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samedi 14 septembre 2024

Les principes essentiels devant guider le juge dans l’application de l’al. 515(10)c) C. cr.

R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27 

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[87]                          Je résumerais ainsi les principes essentiels qui doivent guider le juge dans l’application de l’al. 515(10)cC. cr. :

                                    L’alinéa 515(10)cC. cr. ne prévoit pas un motif résiduel de détention, applicable seulement lorsque les deux premiers motifs de détention (al. a) et b)) ne sont pas satisfaits. Il s’agit d’un motif distinct permettant à lui seul d’ordonner la détention avant procès d’un accusé.

                                    L’alinéa 515(10)cC. cr. ne doit pas être interprété restrictivement (ou appliqué avec parcimonie), ni s’appliquer que dans de rares cas ou circonstances exceptionnelles, ou pour certains types de crime seulement.

                                    Les quatre circonstances énumérées à l’al. 515(10)cC. cr. ne sont pas exhaustives.

                                    Le tribunal ne doit pas automatiquement ordonner la détention même si les quatre circonstances énumérées favorisent ce résultat.

                                    Le tribunal doit plutôt tenir compte de toutes les circonstances propres à chaque cas d’espèce, en prêtant une attention particulière aux quatre circonstances énumérées.

                                    Le caractère « inexplicable » ou « inexpliqué » du crime n’est pas un critère devant guider l’analyse.

                                    Aucune circonstance n’est déterminante en soi. Le juge doit considérer les effets combinés de toutes les circonstances de chaque affaire qui lui permettront de déterminer si la détention est justifiée.

                                    Il s’agit d’un exercice de pondération de toutes les circonstances pertinentes, au terme duquel le tribunal doit ultimement se poser la question suivante : la détention est-elle nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice? Tel est le test à satisfaire sous l’al. 515(10)c).

                                    Pour répondre à cette question, le tribunal doit adopter le point de vue du « public », c’est-à-dire celui d’une personne raisonnable, bien informée de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire. Cette personne n’est toutefois pas un juriste et n’est pas en mesure d’apprécier les subtilités des différentes défenses qui s’offrent à l’accusé.

                                    La confiance de cette personne raisonnable envers l’administration de la justice peut être minée tout autant si le tribunal refuse d’ordonner une détention justifiée compte tenu des circonstances de l’espèce, que lorsqu’il l’ordonne alors qu’elle est injustifiée.

[88]                          En conclusion, en présence d’un crime grave ou très violent, lorsque la preuve contre l’accusé est accablante, et que la ou les victimes sont vulnérables, la détention préventive sera habituellement ordonnée.

Principes généraux régissant les conditions de mise en liberté sous caution

R. c. Zora, 2020 CSC 14 

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[83]                        Toutes les personnes qui jouent un rôle dans l’établissement des conditions de mise en liberté sous caution doivent se reporter aux principes généraux en cette matière, qui restreignent la façon dont les conditions sont établies. Comme le Code prévoit par défaut la mise en liberté sans condition, la première question consiste à savoir s’il a été démontré que l’imposition de conditions est nécessaire. Selon les principes de retenue et de l’échelle, quiconque propose d’ajouter des conditions de mise en liberté sous caution doit chercher à savoir si l’un des risques mentionnés au par. 515(10) est en cause et comprendre quels risques précis se poseraient si la personne prévenue était libérée sans condition : cette personne présente‑t‑elle un risque de fuite, sa mise en liberté pose‑t‑elle un risque pour la protection ou la sécurité du public ou est‑elle susceptible de miner la confiance du public envers l’administration de la justice?

[84]                        Seules les conditions qui ciblent les risques précis mentionnés au par. 515(10) sont nécessaires. Si la personne prévenue pose un risque de fuite, mais aucun autre risque, seules les conditions qui réduisent ce risque au minimum devraient être imposées. De même, si la personne prévenue pose un risque pour la sécurité ou la protection du public, seules les conditions les moins sévères possible pour répondre à cette menace précise devraient être imposées (R. c. S.K.1998 CanLII 13344 (C. prov. Sask.), par. 16‑19). De plus, de telles conditions ne seront pas nécessaires pour la protection ou la sécurité du public simplement du fait qu’il est possible que la personne prévenue commette une autre infraction pendant sa mise en liberté sous caution, à moins qu’il n’y ait une « probabilité marquée » qu’elle commette une infraction compromettant la protection ou la sécurité du public (Morales, p. 736‑737; al. 515(10)b)). Toute condition imposée pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice doit être fondée sur l’examen, du point de vue d’un membre raisonnable du public, de l’effet combiné de toutes les circonstances pertinentes, et tout particulièrement des quatre facteurs énoncés à l’al. 515(10)c) : le fait que l’accusation paraît fondée, la gravité de l’infraction, les circonstances entourant sa perpétration et la question de savoir si la personne prévenue encourt une longue peine d’emprisonnement (St‑Cloud, par. 55‑71 et 79).

[85]                        L’exigence de nécessité signifie aussi que la condition particulière doit atténuer les risques qui empêcheraient autrement la libération de la personne prévenue sans cette condition. Les conditions ne peuvent être imposées de façon injustifiée ou dans un but punitif (Antic, par. 67j); Birtchnell, par. 27‑28R. c. McDonald, 2010 ABQB 770, par. 34‑36 (CanLII)). Une condition qui peut convenir en vue d’un objectif de détermination de la peine, comme la réadaptation, ne sera pas appropriée à moins qu’elle ne vise à répondre aux risques prévus au par. 515(10) (Omeasoo, par. 31). Les conditions ne devraient pas être fondées sur un comportement (R. c. K. (R.)2014 ONCJ 566, par. 14‑19 (CanLII); J.A.D., par. 9 et 11). Une condition qui semble simplement [traduction] « bonne à avoir », mais qui n’est pas nécessaire pour la mise en liberté de la personne prévenue, n’est pas appropriée (Birtchnell, par. 40). Même si une condition donnée se veut thérapeutique, vise à aider ou « ne pourrait pas faire de mal », la possibilité qu’une responsabilité criminelle additionnelle soit engagée en vertu du par. 145(3) signifie que de telles limites à un comportement qui serait autrement légal pourraient aussi entraîner des sanctions pénales. La Cour insiste sur la retenue dans l’arrêt Antic, au par. 67j) :

        Les conditions de mise en liberté visées au par. 515(4) ne peuvent [traduction] « être imposées que dans la mesure où elles sont nécessaires » pour dissiper les préoccupations liées aux critères légaux de détention et pour permettre la mise en liberté de [la personne accusée]. Elles ne doivent pas être imposées pour modifier le comportement de [la personne accusée] ou pour [la] punir. [Note en bas de page omise.]

[86]                        De plus, les conditions de mise en liberté sous caution doivent être suffisamment liées aux risques définis dans la loi. Elles devraient être définies aussi étroitement que possible pour réaliser leur objectif de répondre aux risques prévus au par. 515(10) (R. c. D.A., 2014 ONSC 2166, [2014] O.J. No. 2059 (QL), par. 14‑17; R. c. Pammett, 2014 ONSC 5597, par. 10‑12 (CanLII); R. c. Clarke[2000] O.J. No. 5738 (QL) (C.S.), par. 9 et 12K. (R.), par. 14‑19J.A.D., par. 9 et 11). Comme pour l’établissement des conditions de probation, le lien entre une condition non énumérée et un risque prévu au par. 515(10) devrait être comparable aux liens évidents entre les conditions énumérées au par. 515(4) et les risques prévus au par. 515(10) (R. c. Shoker2006 CSC 44, [2006] 2 R.C.S. 399, par. 13‑14). Récemment, dans l’arrêt Penunsi, la Cour l’a souligné en ce qui a trait aux conditions relatives aux engagements de ne pas troubler l’ordre public :

        Lorsqu’elle n’est pas manifestement rattachée à la crainte alléguée, la condition risque davantage d’amener [la partie défenderesse] à ne pas la respecter [. . .] Aucune condition ne devrait être sévère au point de constituer dans les faits une ordonnance de détention en vouant [la partie défenderesse] à l’échec. [Références omises; par. 80.]

[87]                        Les conditions de mise en liberté sous caution doivent être raisonnables. Comme pour les conditions de probation, les conditions de mise en liberté sous caution ne peuvent contrevenir à une loi fédérale ou provinciale ou encore à la Charte (Shoker, par. 14). Les conditions de mise en liberté sous caution énumérées aux par. 515(4) à (4.2) aident à déterminer l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont dispose l’entité judiciaire pour imposer d’autres conditions raisonnables non énumérées de mise en liberté sous caution (Shoker, par. 14). Les conditions doivent être claires, peu intrusives et proportionnées à tout risque posé. Aussi, elles ne seront raisonnables que si, de façon réaliste, elles peuvent être et seront respectées par la personne prévenue, car [traduction] « [e]xiger que la personne prévenue soit tenue à l’impossible ne constitue qu’un autre moyen de la priver d’une mise en liberté provisoire par voie judiciaire » en faisant en sorte qu’elle échoue, en plus de lui faire courir le risque d’engager sa responsabilité criminelle si elle omet de se conformer à une condition (Omeasoo, par. 33 et 37‑38; voir aussi Penunsi, par. 80). Comme l’a noté le juge Rosborough dans la décision Omeasoo, le retrait d’une condition déraisonnable n’exposera pas la collectivité à plus de risques que l’imposition d’une condition impossible à respecter pour la personne prévenue (par. 39). Les conditions raisonnables ne doivent pas non plus restreindre les droits garantis par la Charte à la personne prévenue, comme la liberté d’expression ou d’association, à moins que la condition soit raisonnablement liée aux risques que pose la personne prévenue, soit le risque de fuite, le risque d’atteinte à la sécurité du public ou le risque que le public perde confiance envers l’administration de la justice, ou qu’elle soit nécessaire pour répondre à de tels risques (R. c. Manseau, [1997] AZ‑51286266 (C.S. Qc)Clarke).

[88]                        Les conditions de mise en liberté sous caution doivent être adaptées aux risques individuels que pose la personne prévenue. On ne devrait pas imposer machinalement une liste de conditions. La seule condition de mise en liberté sous caution qui devrait être systématiquement imposée est celle qui exige la présence au tribunal de la personne prévenue (Birtchnell, par. 6), ainsi que celles qui doivent être envisagées pour certaines infractions aux termes des par. 515(4.1) à (4.3). Le recours à des listes de vérification pour passer en revue les conditions possibles ne pose aucun problème. Il n’y a problème que si des conditions sont simplement ajoutées, non parce qu’elles sont strictement nécessaires, mais simplement par habitude, parce que la personne prévenue y a consenti ou parce qu’un changement de comportement serait considéré comme souhaitable. Les conditions de mise en liberté sous caution peuvent être faciles à imposer, mais difficiles à vivre.

[89]                        En résumé, les questions suivantes peuvent aider à structurer l’analyse afin que les principes de retenue et de révision fassent réellement partie intégrante de l’élaboration de conditions de mise en liberté sous caution appropriées :

                     Si elle était libérée sans condition, la personne prévenue poserait‑elle un risque précis prévu par la loi qui justifie l’imposition de conditions de mise en liberté sous caution? Si la personne prévenue est libérée sans condition, existe‑t‑il un risque qu’elle ne se présente pas au tribunal au moment exigé, qu’il y ait atteinte à la sécurité ou à la protection du public ou que soit minée la confiance du public envers l’administration de la justice?

                     La condition est‑elle nécessaire? Si la condition n’était pas imposée, y aurait‑il un risque de fuite de la part de la personne prévenue, un risque d’atteinte à la protection ou à la sécurité du public ou un risque que le public perde confiance envers l’administration de la justice, qui empêcherait le tribunal de libérer la personne prévenue sur remise d’une promesse sans condition?

                     La condition est‑elle raisonnable? La condition est‑elle claire et proportionnelle au risque que pose la personne prévenue? Peut‑on s’attendre à ce que la personne prévenue respecte la condition de façon sécuritaire et raisonnable? Sur le fondement de ce que l’on sait de la personne prévenue, est‑il probable que ses conditions de vie, sa dépendance, son handicap ou sa maladie fassent en sorte qu’elle serait incapable de se conformer à la condition?

                     La condition est‑elle suffisamment liée aux motifs de détention prévus à l’al. 515(10)c)? Se limite‑t‑elle à répondre au risque précis que pose la libération de la personne prévenue?

                     Quel est l’effet cumulatif de toutes les conditions? Prises ensemble, constituent‑elles les conditions les moins nombreuses et les moins sévères nécessaires dans les circonstances?

Ces questions sont interreliées et n’ont pas besoin d’être abordées dans un ordre particulier, ni d’être posées et de recevoir une réponse concernant chaque condition dans tous les cas. Compte tenu des considérations d’ordre pratique des tribunaux chargés des remises en liberté sous caution, qui sont très occupés, il n’est ni réaliste ni souhaitable d’exiger que les entités judiciaires se penchent sur les conditions qui ne soulèvent pas de préoccupations particulières. Ce qui importe est que quiconque participe à l’établissement des conditions de mise en liberté sous caution recoure à ce type de questions pour orienter les politiques et évaluer quelles conditions devraient être visées et imposées.

[90]                        Lorsque l’on examine le caractère approprié des conditions de mise en liberté sous caution, il faut garder à l’esprit que l’infraction criminelle créée au par. 145(3) non seulement recommande la retenue et la révision, mais fournit un cadre de référence additionnel qui intègre des considérations de proportionnalité dans l’évaluation. Étant donné la relation directe entre l’imposition de conditions et le manquement, les évaluations de la nécessité et du caractère raisonnable dont il est question dans l’arrêt Antic devraient aussi tenir compte du fait que les omissions de se conformer aux conditions imposées deviennent des crimes distincts contre l’administration de la justice. Par conséquent, la question est la suivante : est‑il nécessaire et raisonnable d’imposer cette condition susceptible d’entraîner une responsabilité criminelle, alors que l’on sait que le manquement peut donner lieu à une privation de liberté en raison d’une accusation ou d’une déclaration de culpabilité au titre du par. 145(3)? En résumé, lors de l’examen de la question de savoir si une condition proposée répond à un risque établi et précis, il faut chercher à savoir s’il serait proportionné qu’un manquement à cette condition constitue une infraction criminelle ou devienne une raison de révoquer la mise en liberté sous caution.


dimanche 7 juillet 2024

La question à trancher est la suivante dans une audience sous 525 Ccr : le maintien en détention du prévenu sous garde est‑il justifié au sens du paragraphe 515(10)

R. c. Konde, 2022 QCCQ 6576

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[5]         La mise en liberté à la première occasion, avec le moins de conditions restrictives, est la présomption qui s’applique en droit canadien. Elle est intimement liée à la présomption d’innocence.

[6]         La mise en détention avant le procès est l’option de dernier recours. Il s’agit l’exception, non de la règle[7].

[7]         La détention d’un accusé doit être justifiée par une juste cause. Le paragraphe 515(10) du Code criminel énonce trois situations pour lesquelles la détention d’un prévenu est justifiée : pour assurer sa présence au tribunal, pour assurer la protection du public, pour ne pas nuire à la confiance du public dans l’administration de la justice.

[8]         Dans la présente affaire, la juge Rivest a estimé que la détention était justifiée en vertu de ces trois situations[8].

[9]         Puisqu’il s’est écoulé plus de 90 jours depuis cette ordonnance, le Tribunal doit maintenant décider si la continuation de cette détention demeure justifiée. Il s’agit d’un mécanisme de contrôle prévu à l’article 525 du Code criminel, auquel toute personne détenue a droit, peu importe la nature des accusations portées contre elle.

[10]      Ce contrôle a fait l’objet d’une étude détaillée par la Cour suprême du Canada en 2019. La question à trancher est la suivante : le maintien en détention du prévenu sous garde est‑il justifié au sens du paragraphe 515(10)[9] ?

[11]      L’analyse doit être faite avec déférence pour les conclusions factuelles tirées par le juge qui a ordonné la détention. Il ne s’agit pas d’une reprise de l’enquête initiale. Il s’agit plutôt de revoir l’ensemble des facteurs de l’article 515(10) à la lumière de l’évolution des procédures judiciaires, en considérant différents éléments dont l’existence ou non d’une preuve nouvelle, tout changement dans la situation du prévenu, les raisons justifiant l’ordonnance initiale et le temps écoulé depuis cette ordonnance[10].

jeudi 31 août 2023

Les principes et les lignes directrices à suivre pour l’application des dispositions en matière de liberté sous caution lors d’une audience contestée

R. c. Antic, 2017 CSC 27

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[67]                             En conséquence, les principes et les lignes directrices à suivre pour l’application des dispositions en matière de liberté sous caution lors d’une audience contestée sont les suivants :

a)                  Les accusés jouissent du droit constitutionnel à la présomption d’innocence, présomption dont le corollaire est le droit constitutionnel à la mise en liberté sous caution.

b)                  L’alinéa 11e) garantit tant le droit de ne pas être privé d’une mise en liberté sous caution sans juste cause que le droit à une mise en liberté sous caution assortie de conditions raisonnables.

c)                  Sauf exceptions, une mise en liberté inconditionnelle sur remise d’une promesse constitue la solution par défaut à adopter lorsqu’il s’agit d’accorder une mise en liberté (par. 515(1)).

d)                  Le principe de l’échelle énonce la manière dont d’autres formes de mise en liberté doivent être imposées. Il exige qu’on [traduction] « favorise la mise en liberté à la première occasion raisonnable et, eu égard [aux critères légaux de détention], aux conditions les moins sévères possible » (Anoussis, par. 23). Ce principe doit être suivi rigoureusement.

e)                  S’il propose une autre forme de mise en liberté, le ministère public doit démontrer la nécessité de celle‑ci. Plus la forme de mise en liberté est restrictive, plus lourd est le fardeau imposé à l’accusé. En conséquence, un juge de paix ou un juge ne peut imposer une forme plus restrictive de mise en liberté que si le ministère public a démontré que celle‑ci est nécessaire eu égard aux critères légaux de détention.

f)                    Chaque échelon de l’échelle doit être examiné de façon individuelle et doit être écarté avant qu’il soit possible de passer à une forme plus restrictive de mise en liberté. En cas de désaccord des parties sur la forme de mise en liberté à accorder, le juge de paix ou le juge commet une erreur de droit en ordonnant une forme plus restrictive de mise en liberté sans justifier sa décision d’écarter les formes moins sévères.

g)                  La mise en liberté avec engagement et caution est l’une des formes les plus sévères de mise en liberté. Une caution ne devrait être exigée que dans le cas où toutes les formes moins sévères de mise en liberté ont été examinées et écartées en raison de leur caractère inapproprié.

h)                  Il n’est pas nécessaire d’imposer un cautionnement en espèces à des accusés si eux‑mêmes ou leurs cautions possèdent des biens recouvrables par des moyens raisonnables et s’ils sont en mesure, à la satisfaction du tribunal, de mettre ceux‑ci en gage pour justifier la mise en liberté. Un engagement est l’équivalent fonctionnel du cautionnement en espèces et a le même effet coercitif. En conséquence, sous le régime des al. 515(2)d) ou 515(2)e), le cautionnement en espèces ne devrait être imposé qu’en présence de circonstances exceptionnelles où un engagement avec caution est impossible.

i)                    Lorsque de telles circonstances exceptionnelles existent et qu’un cautionnement en espèces est ordonné, le montant fixé ne doit pas être élevé au point où il équivaut dans les faits à une ordonnance de détention; autrement dit, ce montant ne devrait pas aller au‑delà des ressources auxquelles l’accusé et ses cautions ont facilement accès. Corollairement, le juge de paix ou le juge a, au moment de l’établissement du montant du cautionnement, l’obligation positive de s’enquérir de la capacité de l’accusé de payer. Le montant fixé ne doit pas être plus élevé que nécessaire pour dissiper la préoccupation qui justifierait par ailleurs la détention de l’accusé, et doit être proportionné aux moyens de l’accusé et aux circonstances de l’affaire.

j)                    Les conditions de mise en liberté visées au par. 515(4) ne peuvent [traduction] « être imposées que dans la mesure où elles sont nécessaires » pour dissiper les préoccupations liées aux critères légaux de détention et pour permettre la mise en liberté de l’accusé[5]. Elles ne doivent pas être imposées pour modifier le comportement de l’accusé ou pour le punir.

k)                  Lorsqu’une demande de révision d’une ordonnance relative à la mise en liberté sous caution lui est présentée, le tribunal doit suivre le processus de révision applicable à cet égard énoncé dans St‑Cloud.

vendredi 13 mai 2016

L'ouï-dire est permis en matière de remise en liberté

R. c. Rivest, 1996 CanLII 6580 (QC CA)



Le requérant reproche au premier juge d'avoir donné une valeur excessive aux éléments négatifs le concernant, éléments négatifs qui se dégageaient du témoignage à base de ouï-dire du policier enquêteur Lussier, et de la transcription de l'enregistrement de la conversation. 


Il est vrai que le témoignage du policier quant au mode de vie du prévenu était largement basé de ouï-dire, mais cela est permis en matière de remise en liberté.  De surcroît, il a été très longuement interrogé et contre-interrogé:  la transcription de son témoignage compte plus de 200 pages.

samedi 12 septembre 2015

Set Up to Fail: Bail and the Revolving Door of Pre-trial Detention

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https://ccla.org/dev/v5/_doc/CCLA_set_up_to_fail.pdf

A Report on The Bail Process in the Criminal Justice System

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http://arts.uwaterloo.ca/~pjc/pubs/Ritchie_thesis/thesis.pdf

Reasonable Bail?

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http://www.johnhoward.on.ca/wp-content/uploads/2014/07/JHSO-Reasonable-Bail-report-final.pdf

How to Prepare and Conduct a Bail Hearing

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http://www.lsuc.on.ca/For-Lawyers/Manage-Your-Practice/Practice-Area/Criminal-Law/How-to-Prepare-and-Conduct-a-Bail-Hearing/

vendredi 15 mars 2013

Les pouvoirs du juge de paix dans l'imposition de conditions de remise en liberté (suivre les recommandations de son médecin)

R. c. Chauvel, 2004 CanLII 960 (QC CS)

[40]            Les parties n'ayant aucune d'elles soumis ou soulevé l'une ou l'autre de ces décisions, il apparaît opportun d'en reproduire de larges extraits, même si la décision de Hamel c. R. est rapportée dans les rapports de jurisprudence. Voici donc les extraits que le tribunal considère les plus pertinents:
"C'est en vertu de l'article 515 (4) f) du Code criminel que le présent juge de paix a déterminé qu'il était justifié d'imposer cette condition, qui éliminait à toutes fins pratiques les danses dans les isoloirs. Cet article se lit ainsi:

"(4) [Conditions autorisées] Le juge de paix peut ordonner, comme conditions [...] que le prévenu fasse celle ou celles des choses suivantes que spécifie l'ordonnance:

[...]

f) observer telles autres conditions raisonnables, spécifiées dans l'ordonnance que le juge de paix estime opportunes."

            À l'article 515 (4), le juge de paix est devant une personne présumée innocente du crime pour lequel elle comparaît devant lui. À l'article 737, la position est différente: le juge de paix a devant lui une personne qui a été déclarée coupable hors de tout doute raisonnable du crime qui lui avait été reproché. Et c'est pourquoi l'article 737 (2) h) dit:

"Le Tribunal peut prescrire comme conditions…

[...]

h) observer telles autres conditions raisonnables que le tribunal considère souhaitables pour assurer la bonne conduite de l'accusé et l'empêcher de commettre de nouveau la même infraction ou de commettre d'autres infractions."

             L'honorable juge Lamer, lorsqu'il siégeait à la Cour d'appel, avait étudié cette question dans une cause qui émanait de la Cour municipale de Montréal, où il renversait un jugement de l'honorable juge Stalker, de ladite cour. Il s'agit de l'arrêt Keenan c. Stalker, où le juge Stalker, dans le cas d'une personne trouvée dans une maison de débauche, avait ordonné que cette personne subisse un examen médical et que sa remise en liberté soit assujettie à un tel examen. L'honorable juge Lamer en profitait pour analyser la situation, et je pense qu'il est utile de le citer.

Quels sont les pouvoirs que confère le Code criminel au juge de paix? Je cite cet arrêt de Keenan où l'honorable juge Lamer dit:

"Le pouvait‑il, eu égard aux pouvoirs que lui confère le Code criminel? C'est la seule question dont je traite ici.

À cette fin cernons davantage le problème. Au départ on doit noter que le juge qui décide d'un cautionnement est dans une situation bien différente de celle où il décide des conditions d'une ordonnance de probation.

La présomption d'innocence écartée et le crime prouvé, le juge est dès lors autorisé au nom de la société à intervenir dans la vie privée du coupable pour procéder au besoin à la neutralisation de la dangerosité qu'aurait dans l'hypothèse révélée le procès. [...]

Il en est cependant autrement lorsqu'il s'agit d'une condition d'un engagement qu'offre un juge à un prévenu comme alternative à l'emprisonnement en attendant le procès.

À ce stade des événements la nature des activités du juge diffère grandement de celle de la détermination des mesures sentencielles. L'accusé est présumé innocent. La société n'a pas voulu se donner le droit d'envahir la vie privée du prévenu dans la même mesure qu'elle se le reconnaît dans le cas de celui dont la marginalité a été prouvée hors de toute doute raisonnable.
Le Code criminel, tout en édictant les critères qui président à l'incarcération d'un prévenu, nous décrit au par. (7) de l'art. 457 [aujourd'hui 515] la nature du rôle que remplit le juge en matière de cautionnement.

À ceux qui pourraient douter de la pertinence de ces critères pour baliser les pouvoirs du juge d'imposer des conditions, je dois rappeler que le prévenu qui choisit de ne pas souscrire à un engagement que détermine le juge est incarcéré."

            On retrouve au paragraphe 10 de l'article 515 une description des buts recherchés par le juge de paix, et là je cite de nouveau l'honorable juge Lamer:

"On s'aperçoit qu'ils sont divers et pourraient se regrouper comme suit:

(1) s'assurer de la présence du prévenu devant la cour;

(2) protéger l'intérêt public, et ce, entre autres façons de ce faire, en s'assurant qu'il n'interviendra pas de façon illégale dans le déroulement des procédures; et

(3) protéger le public en l'empêchant de profiter de sa liberté pour commettre des actes criminels.

Il saute aux yeux que les deux premiers buts que recherche le cautionnement diffèrent grandement du troisième en ce que par ce dernier la société se permet d'entrer par anticipation dans les circonstances de l'affaire et d'évaluer les risques d'une récidive ou qu'il commette un autre crime en regard des circonstances de l'infraction reprochée et de la personnalité de l'inculpé.

Le pouvoir d'incarcérer ou d'imposer des conditions à l'élargissement du prévenu se justifie et se trouve limité par ce souci de neutraliser le temps qu'il faut ces facteurs qui par hypothèse sont dangereux pour la société. En somme, cette connexité qui doit exister de façon générale en matière sentencielle et en matière de cautionnement doit, lorsqu'il s'agit, avant procès, de protéger le public d'une dangerosité «appréhendée», être de nature causale en ce que la dangerosité que l'on se permet de contrôler par l'imposition d'une condition doit être de quelque façon une des causes du crime qu'on lui a reproché ou pourrait l'être d'un autre. La mesure, tout bénéfiques que puissent être ses effets, dont l'impertinence (non‑pertinence) est due à une absence de «cette causalité», relève d'une activité qui n'a rien à voir avec celle d'un juge de paix décidant d'un cautionnement, et par voie de conséquence est ultra vires des pouvoirs de celui‑ci. Si la mesure est de celles qui cherchent à contrer un facteur de dangerosité «causal», le juge agit alors en deça de sa compétence et elle ne pourra être entreprise que par le truchement des art. 457.5 ou 457.6, selon le cas."

            En un mot, le juge peut aller, même à l'intérieur d'une ordonnance de remise en liberté, jusqu'à émettre des ordonnances pour neutraliser quelqu'un dans les circonstances où effectivement le refus de signer une telle ordonnance, par exemple de ne pas entrer en communication avec la victime, serait  en soi suffisant pour justifier le juge de maintenir incarcéré l'accusé.

Ici, en supposant qu'un accusé refuse de signer un engagement de ne plus permettre des danses dans les isoloirs, est‑ce qu'un tel refus pourrait justifier le juge de maintenir une personne incarcérée? La Cour est d'opinion que, non, ce n'est pas un cas où il y a lieu de protéger le public d'une «dangerosité appréhendée» puisque ce genre de crime ne comporte pas de violence physique et même peut être considéré comme un crime dit sans victime si l'on prend pour acquis que tout le monde semble être consentant à se livrer à de telles activités.

Troisième point que la Cour veut traiter, c'est la décision de mon collègue l'honorable juge André Biron dans l'arrêt Pelletier c. R., qui est un cas identique à celui que nous avons devant nous; c'est une décision rendue le 7 mars 1995.

L'honorable juge Biron résume bien la situation et dit que le poursuivant invoque que les danseuses se laissent toucher par les clients et que cela peut constituer des actes de prostitution, et que dans les circonstances le propriétaire de cabaret est à bon droit accusé d'avoir tenu une maison de débauche. Il réfère avec nuance à l'opinion de l'honorable juge Michel Proulx dans l'arrêt Léon c. R., de la Cour d'appel. L'honorable juge Biron analyse les buts poursuivis par le paragraphe 10 de l'article 515 du Code criminel et fait les commentaires suivants à l'effet que:

"… il paraît difficile à première vue, de conclure que la protection ou la sécurité du public exige l'imposition d'une telle condition.  Lorsqu'on dit protection, on pense ou peut penser à un mal physique qui pourrait être causé à quelqu'un, et lorsqu'on parle de sécurité, on parle de la privation de liberté.

Il est bien certain que le public peut être lésé autrement que par le fait de causer des blessures à quelqu'un ou d'être susceptible de le faire, ou de le priver de sa liberté.  Cependant, cette cour comme déjà dit n'est pas appelée à trancher la question à savoir s'il y a eu des actes de prostitution, dans les circonstances.  A lire l'opinion de M. le juge Proulx dans l'affaire Léon, il semblerait qu'effectivement ce soit le cas.

Cependant, M. le juge Proulx cite l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire de La Reine c. Tremblay jugement No. 500-10-000465-888, jugement qui a été infirmé par la Cour Suprême du Canada.  Le Tribunal est d'avis (et ceci est important) que dans les circonstances il est difficile de dire que la question est définitivement tranchée.  Il y aura lieu, sans aucun doute, que la Cour d'appel trace la ligne à suivre et elle le fera sans aucun doute, puisque le jugement de M. le juge Guérin a été porté en appel.

Le Tribunal est cependant d'avis qu'en imposant cette condition, le juge de première instance décidait pour ainsi dire de la cause, car c'est véritablement la question en litige ici."

Dans les deux causes, celles de Pelletier et de Hamel, les cabaretiers avaient été informés par les policiers que de telles danses pouvaient désormais être tolérées, mais quelques semaines plus tard, ils sont avisés effectivement que ce n'est plus toléré.

Mais revenant à la décision de l'Honorable juge Biron, nous citons à la page 5:

"… le Tribunal est d'avis qu'il n'est pas approprié d'imposer une telle condition, dans les circonstances, car il y a place à interprétation judiciaire de la loi dans cette situation de fait, car l'opinion judiciaire continue d'évoluer.

Le Tribunal est d'avis qu'imposer une telle condition a pour résultat de substituer à la présomption d'innocence, une présomption de culpabilité.  Il y a ici matière à procès.  La Cour d'appel tranchera éventuellement la question de fond.

Le Tribunal est d'avis que dans les circonstances, il ne peut être dit que la sécurité et la protection du public exigent l'imposition d'une telle condition."

Et c'est pour ces raisons que l'Honorable Juge Biron a fait droit à la requête et a biffé purement et simplement la condition numéro 6 dans le dossier de monsieur Gilles Pelletier, qui était exactement la même condition que dans notre dossier."

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...