Lapointe c. La Reine, 2001 CanLII 39803 (QC CA)
Lien vers la décision
11 L'actus reus de l'agression sexuelle consiste en des attouchements sexuels sur une personne qui n'y consent pas; la mens rea se rapporte à l'intention de se livrer à ces attouchements, tout en sachant que cette personne n'y consent pas, ou encore en faisant montre d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à l'égard de cette absence de consentement: R. c. Ewanchuk 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330 , 346 et 347.
L'actus reus
12 En l'espèce, c'est la question du consentement de la plaignante qui, au niveau de l'actus reus, devenait déterminante.
13 Or, comme le premier juge pouvait facilement conclure à un consentement apparent de la plaignante pour la plupart des relations sexuelles reprochées, il devait se demander dans le contexte de cette cause si ce consentement était libre et éclairé ou si plutôt il n'avait pas été donné en raison de l'exercice de l'autorité. En effet, le par. 265(3) du Code criminel expose que ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison de l'exercice de l'autorité.
14 Un consentement tacite ne peut pas être invoqué comme moyen de défense: ou la plaignante consent ou elle ne consent pas ( R. c. Ewanchuk , précité, p. 349). Ce consentement doit être donné librement, ce qui signifie que le droit s'attache aux raisons qu'a la plaignante de décider de participer ou de consentir apparemment aux relations sexuelles: R. c. Ewanchuk , précité, p. 352: c'est l'état d'esprit de la plaignante qui est pris en compte pour décider de la validité du consentement.
15 Quant à savoir, comme en l'espèce, si le consentement est vicié en raison de l'exercice de l'autorité, le législateur n'a pas défini ce concept: il y a donc lieu de s'en remettre à l'interprétation qu'en propose la jurisprudence.
16 Des arrêts Norberg c. Wynrib 1992 CanLII 65 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 226 , R. c. Litchfield 1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333 , St-Laurent c. Hétu , (1994), 1993 CanLII 4380 (QC CA), R.J.Q. 69 (C.A.), se dégagent les principes suivants: le tribunal doit procéder à un examen attentif de la nature de la relation entre les parties afin de déterminer (1) l'existence d'une inégalité de rapport de force et de dépendance, (2) l'exploitation de cette inégalité, et (3) l'effet causal de cet exercice de l'autorité sur le consentement de la plaignante.
17 Ces principes ont été repris par le premier juge qui les expose comme suit:
Le Tribunal conclut de ces faits et de l'ensemble de la preuve hors de tout doute raisonnable, à l'existence d'une inégalité écrasante du rapport de force entre les parties.
Quant à l'exploitation de cette inégalité écrasante du rapport de force, le Tribunal retient, en plus des faits ci-avant énoncés, les éléments de preuve suivants:
1) L'accusé est celui qui a initié les contacts physiques avec la plaignante dès la première semaine d'hospitalisation.
2) L'accusé est celui qui a initié les contacts de nature sexuelle avec la plaignante.
3) La très grande majorité des activités sexuelles sont survenues à l'hôpital, au département de psychiatrie ou à la clinique externe, dans un bureau dont l'accusé avait le contrôle, à titre de médecin pratiquant sa profession à l'hôpital Charles-Lemoyne.
4) Les activités sexuelles sont survenues à l'occasion des rapports professionnels qu'entretenait l'accusé avec la plaignante. Il est important de considérer que les relations sexuelles se sont déroulées dans le cadre des consultations médicales et plus particulièrement en connexité étroite avec la partie psychothérapeutique du traitement prodigué par l'accusé.
De l'avis du Tribunal, cette confusion des rôles amant-médecin que l'accusé a volontairement entretenue à l'égard de la plaignante démontre qu'il cherchait à tirer profit et avantage de l'inégalité écrasante qui caractérisait sa relation avec elle.
Le Tribunal en conclut que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l'accusé a exploité à son propre avantage l'inégalité écrasante de son rapport de force avec la plaignante.
Enfin, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable, compte tenu des particularités de la maladie dont était affligée la plaignante qui comportait une vulnérabilité certaine en matière de relations interpersonnelles et de relations intimes que son consentement apparent aux activités sexuelles a été donné en raison de l'exercice abusif de l'autorité par l'accusé.
Avant de conclure, le Tribunal rejette l'argument de l'accusé à l'effet que sa propre vulnérabilité psychologique à l'endroit des femmes dépressives qui refusent son aide devrait soulever un doute raisonnable sur sa volonté d'exercer l'autorité sur la plaignante.
Cette vulnérabilité constitue assurément une caractéristique personnelle de l'accusé. Au plus, est-elle un facteur que le Tribunal doit considérer dans l'analyse du rapport de force qui existait entre les parties. Mais de l'avis du Tribunal, il ne s'agit pas d'un élément déterminant qui n'affecte en rien la conclusion précédemment tirée à l'effet qu'il existait une inégalité écrasante dans le rapport de force qui caractérisait sa relation avec la plaignante.
De plus, le Tribunal est incapable de voir en quoi, cette vulnérabilité psychologique spécifique puisse avoir un lien logique avec le fait que l'accusé ait tiré avantage et qu'il ait exploité indûment l'inégalité du rapport de force qu'il avait avec la plaignante en se livrant à des activités sexuelles avec elle.
Au contraire, il semble logique de croire que la sensibilité particulière de l'accusé à l'égard des femmes dans la même situation que la plaignante aurait dû l'amener à chercher à l'aider davantage, plutôt que de profiter de sa faiblesse pour servir ses intérêts personnels.
18 Le dispositif du jugement traite plus spécifiquement de la mens rea:
Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que durant la période s'étendant entre le mois de novembre 1983 et septembre 1985, l'accusé a eu des rapports sexuels avec la plaignante sachant qu'elle n'y consentait pas de façon libre, volontaire et éclairée.
La preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l'accusé était, dans les faits de l'espèce, en situation d'autorité au sens légal du terme et qu'il a exercé cette autorité pour obtenir que la plaignante se soumette, ne résiste pas et même participe à des activités sexuelles avec lui.
Conséquemment, l'accusé, Pierre Lapointe est acquitté de l'accusation telle que portée mais déclaré coupable de l'infraction incluse qui se lit ainsi:
Entre le mois de novembre 1983 et le mois de septembre 1985, à Greenfield Park, district de Longueuil, a agressé sexuellement M.V. (53-03-19), commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 271-1-A du Code criminel. (Je souligne)
19 En conclusion, j'estime que le premier juge s'est bien dirigé en droit sur les notions de consentement et de l'exercice de l'autorité qui peut vicier le consentement.
Moyen d'appel 4: l'erreur de fait ou la croyance sincère mais erronée au consentement
21 Ce moyen d'appel, contrairement aux moyens 1 et 2 qui s'attaquent à l'actus reus, concerne la mens rea. L'appelant reproche au premier juge d'avoir refusé de considérer le moyen de défense de l'erreur de fait ou la croyance sincère, erronée ou non, au consentement de la plaignante.
22 Il est acquis qu'à l'égard de la mens rea de l'agression sexuelle, l'inculpé peut invoquer, comme moyen de défense, son erreur de fait liée à sa croyance sincère, bien qu'erronée, au consentement de la plaignante: R. c. Ewanchuk , précité, p. 353. C'est donc une perception erronée des faits que l'inculpé fait valoir en plaidant qu'il a agi erronément: Pappajohn c. La Reine 1980 CanLII 13 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 120 , p. 148 (propos repris dans R. c. Ewanchuk , précité, p. 354). Ce ne sont pas toutes les croyances invoquées qui peuvent disculper, comme celles qui sont imputables à l'aveuglement volontaire ou à l'insouciance: R. c. Ewanchuk , précité, p. 347.
23 Cela dit, la proposition de l'appelant surprend. Comment peut-il, à l'égard de sa mens rea, invoquer une perception viciée par son propre fait? ( R. c. Ewanchuk , précité, p. 361). Pour s'interroger sur sa mens rea, il faut d'abord être satisfait de l'actus reus. Or, à cet égard, il a été conclu que le consentement a été vicié par le fait de l'appelant: il m'apparaît impensable qu'il puisse faire valoir une défense d'erreur imputable à sa propre faute.
24 De deux choses l'une. Si, quant à l'actus reus, le premier juge conclut à un consentement valide, l'infraction n'est pas commise et l'examen de la mens rea n'est pas requis. Par ailleurs, dans un cas comme en l'espèce où pour décider de l'actus reus le premier juge conclut que le consentement est vicié par le fait de l'inculpé («l'exercice de l'autorité»), il serait à tout le moins contradictoire qu'il puisse faire bénéficier l'inculpé d'une défense invoquant une croyance sincère à un consentement vicié par son propre fait.
Le moyen 3: le verdict déraisonnable
25 J'aborde maintenant la seule difficulté qu'à mon avis ce pourvoi soulève: la conclusion de culpabilité du premier juge pour l'ensemble des relations sexuelles survenues au cours de l'hospitalisation de la plaignante s'appuie-t-elle sur la preuve?
26 Avec égards, je ne peux souscrire qu'en partie à la conclusion de culpabilité.
27 Tout au long de ce procès, l'appelant n'a jamais tenté de justifier, d'un point de vue médical ou de sa responsabilité professionnelle, les rapports sexuels dans cette relation médecin-patient. Il est difficile d'imaginer plus grave manquement à ses obligations déontologiques et d'ailleurs l'appelant a été l'objet d'une radiation très sévère infligée par un comité de discipline, après avoir d'ailleurs reconnu sa faute.
28 Cela dit, il ne s'ensuit pas que tous les rapports sexuels nettement répréhensibles entre un médecin et sa patiente seront criminalisés. Comme l'écrivait le juge Doyon de la Cour du Québec ( R. c. Blondin 1998 CanLII 10866 (QC CQ), REJB 1998-06070, 16 février 1998, Montréal), «ce n'est pas le fait d'avoir des rapports sexuels avec une personne vulnérable ou dans un état d'infériorité qui constitue l'infraction (d'agression sexuelle), mais bien d'avoir des rapports sexuels avec une personne qui ne consent pas ou dont le consentement est vicié, par exemple, par sa vulnérabilité et son incapacité de le former ou qui est incitée par l'accusé à l'activité sexuelle par l'exercice d'un abus de confiance ou de pouvoir. C'est dans ce contexte que la vulnérabilité ou l'abus de confiance et de pouvoir, de même que toutes les circonstances de l'espèce, dont l'inégalité du rapport de force, sont pertinentes à la détermination de l'existence ou de l'inexistence d'un consentement valide.» Cette proposition résume bien l'état du droit que j'ai exposé précédemment et se dégage notamment des arrêts Norberg c. Wynrib , précité, R. c. Audet 1996 CanLII 198 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 171 et R. c. Matheson , [1999] 134 C.C.C. (3d) (C.A. Ont.), 289, p. 322, approuvant St-Laurent c. Hétu , précité.
29 Ainsi, dans R. c. Matheson , précité, la Cour d'appel a confirmé la conclusion du premier juge caractérisant l'exercice par le thérapeute de son autorité en ces termes:
There is overwhelming evidence in my view that the exercise of authority in each one of the charges incorporated a slow, gradual seduction, a conditioning, and a manipulation. It could be called a brainwashing of two extremely vulnerable women who were totally fenced in by an intentional exercise of power and authority which was calculated, intentional blatant, deceptive, persistent and consistent. Each of these women, Y and X, being seriously disturbed mentally, being under stress to a great extent, went to the accused for therapy and not for sex. Knowing that, the accused intentionally abused and exercised his superior position of power and authority, and he did that, I am satisfied it is proven, not for any aspect of professional therapy, but for sexual intercourse and to satisfy his own sexual lust. I find the accused guilty on both counts. (p. 302)
30 Dans le même sens, les situations évoquées dans Norberg c. Wynrib , précité, et W.(B.) c. Mellor , [1989] B.C.J. no 1393 (C.S.) cité dans Norberg, où la patiente consent à des relations sexuelles avec un médecin qui lui procure des médicaments en échange peuvent se traduire par l'exploitation du médecin d'un état de dépendance qui vicie le libre arbitre de la patiente prête à s'engager dans la relation: il s'agit du cas d'une domination d'une personne vulnérable pour assouvir ses besoins sexuels.