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mercredi 3 décembre 2025

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304



[8]            The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to an accused: R. v. Stinchcombe1991 CanLII 45 (SCC), [1991] 3 S.C.R. 326. This duty is inherent in the right of the accused under s.7 of the Charter to make full answer and defence. Relevance is defined as “any information in respect of which there is a reasonable possibility that it may assist the accused in the exercise of the right to make full answer and defence”: R. v. McNeil2009 SCC 3 at para.17.

[9]            Disclosure it not absolute. Non-disclosure is justified by the law of privilege and a judge may review the decision of the Crown to withhold or delay production of information due to the security or safety of witnesses or persons who have supplied information to the investigation: Stinchcombe, supra at para.22. The trial judge, on a review, should be guided by the principle that information should not be withheld if there is a reasonable possibility that the withholding of information will impair the accused’s right to make full answer and defence, unless the non-disclosure is justified by the law of privilege: see R. v. Downey2018 ABQB 915 at paras.12-18.

[10]         Mr. Dennis has a right to disclosure of possibly relevant information. However, it is a right that must be asserted: see R. v. Eadie2010 ONCJ 403 at para.42. As stated in Stinchcombe, supra at para.28, “The obligation to disclose will be triggered by a request by or on behalf of the accused.” Once a request is made the onus shifts to the Crown to comply with the request: Eadie at para.44.  The onus is on the defence to particularize any further disclosure requests: ibid.

[11]         The onus on the defence to particularize, for the Crown, further disclosure requests is one that must be carried out in a timely way: Eadie, supra at para.47, citing R. v. Michelutti [2009] O.J. No. 2839 (SCJ). The Crown and defence are “entwined in a mutual, continuous and reciprocal process,” in which they each have a duty to cooperate in a reasonable and timely manner in the disclosure process: Eadie, supra at para.48. The purpose of the duty is not simply to provide information and documents for the narrow purpose of physical production in order to allow full answer and defence. Rather, it is directly related to conducting trials within a reasonable time: Eadie, supra at para.49.  Although the accused does not have a direct duty to bring himself to trial, this is modified somewhat by the duty to co-operate in the disclosure process, which mutual co-operation should enhance trials within a reasonable time and avoid adjournments and delay: ibid.

Cadre juridique applicable à la communication de dossiers policiers extérieurs au dossier où les accusations sont déposées

Bolduc c. R., 2016 QCCA 91

Lien vers la décision


[46]        L’appelant requiert qu’on lui communique le dossier de ces événements. L’intimée avise ne pas être en possession du dossier et ajoute que celui-ci est sans pertinence. L’appelant présente alors une requête de type O’Connor afin d’obtenir du SPVL le dossier relatif à ces événements. Le juge la rejette[11].

[47]        Avant d’examiner ce rejet, quelques mots sur l’argument de l’appelant voulant qu’on aurait dû lui communiquer le dossier sans l’obliger à procéder par requête de type O’Connor. Dans l’arrêt Quesnelle, la Cour suprême rappelle que l’obligation de communication ne concerne pas les dossiers en possession de tiers dont les autres services de police, sauf pour les renseignements qui découlent de l’enquête ou qui s’y rapportent :

[11] […] Pour les besoins de la communication par la « partie principale », « le ministère public » ne s’entend pas de toutes les composantes de l’État fédéral ou provincial, mais seulement du poursuivant. Toutes les autres composantes de l’État, y compris la police, sont des « tiers ». Exception faite de l’obligation qui incombe à la police de transmettre au ministère public les fruits de l’enquête, les dossiers en la possession de tiers, y compris d’autres composantes de l’État, ne sont habituellement pas assujettis aux règles établies dans l’arrêt Stinchcombe en matière de communication.

[12] […] Notre Cour reconnaît aussi l’obligation de la police de communiquer, sans qu’il soit nécessaire de lui en faire la demande, « tous les renseignements se rapportant à son enquête sur l’accusé » (par. 14), ainsi que les autres renseignements qui « se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l’accusé ».[12]

[48]        En l’espèce, le SPVL n’est pas mêlé à l’enquête. L’appelant devait procéder par requête de type O’Connor s’il souhaitait obtenir le dossier du SPVL.

[49]        Je reviens à la décision du juge de rejeter cette requête. Dans R. c. Poitras, notre Cour décrit les étapes pour traiter une requête de type O’Connor :

[33]  Une demande de type O’Connor comporte deux étapes. À la première, la partie requérante doit établir la pertinence vraisemblable des renseignements demandés. Si cette partie réussit à franchir la première étape, le juge peut alors prendre connaissance des renseignements requis et décider ensuite, au terme de la seconde étape, d’en ordonner ou non la communication à l’accusé.[13]

[50]        Procédant à la première étape, le juge note l’objet limité de la demande et précise que « le procureur de l’accusé mentionne à la Cour que sa requête ne vise que les informations touchant les menaces alléguées contre le ou les policiers de Lévis »[14], puis il conclut que l’appelant ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer la pertinence vraisemblable entre ces informations et la crédibilité du témoin. Il écrit :

[15] Ici, le contexte entourant la requête est très particulier, d’abord parce que la preuve est close, tant en [poursuite] qu’en défense, que les événements pour lesquels l’accusé recherche des renseignements se seraient produits après le témoignage [du plaignant], que ces renseignements ne sont aucunement en lien avec les faits de la cause et postérieurs à ceux-ci, que contrairement à la première requête de type O’Connor présentée par l’accusé dans la présente affaire, il n’est plus question de l’habilité à témoigner [du plaignant] et que nous sommes en présence d’infractions alléguées pour lesquelles aucune accusation n’a encore été portée.

[16] De plus, rien dans la preuve, que le Tribunal a eu le bénéfice d’entendre en entier avant le dépôt de la requête, ne laisse voir que [le plaignant] a menacé l’accusé dans la présente affaire.

[17] Une requête de ce type ne doit pas être spéculative ou basée sur des simples affirmations ou un raisonnement discriminatoire ou stéréotypé.

[20]  Le simple fait que le témoin […] puisse être éventuellement accusé d’avoir menacé un policier suite à son interception pour une infraction de capacités de conduite affaiblies ne peut être automatiquement considéré, dans les circonstances de la présente affaire, comme une cause potentielle de non-fiabilité de son témoignage déjà rendu et corroboré en partie par d’autres témoins de la poursuite.

[21] Il doit exister une probabilité raisonnable que l’information recherchée soit probante relativement à une question en litige ou à la capacité de témoigner du témoin.

[Je souligne]

[51]        Rappelons que l’appelant reconnaît que le plaignant ne l’a jamais menacé lors des événements, les menaces reçues provenant de gens qu’il ne connaissait pas. Dans ce contexte, la démonstration de l’appelant voulant que les renseignements recherchés puissent servir à attaquer la crédibilité du plaignant n’étant pas convaincante, le juge a eu raison de rejeter la requête de type O’Connor.

Une accusation pendante d'un témoin de la défense n’a pas de véritable valeur probante en ce qui a trait à sa crédibilité, sauf si la Poursuite peut en démontrer la pertinence

Hunt c. R., 2022 QCCA 805



[59]      L’appelant se plaint que la poursuite a été autorisée à contre-interroger Mme Binette sur les accusations pendantes auxquelles elle devait faire face. Selon lui, cela lui a causé un préjudice sérieux, portant même atteinte à l’équité du procès, surtout que, dès après le contre-interrogatoire, le juge a indiqué au jury qu’il pouvait en tenir compte pour évaluer sa crédibilité :

Alors, je vais maintenant vous donner une directive relativement aux causes pendantes du témoin Mélanie Binette. Je vais profiter de ce moment qui suit le témoignage entendu de madame Mélanie Binette. Je ne vous ai pas donné de semblables directives jusqu’à maintenant. Alors voici la directive, Mélanie Binette a témoigné à l’effet qu’elle avait des causes pendantes.

Une première cause pendante concernant deux (2) chefs de meurtre au premier degré et un (1) chef de tentative de meurtre pour un événement du premier (1er) décembre deux mille seize (2016). Une deuxième cause pendante du dix-sept (17) avril deux mille dix-sept (2017) pour une possession de stupéfiants dans le but de trafic.

Une troisième cause pendante du quatre (4) décembre deux mille dix-huit (2018) pour une entrave à la justice. Je vous indique qu’une cause pendante n’est pas une condamnation. Madame Mélanie Binette bénéficie de la présomption d’innocence pour chacune de ces causes pendantes. Une (1) ou des causes pendantes peuvent vous servir à évaluer la crédibilité du témoignage d’un témoin et la valeur à y accorder.

Une (1) ou des causes pendantes ne rendent pas nécessairement peu crédible ou digne de foi la preuve présentée par le témoin. Elles ne constituent que l’un des nombreux facteurs que vous devez tenir compte pour évaluer le témoignage de madame Mélanie Binette. Alors, c’était ma directive en droit.

[60]      Comme telle, une accusation pendante n’a pas de véritable valeur probante en ce qui a trait à la crédibilité, sauf lorsque l’on peut en démontrer la pertinence, par exemple, si elle permet de croire que le témoin pourrait avoir intérêt à favoriser une partie : Titus c. R., 1983 CanLII 49 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 259, à la page 263. Par ailleurs, les faits sous-jacents à une accusation pendante peuvent parfois être pertinents à l’évaluation de la crédibilité d’un témoin, s’il ne s’agit  évidemment pas de l’accusé. Ainsi, dans Poitras c. R.2011 QCCA 1677, la Cour cite avec approbation ce passage de R. v. Gonzague1983 CanLII 3541 (ON CA), [1983] O.J. No. 53, (Ont. C.A.) :

[…] Clearly, the fact that a person is charged with an offence cannot degrade his character or impair his credibility, but an ordinary witness unlike an accused may be cross-examined with respect to misconduct on unrelated matters which has not resulted in a conviction: see R. v. Davison, DeRosie and MacArthur (1974), 1974 CanLII 787 (ON CA), 20 C.C.C. (2d) 424 at 443-4, O.R. (2d) 103. Consequently, counsel was entitled to cross-examine the witness, Charbonneau, on the facts underlying the 15 charges of fraud in order to impeach his credibility.

[61]      Les arrêts R. v. John2017 ONCA 622, paragr. 59, et R v. Pascal2020 ONCA 287, paragr. 109-110, vont dans le même sens.

[62]      Il va de soi que le juge a commis une erreur en permettant un tel contre-interrogatoire alors qu’il n’y avait aucun fondement démontrant sa pertinence et qu’il ne portait pas sur des faits sous-jacents qui auraient pu être pertinents à l’évaluation de la crédibilité. Il a aussi erré en instruisant le jury de la sorte immédiatement après le contre-interrogatoire. En revanche, j’estime qu’aucun tort important n’a été causé à l’appelant. Je m’explique.

[63]      Premièrement, l’opposition de l’appelant au contre-interrogatoire ne portait pas précisément sur l’existence d’accusations pendantes, mais bien sur le danger que ce contre-interrogatoire « devienne une façon détournée de mettre en preuve que madame a eu une implication dans un comportement post délictuel qui est en… évidemment, qui n’a pas été amené... ». La préoccupation de la défense portait sur la possibilité de mettre en preuve, de façon détournée, un comportement postdélictuel de l’appelant sous prétexte que Mme Binette y aurait participé. C’est à cette préoccupation que répond le juge en avisant les parties, hors jury, de ne pas présenter une preuve susceptible d’impliquer l’appelant dans l’une des causes pendantes de Mme Binette :

[…] le Tribunal doit prendre des précautions en ce sens que je veux m’assurer que le témoin n’amène pas un sujet qui pourrait être un sujet qui impliquerait monsieur Hunt dans une cause pendante.

[64]      Deuxièmement, dans ses directives finales, même en parlant précisément du témoin Mélanie Binette, le juge ne fait aucunement mention des accusations pendantes. Il ne traite que des condamnations antérieures. Voici ce qu’il dit :

Vous avez entendu que David Binette, Sean Lee et Mélanie Binette ont été dans le passé reconnus coupables d’infractions criminelles. Vous pouvez utiliser cette ou ces condamnations pour vous aider à décider jusqu’à quel point vous accordez foi à leur témoignage. Concernant les témoins David Binette et Mélanie Binette, ces derniers ont indiqué avoir été condamnés plusieurs fois. […]

Concernant Mélanie Binette, cette dernière a admis avoir été condamnée en 2008 pour trafic de stupéfiants. En 2011, pour trafic de stupéfiants. En 2014, pour vol de plus de cinq mille (5 000$). En 2015, pour possession de stupéfiants dans le but de trafic, complot et bris de conditions et une peine de deux ans d’emprisonnement lui a été infligée. 

Certaines condamnations, par exemple, celles comportant un élément de malhonnêteté peuvent être plus pertinentes que d’autres. De plus, une condamnation plus ancienne pourrait être moins pertinente qu’une condamnation plus récente. Une condamnation antérieure ne rend pas nécessairement le témoignage de ces témoins non crédible ou digne de foi. Ce n’est qu’un des nombreux facteurs dont vous devez tenir compte dans votre évaluation de leur témoignage.

[65]      Rien sur les causes pendantes.

[66]      Troisièmement, les causes pendantes de meurtres et de tentative de meurtre ne risquaient pas vraiment de causer préjudice à l’appelant, malgré l’importance de Mme Binette pour sa défense. Comme celle-ci, au début du procès, était coaccusée, le jury était d’emblée au courant des accusations de meurtres et de tentative de meurtre portées contre elle, de sorte que, de toute façon, le jury connaissait déjà l’existence de ces causes pendantes. En ce sens, rappeler ce fait lors du contre-interrogatoire était inoffensif et n’a pu avoir quelque incidence sur le verdict.

[67]      Quatrièmement, Mme Binette était accusée dans un dossier de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic depuis 2017. Dans la mesure où il a aussi été mis en preuve qu’elle avait des antécédents judiciaires de trafic, possession simple et possession de stupéfiants dans le but d’en faire le trafic entre 2011 et 2015 , l’ajout d’une cause pendante du même type à une époque contemporaine n’a pu avoir de réelle incidence sur l’évaluation de sa crédibilité par le jury. Et cela est sans compter ses condamnations antérieures de vol de plus de 5 000 $, de bris d’engagement et de complot, qui avaient également été mis en preuve et dont l’impact sur sa crédibilité pouvait être encore plus grand que celui d’infractions en rapport avec des stupéfiants (selon les mots mêmes du juge : « Certaines condamnations, par exemple, celles comportant un élément de malhonnêteté peuvent être plus pertinentes que d’autres »).

[68]      Cinquièmement, compte tenu des nombreux antécédents judiciaires de Mme Binette, de sa relation avec l’appelant, du fait que le juge n’a pas rappelé au jury l’existence d’accusations pendantes dans ses directives finales, se limitant aux condamnations antérieures, il est difficile de voir comment le simple fait de mettre aussi en preuve l’existence d’une autre accusation pendante d’entrave à la justice a pu avoir une réelle incidence sur le verdict.

[69]      Bref, à mon avis, ce moyen d’appel doit être rejeté.

vendredi 3 octobre 2025

L'essence de la communication de la preuve doit être communiquée à l'accusé avant que celui-ci ne puisse valablement exercer son option

Beck c. R., 2015 QCCS 4160 

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[21]        In Girimonte, Doherty J. states that:

 

« Initial disclosure must occur sufficiently before the accused is called upon to elect or plead so as to permit the accused to make an informed decision as to the mode of trial and the appropriate plea. In a perfect world, initial disclosure would also be complete disclosure. However, as is recognized in Stinchcombe [reference omitted], the Crown will often be unable to make complete disclosure at the initial stage of the disclosure process. […] If full disclosure cannot be made when initial disclosure is provided, the Crown's obligation to disclose is an ongoing one and requires that disclosure be made as it becomes available and be completed as soon as is reasonably possible. In any event, an accused will not be compelled to elect or plead if the accused has not received sufficient disclosure to allow the accused to make an informed decision. »[9] (our emphasis)

 

[22]        There are basically two main periods when the failure of the Crown to comply with its disclosure duty will concretely affect the exercise of an accused’s protected rights:

 

        when he is called upon to enter a plea or elect a mode of trial, and

        at his trial.

[23]        In situations where the initial disclosure bars the accused from entering a plea or electing a mode of trial, because of its form, method or manner, a Superior Court will justifiably intervene in disclosure issues prior to trial. Blencowe and Hallstone are decisions that stand for this proposition[10].

jeudi 25 septembre 2025

Le Poursuivant peut contre-interroger un contrevenant sur les faits sous-jacents de ses condamnations antérieures

R. c. Lévesque, 2024 QCCA 162

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[17]      Au surplus, il est établi que le juge de la peine doit disposer « des renseignements les plus complets possibles sur les antécédents de l’accusé pour déterminer la sentence en fonction de l’accusé plutôt qu’en fonction de l’infraction » : R. c. Gardiner, 1982 CanLII 30 (CSC), [1982] 2 RCS 368, p. 414; R. c. Albright1987 CanLII 26 (CSC), [1987] 2 RCS 383, p. 392; R. c. Jones1994 CanLII 85 (CSC), [1994] 2 RCS 229, p. 292; R. c. Lévesque2000 CSC 47 (CanLII), [2000] 2 RCS 487, par. 30R. c. Angelillo2006 CSC 55 (CanLII), [2006] 2 RCS 728, par. 20R. c. Barbeau1996 CanLII 6209 (C.A.Q.).

[18]      En effet, il semble pertinent de connaître les faits sous-jacents à des infractions génériques d’un casier judiciaire. Pensons simplement aux circonstances de la perpétration de voies de fait passées alors que le délinquant doit recevoir une peine pour des voies de fait dans un contexte conjugal. Est-ce que le sujet est pertinent? Poser la question c’est y répondre. Ici, la juge a commis une erreur en interdisant au ministère public de questionner Lévesque sur les circonstances de la perpétration de ses nombreux antécédents, limitant ainsi la preuve sur une question fondamentale au stade de la détermination de la peine. À l’étape de la détermination de la peine, il est certain que si l’exercice est abusif ou vexatoire, un juge peut y mettre fin, mais il n’est pas nécessaire, aux fins du présent pourvoi, de définir les limites d’un tel interrogatoire.

lundi 22 septembre 2025

Les obligations constitutionnelles des policiers face à la possession par un tiers d'une bande vidéo pertinente à l'infraction et la détermination du remède approprié si ce dernier décide de détruire cette preuve

Guapacha c. R., 2025 QCCA 344 

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[15]      R. c. La[10] est l’arrêt de principe qui établit le cadre d’analyse applicable en la matière. Nous reprenons ses énoncés de principes tels que résumés en dix propositions par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans R. c. F.C.B.[11], en soulignant ceux qui méritent un examen en l’espèce :

(1)  The Crown has an obligation to disclose all relevant information in its possession.

(2)  The Crown's duty to disclose gives rise to a duty to preserve relevant evidence.

(3)  There is no absolute right to have originals of documents produced. If the Crown no longer has original documents in its possession, it must explain their absence.

(4)  If the explanation establishes that the evidence has not been destroyed or lost owing to unacceptable negligence, the duty to disclose has not been breached.

(5)  In its determination of whether there is a satisfactory explanation by the Crown, the Court should consider the circumstances surrounding its loss, including whether the evidence was perceived to be relevant at the time it was lost and whether the police acted reasonably in attempting to preserve it. The more relevant the evidence, the more care that should be taken to preserve it.

(6)  If the Crown does not establish that the file was not lost through unacceptable negligence, there has been a breach of the accused's s. 7 Charter rights.

(7)  In addition to a breach of s. 7 of the Charter, a failure to produce evidence may be found to be an abuse of process, if for example, the conduct leading to the destruction of evidence was deliberately for the purpose of defeating the disclosure obligation.

(8)  In either case, a s. 7 breach because of failure to disclose, or an abuse of process, a stay is the appropriate remedy, only if it is one of those rare cases that meets the criteria set out in O'Connor.

(9)  Even if the Crown has shown that there was no unacceptable negligence resulting in the loss of evidence, in some extraordinary case, there may still be a s. 7 breach if the loss can be shown to be so prejudicial to the right to make a full answer and defence that it impairs the right to a fair trial. In this case, a stay may be an appropriate remedy.

(10)  In order to assess the degree of prejudice resulting from the lost evidence, it is usually preferable to rule on the stay application after hearing all of the evidence.

[16]      Dans Cartier, le juge Doyon, pour la Cour, résume succinctement les principes applicables en matière de preuve perdue ou détruite[12] :

[75]      L’obligation de communication de la preuve entraîne l’obligation du ministère public de conserver les éléments de preuve pertinents : R. c. Egger1993 CanLII 98 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 451. Par conséquent, lorsque des éléments de preuve sont perdus ou détruits et que la défense s’en plaint en invoquant son droit à la communication de la preuve, encore faut-il qu’ils soient pertinents, sinon leur conservation n’était pas exigée. Si tel est le cas, et que « les explications du ministère public convainquent le juge du procès que la preuve n’a été ni détruite ni perdue par suite d’une négligence inacceptable, l’obligation de divulgation n’a pas été violée » : R. c. La, précité, paragr.20. Si le ministère public n’y parvient pas, il y a violation de l’art. 7 de la Charte.

[17]      Sous la plume du juge Kasirer, la Cour précise dans Simard[13] :

[68]      Je retiens de La et Kociuk l’enseignement suivant : s’il est établi que la perte n’est pas le résultat d’une négligence inadmissible ou d’un abus de procédures, le fardeau revient à l’accusé qui doit démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Comme le juge Doyon l’a écrit récemment dans Cartier : « Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures ». Le juge Doyon ajoute, en s’appuyant sur les mêmes paragraphes de l’arrêt La cités plus haut, que « cela ne pourra toutefois se produire que dans des situations exceptionnelles ».

[18]      Une fois que l’accusé a démontré que la perte ou la destruction d’une preuve pertinente a violé son droit à une défense pleine et entière (art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »)), il peut obtenir réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte[14]. S’il demande l’arrêt des procédures, il doit démontrer que les circonstances en cause satisfont aux critères d’application exigeants qui sont propres à ce remède draconien[15].

[19]      Ainsi, trois questions se posent en l’espèce : a) la première est celle de savoir si la preuve détruite était à la fois pertinente (au sens large de l’arrêt Stinchcombe[16]) et en possession de l’État, et donc couverte par l’obligation du ministère public de divulguer et de conserver les informations pertinentes en sa possession. Si non, il ne saurait être question d’une violation du droit à la divulgation de l’appelant. Si oui, b) la deuxième question qui doit être examinée est celle de savoir si la destruction de ces bandes vidéo est le résultat d’une négligence inacceptable de l’État, ou encore si, même en l’absence d’une telle négligence, la preuve détruite est si importante que l’accusé a subi un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Dans l’un ou l’autre de ces cas, une violation de l’article 7 de la Charte sera démontrée. Si tel est le cas, c) en troisième lieu, la question est celle du remède approprié pour la violation, et plus particulièrement ici, si l’arrêt des procédures demandé par l’appelant doit être prononcé.

[20]      Selon l’appelant, la juge a erré dans l’analyse de chacune de ces trois questions.

 

a)    Pertinence et possession de la preuve détruite

[21]      Nul doute qu’il s’agissait ici d’une preuve pertinente, puisque les caméras dont les bandes vidéo n’ont pas été récupérées ont filmé la scène du crime, et ce, de plusieurs angles différents. Malgré la déférence que nous accordons à l’évaluation de la conduite policière par la juge d’instance, une revue de l’ensemble des faits indique qu’elle commet une erreur dans sa conclusion sur l’absence de possession par l’État.

[22]      Comme le juge Vauclair l’exprime dans Duludebien que la poursuite ne puisse évidemment pas être tenue de communiquer ce qu’elle n’a pas en sa possession, « ce principe ne s’applique pas au sens littéral sans considération pour les faits »[17].

[23]      Rappelons que les policiers connaissaient l’existence de ces bandes vidéo et en avaient même pris possession — si ce n’était que temporairement, lors du visionnement avec M. Sanchez, le propriétaire du bar. Ainsi, bien que l’État ne puisse en principe être responsable de la destruction d’une preuve par un tiers[18], tel n’est pas réellement le cas ici.

[24]      En l’espèce, contrairement à ce que soutient l’intimé, les faits ne s’apparentent pas à ceux de R. c. Peterson, où la cassette vidéo recherchée avait été perdue par les services de sécurité avant même que le dossier ne soit envoyé à la police[19].

[25]      La destruction de la preuve se fait à la connaissance — et avec le consentement — de la police, après que M. Sanchez eut procédé à un tri de ce qui lui semblait pertinent. La simple omission par la police de prendre possession physique de ces bandes vidéo ne saurait occulter son implication directe dans la décision de ne pas préserver cette preuve pertinente.

b)  La négligence inacceptable

[26]      Pour déterminer si l’explication quant à la destruction de cette preuve est satisfaisante et qu’il n’y a donc pas eu de négligence inacceptable, toutes les circonstances menant à sa destruction doivent être prises en compte. Sont notamment pertinentes la perception que pouvaient avoir les policiers, à l’époque, de l’importance de la preuve, ainsi que les mesures prises pour tenter de la conserver. Bien sûr, plus la preuve semble de prime abord pertinente, plus le degré de diligence requis des policiers pour la conserver sera élevé[20].

[27]      Malgré sa conclusion que les autorités policières n’ont jamais été en possession de cette preuve détruite, la juge évalue néanmoins la conduite de la police en lien avec celle-ci. Selon elle, la conduite policière est expliquée par un souci d’efficacité et par une certaine urgence dans le but de permettre au propriétaire du bar de réouvrir son commerce. Elle conclut en l’absence de négligence inacceptable, la conduite policière constituant plutôt, selon elle, « une succession d’erreurs humaines, d’oublis et de manque de coordination »[21].

[28]      Pour la juge, « sachant que le crime avait été entièrement capté sur bande vidéo [déjà saisie], les policiers avaient l’impression raisonnable que l’affaire était résolue et que des démarches supplémentaires étaient superflues »[22]. Or, force est de constater qu’à l’étape de l’enquête policière, l’affaire ne pouvait être considérée comme « résolue »[23] et que ces bandes vidéo auraient pu facilement être saisies sans imposer aux policiers de « démarches supplémentaires ». Certes, il n’était pas déraisonnable de penser que certaines des 13 autres bandes vidéo reprenaient les mêmes images (mais sous des angles différents) que celles qui avaient déjà été saisies et que d’autres ne montraient rien de pertinent. Néanmoins, cette preuve vidéo de la scène de crime demeurait une preuve pertinente, même s’il y avait un certain dédoublement et qu’elle ne semblait donc pas essentielle à la défense (son degré de pertinence étant toutefois un considérant à examiner quant à la troisième question, soit celle liée au préjudice subi et au remède approprié).

[29]      Bien que l’intimé ait raison de souligner que le devoir d’enquêter des policiers n’est pas absolu[24], au vu de la pertinence de la preuve détruite, la décision de laisser à un tiers le soin de sélectionner les images à conserver (au surplus sans vérification postérieure par l’enquêtrice responsable[25]), pour ensuite permettre sa destruction, démontre une négligence inacceptable. L’explication retenue par la juge pour cette conduite, soit qu’elle « répondait ici à un souci d’efficacité et à une certaine urgence », ne saurait alléger le devoir des policiers de trouver et de conserver « tous les renseignements et éléments de preuve pertinents »[26], d’autant plus que l’« urgence » en question était simplement l’empressement de M. Sanchez de réouvrir les portes de son bar.

[30]      Par conséquent, la juge se trompe lorsqu’elle conclut en l’absence de négligence inacceptable de la part des policiers. La destruction de cette preuve, qui aurait dû être communiquée à l’appelant, est une violation de son droit à une défense pleine et entière protégé par l’article 7 de la Charte.

c)  L’arrêt des procédures

[31]      Au stade de la réparation conséquente à la violation du droit à une défense pleine et entière découlant de la perte d’un élément de preuve pertinent, l’analyse doit porter sur le préjudice subi par l’accusé[27]. Puisque l’appelant demande le remède le plus draconien qui n’est octroyé que dans les cas les plus manifestes, soit l’arrêt des procédures, il lui incombe de démontrer un préjudice irréparable qui compromet l’équité du procès[28]

[32]      Bien qu’elle ait conclu à l’absence de négligence inacceptable, la juge examine tout de même la question du préjudice concret causé à l’appelant (cette même question se posait dans le cadre d’analyse de l’arrêt Simard [29] concernant une preuve détruite du fait d’un tiers). Elle conclut que l’absence de certaines bandes vidéo ne cause aucun préjudice concret à l’appelant, soulignant, à bon droit, que la théorie selon laquelle l’appelant aurait été drogué par la plaignante relève de la pure spéculation. Qui plus est, même une preuve directe que son état d’intoxication était (en partie) involontaire n’aurait pu mener à un doute raisonnable sur sa mens rea[30]. Il en est ainsi puisque la juge conclut, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que l’appelant — malgré son état évident d’ébriété avancée — était « physiquement capable d’accomplir plusieurs actes envers la victime dans le but d’obtenir une gratification sexuelle » et que ces actes coordonnés, répétés et précis « ne constitu[aient] pas […] des gestes involontaires posés de façon inconsciente »[31]. Aucune bande vidéo additionnelle des événements ne pourrait être de nature à modifier ces constats factuels.

[33]      En conclusion, malgré les erreurs de la juge dans l’analyse de la possession des bandes vidéo détruites et de la négligence inacceptable des policiers, elle ne commet aucune erreur lorsqu’elle conclut que le remède exceptionnel qu’est l’arrêt des procédures n’est pas approprié[32], notamment parce qu’il ne manque que « quelques minutes d’images, par-ci, par-là, montrant sous des angles différents les interactions de la soirée entre l’accusé et la victime, sans un iota de preuve que ces enregistrements auraient été de nature à lui offrir ici une réelle défense »[33].

[34]      L’appelant échoue à démontrer qu’il s’agit d’un des cas les plus manifestes justifiant l’arrêt des procédures.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...