n’est pour lui qu’une tentative de dernier recours. Mais de faibles chances d’avoir gain de cause au procès ne signifient pas forcément que l’accusé n’est pas sincère lorsqu’il affirme qu’il aurait enregistré un plaidoyer différent. Pour certains accusés, comme celui dans l’affaire Lee, la conséquence certaine, quoiqu’auparavant inconnue, d’une déclaration de culpabilité rendait intéressantes même de faibles chances d’avoir gain de cause à l’issue d’un procès. Dans un tel cas, et si la cour reconnaît la véracité de ses propos, l’accusé aura su prouver l’existence d’un préjudice et devrait être autorisé à retirer son plaidoyer.

[21]                          Ce qui nous laisse le second type de préjudice — lorsque l’accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Le fait qu’un accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions, suffira à établir l’existence d’un préjudice si la cour arrive à la conclusion que l’accusé aurait insisté pour que son plaidoyer de culpabilité soit assorti de ces conditions et si celles‑ci auraient dissipé la totalité ou une partie des effets négatifs de la conséquence juridiquement pertinente. Nous n’avons pas la prétention d’énumérer toutes les conditions susceptibles de donner lieu à un préjudice si elles sont soulevées par l’accusé. Celles‑ci comprennent par contre à tout le moins le consentement à plaider coupable à une accusation réduite relativement à une infraction moindre et incluse, le retrait d’autres accusations, l’engagement du ministère public à ne pas donner suite à d’autres accusations ou la présentation d’une recommandation conjointe relative à la peine.

[22]                          Nous tenons à souligner que la simple possibilité qu’un plaidoyer soit assorti de conditions différentes n’est pas automatiquement suffisante. Un plaidoyer ne peut être retiré que si un accusé affirme de façon crédible qu’à l’étape de la négociation menant au plaidoyer, il aurait insisté pour que celui‑ci soit assorti d’autres conditions sans lesquelles il n’aurait pas plaidé coupable. Bref, l’accusé doit formuler une façon d’agir clairement différente de celle qu’il a suivie, afin de justifier l’annulation d’un plaidoyer, et il doit convaincre la cour de l’existence d’une possibilité raisonnable qu’il aurait agi de cette façon.

[23]                          Nous notons incidemment que l’accusé n’est pas tenu de prouver un moyen de défense valable à l’égard de l’accusation dont il fait l’objet en vue de retirer un plaidoyer pour des motifs d’ordre procédural. [traduction] « [L]e préjudice réside dans le fait qu’en plaidant coupable, l’accusé a renoncé à son droit à un procès » (R. c. Rulli2011 ONCA 18, par. 2 (CanLII)). Exiger de l’accusé qu’il fasse état de la voie menant à son acquittement va à l’encontre de la présomption d’innocence et de la nature subjective de la décision de plaider coupable. L’accusé a parfaitement le droit de garder le silence, de ne présenter aucune défense et d’obliger le ministère public à s’acquitter de son fardeau de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Il serait insensé de permettre à un accusé de subir un procès en première instance sans avoir à présenter une quelconque défense tout en insistant sur une telle défense dans le cas du retrait d’un plaidoyer non éclairé qui renverrait l’affaire à procès. Même si la décision de subir un procès pourrait s’avérer malavisée ou même téméraire, nous ne cherchons pas à protéger l’accusé contre lui‑même. Nous cherchons plutôt à protéger le droit de l’accusé d’enregistrer un plaidoyer éclairé.

[24]                          Pour cette même raison, nous sommes d’accord avec notre collègue que le cadre d’analyse de l’assistance inefficace de l’avocat n’est pas pertinent en l’espèce (motifs du juge Wagner, par. 60). Ce cadre d’analyse porte essentiellement sur la source de l’information erronée (ou incomplète) plutôt que sur l’information erronée elle‑même. La source d’une information erronée n’entre pas en ligne de compte lorsque vient le temps d’examiner si cette information a donné lieu à un préjudice. Comme la juge Saunders l’a expliqué en Cour d’appel, l’erreur judiciaire survenue en l’espèce résulte de l’invalidité du plaidoyer de M. Wong (2016 BCCA 416, 342 C.C.C. (3d) 435, par. 24).

(2)           Analyse subjective

[25]                          Notre cadre d’analyse repose sur l’avis que l’examen judiciaire doit porter sur la façon dont l’accusé, et personne d’autre, aurait procédé. Il faut se demander si l’accusé aurait agi différemment s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente.

[26]                          Même si son analyse porte principalement sur le choix subjectif de l’accusé, le tribunal n’a pas à accepter automatiquement la prétention de celui‑ci. Comme c’est le cas pour toutes les conclusions sur la crédibilité, la prétention de l’accusé quant à savoir quel aurait été son choix subjectif et pleinement éclairé est appréciée en fonction de circonstances objectives. Le tribunal doit donc examiner attentivement la prétention de l’accusé et se pencher sur la preuve circonstancielle et objective permettant de mettre à l’épreuve la véracité de cette prétention au regard d’une norme de possibilité raisonnable. Figurent au nombre de ces facteurs la solidité du dossier du ministère public, les concessions ou déclarations faites par le ministère public au sujet de son dossier (notamment s’il s’est montré disposé à présenter une recommandation conjointe ou à réduire l’accusation à celle d’une infraction moindre et incluse) et tout moyen de défense pertinent que l’accusé pourrait faire valoir. Le tribunal pourrait aussi évaluer la solidité du lien de causalité entre le plaidoyer de culpabilité et la conséquence indirecte, c’est‑à‑dire examiner si l’élément déclencheur de la conséquence indirecte est la déclaration de culpabilité comme telle et non la durée de la peine. Plus précisément, lorsque la conséquence indirecte dépend de la durée de la peine — sans oublier qu’un plaidoyer de culpabilité atténue généralement la peine imposée —, le tribunal pourrait avoir des raisons de douter de la véracité de la prétention avancée par l’accusé.

[27]                          Bien que notre collègue fasse état de facteurs similaires (par. 105), il en tiendrait compte pour décider si l’information en cause aurait influencé une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusé quand elle a décidé de plaider coupable. Encore une fois, nous abordons l’analyse autrement. Rappelons que cette analyse fonctionne adéquatement si elle est conduite du point de vue de l’accusé et de ce que ce dernier aurait fait — ou n’aurait pas fait — s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente.

[28]                          Bien entendu, l’examen judiciaire de la prétention d’un accusé ne se fonde pas uniquement sur les circonstances objectives concomitantes au plaidoyer initial, puisque ces circonstances pourraient ne pas témoigner des préférences propres à l’accusé. Par conséquent, le tribunal de révision doit en outre mettre à l’épreuve la véracité des affirmations de l’accusé comme telles. Un tribunal pourrait conclure à juste titre que les préférences exprimées par un accusé sont crédibles et qu’elles établissent une possibilité raisonnable de préjudice en s’appuyant exclusivement sur le contenu de l’affidavit de l’accusé et sur le fait que ce dernier ne s’est pas compromis lors de son contre‑interrogatoire.

[29]                          Cependant, tout au long de la mise à l’épreuve de la prétention de l’accusé, il faut s’attacher à ce que l’accusé en cause — et seulement lui — aurait fait. Cette analyse subjective repose sur le caractère subjectif de la décision initiale d’enregistrer un plaidoyer. Puisque le plaidoyer de culpabilité initial exprime le jugement subjectif de l’accusé, il s’ensuit logiquement que le test permettant le retrait du plaidoyer porte lui aussi sur ce même jugement. Cette approche établit un juste équilibre entre l’intérêt qu’a la société dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé en annulant son plaidoyer uniquement s’il avait procédé différemment.

[30]                          Soulignons en passant qu’adopter un cadre d’analyse subjectif, qui exige de l’accusé qu’il signe un affidavit à l’appui, ne créera pas d’« obstacle procédural » à l’annulation d’un plaidoyer (motifs du juge Wagner, par. 93). Premièrement, la norme objective modifiée elle‑même adoptée par notre collègue obligera l’accusé à témoigner de sa « situation particulière » (par. 87) et du fait qu’il n’a pas été informé d’une conséquence juridiquement pertinente. Deuxièmement, toute préoccupation concernant l’accusé qui cherche à faire annuler son plaidoyer mais qui n’est pas représenté et qui n’est pas au courant de l’obligation d’affirmer qu’il aurait agi différemment s’il avait été dûment informé peut être prise en compte par le juge du procès, qui devrait faire ce qu’il faut pour que l’accusé soit représenté ou, à tout le moins, qu’il obtienne l’aide de l’avocat de garde (lorsque cela est possible). Et troisièmement, l’accusé n’a pas à conjecturer la manière dont les autres acteurs du système de justice auraient procédé (ibid.). Notre approche exige tout simplement de l’accusé qu’il explique en quoi il aurait agi différemment. Bien qu’une condition puisse dépendre de la réaction d’une autre partie — telle la volonté du ministère public d’accepter une proposition conjointe sur la peine — l’accusé n’a qu’à mentionner qu’il aurait insisté sur cette condition pour plaider coupable, à défaut de quoi il aurait décidé de subir son procès.

[31]                          Notre cadre d’analyse subjectif s’accorde avec la démarche prise par la Cour d’appel de l’Ontario dans les arrêts R. c. Henry2011 ONCA 289, 277 C.C.C. (3d) 293, et R. c. Quick2016 ONCA 95, 129 O.R. (3d) 334. Dans Henry, le juge d’appel Watt a conclu à l’existence d’un préjudice dans les cas où [traduction] « la probabilité que [l’accusé] aurait couru le risque de subir un procès était réaliste » (par. 37 (nous soulignons)). Dans Quick, le juge d’appel Laskin a également porté son attention sur la façon dont l’accusé se serait comporté s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente (par. 35). Et, comme nous l’avons aussi indiqué, cela fait à peine un an que la Cour suprême des États‑Unis a retenu dans Lee l’analyse subjective pour évaluer l’existence d’un préjudice.

[32]                          En réponse, notre collègue invoque les directives données par la Cour dans l’arrêt R. c. Taillefer2003 CSC 70[2003] 3 R.C.S. 307, comme raison d’être centrale d’une démarche objective modifiée. Plus particulièrement, il affirme que la démarche de la Cour dans Taillefer « ressembl[e] » à son cadre d’analyse (par. 89). Soit dit en tout respect, l’arrêt Taillefer n’établit pas et ne devrait pas être interprété comme établissant que le préjudice découlant d’un plaidoyer non éclairé — ce qui est différent de ne pas être informé — est évalué à l’aune d’une norme objective.

[33]                          Rappelons que le cadre d’analyse pour l’annulation d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé comporte deux volets distincts : (1) l’accusé a été mal informé au sujet de renseignements pouvant avoir des conséquences suffisamment graves; (2) ce manque de renseignements donne lieu à un préjudice (motifs du juge Wagner, par. 44). Bien que cette distinction entre les deux volets se confonde parfois dans les motifs du juge LeBel dans Taillefer, à notre avis, l’interprétation la plus juste de ses motifs devrait conserver cette distinction.

[34]                          La question de savoir si un accusé n’est pas informé — c’est‑à‑dire si les renseignements dont il n’est pas au courant font partie de ceux que l’accusé doit connaître pour inscrire un plaidoyer éclairé — est évaluée objectivement. En l’espèce, cette étape vise à apprécier objectivement la gravité de la conséquence juridique inconnue. Dans Taillefer, cela comprend l’évaluation de « la preuve non divulguée [. . .] avec l’ensemble de la preuve déjà connue » (par. 90). La question de savoir si la preuve non divulguée est suffisamment grave pour que l’accusé soit mal informé est indéniablement une question objective. Et c’est à cette analyse objective que se reporte le juge LeBel lorsqu’il énonce l’élément objectif du cadre d’analyse dans Taillefer pour l’annulation d’un plaidoyer. Il affirme que ce cadre d’analyse tient compte du « nombre, [de] l’importance et [de] la pertinence des éléments de preuve non divulgués et [d]es possibilités nouvelles qu’aurait offertes leur utilisation éventuelle » (par. 111). Dans Taillefer, à la suite de l’application de cet examen objectif, le juge LeBel conclut que la non‑divulgation « a porté une atteinte grave au droit de l’appelant à une défense pleine et entière » (par. 112). Précisons toutefois que cette atteinte découlait de la teneur objective de la preuve non divulguée, et non de la perception subjective par l’appelant dans cette affaire de l’importance de cette preuve pour son plaidoyer.

[35]                          En revanche, le préjudice — c’est‑à‑dire la question de savoir si le fait que l’accusé n’était pas informé a eu une incidence sur le plaidoyer — est évalué subjectivement; il faut se demander si l’accusé aurait adopté une façon d’agir clairement différente quand il a inscrit son plaidoyer. Cette démarche est conforme en tous points à Taillefer, où le préjudice a été évalué de la même façon, c’est‑à‑dire que le juge s’est demandé si l’accusé aurait présenté le même plaidoyer. Plus particulièrement, l’analyse subjective respecte la directive donnée dans Taillefer, selon laquelle « l’analyse de la violation doit se faire par rapport à la décision de l’accusé de présenter le plaidoyer de culpabilité », les tribunaux doivent apprécier « quelle aurait été la portée de la preuve inconnue sur la décision du prévenu d’admettre sa culpabilité » et le critère applicable consiste à évaluer « l’existence d’une possibilité réaliste que le prévenu aurait couru le risque d’un procès s’il avait été en possession de ces renseignements » (par. 90 (nous soulignons)). De plus, nous constatons que le juge Laskin, en appliquant la [traduction] « démarche générale de l’arrêt Taillefer », a préféré un critère subjectif à un critère objectif (Quick, par. 35). De même, les précédents auxquels souscrit le juge LeBel dans Taillefer lorsqu’il décrit la bonne méthode d’évaluation du préjudice adoptent également une approche subjective (par. 88‑90).

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

L’article 650 du Code criminel du Canada

Dedam c. R., 2018 NBCA 52  Lien vers la décision [15]                                                             Voici le texte actuel du  ...