Plourde c. R., 2023 QCCA 361
[13] C’est ici que le bât blesse : le traitement fait à la recommandation commune.
[14] Bien qu’il y ait lieu de croire que la juge avait pleinement conscience du critère fixé par l’arrêt R. c. Anthony-Cook[3], elle ne semble pas l’avoir traité avec toute l’importance qu’il revêt. Cette importance fut de nouveau mise en relief dans un arrêt plus récent encore, R. c. Nahanee[4]. Bien sûr, on ne peut faire reproche à la juge d’avoir passé ce dernier fait sous silence, car son jugement du 22 avril 2022 précède de quelques mois l’arrêt Nahanee. Mais en appel, il doit en être tenu compte, d’autant que la jurisprudence la plus récente de la Cour d’appel se situe très nettement dans le sillage de cette jurisprudence de la Cour suprême du Canada.
[15] Rappelons succinctement le message d’abord livré par l’arrêt Anthony-Cook (c’est le juge Moldaver qui tient la plume dans cette décision unanime) :
[32] Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont utiles à cet égard.
[33] Dans Druken, par. 29, la cour a jugé qu’une recommandation conjointe déconsidérera l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, elle [traduction] « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale ». Et, comme l’a déclaré la même cour dans R. c. B.O.2, 2010 NLCA 19, par. 56 (CanLII), lorsqu’ils examinent une recommandation conjointe, les juges du procès devraient [traduction] « éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable sa confiance dans l’institution des tribunaux ».
[34] À mon avis, ces déclarations fermes traduisent l’essence du critère de l’intérêt public élaboré par le comité Martin. Elles soulignent qu’il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la
certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci‑après.[5]
[16] « [Faire] échec au bon fonctionnement du système de justice pénale », « croire que le système de justice [a] cessé de fonctionner », ne sont pas de vains mots, et c’est avec raison que dans l’arrêt Nahanee, le juge Moldaver, écrivant cette fois pour les juges majoritaires, ajoute que « [c]e critère place à dessein la barre très haut »[6]. Les considérations d’ordre systémique que relève le juge Moldaver dans les lignes qui suivent ce dernier extrait militent fortement en faveur de l’acceptation d’une recommandation commune lorsqu’elle se situe dans la fourchette des peines justes et appropriées – et que cette peine soit clémente ou sévère[7]. Or, c’est le cas ici, bien qu’en effet la peine s’inscrive dans la partie plus clémente de l’échelle.
[17] Aussi doit-on conclure en l’occurrence, comme le fit une formation unanime de la Cour dans l’arrêt Gallien c. R., que la juge de première instance, à l’instar de l’un de ses collègues dans cette dernière affaire, s’est méprise sur la portée de la jurisprudence fixée et réitérée en Cour suprême. La formation en question écrivait :
[11] Avec beaucoup d’égards, le juge de première instance n’a pas suivi ces enseignements. Sa prémisse, selon laquelle la peine suggérée est trop clémente, l’a empêché de se concentrer sur la seule question qu’il devait se poser : la suggestion commune des parties a-t-elle pour effet de déconsidérer l’administration de la justice ou d’être contraire à l’intérêt public? Cette omission du juge constitue une erreur de droit, qui l’a amené à rendre une sentence plus sévère que celle suggérée par les parties, à la suite d’un exercice classique de détermination de la peine basé sur les facteurs aggravants et atténuants, les objectifs pénologiques, la gravité des infractions et les peines imposées pour des cas semblables.
[12] Ainsi, le juge n’explique pas en quoi la peine suggérée par les parties est contraire à l’intérêt public, sauf pour écrire qu’il la considère trop clémente. Il occulte totalement les avantages d’intérêt public associés à la suggestion commune des parties et il se concentre uniquement sur la longueur de la peine suggérée qu’il considère trop clémente dans le contexte spécifique du dossier.[8]
[18] La situation est la même en l’espèce et il y a donc lieu de faire droit à l’appel pour rétablir la recommandation conjointe des avocates de l‘appelant et de l’intimé.