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vendredi 2 mai 2025

La disposition réparatrice ne trouve pas application si une défense vraisemblable n'a pas été ouverte lors du procès

Carrier c. R., 2015 QCCA 1183 

Lien vers la décision


[55]        L’appelant reproche au juge du procès d’avoir erré en droit en ne soumettant pas au jury la défense de troubles mentaux et la défense d’automatisme avec troubles mentaux. Il soutient qu’un malentendu s’est produit avec le juge au moment de la conférence prédirectives, qu’il n’a jamais renoncé expressément à soumettre ces deux moyens de défense au jury.

[56]        À mon avis, l’extrait des notes sténographiques cité précédemment permet de dissiper tout doute à cet égard. L’appelant, par l’entremise de l’avocat qui le représentait en première instance[8], a bel et bien renoncé à présenter une défense de troubles mentaux ainsi qu’une défense d’automatisme avec troubles mentaux. Qui plus est, lors des directives, le juge a lu la théorie de cause de l’appelant rédigée par son avocat et ce dernier n’a rien trouvé à redire :

Me RODRIGUE BEAUCHESNE

Procureur de la défense :

Je n’ai pas de commentaires, ni de points d’interrogation, je vous remercie pour la qualité de vos représentations.

[57]        Cela dit, la renonciation par l’accusé de présenter un moyen de défense, contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, ne lie pas le juge du procès. Ce dernier a en effet l’obligation de soumettre au jury tout moyen de défense vraisemblable[9] et, s’il le faut, de même passer outre à l’opposition exprimée par l’avocat de l’accusé[10]. Seul le moyen de défense susceptible de miner celui plaidé par l’accusé ne pourrait pas être présenté au jury au nom du droit fondamental de ce dernier de conduire sa défense comme il l’entend[11].

[58]        Ce n’est pas le cas en l’espèce. L’appelant ayant déjà choisi de faire état de sa condition mentale lors des événements survenus le 31 mars 2009 afin de nier l’intention spécifique requise pour qu’il soit trouvé coupable des trois chefs d’accusation portés contre lui, je ne vois pas en quoi cette condition ne pourrait pas également servir à rechercher un verdict de non-responsabilité pour troubles mentaux.

[59]        Quoi qu'il en soit, le juge, conformément à l’état du droit sur cette question et malgré « que la défense renonce expressément à soulever les défenses d’automatisme et de troubles mentaux dans la présente affaire », a rendu un court jugement lors de la conférence prédirectives aux fins d’évaluer si ces défenses devaient être soumises au jury. Appliquant l’approche globale mise de l’avant par le juge Bastarache, pour la majorité, dans l’arrêt Stone[12], il a conclu « qu’il n’existait aucune preuve suffisante de trouble mental chez l’accusé qui justifierait un tribunal de soumettre au jury une défense basée sur l’article 16 du Code criminel ».

[60]        À mon avis et soit dit avec égards pour le juge du procès, c’est ici que le bât blesse. En soupesant la preuve comme il l’a fait, le juge a suivi une démarche qui ne me paraît plus être celle qui doit être adoptée dans un cas où, comme en l’espèce, il s’agit de déterminer si le moyen de défense d’automatisme avec troubles mentaux est vraisemblable et doit être soumis au jury. Il ressort en effet de l’arrêt Fontaine[13], qui a pour toile de fond ce moyen de défense, que l’arrêt Stone doit être entièrement revu. Les motifs du juge Fish ne sauraient être plus clairs[14] :

   Enfin, je vais examiner l’arrêt Stone, précité, sur lequel s’appuie le ministère public. Je tiens tout d’abord à répéter ce que j’ai dit au début des présents motifs : l’arrêt Stone doit entièrement être interprété à la lumière de l’arrêt Cinous.

   […]

   Depuis l’arrêt Cinous, le juge de première instance ne peut plus s’inspirer des facteurs minutieusement élaborés par le juge Bastarache dans l’arrêt Stone pour décider, en droit, si une partie s’est acquittée de la charge de présentation qui lui incombe. Cependant, ces facteurs peuvent baliser et orienter la démarche du juge des faits.

[61]        De quoi s’agit-il plus exactement?

[62]        Dans l’arrêt Cinous[15], la question en litige était celle de savoir si le moyen fondé sur la légitime défense aurait dû être soumis au jury. Malgré que ce moyen de défense ne soit pas celui plaidé dans l’arrêt Fontaine, le juge Fish rappelle qu’un seul critère de la vraisemblance s’applique à tous les moyens de défense[16]. Il cite ensuite avec approbation les motifs conjoints de la juge en chef McLachlin et du juge Bastarache dans l’arrêt Cinous aux fins d’illustrer la démarche que doit suivre le juge chargé de statuer sur la vraisemblance d’un moyen de défense quel qu’il soit[17] :

L’application du critère de la vraisemblance ne consiste qu’à déterminer si un moyen de défense éventuel devrait « entrer en jeu », c’est-à-dire être soumis à l’appréciation du jury. […]

En ce qui concerne la question préliminaire, le juge du procès n’a pas à statuer sur le bien-fondé du moyen de défense invoqué. Il appartient au jury de le faire. Voir les arrêts Finta, précité, et R. c. Ewanchuk1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330. Le juge du procès s’abstient de se prononcer sur la crédibilité des témoins, d’apprécier la valeur probante de la preuve, de tirer des conclusions de fait ou de faire des inférences de fait précises. Voir les arrêts R. c. Bulmer1987 CanLII 56 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 782, et Park, précité. Le critère de la vraisemblance ne vise pas non plus à déterminer s’il est probable, improbable, quelque peu probable ou fort probable que le moyen de défense invoqué sera retenu en fin de compte. Le juge du procès doit se demander si, au regard de la preuve, il existe une véritable question qui doit être tranchée par le jury, et non pas comment le jury doit trancher la question en fin de compte. [Soulignement dans l’original; italiques ajoutés.]

[63]        Et de conclure le juge Fish[18] :

   Lorsque l’automatisme avec troubles mentaux est invoqué en défense, le fait pour l’accusé d’alléguer le caractère involontaire de l’acte, si cette allégation est appuyée par l’opinion logiquement probante d’un expert compétent, constituera normalement ― un fondement probant suffisant pour soumettre le moyen de défense au jury. Par l’expression « logiquement probante », j’entends simplement pertinente ― c’est-à-dire une preuve qui, si elle est acceptée par le jury, tendrait à appuyer la défense d’automatisme avec troubles mentaux. Les directives données au jury sur le droit applicable préciseront qu’il incombe encore à l’accusé d’établir la défense selon le degré de probabilité exigé.

[64]        Appliqués au cas à l’étude, ces propos de la Cour suprême m’amènent à faire les commentaires suivants.

[65]        L’appelant témoigne qu’il a perdu le contrôle de son corps après avoir repoussé le clavier de son ordinateur. Il a alors senti son cœur battre à tout rompre et s’est dirigé vers la salle de bain, là où sa mère se trouvait. Lorsqu’il raconte la suite des événements, il mentionne être conscient de ce qu’il fait, mais que son corps agit contre sa volonté. Ce n’est que lorsqu’il entend son frère crier, après qu’il l’eut poignardé à mort, qu’il reprend le contrôle de son corps. Il n’oppose alors plus aucune résistance, ce qui permet finalement à son père de le maîtriser.

[66]        Selon la Dr Allard, l’appelant a vécu un épisode de dissociation causé par un traumatisme interne, soit le désespoir engendré par le fait d’être incapable de se suicider. Ceci a fait en sorte « qu’il ne pouvait apprécier la nature et la qualité de ses actes [encore qu’] il avait […] la capacité de savoir qu’ils étaient mauvais. »

[67]        Pour paraphraser le juge Fish dans l’arrêt Fontaine, je constate donc que la preuve en l’espèce ne se résume pas à une simple allégation d’un moyen de défense. L’appelant donne une description détaillée de l’état psychique dans lequel il se trouvait, état que la Dr Allard, à titre d’expert, confirme et qualifie d’épisode de dissociation, lequel tend à donner du poids au fait que l’appelant n’a pas agi volontairement. À mon avis, cette preuve suffit pour conclure que l’appelant s’est acquitté de sa charge de présentation relativement à sa défense d’automatisme avec troubles mentaux[19]. Il appartenait au jury, à partir des directives que lui aurait données le juge du procès, d’évaluer le sérieux ou la solidité de cette défense à la lumière des autres éléments factuels mis en preuve, comme le témoignage du Dr Faucher qui nie, motifs à l’appui, que l’appelant a vécu un épisode de dissociation ou encore le témoignage des amis de l’appelant à qui ce dernier a avoué son crime. C’est là une composante essentielle du droit constitutionnel garanti à tout inculpé accusé d’une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus de bénéficier d’un procès avec jury[20].

[68]        Comme j’en viens à la conclusion que le juge du procès a commis une erreur de droit en ne soumettant pas au jury la défense d’automatisme avec troubles mentaux, se pose la question de savoir si la disposition réparatrice du sous-alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel peut trouver application. L’arrêt R. c. Robinson[21] rendu par la Cour suprême en 1996 nous invite à répondre par la négative à cette question. Il ressort en effet des motifs du juge en chef Lamer, pour la majorité, qu’il n’y a pas lieu d’utiliser la disposition réparatrice lorsque l’accusé a été privé d’un moyen de défense vraisemblable[22] :

Le ministère public appelant nous a pressés d’appliquer la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code pour corriger les erreurs que comportait l’exposé du juge du procès au jury. Cependant, je suis d’avis que, dans un cas comme la présente affaire, il n’y a pas lieu d’appliquer le sous-al. 686(1(b)(iii), étant donné qu’on a refusé à l’accusé un moyen de défense que le droit lui reconnaissait. J’en arrive à cette conclusion pour des motifs d’équité et de logique. En l’espèce, la défense d’intoxication était vraisemblable en ce sens qu’il y avait des éléments de preuve à partir desquels un jury ayant reçu des directives appropriées aurait pu raisonnablement rendre un verdict de culpabilité d’homicide involontaire. En raison des directives données par le juge du procès, l’intimé n’a pu obtenir qu’un jury composé de ses pairs détermine qu’il n’avait pas, en raison de son état d’intoxication, l’intention spécifique de tuer la victime. Il n’appartient pas à notre Cour, dans ce type d’affaire, de réévaluer la preuve et d’examiner des questions de crédibilité afin de déterminer si un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées aurait rendu le même verdict que celui qui a été rendu.

[69]        Notre cour, dans l’arrêt Dyckow[23], a rappelé récemment ce principe dans les termes suivants :

[9]        Selon l’intimée, ces erreurs sont toutefois sans conséquence puisque la légitime défense est rejetée en raison de l’absence d’appréhension raisonnable d’une attaque et de l’utilisation disproportionnée de la force. Ainsi, la disposition dite réparatrice, soit l’alinéa 686(1)b)(iii) C.cr., trouverait application.

[10]      L’argument n’est pas convaincant. L’appel doit être accueilli. Il est bien établi que la disposition réparatrice ne peut s’appliquer que lorsqu’il n’existe aucune « possibilité raisonnable que le verdict [ou la déclaration de culpabilité] eût été différent en l’absence de l’erreur ». Il est faux de prétendre que les erreurs sont sans conséquence puisqu’elles touchent le cœur du litige. Notamment, les erreurs de la juge se rapportent directement à l’évaluation des conditions d’ouverture de la légitime défense. La juge a donc erronément écarté cette défense pour deux raisons qui ne trouvent pas appui dans la preuve. Lorsque l’erreur prive l’accusé d’un moyen de défense, on peut plus difficilement invoquer la disposition réparatrice.

                                                                                                [citations omises]

[70]        Je suis donc d’avis que la disposition réparatrice ne peut pas s’appliquer en l’espèce. La défense d’automatisme avec troubles mentaux n’ayant pas été soumise au jury à la suite d’une erreur de droit, il n’appartient pas à la Cour d’appel de réévaluer la preuve afin de déterminer si un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées aurait rendu le même verdict[24].

mardi 29 avril 2025

L'équité procédurale lors de la détermination de la peine

R. v. Habib, 2024 ONCA 830

Lien vers la décision


[21]   Judges owe an “elevated duty of procedural fairness” to every litigant. See Fontaine v. Canada (Attorney General)2018 ONCA 1023, at para. 21. This duty originated and applies with greatest force in criminal law and at sentencing because the stakes to the defendant and society are the highest. See Gardiner, at pp. 414-415; Supermarchés Jean Labrecque Inc. v. Flamand1987 CanLII 19 (SCC), [1987] 2 S.C.R. 219, at pp. 233 and 237; and A. (L.L.) v. B. (A.)1995 CanLII 52 (SCC), [1995] 4 S.C.R. 536, at para. 27. Honouring this duty ensures better decision-making, which increases the likelihood that everyone involved feels fairly treated and causes them to accept the decision’s legitimacy, while also strengthening public confidence in the justice system, the rule of law, and our democratic system of government. See Guy Régimbald, Canadian Administrative Law, 3rd ed. (Toronto: LexisNexis Canada Inc., 2021), at pp. 267-270.

[22]   Sentencing judges observe the duty of procedural fairness by respecting criminal defendants’ rights to be heard. Parliament has directed courts to honour this human right whenever they apply the Criminal Code, R.S.C. 1985, c. C-46. See Canadian Bill of Rights, S.C. 1960, c. 44, s. 2(e); Lowry and Lepper v. The Queen1972 CanLII 171 (SCC), [1974] S.C.R. 195, at pp. 200-202. This right entitles defendants to know the case against them and respond to it by making submissions, calling evidence, and challenging any evidence against them. See R. v. Flett2015 MBCA 59, 319 Man. R. (2d) 194, at para. 14Lowry and Lepper, at p. 204. It bars sentencing judges from finding aggravating facts that the Crown did not advance and the defence did not admit without notifying the parties and giving them an opportunity to make submissions and call responsive evidence. See R. v. Huon2010 BCCA 143, at paras. 5-6. To be clear, sentencing judges sometimes can and should raise new issues, but they must respect the right to be heard if they do so. See Baptiste c. R.2021 QCCA 1064, 73 C.R. (7th) 321, at paras. 38, 46, and 57-59.

[24]   But despite his best intentions, the sentencing judge breached this right by finding that the appellant intended to shoot and kill the employee. This was a significant finding because intending to kill another person is one of the “most morally blameworthy state[s] of mind.” See R. v. Vaillancourt, 1987 CanLII 2 (SCC), [1987] 2 S.C.R. 636, at p. 645. Its significance underscored the importance of honouring the right to be heard. But unlike the case the Crown relies on (LeBreton v. R., 2018 NBCA 27, 47 C.R. (7th) 435, at para. 21), the Crown did not ask the sentencing judge to make this finding. Thus, the sentencing judge should have notified the parties that he might make such a finding and allowed them to respond. He did not do so because he did not realize that it was a new issue. If he had, he would have followed the same process that he had used to find whether the appellant cocked the handgun.

[25]   I disagree with the Crown’s argument that it gave fair notice of this issue. The only aggravating fact Crown counsel sought to prove at sentencing was whether the appellant cocked the handgun. While she submitted that his statements concerning his mental state supported this finding, she never asked the sentencing judge to also find that he expected to shoot and kill the employee. That issue is factually and legally distinct from whether the appellant cocked the handgun. See R. v. Mian2014 SCC 54, [2014] 2 S.C.R. 689, at para. 30. Not all defendants who cock handguns expect to kill other people. Sometimes they intend to intimidate, as in R. v. A.S.D.2019 BCSC 147, at para. 140, aff’d, 2020 BCCA 208, leave to appeal refused, [2020] S.C.C.A. No. 427. This intent, while still gravely blameworthy, is less grave than expecting to kill.

[27]   Because the sentencing judge breached the right to be heard, we must sentence the appellant afresh and without deference to the existing sentence. Under this remedial rule, which this court endorsed in R. v. Cook, 2013 ONCA 467, 307 O.A.C. 280, at paras. 37-38 and 43, the appellant need not show that the breach impacted the sentence as Lacasse requires for errors in principle. This is a specific application of the general rule from Cardinal v. Director of Kent Institution, 1985 CanLII 23 (SCC), [1985] 2 S.C.R. 643, that breaching the right to be heard invalidates decisions even if a new hearing is unlikely to lead to a different result. Cardinal adopted this rule because the right to be heard is an “independent, unqualified” entitlement to fair treatment that is distinct from the decision’s substantive appropriateness.[1] See at p. 661; see also Knight v. Indian Head School Division No. 19, 1990 CanLII 138 (SCC), [1990] 1 S.C.R. 653, at p. 674.

[28]   The narrow exception to this remedial rule does not apply. Under that exception, there is no need to decide the matter afresh if it is inevitable that the result would be the same if a fair process were followed. See Mobil Oil Canada Ltd. v. Canada-Newfoundland Offshore Petroleum Board1994 CanLII 114 (SCC), [1994] 1 S.C.R. 202, at pp. 228-229; R. v. Papadopoulos (2005), 2005 CanLII 8662 (ON CA), 201 C.C.C. (3d) 363 (Ont. C.A.), at paras. 24-26. That is not inevitable here. While there was evidence supporting this finding, other evidence contradicted it. Further, the standard of proof barred the sentencing judge from making this finding unless he determined that there was no reasonable doubt on this issue. See Gardiner, at pp. 414-416. If the sentencing judge had given notice and heard the appellant’s submissions and, potentially, his testimony, he may have been convinced that the appellant did not intend to kill the employee or, even if he was not so convinced, it may still have raised a reasonable doubt. This, in turn, may have caused him to impose a lower sentence because he treated the finding as an important aggravating factor. That possibility is sufficient and, as Cardinal teaches, we should not speculate about what the result of a fair process might have been.

mercredi 2 octobre 2024

Il n’y a pas lieu d’utiliser la disposition réparatrice lorsque l’accusé a été privé d’un moyen de défense vraisemblable

Carrier c. R., 2015 QCCA 1183

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[68]        Comme j’en viens à la conclusion que le juge du procès a commis une erreur de droit en ne soumettant pas au jury la défense d’automatisme avec troubles mentaux, se pose la question de savoir si la disposition réparatrice du sous-alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel peut trouver application. L’arrêt R. c. Robinson[21] rendu par la Cour suprême en 1996 nous invite à répondre par la négative à cette question. Il ressort en effet des motifs du juge en chef Lamer, pour la majorité, qu’il n’y a pas lieu d’utiliser la disposition réparatrice lorsque l’accusé a été privé d’un moyen de défense vraisemblable[22] :

Le ministère public appelant nous a pressés d’appliquer la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code pour corriger les erreurs que comportait l’exposé du juge du procès au jury. Cependant, je suis d’avis que, dans un cas comme la présente affaire, il n’y a pas lieu d’appliquer le sous-al. 686(1(b)(iii), étant donné qu’on a refusé à l’accusé un moyen de défense que le droit lui reconnaissait. J’en arrive à cette conclusion pour des motifs d’équité et de logique. En l’espèce, la défense d’intoxication était vraisemblable en ce sens qu’il y avait des éléments de preuve à partir desquels un jury ayant reçu des directives appropriées aurait pu raisonnablement rendre un verdict de culpabilité d’homicide involontaire. En raison des directives données par le juge du procès, l’intimé n’a pu obtenir qu’un jury composé de ses pairs détermine qu’il n’avait pas, en raison de son état d’intoxication, l’intention spécifique de tuer la victime. Il n’appartient pas à notre Cour, dans ce type d’affaire, de réévaluer la preuve et d’examiner des questions de crédibilité afin de déterminer si un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées aurait rendu le même verdict que celui qui a été rendu.

[69]        Notre cour, dans l’arrêt Dyckow[23], a rappelé récemment ce principe dans les termes suivants :

[9]        Selon l’intimée, ces erreurs sont toutefois sans conséquence puisque la légitime défense est rejetée en raison de l’absence d’appréhension raisonnable d’une attaque et de l’utilisation disproportionnée de la force. Ainsi, la disposition dite réparatrice, soit l’alinéa 686(1)b)(iii) C.cr., trouverait application.

[10]      L’argument n’est pas convaincant. L’appel doit être accueilli. Il est bien établi que la disposition réparatrice ne peut s’appliquer que lorsqu’il n’existe aucune « possibilité raisonnable que le verdict [ou la déclaration de culpabilité] eût été différent en l’absence de l’erreur ». Il est faux de prétendre que les erreurs sont sans conséquence puisqu’elles touchent le cœur du litige. Notamment, les erreurs de la juge se rapportent directement à l’évaluation des conditions d’ouverture de la légitime défense. La juge a donc erronément écarté cette défense pour deux raisons qui ne trouvent pas appui dans la preuve. Lorsque l’erreur prive l’accusé d’un moyen de défense, on peut plus difficilement invoquer la disposition réparatrice.

                                                                                                [citations omises]

mercredi 3 octobre 2018

L'examen convenable en appel en regard de la question de l’absence de motifs ou leur insuffisance

R. c. Sheppard, [2002] 1 RCS 869, 2002 CSC 26 (CanLII)

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46                              J’estime que ces affaires montrent clairement que l’obligation de donner des motifs, lorsqu’elle existe, découle des circonstances d’une affaire donnée.  Lorsque la raison pour laquelle un accusé a été déclaré coupable ou acquitté ressort clairement du dossier, et que l’absence de motifs ou leur insuffisance ne constitue pas un obstacle important à l’exercice du droit d’appel, le tribunal d’appel n’interviendra pas.  Par contre, lorsque le raisonnement qu’a suivi le juge du procès pour démêler des éléments de preuve embrouillés ou litigieux n’est pas du tout évident ou lorsque des questions de droit épineuses requièrent un examen, mais que le juge du procès les a contournées sans explication, ou encore lorsque (comme en l’espèce) on peut donner de la décision du juge du procès des explications contradictoires dont au moins certaines constitueraient manifestement une erreur en justifiant l’annulation, le tribunal d’appel peut, dans certains cas, s’estimer incapable de donner effet au droit d’appel prévu par la loi.  Alors, l’une ou l’autre des parties pourra douter de la justesse du résultat, mais l’absence de motifs ou leur insuffisance l’aura à tort privée de la possibilité d’obtenir un examen convenable en appel du verdict prononcé en première instance.  En pareil cas, même si le dossier révèle des éléments de preuve qui, d’une certaine manière, pourraient appuyer un verdict raisonnable, les lacunes des motifs peuvent équivaloir à une erreur de droit et fonder l’intervention d’un tribunal d’appel.  Il appartiendra à la cour d’appel de décider si, dans un cas donné, les lacunes des motifs l’empêchent de s’acquitter convenablement de ses fonctions en appel.

lundi 21 mai 2018

Les paramètres d’intervention d’une cour d’appel lorsque le moyen d’appel est celui du verdict déraisonnable

Richard c. R., 2015 QCCA 1523 (CanLII)

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[23]        L’article 686(1)a)i) C.cr. prévoit qu’une cour d’appel peut, lors d’un appel portant sur une déclaration de culpabilité, accueillir l’appel et infirmer le verdict pour le motif qu’il est déraisonnable ou qu’il ne peut s’appuyer sur la preuve.

[24]        La juge McLachlin (alors juge puînée) écrivait dans R. c. W. (R.) :
Il est donc clair que, pour déterminer si le juge des faits aurait pu raisonnablement conclure à la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, la Cour d’appel doit réexaminer et du moins, dans une certaine mesure, réévaluer l’effet de la preuve.
[25]        Il y a lieu de retenir des arrêts plus récents de la Cour suprême dans R. c. SinclairR. c. R. (P.) et R. c. W. (H.), les enseignements suivants :
1.         Le tribunal d’appel doit d’abord déterminer si le verdict est un de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait rendus au vu de l’ensemble de la preuve;
2.         Le verdict est déraisonnable si le juge des faits a tiré une inférence essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve invoquée à l’appui de l’inférence;
3.         Le verdict est déraisonnable si le raisonnement qui le soutient est à ce point irrationnel ou incompatible avec la preuve qu’il a pour effet de vicier le verdict;
4.         Il faut faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation de la crédibilité faite en première instance lorsqu’il s’agit de déterminer si le verdict est déraisonnable;
5.         La cour d’appel qui se prononce sur un verdict de culpabilité doit dûment prendre en compte la position privilégiée des juges des faits qui ont assisté au procès et entendu les témoignages et ne doit pas conclure au verdict déraisonnable pour le seul motif qu’elle entretient un doute raisonnable après l’examen du dossier. Il doit plutôt examiner et analyser la preuve et se demander, à la lumière de son expérience, si l’appréciation judiciaire des faits exclut la déclaration de culpabilité.
[26]        Dans l’arrêt unanime Pardi c. R., notre collègue, Yves-Marie Morissette, écrivait relativement aux paramètres d’intervention d’une cour d’appel lorsque le moyen d’appel est celui du verdict déraisonnable :
[28]      À cette étape, je résume ce qui précède afin de bien situer dans leur cadre les questions à résoudre. Un verdict déraisonnable ou qui ne peut s’appuyer sur la preuve est réformable en appel, et la question de savoir s’il peut être qualifié de tel en est une de droit. Il sera ainsi qualifié s’il s’agit d’un verdict qu’un jury qui aurait reçu les directives appropriées et aurait agi de manière judiciaire n’aurait pu raisonnablement rendre. Dans le cas d’un verdict prononcé par un juge seul, une cour d’appel peut tenir compte des motifs exprimés par le juge pour statuer sur le caractère raisonnable de son verdict, ce qui accroît quelque peu la portée de l’examen à effectuer. Ainsi, une inférence ou une conclusion de fait essentielle au verdict, mais qui est clairement contredite par la preuve à son appui, ou dont on démontre l’incompatibilité avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge, autorise une cour d’appel à casser le verdict qu’elle sous-tend au motif qu’il est déraisonnable. Cela ne va pas jusqu’à permettre aux juges d’une cour d’appel de considérer qu’ils ont « le droit d’avoir une perception subjective de la preuve et [le droit] de se demander s’ils sont convaincus du caractère inattaquable du verdict ». Un doute persistant peut justifier un examen plus approfondi de la preuve pour déterminer si, en effet, le verdict est déraisonnable selon la norme que je viens de rappeler. Cela vaut pour le verdict d’un jury comme pour celui d’un juge siégeant seul mais examiné dans ce second cas à la lumière des motifs prononcés par le juge. En tout état de cause, cependant, une cour d’appel n’apporte rien de particulier à l’évaluation de la preuve lorsque le juge expose des motifs de jugement détaillés.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La différence entre le mobile et l'intention

R. v. Darnley, 2020 ONCA 179 Lien vers la décision [ 46 ]        Historically, courts have used the term “motive” when describing this purpo...