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mardi 3 juin 2025

L’interventionnisme d'un juge peut interférer avec le droit à une défense pleine et entière de l’accusé ou laissé naître une crainte raisonnable de partialité

A.P. c. R., 2022 QCCA 1494

Lien vers la décision


[113]   L’appelant fait valoir que la juge est intervenue à plusieurs reprises en l’absence d’objection par la poursuite, principalement en lien avec l’utilisation de la règle du ouï-dire. Cela aurait eu un effet dévastateur chez l’accusé qui a ainsi été privé d’exprimer ce qu’il avait à dire pour sa défense et n’a pas pu mener celle-ci comme il l’entendait, ce qui soulève une crainte raisonnable de partialité.

[114]   Il ajoute qu’aucun témoin n’a subi le même interventionnisme lorsqu’il ou elle relatait les paroles d’autrui. Par ailleurs, les raccourcis intellectuels de la juge ainsi que le jugement moral et ses préjugés envers la culture haïtienne laissaient naître une crainte raisonnable de partialité.

[115]   L’intimé est plutôt d’avis que les interventions de la juge étaient tout à fait justifiées, que l’appelant exagère la portée de ces interventions de la juge et qu’il ne relève pas le lourd fardeau qui est le sien en ce qui concerne son grief relativement à la partialité de la juge.

[116]   Ce moyen d’appel est intimement lié à la question du droit à un procès équitable devant un juge impartial, tel que reconnu par l’article 11d) de la Charte canadienne[114]. L’impartialité est définie comme « l’état d’esprit de l’arbitre désintéressé eu égard au résultat et susceptible d’être persuadé par la preuve et les arguments soumis »[115].

[117]   Dans Bande indienne de Wewaykum, la juge en chef McLachlin pour la Cour suprême écrivait notamment :

59        Considérée sous cet éclairage, « [l]’impartialité est la qualité fondamentale des juges et l’attribut central de la fonction judiciaire ». Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée. Comme l’ont signalé les juges L’HeureuxDubé et McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt S. (R.D.), précité, par. 32, cette présomption d’impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l’autorité dépend de cette présomption. Par conséquent, bien que l’impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c’est à la partie qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé.[116]

[Renvoi omis]

[118]   Ainsi, les juges bénéficient d’une importante présomption d’impartialité[117], laquelle impose une preuve convaincante afin d’être réfutée[118]. Il convient par ailleurs de souligner que la crainte raisonnable de partialité doit être fondée sur des motifs sérieux[119]; de simples conjectures ne sont donc pas suffisantes[120].

[119]   Selon la Cour suprême dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le juge], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »[121]

[120]   Puisque l’analyse de la crainte raisonnable de partialité est tributaire des circonstances propres à chaque affaire, « l’évaluation des reproches formulés à l’égard du juge doit se faire de manière globale et les propos doivent être analysés dans leur contexte »[122].

[121]   Cela dit, les interventions d’un juge en elles-mêmes n’entraînent pas nécessairement sa partialité[123]. Dans Brouillard c. La Reine, la Cour suprême rappelle l’évolution de la façon de faire d’un juge :

D'abord, il est clair que l'on n'exige plus du juge la passivité d'antan; d'être ce que, moi, j'appelle un juge sphinx. Non seulement acceptonsnous aujourd'hui que le juge intervienne dans le débat adversaire, mais croyonsnous aussi qu'il est parfois essentiel qu'il le fasse pour que justice soit effectivement rendue. Ainsi un juge peut et, parfois, doit poser des questions aux témoins, les interrompre dans leur témoignage, et au besoin les rappeler à l'ordre.

[…]

En conclusion, si le juge peut et doit intervenir pour que justice soit rendue il doit quand même le faire de telle sorte que justice paraisse être rendue. Tout est dans la façon.[124]

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original]

[122]   De plus, la jurisprudence de notre Cour indique que la « quantité des interventions importe moins que la manière d'y procéder »[125].

[123]   Le rôle du juge consiste à arbitrer les débats. Il ne doit donc pas prendre activement part aux procédures[126]. Une participation trop active du juge au débat constitue d’ailleurs un motif pour ordonner un nouveau procès[127].

[124]   Les auteurs Tristan Desjardins et Martin Vauclair résument en ces termes les balises encadrant les interventions d’un juge lors d’un témoignage :

Son rôle exige donc qu’il se limite à poser des questions permettant de clarifier des ambiguïtés, d’explorer des réponses vagues ou d’obtenir la réponse du témoin sur un fait pertinent au litige, mais omis par les avocats, tout en prenant soin de ne pas introduire une preuve non pertinente ou autrement inadmissible. Cela ne l’autorise pas à faire le travail d’une partie et notamment d’interroger un accusé avec des questions touchant principalement sa crédibilité. Dans tous les cas, le juge devrait attendre la fin du témoignage pour poser ses questions.[128]

[125]   Ainsi, les pouvoirs d’intervention du juge se trouvent limités par son devoir d’impartialité; sa conduite ne doit pas « laisser transparaître un parti pris, donner l’impression qu’il usurpe le rôle des avocats en prenant le contrôle de l’enquête, laisser entrevoir qu’il assiste l’avocat d’une partie, entraver le témoin dans la narration de son récit ou perturber la présentation d’une défense »[129].

Le contre-interrogatoire mené par un juge peut rompre l'équité du procès

J.L. c. R., 2017 QCCA 398

Lien vers la décision


[90]        L’argument n’a pas été spécifiquement soulevé par l’appelant. À l’audience, le ministère public convient de la règle qui permet à un juge de poser lui-même des questions afin de clarifier des ambiguïtés, d’explorer des réponses vagues ou d’obtenir la réponse du témoin sur un fait pertinent au litige, mais omis par les avocats : R. c. Valley (1986), 1986 CanLII 4609 (ON CA), 26 C.C.C. (3d) 207, 230 (C.A.O.). Le ministère public est donc d’avis que les questions étaient légitimes et que l’exercice n’a pas eu d’influence dans la décision du juge.

[91]        Si la règle est exacte, le juge ne peut s’en autoriser pour faire le travail d’une partie. Dans l’arrêt R. c. Stucky2009 ONCA 151, par. 65, qui a été repris encore récemment dans l’arrêt R. c. Churchill2016 NLCA 29,, par. 36, la Cour écrit :

The third situation in which a trial judge is permitted to intervene, namely, to ask questions that should have been asked by counsel, is not an open-ended invitation to the trial judge to usurp the role of Crown counsel. The judge cannot leave his or her position of neutrality as a fact-finder and become the cross-examiner: R. v. W.(A.) (1994), 1994 CanLII 218 (ON CA), 94 C.C.C. (3d) 441 (Ont. C.A.) Brooke J.A. in dissent, reversed for the reasons given by Brooke J.A., 1995 CanLII 83 (SCC), [1995] 4 S.C.R. 51.

[93]        Ces interventions considérées dans leur ensemble et dans le contexte d’un procès où la crédibilité est importante, j’estime pour ma part que le juge est allé trop loin. Il s’agit de questions portant sur des éléments qui, pour la plupart, visent directement la crédibilité de l’appelant, un terrain qu’il vaut mieux laisser aux avocats. Je ne suis pas d’accord avec la position du ministère public que cet exercice n’a pas eu d’impact. Le juge rejette toute crédibilité de l’appelant et utilise certaines réponses fournies pour le faire.

lundi 19 mai 2025

Selon la jurisprudence, « les interventions d’un juge en soi ne témoignent pas nécessairement d’une partialité » et la « quantité des interventions importe moins que la manière d'y procéder »

Lepage c. R., 2018 QCCA 693 

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[16]        Le critère de la partialité est bien connu : il consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique[7]. Il s’agit d’une analyse globale, c’est-à-dire que les interventions et commentaires reprochés doivent être évalués dans l’ensemble et non isolément, en tenant compte du contexte[8].

[17]        À propos du rôle du juge et de ses limites, l’appelant cite l’arrêt Brouillard Dit Chatel c. La Reine dans lequel le juge Lamer, plus tard Juge en chef, mentionne ce qui suit :

D'abord, il est clair que l'on n'exige plus du juge la passivité d'antan; d'être ce que, moi, j'appelle un juge sphinx. Non seulement acceptons-nous aujourd'hui que le juge intervienne dans le débat adversaire, mais croyons-nous aussi qu'il est parfois essentiel qu'il le fasse pour que justice soit effectivement rendue. Ainsi un juge peut et, parfois, doit poser des questions aux témoins, les interrompre dans leur témoignage, et au besoin les rappeler à l'ordre.

[…]

En conclusion, si le juge peut et doit intervenir pour que justice soit rendue il doit quand même le faire de telle sorte que justice paraisse être rendueTout est dans la façon.[9]

[Caractères gras ajoutés; italiques dans l’original]

[18]        En effet, selon la jurisprudence, « les interventions d’un juge en soi ne témoignent pas nécessairement d’une partialité »[10] et la « quantité des interventions importe moins que la manière d'y procéder »[11].

[19]        Dans un arrêt récent portant précisément sur cette question, la Cour d’appel de l’Alberta résume bien les principes applicables :

[39] When undue intervention is advanced as a ground of appeal, the ultimate question is whether the comments and interventions would create the appearance of an unfair trial to a reasonable person present throughout the trial proceedings. A trial judge must not question a witness in such a way as to convey an impression that the judge aligns himself or herself with the case for the Crown or the defence; question a witness in such a way as to make it impossible for counsel to present their case; or intervene to such an extent in a witness’s testimony that it prevents the witness from telling his or her story. Context is critical in assessing whether trial unfairness through undue intervention or a reasonable apprehension of bias have been made out. The impugned comments and interventions that are alleged to have compromised trial fairness or showed a reasonable apprehension of bias must be analyzed in light of the surrounding context and the particular facts of the case.[12]

[Caractères gras ajoutés]

[20]        Ainsi, la conduite d’un juge ne doit pas laisser transparaître un parti pris, donner l’impression qu’il usurpe le rôle des avocats en prenant le contrôle de l’enquête, laisser entrevoir qu’il assiste l’avocat d’une partie, entraver le témoin dans la narration de son récit ou perturber la présentation d’une défense[13].

[21]        Il n’y a rien de tel ici. La Juge, il est vrai, est intervenue à plusieurs reprises pendant le témoignage de l’appelant, mais toujours en respectant les limites tracées par la jurisprudence. Le plus souvent, elle l’a interrogé afin de clarifier des réponses ambiguës[14]. Je note également qu’elle ne s’est pas immiscée de façon intempestive dans le déroulement du témoignage de l’appelant en dirigeant le contre-interrogatoire ou en prenant l’initiative des questions posées. Elle s’est plutôt contentée de le rappeler à l’ordre lorsqu’il tentait d’éluder une question[15] ou lorsque l’explication fournie s’en éloignait[16].

dimanche 18 mai 2025

Le simple fait qu'un juge ait entendu par le passé un dossier impliquant le même accusé n'est pas une assise suffisante pour conclure qu'il est biaisé

R. v. Slaney, 2013 NLCA 70

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[7]            Mr. Slaney had the burden of providing grounds to support his claim of bias: R. v. Jones2008 NSCA 99, (2008), 270 N.S.R. (2d) 115, at paragraph 24, and authorities there cited.  He could point to nothing in the trial record to support his allegation of reasonable apprehension of bias.  The mere fact a judge heard another matter involving the same accused is not a sufficient basis for finding that the judge was biased: Jones, at paragraph 26.  The appeal cannot succeed on this basis.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les délais préinculpatoires peuvent être considérés en vertu de la Charte

R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557 Lien vers la décision [ 16 ]          Plus récemment, dans l’affaire  Hunt , il a été réitéré que les délais p...