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lundi 13 octobre 2025

Le demandeur a le fardeau de démontrer, par prépondérance de probabilités, l’abus de procédure allégué

Longchamps c. R., 2021 QCCA 700


[23]      Dans l’arrêt Kreiger c. Law Society of Alberta[9], la Cour suprême a examiné l’évolution et la nature de la charge de procureur général du Canada. Elle a confirmé que son indépendance constitue un principe constitutionnel[10]. Cela exige que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire soit protégé contre l’ingérence des tribunaux, sauf en cas d’abus de procédure[11]. La Cour suprême a défini le « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » et précisé qu’il comprend non seulement le pouvoir d’intenter des poursuites criminelles, mais aussi celui d’ordonner un arrêt des procédures :

43  L’expression « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » est une expression technique. Elle ne désigne pas simplement la décision discrétionnaire d’un procureur du ministère public, mais vise l’exercice des pouvoirs qui sont au cœur de la charge de procureur général et que le principe de l’indépendance protège contre l’influence de considérations politiques inappropriées et d’autres vices.

[…]

46  Sans vouloir être exhaustifs, nous croyons que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites comprend essentiellement les éléments suivants : a) le pouvoir discrétionnaire d’intenter ou non des poursuites relativement à une accusation portée par la police; b) le pouvoir discrétionnaire d’ordonner un arrêt des procédures dans le cadre de poursuites privées ou publiques, au sens des art. 579 et 579.1 du Code criminel; c) le pouvoir discrétionnaire d’accepter un plaidoyer de culpabilité relativement à une accusation moins grave; d) le pouvoir discrétionnaire de se retirer complètement de procédures criminelles; e) le pouvoir discrétionnaire de prendre en charge des poursuites privées. Même s’il existe d’autres décisions discrétionnaires, celles‑ci constituent l’essentiel du pouvoir souverain délégué qui caractérise la charge de procureur général.[12]

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[24]      Lorsqu’il est question du « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites », les tribunaux interviennent seulement en cas d’abus de procédure[13]. Dans R. c. Anderson[14], la Cour suprême note que l’abus de procédure a été décrit de diverses façons et elle observe qu’« [i]ndépendamment des termes employés, l’abus de procédure s’entend essentiellement d’une conduite du ministère public qui est inacceptable et qui compromet sérieusement l’équité du procès ou l’intégrité du système de justice »[15].

[25]      Le demandeur a le fardeau de démontrer, par prépondérance de probabilités, l’abus de procédure allégué[16]. Avant qu’une allégation d’abus de procédure soit examinée par un tribunal, le demandeur doit établir l’existence d’une preuve suffisante, car « les tribunaux ne doivent pas examiner les motifs qui sous‑tendent les actes résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites s’ils ne peuvent s’appuyer sur une preuve suffisante »[17]. Cette exigence assure le bon fonctionnement du système de justice en autorisant le juge du procès à refuser de procéder à l’audition de la preuve lorsque la partie qui le demande est incapable de démontrer « qu’il est raisonnablement probable que cette audience aidera à résoudre les questions soumises au tribunal »[18]. Cette exigence « respecte la présomption selon laquelle ce pouvoir est exercé de bonne foi »[19].

[26]      À la suite des arrêts Nixon et Anderson, la Cour d’appel de l’Ontario a décrit les deux avenues qui s’offrent au demandeur pour satisfaire son fardeau initial de preuve de la façon suivante :

51  While it is clear from Nixon that a "bare allegation" on its own will not meet the requisite threshold, it does not follow that an accused must produce extrinsic evidence (i.e. evidence extrinsic from the settlement offer itself) in order to meet the burden. A requirement for extrinsic evidence would be irreconcilable with the Supreme Court's conclusion in Nixon that repudiation of a plea agreement in and of itself is not a bare allegation and meets the evidentiary burden. The impugned act of prosecutorial discretion may be sufficient on its own to meet the threshold burden.

52  Two avenues to meeting the threshold emerge from the Supreme Court's decisions in Nixon and AndersonFirst, the threshold evidentiary burden will be met if the accused adduces evidence that the prosecutor exercised its discretion in bad faith or for improper motives: see Anderson, at para. 55.

53  Second, as in Nixon, the threshold may also be met where a discretionary decision is so rare and exceptional in nature that it demands an explanation[…]

54  Justice Charron did not set out criteria for determining what else might qualify as a "rare and exceptional event". In my view, the sole criteria cannot be that the decision or type of decision is infrequently made, as unusual decisions may result simply from the nature of a particular prosecution. I would infer from Nixon that a Crown discretionary decision may qualify as a rare and exceptional event when the decision itself raises the court's concern about the Crown's exercise of discretion. As quoted above, Charron J. noted that repudiation of a plea agreement was more than a bare allegation because it was evidence that the Crown had gone back on its word. A second important aspect of a rare and exceptional event is, in my view, that the Crown's decision must implicate interests that are of "crucial importance to the proper and fair administration of justice". In Nixon, this interest was that plea agreements be honoured.

55  Meeting the threshold evidentiary burden is of course only the first step that an accused faces in proving an abuse of process. If the threshold burden is met, the Crown is given an opportunity to explain the reasons behind its exercise of discretion. If no explanation is forthcoming, an adverse inference may be made against the Crown. The burden remains on the accused to establish an abuse of process on a balance of probabilities. Even if an accused establishes an abuse of process, a stay will only be warranted in "the clearest of cases".[20]

[Soulignements ajoutés]

[27]        L’ordre de l’intimée d’arrêter les procédures n’est pas une décision rare ni exceptionnelle. Le juge ne commet aucune erreur de droit relativement au fardeau de la preuve nécessaire en pareille situation. Au paragraphe 60 de son jugement, il écrit, à bon droit, qu’il incombe au demandeur de prouver l’abus de procédure par prépondérance des probabilités[21]. Il exige correctement la satisfaction d’un fardeau initial de faire une preuve suffisante avant d'examiner « les motifs qui sous-tendent les actes résultant du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites »[22]. La notion et l’étendue du fardeau initial ont été expliquées par le juge Cournoyer dans l’affaire R. c. Antoine :

[21]  Selon les principes formulés dans l’arrêt Anderson, la poursuite ne sera pas tenue de fournir une explication ou de faire connaître ses motifs au sujet de la présentation d’un acte d’accusation direct à moins que les accusés ne satisfassent un critère préliminaire de preuve, un fardeau initial (« threshold burden »), soit une preuve suffisante, c’est-à-dire, une preuve vraisemblable de la mauvaise foi de la poursuite ou du caractère inapproprié de ce qui l’a animée lorsque cette décision a été prise.

[22]  La preuve suffisante requise pour ordonner la communication de la preuve des raisons justifiant la présentation d’un acte d’accusation direct doit rendre vraisemblable l’abus de procédure selon une probabilité raisonnable.

[23]  Une simple allégation d’abus de procédure ne justifie pas la tenue d’un examen de cette question ni la communication d’éléments de preuve à cet égard.[23]

[28]        Au paragraphe 75 de son jugement, le juge écrit « rien dans la preuve du requérant ne rend vraisemblable l’abus de procédure allégué selon le critère de la probabilité raisonnable qui empêche les recherches à l’aveuglette et assure une utilisation efficace des ressources judiciaires ».

[29]        Selon son évaluation, les allégations de l’appelant reposent entièrement sur des hypothèses et des conjectures, ce qui n’est pas suffisant pour justifier l’examen du pouvoir discrétionnaire du ministère public[24]. En réalité, l’appelant conteste l’appréciation par le juge de la suffisance des éléments soumis pour satisfaire son fardeau initial. En pareille matière, la Cour ne peut intervenir sans l’identification d’une erreur manifeste et déterminante[25], ce que n’a pas démontré l’appelant.

lundi 29 septembre 2025

Il ne fait aucun doute que le fait d'utiliser une procédure pénale dans le seul but de recouvrer une dette civile constitue un abus de procédure

R. v. Wolf, 2008 ONCA 352

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[2]               In support of his conviction appeal, the appellant argues that the purpose of the criminal proceedings against him was the collection of a civil debt owed to the victims of his fraudulent conduct, with the result that the proceedings were an abuse of process. 

[3]               In particular, the appellant submits that, in the course of discussions concerning restitution, it was made clear to him that the real goal of the prosecution was recovery or collection of the debt owed to the complainants and that payment would bring an end to the prosecution.  He says that the involved Crown counsel surrendered their obligations and breached their duties as Crown Attorneys by acting, in effect, as counsel for the complainants in attempting to obtain the highest monetary recovery possible from the appellant on account of the value of the services fraudulently obtained by him. 

[4]               At its core, therefore, the appellant’s contention is that Crown counsel improperly used the power of their office and the spectre of criminal prosecution to enforce the complainants’ demands for restitution.  We reject this argument. 

[5]               There is no dispute that it is an abuse of process to use criminal proceedings for the sole purpose of collecting a civil debt.  In this context, Crown counsel on this appeal responsibly acknowledged that the language of certain of the e-mail communications between the Crown counsel involved in the appellant’s case was ill-advised.  We agree.

[6]               Crown counsel also argues, however, that this is not one of those exceptional cases in which the jurisdiction of this court to prevent an abuse of process should be exercised by allowing the appeal and staying the charges against the appellant.  Again, we agree.

[7]               In our view, on this record, the appellant has failed to meet the high threshold required for a stay of criminal proceedings based on alleged abuse of process.  We are far from satisfied that the sole purpose for the conduct of the criminal proceedings against the appellant was to effect collection of the civil debt owed by him to the complainants, thereby invoking the criminal justice process to realize a civil remedy.

[8]               The fresh evidence tendered on appeal by both parties indicates that Crown counsel assigned to the appellant’s case concluded that the charges were appropriate and that a reasonable prospect of conviction existed. 

[9]               In addition, and importantly, the Crown counsel involved in the challenged resolution discussions testified that while he sought the complainants’ views regarding restitution, he did so in the course of assessing the public interest in determining whether to end or continue the prosecution and in the knowledge that the complainants’ views would not determine the course of the proceedings. He stated that it was his opinion, having regard to the public interest, that resolving the case on the basis of restitution in the proposed amount of $14,000 was not inappropriate, even though that quantum was less than what he viewed as the full value of the appellant’s fraud and the preferred restitutionary amount of $17,000.

[10]         Finally, there is no evidentiary support on this record for the appellant’s very serious claim that Crown counsel threatened the appellant – implicitly or otherwise – with continued prosecution and jail if the appellant failed to increase the amount of restitution that he was prepared to pay.

[11]         In all these circumstances, we conclude that the record does not demonstrate any improper purpose behind the criminal proceedings or in the conduct of Crown counsel involved in those proceedings.  To the contrary, there was clear evidence in support of the allegations of the commission of a criminal offence by the appellant, the sufficiency of which he acknowledges.  A coincident effort to realize recovery of the debt owed to the complainants through the mechanism of restitution does not render the criminal proceedings an abuse of process.

mercredi 24 septembre 2025

Un procureur de la Couronne ne devient pas inhabile du simple fait qu'un accusé ait porté plainte contre lui au Barreau

Ste-Marie c. R., 2022 QCCA 1137 

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[79]      Les appelants prétendent que, compte tenu de la demande d’enquête qui les visait, les procureurs de l’intimée ne pouvaient plus agir avec modération et détachement et s’acquitter convenablement de leurs obligations de poursuivants, ajoutant qu’une personne raisonnable observant la scène ne pourrait que conclure à l’absence d’équité procédurale.

[80]      En première instance, l’avocat de Michel Ste-Marie a plaidé qu’on ne pouvait conclure que la plainte de Dax et Mélanie Ste-Marie (deux parties qui n’étaient pas représentées par avocat) était frivole ou portée dans le seul but de forcer les procureurs de l’intimée à se récuser. Il a renchéri qu’il serait inapproprié que les procureurs puissent les contre-interroger dans ce contexte puisqu’ils perdraient nécessairement l’objectivité requise.

[81]      Pour la poursuite, les procureurs ne devaient pas être déclarés inhabiles sur la base d’allégations non démontrées et fermement contestées alors que rien ne permettait de croire qu’ils ne s’acquitteraient pas de leurs devoirs avec intégrité et équité.

[82]      Le cadre d’analyse approprié me semble être celui retenu dans R. c. Babos2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, qui porte sur la conduite d’un procureur qui, en menaçant de représailles un accusé, risquait de miner l’intégrité du processus judiciaire, ce qui pourrait constituer un abus de procédure. Dans un tel cas, une déclaration d’inhabilité peut certes être envisagée. Ainsi, dans R. c. Tshiamala2011 QCCA 439, cette Cour a ordonné, de manière exceptionnelle, que le procureur visé n’agisse pas en poursuite lors du nouveau procès qu’elle ordonnait.

[83]      Dans le présent cas toutefois, comme le juge du procès, il me semble que rien n’indiquait, au moment de la requête en inhabilité, que l’intégrité des procureurs était compromise ou le serait vraisemblablement dans l’avenir. D’ailleurs, même dans le présent pourvoi, les appelants se limitent à plaider les mêmes arguments qu’en première instance et ne pointent aucun comportement répréhensible de la part des procureurs qui découlerait de la demande d’enquête au syndic. Ils n’indiquent pas davantage ce qui est advenu de cette demande par la suite.

[84]      Pour reprendre les mots de R. v. Trang2002 ABQB 286, paragr. 75 : « I think the simple answer to this proposition is that if there is no manifestation of a loss of objectivity, there is no reason to delve into the discretion of the Crown to determine which counsel will prosecute any given case on this basis ».

[85]      Par ailleurs, rien n’indique que cette décision ait pu affecter l’équité du procès et il ne suffit pas d’invoquer en appel un risque purement hypothétique pour obtenir un nouveau procès. Celui-ci a eu lieu et tout indique qu’il s’est tenu de manière tout à fait acceptable sans mettre en cause son équité et l’intégrité du système judiciaire.

lundi 22 septembre 2025

Les obligations constitutionnelles des policiers face à la possession par un tiers d'une bande vidéo pertinente à l'infraction et la détermination du remède approprié si ce dernier décide de détruire cette preuve

Guapacha c. R., 2025 QCCA 344 

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[15]      R. c. La[10] est l’arrêt de principe qui établit le cadre d’analyse applicable en la matière. Nous reprenons ses énoncés de principes tels que résumés en dix propositions par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans R. c. F.C.B.[11], en soulignant ceux qui méritent un examen en l’espèce :

(1)  The Crown has an obligation to disclose all relevant information in its possession.

(2)  The Crown's duty to disclose gives rise to a duty to preserve relevant evidence.

(3)  There is no absolute right to have originals of documents produced. If the Crown no longer has original documents in its possession, it must explain their absence.

(4)  If the explanation establishes that the evidence has not been destroyed or lost owing to unacceptable negligence, the duty to disclose has not been breached.

(5)  In its determination of whether there is a satisfactory explanation by the Crown, the Court should consider the circumstances surrounding its loss, including whether the evidence was perceived to be relevant at the time it was lost and whether the police acted reasonably in attempting to preserve it. The more relevant the evidence, the more care that should be taken to preserve it.

(6)  If the Crown does not establish that the file was not lost through unacceptable negligence, there has been a breach of the accused's s. 7 Charter rights.

(7)  In addition to a breach of s. 7 of the Charter, a failure to produce evidence may be found to be an abuse of process, if for example, the conduct leading to the destruction of evidence was deliberately for the purpose of defeating the disclosure obligation.

(8)  In either case, a s. 7 breach because of failure to disclose, or an abuse of process, a stay is the appropriate remedy, only if it is one of those rare cases that meets the criteria set out in O'Connor.

(9)  Even if the Crown has shown that there was no unacceptable negligence resulting in the loss of evidence, in some extraordinary case, there may still be a s. 7 breach if the loss can be shown to be so prejudicial to the right to make a full answer and defence that it impairs the right to a fair trial. In this case, a stay may be an appropriate remedy.

(10)  In order to assess the degree of prejudice resulting from the lost evidence, it is usually preferable to rule on the stay application after hearing all of the evidence.

[16]      Dans Cartier, le juge Doyon, pour la Cour, résume succinctement les principes applicables en matière de preuve perdue ou détruite[12] :

[75]      L’obligation de communication de la preuve entraîne l’obligation du ministère public de conserver les éléments de preuve pertinents : R. c. Egger1993 CanLII 98 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 451. Par conséquent, lorsque des éléments de preuve sont perdus ou détruits et que la défense s’en plaint en invoquant son droit à la communication de la preuve, encore faut-il qu’ils soient pertinents, sinon leur conservation n’était pas exigée. Si tel est le cas, et que « les explications du ministère public convainquent le juge du procès que la preuve n’a été ni détruite ni perdue par suite d’une négligence inacceptable, l’obligation de divulgation n’a pas été violée » : R. c. La, précité, paragr.20. Si le ministère public n’y parvient pas, il y a violation de l’art. 7 de la Charte.

[17]      Sous la plume du juge Kasirer, la Cour précise dans Simard[13] :

[68]      Je retiens de La et Kociuk l’enseignement suivant : s’il est établi que la perte n’est pas le résultat d’une négligence inadmissible ou d’un abus de procédures, le fardeau revient à l’accusé qui doit démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Comme le juge Doyon l’a écrit récemment dans Cartier : « Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures ». Le juge Doyon ajoute, en s’appuyant sur les mêmes paragraphes de l’arrêt La cités plus haut, que « cela ne pourra toutefois se produire que dans des situations exceptionnelles ».

[18]      Une fois que l’accusé a démontré que la perte ou la destruction d’une preuve pertinente a violé son droit à une défense pleine et entière (art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »)), il peut obtenir réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte[14]. S’il demande l’arrêt des procédures, il doit démontrer que les circonstances en cause satisfont aux critères d’application exigeants qui sont propres à ce remède draconien[15].

[19]      Ainsi, trois questions se posent en l’espèce : a) la première est celle de savoir si la preuve détruite était à la fois pertinente (au sens large de l’arrêt Stinchcombe[16]) et en possession de l’État, et donc couverte par l’obligation du ministère public de divulguer et de conserver les informations pertinentes en sa possession. Si non, il ne saurait être question d’une violation du droit à la divulgation de l’appelant. Si oui, b) la deuxième question qui doit être examinée est celle de savoir si la destruction de ces bandes vidéo est le résultat d’une négligence inacceptable de l’État, ou encore si, même en l’absence d’une telle négligence, la preuve détruite est si importante que l’accusé a subi un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Dans l’un ou l’autre de ces cas, une violation de l’article 7 de la Charte sera démontrée. Si tel est le cas, c) en troisième lieu, la question est celle du remède approprié pour la violation, et plus particulièrement ici, si l’arrêt des procédures demandé par l’appelant doit être prononcé.

[20]      Selon l’appelant, la juge a erré dans l’analyse de chacune de ces trois questions.

 

a)    Pertinence et possession de la preuve détruite

[21]      Nul doute qu’il s’agissait ici d’une preuve pertinente, puisque les caméras dont les bandes vidéo n’ont pas été récupérées ont filmé la scène du crime, et ce, de plusieurs angles différents. Malgré la déférence que nous accordons à l’évaluation de la conduite policière par la juge d’instance, une revue de l’ensemble des faits indique qu’elle commet une erreur dans sa conclusion sur l’absence de possession par l’État.

[22]      Comme le juge Vauclair l’exprime dans Duludebien que la poursuite ne puisse évidemment pas être tenue de communiquer ce qu’elle n’a pas en sa possession, « ce principe ne s’applique pas au sens littéral sans considération pour les faits »[17].

[23]      Rappelons que les policiers connaissaient l’existence de ces bandes vidéo et en avaient même pris possession — si ce n’était que temporairement, lors du visionnement avec M. Sanchez, le propriétaire du bar. Ainsi, bien que l’État ne puisse en principe être responsable de la destruction d’une preuve par un tiers[18], tel n’est pas réellement le cas ici.

[24]      En l’espèce, contrairement à ce que soutient l’intimé, les faits ne s’apparentent pas à ceux de R. c. Peterson, où la cassette vidéo recherchée avait été perdue par les services de sécurité avant même que le dossier ne soit envoyé à la police[19].

[25]      La destruction de la preuve se fait à la connaissance — et avec le consentement — de la police, après que M. Sanchez eut procédé à un tri de ce qui lui semblait pertinent. La simple omission par la police de prendre possession physique de ces bandes vidéo ne saurait occulter son implication directe dans la décision de ne pas préserver cette preuve pertinente.

b)  La négligence inacceptable

[26]      Pour déterminer si l’explication quant à la destruction de cette preuve est satisfaisante et qu’il n’y a donc pas eu de négligence inacceptable, toutes les circonstances menant à sa destruction doivent être prises en compte. Sont notamment pertinentes la perception que pouvaient avoir les policiers, à l’époque, de l’importance de la preuve, ainsi que les mesures prises pour tenter de la conserver. Bien sûr, plus la preuve semble de prime abord pertinente, plus le degré de diligence requis des policiers pour la conserver sera élevé[20].

[27]      Malgré sa conclusion que les autorités policières n’ont jamais été en possession de cette preuve détruite, la juge évalue néanmoins la conduite de la police en lien avec celle-ci. Selon elle, la conduite policière est expliquée par un souci d’efficacité et par une certaine urgence dans le but de permettre au propriétaire du bar de réouvrir son commerce. Elle conclut en l’absence de négligence inacceptable, la conduite policière constituant plutôt, selon elle, « une succession d’erreurs humaines, d’oublis et de manque de coordination »[21].

[28]      Pour la juge, « sachant que le crime avait été entièrement capté sur bande vidéo [déjà saisie], les policiers avaient l’impression raisonnable que l’affaire était résolue et que des démarches supplémentaires étaient superflues »[22]. Or, force est de constater qu’à l’étape de l’enquête policière, l’affaire ne pouvait être considérée comme « résolue »[23] et que ces bandes vidéo auraient pu facilement être saisies sans imposer aux policiers de « démarches supplémentaires ». Certes, il n’était pas déraisonnable de penser que certaines des 13 autres bandes vidéo reprenaient les mêmes images (mais sous des angles différents) que celles qui avaient déjà été saisies et que d’autres ne montraient rien de pertinent. Néanmoins, cette preuve vidéo de la scène de crime demeurait une preuve pertinente, même s’il y avait un certain dédoublement et qu’elle ne semblait donc pas essentielle à la défense (son degré de pertinence étant toutefois un considérant à examiner quant à la troisième question, soit celle liée au préjudice subi et au remède approprié).

[29]      Bien que l’intimé ait raison de souligner que le devoir d’enquêter des policiers n’est pas absolu[24], au vu de la pertinence de la preuve détruite, la décision de laisser à un tiers le soin de sélectionner les images à conserver (au surplus sans vérification postérieure par l’enquêtrice responsable[25]), pour ensuite permettre sa destruction, démontre une négligence inacceptable. L’explication retenue par la juge pour cette conduite, soit qu’elle « répondait ici à un souci d’efficacité et à une certaine urgence », ne saurait alléger le devoir des policiers de trouver et de conserver « tous les renseignements et éléments de preuve pertinents »[26], d’autant plus que l’« urgence » en question était simplement l’empressement de M. Sanchez de réouvrir les portes de son bar.

[30]      Par conséquent, la juge se trompe lorsqu’elle conclut en l’absence de négligence inacceptable de la part des policiers. La destruction de cette preuve, qui aurait dû être communiquée à l’appelant, est une violation de son droit à une défense pleine et entière protégé par l’article 7 de la Charte.

c)  L’arrêt des procédures

[31]      Au stade de la réparation conséquente à la violation du droit à une défense pleine et entière découlant de la perte d’un élément de preuve pertinent, l’analyse doit porter sur le préjudice subi par l’accusé[27]. Puisque l’appelant demande le remède le plus draconien qui n’est octroyé que dans les cas les plus manifestes, soit l’arrêt des procédures, il lui incombe de démontrer un préjudice irréparable qui compromet l’équité du procès[28]

[32]      Bien qu’elle ait conclu à l’absence de négligence inacceptable, la juge examine tout de même la question du préjudice concret causé à l’appelant (cette même question se posait dans le cadre d’analyse de l’arrêt Simard [29] concernant une preuve détruite du fait d’un tiers). Elle conclut que l’absence de certaines bandes vidéo ne cause aucun préjudice concret à l’appelant, soulignant, à bon droit, que la théorie selon laquelle l’appelant aurait été drogué par la plaignante relève de la pure spéculation. Qui plus est, même une preuve directe que son état d’intoxication était (en partie) involontaire n’aurait pu mener à un doute raisonnable sur sa mens rea[30]. Il en est ainsi puisque la juge conclut, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que l’appelant — malgré son état évident d’ébriété avancée — était « physiquement capable d’accomplir plusieurs actes envers la victime dans le but d’obtenir une gratification sexuelle » et que ces actes coordonnés, répétés et précis « ne constitu[aient] pas […] des gestes involontaires posés de façon inconsciente »[31]. Aucune bande vidéo additionnelle des événements ne pourrait être de nature à modifier ces constats factuels.

[33]      En conclusion, malgré les erreurs de la juge dans l’analyse de la possession des bandes vidéo détruites et de la négligence inacceptable des policiers, elle ne commet aucune erreur lorsqu’elle conclut que le remède exceptionnel qu’est l’arrêt des procédures n’est pas approprié[32], notamment parce qu’il ne manque que « quelques minutes d’images, par-ci, par-là, montrant sous des angles différents les interactions de la soirée entre l’accusé et la victime, sans un iota de preuve que ces enregistrements auraient été de nature à lui offrir ici une réelle défense »[33].

[34]      L’appelant échoue à démontrer qu’il s’agit d’un des cas les plus manifestes justifiant l’arrêt des procédures.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...