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lundi 10 mars 2025

Comment un juge doit circonscrire la portée ou les limites de la preuve d'expert sur une question fondamentale au regard du critère de la nécessité

D.R. c. R., 2011 QCCA 703

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[28]           Le témoignage d’expert est nécessaire lorsqu’une question exige des connaissances particulières que le juge ou le jury ne possèdent pas[1]. Le témoignage psychiatrique satisfait cette exigence et constitue une preuve d’expert[2].

[29]           Dans l'arrêt Mohan[3], la Cour suprême, sous la plume du juge Sopinka, abordant le critère de la nécessité du témoignage d'opinion d'un expert pour aider le juge des faits, précise la portée ou les limites de la preuve d'expert sur une question fondamentale (ultimate issue rule) :

Comme la pertinence, analysée précédemment, la nécessité de la preuve est évaluée à la lumière de la possibilité qu'elle fausse le processus de recherche des faits.  Comme le lord juge Lawton l'a remarqué dans l'arrêt R. c. Turner, [1975] Q.B. 834, à la p. 841, qui a été approuvé par lord Wilberforce dans l'arrêt Director of Public Prosecutions c. Jordan[1977] A.C. 699, à la p. 718:

[traduction]  «L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury.  Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire.  Dans un tel cas, si elle est exprimée dans un jargon scientifique, elle rend la tâche de juger plus difficile.  Le seul fait qu'un témoin expert possède des qualifications scientifiques impressionnantes ne signifie pas que son opinion sur les questions de la nature et du comportement humains dans le cadre de la normalité est plus utile que celle des jurés eux‑mêmes; ces derniers risquent toutefois de croire qu'elle l'est.»

La possibilité que la preuve ait un impact excessif sur le jury et le détourne de ses tâches peut souvent être contrecarrée par des directives appropriées.

Il y a également la crainte inhérente à l'application de ce critère que les experts ne puissent usurper les fonctions du juge des faits.  Une conception trop libérale pourrait réduire le procès à un simple concours d'experts, dont le juge des faits se ferait l'arbitre en décidant quel expert accepter.

Ces préoccupations sont le fondement de la règle d'exclusion de la preuve d'expert relativement à une question fondamentale.  Bien que la règle ne soit plus d'application générale, les préoccupations qui la sous‑tendent demeurent.  En raison de ces préoccupations, les critères de pertinence et de nécessité sont à l'occasion appliqués strictement pour exclure la preuve d'expert sur une question fondamentale.  La preuve d'expert sur la crédibilité ou la justification a été exclue pour ce motif.  Voir l'arrêt R. c. Marquard1993 CanLII 37 (CSC)[1993] 4 R.C.S. 223, les motifs du juge McLachlin.

[Soulignements ajoutés]

dimanche 2 mars 2025

Le danger de « s’en remettre à l’opinion de l’expert » et comment apprécier si, lors de son témoignage, l’expert fait preuve d’un manque d’indépendance ou d’impartialité

White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23

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[18]                          Il s’agit de préserver le procès devant juge et jury, et non pas d’y substituer le procès instruit par des experts. Il y a un risque que le jury [traduction] « soit incapable de faire un examen critique et efficace de la preuve » (R. c. Abbey2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, par. 90, autorisation d’appel refusée, [2010] 2 R.C.S. v). Le juge des faits doit faire appel à son « jugement éclairé » plutôt que simplement trancher la question sur le fondement d’un « acte de confiance » à l’égard de l’opinion de l’expert (J.-L.J., par. 56). Le danger de « s’en remettre à l’opinion de l’expert » est également exacerbé par le fait que la preuve d’expert est imperméable au contre-interrogatoire efficace par des avocats qui ne sont pas des experts dans ce domaine (D.D., par. 54). La jurisprudence aborde un certain nombre d’autres problèmes connexes : le préjudice qui pourrait éventuellement découler d’une opinion d’expert fondée sur des informations qui ne sont pas attestées sous serment et qui ne peuvent pas faire l’objet d’un contre-interrogatoire (D.D., par. 55); le danger d’admettre en preuve de la « science de pacotille » (J.-L.J., par. 25); le risque qu’un « concours d’experts » ne distraie le juge des faits au lieu de l’aider (Mohan, p. 24). Un autre danger bien connu associé à l’admission de la preuve d’expert est le fait qu’elle peut exiger un délai et des frais démesurés (Mohan, p. 21; D.D., par. 56Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387, par. 76).

[37]                          Je renvoie à plusieurs autres affaires pour étayer mon opinion. Je procède ainsi pour illustrer mon propos, sans émettre d’avis sur l’issue des affaires en question. Dans certaines, l’intérêt de l’expert dans le procès ou ses liens avec l’une des parties ont mené à l’exclusion (voir, p. ex., Fellowes, McNeil c. Kansa General International Insurance Co. (1998), 1998 CanLII 14856 (ON SC), 40 O.R. (3d) 456 (Div. gén.) (l’expert proposé était l’avocat de la défenderesse dans une affaire connexe et, dès le début de son mandat, il avait monté un dossier en vue d’une poursuite pour négligence contre la demanderesse); Royal Trust Corp. of Canada c. Fisherman (2000), 2000 CanLII 22384 (ON SC), 49 O.R. (3d) 187 (C.S.J.) (l’expert était l’avocat d’une des parties dans une instance connexe introduite aux États-Unis); R. c. Docherty, 2010 ONSC 3628 (l’expert était le père de l’avocat de la défense); Ocean c. Economical Mutual Insurance Co., 2010 NSSC 315, 293 N.S.R. (2d) 394 (l’expert était également partie au litige); Handley c. Punnett, 2003 BCSC 294 (l’expert était également partie au litige); Bank of Montreal c. Citak, 2001 CanLII 12419 (QC CQ), [2001] O.J. No. 1096 (QL) (C.S.J.) (l’expert était effectivement « coentrepreneur » dans cette affaire, notamment en raison du fait que 40 p. 100 de sa rémunération dépendait de l’issue favorable du procès (par. 7)); Dean Construction Co. c. M.J. Dixon Construction Ltd., 2011 ONSC 4629, 5 C.L.R. (4th) 240 (les termes du mandat de l’expert étaient discutables); Hutchingame c. Johnstone, 2006 BCSC 271 (la responsabilité de l’expert risquait d’être engagée, selon l’issue du procès)). Dans d’autres affaires, l’attitude ou le comportement de l’expert, qui s’était fait le défenseur d’une partie, a justifié l’exclusion (voir, p. ex., Alfano c. Piersanti, 2012 ONCA 297, 291 O.A.C. 62; Kirby Lowbed Services Ltd. c. Bank of Nova Scotia, 2003 BCSC 617; Gould c. Western Coal Corp., 2012 ONSC 5184, 7 B.L.R. (5th) 19).

mercredi 26 février 2025

Il est possible de faire témoigner un policier à titre de témoin expert, bien que son statut est un facteur à considérer avec soin

R. c. Domerçant-Barosy, 2025 QCCS 177 

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[192]     La Couronne a voulu faire témoigner une enquêtrice de police à titre d’experte en gangs de rue. Elle a présenté une requête en ce sens avant la sélection du jury.

[193]     À l’époque pertinente, l’enquêtrice était analyste à la section du renseignement criminel. En résumé, la Couronne voulait que ce témoin puisse faire état de l’existence de certains gangs de rue de Montréal-Nord et de Rivière-des-Prairies, des conflits opposant ces gangs de rue, des relations entre les accusés et certains gangs et, enfin, des relations entre certaines victimes et un gang rival. Le tout sur la base d’éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête, d’informations collectées par le renseignement criminel et des connaissances et de l’expérience professionnelle du témoin.

[194]     Cette preuve était problématique à plusieurs égards. Le Tribunal a dit ceci à l’audience :

Encore ici, le Tribunal annonce ses conclusions sommaires pour favoriser l’avancement efficace des procédures et pour guider les parties pour la préparation du procès. Il est préférable de faire cette annonce maintenant et non d’attendre au procès. La preuve d’expert touchant les gangs de rue proposée par la Couronne ne passe le test élaboré dans l’arrêt R. c. Mohan1994 CanLII 80 (CSC)[1994] 2 RCS 9 et revu dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co.2015 CSC 23. Des motifs complets seront déposés plus tard. En résumé, la nécessité d’aider le jury n’a pas été établie, l’expertise est essentiellement fondée sur des éléments de preuve de seconde main inadmissibles, l’experte n’est pas suffisamment qualifiée pour la présente cause, sans égard à ses qualités professionnelles générales et son engagement sincère d’être objective et impartiale, et de surcroit la preuve aurait un effet hautement préjudiciable bien supérieur à sa valeur probante incertaine. Ici, il importe de préciser que la présente décision n’empêche pas d’emblée la Couronne de présenter une preuve de contexte pour établir le mobile ou l’intention des crimes au moyen d’éléments de preuve légalement admissibles. Il demeure que la preuve d’expert proposée est inamissible. La requête est rejetée.

[195]     Voici les motifs additionnels annoncés.

[196]     D’abord, rappelons en quoi consiste le test sur l’admissibilité d’une preuve d’expert selon les arrêts R. c. Mohan1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 RCS 9 et White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co.2015 CSC 23. En droit, la preuve d’opinion est présumée inadmissible. Cependant, le témoignage d’un expert peut être jugé recevable. L’examen comporte deux étapes. À la première étape, le juge doit appliquer les critères énoncés dans l’arrêt Mohan : 1) la pertinence; 2) la nécessité d’aider le jury; 3) l’absence de toute règle d’exclusion; et 4) la qualification suffisante de l’expert, ce qui inclut la capacité et la volonté de se conformer à l’obligation de rendre un témoignage juste, objectif et impartial. La preuve d’expert n’est pas admise si ces critères ne sont pas satisfaits. À la deuxième étape, le juge doit assumer un rôle de gardien (gatekeeping role) et mettre en balance, selon une analyse globale, les bénéfices et les risques liés à la preuve d’expert proposée. Le Tribunal a le pouvoir d’exclure une preuve d’expert qui présente des risques pesant plus lourd que ses avantages.

[197]     Le Tribunal a abordé le témoignage de l’enquêtrice avec prudence. Voici pourquoi.

[198]     Lors de l’examen de l’admissibilité d’une preuve d’expert, le fait que l’expert proposé soit un policier n’est pas un empêchement dirimant. À notre époque moderne, un policier a souvent des compétences et des connaissances spécialisées.

[199]     Toutefois, le statut de policier du témoin expert est un facteur à considérer avec soin. Le juge doit s’assurer que le témoin peut fournir une aide indépendante au jury au moyen d’une opinion objective et exempte de parti pris. Le juge doit également se questionner sur l’impact auprès du jury du témoignage d’un policier qui serait qualifié d’expert par le tribunal. Les perceptions ont leur importance. Dans l’esprit du public et du jury, le policier est une figure d’autorité qui représente la loi et l’ordre. Sa fonction consiste notamment à élucider les crimes, appréhender les délinquants et protéger le public. Ainsi, l’opinion professionnelle fournie par un policier pourrait, même s’il était de bonne foi, exercer une influence indue sur le jury chargé de déterminer la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. Un tel témoignage pourrait comporter le risque d’empiéter sur la fonction de juge des faits ou de créer un déséquilibre au procès. Par ailleurs, certains thèmes touchant la criminalité au sein de la société ou certains milieux criminalisés pourraient être injustement préjudiciables envers l’accusé. Il reste que la détermination de l’admissibilité d’une expertise est particulière à chaque cas et repose sur les faits. Si le test juridique est satisfait, un policier peut être qualifié de témoin expert, incluant sur des sujets touchant les gangs de rue (R c. Whitehawk2024 SKCA 95, par. 91-107R. c. Oppong2021 ONCA 352R. c. Mills2019 ONCA 940, par. 51-77R. c. Labrèche2023 QCCS 2465, par. 77-97R. c. Theus2018 QCCS 4895).

[200]     Ensuite, comme mentionné à l’audience, la preuve d’opinion du témoin ne respectait pas le critère de nécessité. Selon ce critère, la preuve d’expert doit porter sur des questions qui requièrent une expérience ou des connaissances particulières, à propos desquelles le jury a véritablement besoin d’assistance pour tirer ses propres conclusions. Ce critère vise à empêcher que l’expert usurpe les fonctions du juge des faits (R. c. Mohan, par. 19, 21 et 22R. c. Sekhon2014 CSC 15, par. 45R. c. D.D., 2000 CSC 43, par. 46-57). Ici, l’existence de certains gangs de rue, les conflits entre celles-ci et les relations des personnes impliquées avec ces gangs étaient des sujets purement factuels qui pouvaient être établis par des témoins et moyens de preuve ordinaires. Le jury pouvait tirer ses propres conclusions sur ce genre de questions de fait sans l’aide de l’opinion de l’enquêtrice. Une preuve d’expert doit être plus que simplement utile. La nécessité d’une expertise ne peut pas découler du manque de témoins ordinaires disposés à témoigner pour la Couronne sur un sujet donné.

[201]     Par ailleurs, le témoignage sollicité aurait essentiellement consisté à présenter au jury des renseignements sur les gangs de rue provenant d’autres sources, c’est-à-dire des preuves recueillies lors de l’enquête et des données provenant du renseignement criminel. Il est vrai qu’un expert peut baser son opinion sur des faits portés à sa connaissance et qui constituent du ouï-dire. Il est même permis de relater de tels faits au jury pour permettre à celui-ci d’évaluer les fondements de l’opinion de l’expert. Il reste que le ouï-dire ne peut pas établir la véracité de son contenu. Une expertise n’est pas un moyen de contourner la règle du ouï-dire pour pallier un manque de preuve admissible sur des questions de fait. Par ailleurs, le recours au ouï-dire affecte la force probante de l’expertise. Plus les faits sur lesquels se fonde l’expert sont établis par la preuve, plus la valeur probante de son opinion est grande. Inversement, plus les faits sur lesquels se fonde l’expert sont non établis par la preuve, moins la valeur probante de son opinion est grande (R. c. Lavallée1990 CanLII 95 (CSC), [1990] 1 RCS 852, pp. 892-897). Ici, la preuve était peu probante parce qu’elle reposait essentiellement sur des éléments de seconde main.

[202]     De toute manière, l’enquêtrice a reconnu que ses connaissances étaient limitées concernant les gangs de rue de Montréal-Nord, alors qu’il était allégué que les accusés avaient des liens avec ces gangs. L’enquêtrice n’était donc pas suffisamment qualifiée pour témoigner à titre d’experte sur cette question.

[203]     Enfin, il aurait fallu, d’abord et avant tout, déterminer si le sujet des gangs de rue était admissible devant le jury. Le Tribunal a précisé à l’audience que sa décision sur l’inadmissibilité de l’expertise ne réglait pas nécessairement la question.

[204]     Considérant tous ces facteurs, le Tribunal a jugé que la preuve de l’experte en matière de gangs de rue ne satisfaisait pas à tous les critères de l’arrêt Mohan et comportait un effet préjudiciable supérieur à sa valeur probante.

lundi 24 février 2025

Liste non-exhaustive de facteurs permettant d'apprécier la qualification d'un expert

R. v. Pham, 2013 ONSC 4903

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[31]         In summary, the following non-exhaustive list of factors assist in determining whether a tendered expert witness is qualified:

                     the manner in which the witness acquired the special skill and knowledge upon which the application is based;

                     the witness' formal education (i.e. degrees or certificates);

                     the witness' professional qualifications (i.e. a member of the College of Physicians and Surgeons);

                     the witness' membership and participation in professional associations related to his or her proposed evidence;

                     whether the witness has attended additional courses or seminars related to the areas of evidence in dispute;

                     the witness’ experience in the proposed area(s);

                     whether the witness has taught or written in the proposed area(s);

                     whether, after achieving a level of expertise, the witness has kept up with the literature in the field;

                     whether the witness has previously been qualified to give evidence in the proposed area(s), including the number of times and whether the previous evidence was contested;

                     whether the witness has not been qualified to give evidence in the proposed area(s) and if so, the reason(s) why; and

                     whether previous caselaw or legal texts have identified the contested area as a proper area for expert evidence and if so, who might give the evidence.

samedi 30 novembre 2024

Plus l’expert omet de prendre en considération des faits pertinents, moins le jury peut accorder de poids à son opinion

R. c. Charlebois, 2000 CSC 53

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22                              Le juge du procès a d’abord mentionné le témoignage du Dr Lafleur au début de son exposé au jury, lorsqu’il a donné ses directives sur l’évaluation de la preuve d’expert.  Juste avant l’ajournement, il a résumé le fondement de l’opinion du Dr Lafleur de la façon suivante:

 

Vous avez, à mon avis, à peser avec beaucoup de soin, le témoignage du Dr Lafleur parce que les conclusions du Dr Lafleur sont contestées dans la thèse de la Couronne.  Dans bien des cas, le Dr Lafleur a fait allusion à des déclarations obtenues par toute une série de personnes qui ont témoigné devant vous, mais par contre, il y a certaines autres choses qu’il n’avait jamais consultées.  Notamment, la cassette de 911.  Notamment, les photographies, le plan de l’appartement.  Il ne s’était non plus adressé à la position de la victime dans une évaluation qui a touché très, très près à la défense de légitime défense. 

 

Je n’émets aucune opinion sur la valeur de son témoignage, c’est à vous de décider, mais évidemment, vous devez regarder non seulement les données auxquelles il s’est adressé, mais également les choses qu’il n’a pas regardées pour arriver à sa conclusion.

 

Cette directive est manifestement appropriée.  Comme l’exige l’arrêt Lavallee, précité,  à la p. 896, «[l]e juge doit, bien sûr, faire comprendre au jury que plus l’expert se fonde sur des faits non établis par la preuve moins la valeur probante de son opinion sera grande.»  J’ajouterais que le corollaire est également vrai: plus l’expert omet de prendre en considération des faits pertinents, moins le jury peut accorder de poids à son opinion.

vendredi 25 octobre 2024

Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion

R. c. Abbey, 1982 CanLII 25 (CSC)


Comme l'a dit le juge Woods dans l'arrêt R. v. Perras (1972), 1972 CanLII 868 (SK CA), 8 C.C.C. (2d) 209, à la p. 213, [TRADUCTION] «Le témoignage d'un médecin qui relate ce qu'un patient lui a dit concernant ses symptômes ne constitue pas une preuve de l'existence de ces symptômes. En le retenant comme preuve de cette existence, on contreviendrait à la règle de l'irrecevabilité du ouï-dire.» Il convenait que les médecins énoncent le fondement de leurs opinions et, ce faisant, qu'ils mentionnent ce qui leur avait été dit non seulement par Abbey mais aussi par d'autres personnes; cependant, c'est à tort que le juge a tenu pour prouvés les faits sur lesquels les médecins s'étaient fondés pour former leurs opinions. Bien qu'on ne conteste pas le droit des experts médicaux de prendre en considération tous les renseignements possibles pour former leurs opinions, cela ne dégage en aucune façon la partie qui produit cette preuve de l'obligation d'établir, au moyen d'éléments de preuve régulièrement recevables, les faits sur lesquels se fondent ces opinions. Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion.

La preuve à l'appui de l'expertise doit être établie devant la Cour, car à défaut, la valeur probante de l'expertise s’en trouvera affaiblie

R. v. Collins, 2001 CanLII 24124 (ON CA)

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[46]         While it is conceivable that the latter part of this instruction could have some valid application to a particular fact situation, it is incorrect as a general principle of law and should not be routinely given. There is no basis at law for differentiating between Crown and defence expert opinion evidence when it comes to assessing the evidentiary foundation for the opinion. In either case, the more the expert relies on facts not proved in evidence, the less weight the jury may attribute to the opinion. The corollary is also true: the more the expert fails to consider relevant facts, the less weight the jury may attribute to the opinion. These principles apply in the same way whether the expert opinion favours the Crown or the defence. See R. v. Abbey, supra; R. v. Lavallee1990 CanLII 95 (SCC), [1990] 1 S.C.R. 852; and more recently, R. v. Charlebois2000 SCC 53 (CanLII), [2000]  2 S.C.R. 674 at para. 22 where the court reviewed the correctness of jury instructions in relation to a defence expert and did so solely in terms of these principles. 

Résumé de l’analyse générale de l’exigence de nécessité

R. c. D.D., 2000 CSC 43

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57                              Pour résumer les principes généraux exposés précédemment, j’adopte les propos suivants du professeur Paciocco:

 

[traduction]  Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Mohan, le critère en quatre parties permet de prendre conscience du temps et des dépenses qu’exige la preuve d’expert.  Ce critère existe pour la raison que le témoignage d’expert peut détourner l’attention et prendre énormément de temps.  Il reflète la constatation que la simple humilité et le désir de faire ce qui est juste peut amener le juge des faits à s’en remettre à ce que dit l’expert.  Il vise même le fait qu’avec le témoignage d’expert, les avocats peuvent avoir beaucoup de mal à exercer efficacement leurs fonctions d’examiner, d’éprouver et de contester la preuve parce que son objet dépasse leur compétence, et à plus forte raison leur expertise.  Il en résulte que le juge des faits manque de renseignements pour évaluer adéquatement la fiabilité de la preuve, ce qui accroît le risque qu’il s’en remette simplement à l’opinion  d’expert.  Quand devons‑nous faire courir un tel risque au système juridique et à la vérité en permettant la preuve d’expert?  Seulement quand les profanes sont susceptibles d’en venir à une conclusion erronée sans l’aide d’experts ou qu’ils seront privés de renseignements importants s’ils ne peuvent recourir aux connaissances d’experts.  Comme l’arrêt Mohan nous l’indique, il ne suffit pas que la preuve d’expert soit utile pour que nous soyons prêts à courir ces risques.  C’est un critère trop faible.  Elle doit être nécessaire.

 

(D. Paciocco, Expert Evidence: Where Are We Now?  Where Are We Going? (1998), aux pp. 16 et 17.)


 

Conditions d’admissibilité du témoignage d’opinion livré par un expert

R. c. Sekhon, 2014 CSC 15

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[43]                          Comme le dit la Cour dans l’arrêt R. c. Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 9, p. 20‑25, puis le confirme dans R. c. J.-L.J.2000 CSC 51, [2000] 2 R.C.S. 600, et R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275, l’admissibilité de la preuve d’expert tient au respect des critères suivants : (1) la pertinence, (2) la nécessité d’aider le juge des faits, (3) l’absence de toute règle d’exclusion et (4) la qualification suffisante de l’expert.

[44]                          S’agissant de la « pertinence », il appert de l’arrêt Mohan que le juge doit se livrer à une analyse des inconvénients et des avantages pour déterminer « si la valeur en vaut le coût » (p. 21, citation de McCormick on Evidence (3e éd. 1984), p. 544).  Cette analyse exige la mise en balance de la valeur probante de la preuve et de son effet préjudiciable (Mohan, p. 21).

[45]                          En ce qui concerne la « nécessité », la Cour conclut dans Mohan que « [s]i, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l’opinion de l’expert n’est pas nécessaire » (p. 23, citation du lord juge Lawton dans R. c. Turner[1975] 1 Q.B. 834, p. 841).  La Cour ajoute que la crainte « inhérente à l’application de ce critère [est] que les experts [usurpent] les fonctions du juge des faits » (p. 24).

[46]                          Compte tenu des craintes exprimées concernant l’incidence éventuelle du témoignage d’un expert sur l’issue d’un procès — y compris le risque que l’expert usurpe la fonction du juge des faits —, le juge du procès doit veiller à bien encadrer l’expert et à dûment circonscrire son témoignage.  Même si le risque est accru dans le cas d’un procès devant jury, le juge, y compris celui qui siège seul, a l’obligation de toujours faire en sorte que le témoignage de l’expert respecte les limites établies.  Il ne suffit pas qu’il tienne compte des critères de l’arrêt Mohan au début du témoignage de l’expert et qu’il rende une décision initiale quant à l’admissibilité de la preuve.  Il doit faire en sorte que, tout au long de son témoignage, l’expert respecte les limites établies à l’égard d’une telle preuve.  Comme le fait observer le juge Doherty dans R. c. Abbey2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, par. 62 :

                         [traduction]  L’admissibilité du témoignage n’est pas examinée en vase clos.  Le juge du procès doit, avant de se prononcer, déterminer la nature et la portée du témoignage proposé.  Non seulement il délimite le témoignage, mais il décide aussi, au besoin, des termes que l’expert pourra employer afin de réduire le risque de viciation du procès.  Il est essentiel de déterminer avec précaution la portée du témoignage de l’expert et de s’assurer du strict respect des limites ainsi établies si le témoignage est admis.  La jurisprudence montre que le non‑respect de telles limites par un témoin‑expert est probablement la faute qui justifie le plus souvent l’infirmation d’une décision en appel . . .  [Je souligne; renvois omis.]

[47]                          Le juge du procès doit veiller à ce que l’expert respecte les justes limites de son domaine d’expertise, puis s’assurer que la teneur de la preuve elle-même fait l’objet à juste titre d’un témoignage d’expert.

[48]                          On peut s’attendre à des erreurs et, comme en l’espèce, à des témoignages qui dépassent les limites du domaine d’expertise.  Il est également prévisible qu’un avocat de la défense omette de faire objection à un témoignage lorsque des propos discutables sont tenus.  Dans un procès devant jury, une fois la déclaration faite, il peut être un peu plus difficile de corriger le tir, mais il suffira généralement de donner au jury la directive correctrice de ne pas tenir compte de la preuve inadmissible.  Pour sa part, le juge est rompu à l’art de faire abstraction d’une preuve irrecevable.  Il va sans dire que lorsque le témoignage dépasse les limites du domaine d’expertise, il est impératif que le juge du procès n’accorde aucune importance aux portions inadmissibles. 

samedi 12 octobre 2024

Un témoin expert peut en remplacer un autre s'il a procédé à une revue de cette expertise (Peer review)

R. c. Croxen, 2022 QCCS 5277

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[4]           At one point during the judicial proceedings, it was announced by the Crown that the pathologist who performed the autopsy of the deceased would not testify at trial and would be replaced by another pathologist. The first pathologist had lost his accreditation to testify as an expert for the forensic laboratory (the Laboratoire de sciences judicaires et médecine légale or LSJML).

[7]           In summary, the evidence from the witnesses revealed that the laboratory complies with international standards, and that its practices allow for preservation of its expertise. Thus, if an expert leaves for whatever reason, another expert can take over. Moreover, the witnesses explained the training and supervision program of the experts employed by the laboratory. The pathologist's work in general has been peer-reviewed. Afterward, his accreditation to testify as an expert for the laboratory was withdrawn. The pathologist did not commit any disciplinary fault. The withdrawal of his accreditation was specifically related to his ability to testify in Court and not to his ability to perform autopsies or to give expert opinions. The precise reasons for the withdrawal were recorded in internal documents. Those reasons were disclosed by email in another unrelated court case. The pathologist is now retired. It should be noted that, at no time during their testimony, did the laboratory witnesses object to the production of documents.

III

[8]           It was clear, from one end to the other, that the documents related to the pathologist were not covered by the Crown’s duty to disclose evidence under the Stinchcombe regime. The documents were not in possession or control of the Crown and were not part of the fruits of the investigation against the accused. The laboratory is independent from the prosecuting Crown. Therefore, the documents were in the possession of a third party and the O’connor regime was applicable. See: R. v. McNeil2009 SCC 3.

[9]           The O’connor regime provides for a two-stage test for the production of third-party record.

[10]        Firstly, the accused must establish the “likely relevance” of the records sought. There must be a reasonable possibility that the material sought is logically probative of a trial issue or the competence of a witness to testify. This stage has a gate-keeping function. The burden on the accused is substantial, but not onerous. If such relevance is demonstrated, the Court may order the production of said documents for inspection at the second stage.

[11]        Secondly, the Court must then balance the competing interests, including any expectation of privacy on the records and the true relevance of the records, to determine whether the documents should be produced to the accused. To resolve the issue, it may be useful to consider whether the record would be disclosed to the accused under the Stinchcombe regime if the record in question had found its way into the Crown prosecutor’s file. If there would be no basis under the Stinchcombe disclosure regime for not disclosing the record to the accused, there can be no principle of sufficient reasoning to arrive at a different conclusion under the O’connor regime for the third-party production. See: R. v. O'Connor1995 CanLII 51 (SCC)[1995] 4 SCR 411R. v. McNeil2009 SCC 3.

[12]        In this case, it was undisputed that the internal documents and the email were prone to be relevant pursuant to the first stage test. Upon inspection at the second stage, the Court found that all the documents in question had to be produced to Mr. Croxen.

[13]        Since the pathologist was no longer a witness, it is true that the documents were not probative to the competence of a witness to testify in its primary meaning. Besides, the documents did not seem to have any major impact on the expert's opinion with respect to the cause of death. After all, according to the expert’s opinion, the cause of death is quite simple: the victim suffered severe blunt force trauma to the head.

[14]        That being said, the standard for disclosure or production remains low. The documents were pursuant to the pathologist’s incapacity to testify effectively because of personal problems. As a result, another pathologist was called to testify at trial. The documents were related to the particular way the Crown's evidence was to be presented to the jury. Hence, said documents were somewhat relevant to the assessment of that evidence. Therefore, the accused should have access to the documents to prepare a complete answer and defence.

[15]        The production of the documents involved an invasion of the pathologist's privacy. The parties agreed to a publication ban and to an order to limit the circulation of the information contained in the documents only to the extent necessary for the defence of Mr. Croxen, in accordance with the teachings of R. v. McNeil2009 SCC 3.

[16]        Mr. Croxen also sought, by way of another application, disclosure of evidence from the second pathologist. He asked for a report or a summary of the nature of his upcoming testimony. This issue has been resolved through discussions between the parties. It is the understanding of the Court that the second pathologist was to testify based on the work of the first pathologist.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

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