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dimanche 24 août 2025

Revue du droit applicable à l'enquête caution par le juge Vauclair, siégeant lors à la Cour du Québec

R. c. Brunetti, 2006 QCCQ 11317

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[24]      Le paragraphe 515(6) C.cr. impose à Brunetti de faire valoir l'absence de fondement à sa détention dans l’attente de son procès. Les parties ayant convenu que le danger que Brunetti s’esquive n’est pas réel, il doit donc démontrer par prépondérance de preuve que sa détention n’est pas nécessaire

515(10) b) … pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins de l'infraction, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que le prévenu, s'il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à l'administration de la justice;

515(10) c) … pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, notamment le fait que l'accusation paraît fondée, la gravité de l'infraction, les circonstances entourant sa perpétration et le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d'emprisonnement.

[25]      Ce renversement de fardeau respecte la présomption d’innocence[1] et fait partie des règles de notre société en matière de remise en liberté. Ce renversement de fardeau est non seulement logique, mais souhaitable, eu égard à la nature même de l’activité criminelle en cause. Dans le cas du trafic de quantités importantes de stupéfiants, il s’agit d’un agir criminel systématique et lucratif.  La présomption d'innocence est néanmoins la base de notre droit pénal. Ainsi, une preuve accablante n'est qu'un facteur parmi plusieurs autres que le juge doit considérer et l’enquête sur la remise en liberté ne constitue pas un procès anticipé[2], non plus qu'un moyen «de faire débuter la peine en ordonnant une détention immédiate»[3].

[26]      L’enquête sur remise en liberté et le procès criminel se distinguent en ce que la première s’intéresse autant à la personne qu’à ce qu’elle est accusée d’avoir fait. Aussi, la preuve de propension, exceptionnelle lors du procès, est une preuve non seulement pertinente, mais importante lors de l’enquête sur remise en liberté:

The trial, of course, usually focuses on the binary issue of guilt or innocence. Rules of evidence have developed to, ensure that this determination is done fairly and in accordance with Charter values. At a bail hearing, the court is required to make a prediction about the accused person's future conduct. The assessment is based upon what the accused is alleged to have done, along with information about the accused person's social circumstances and character. Subject to rules of admissibility (discussed below), anything that sheds light on these issues is relevant at a bail hearing. Consequently, evidence may be led that would not be relevant and admissible at a trial. This may include: character evidence; propensity for violence; uncharged conduct; other contacts with the police; evidence as to disposition; psychiatric history; stayed charges; and employment history. Equally, this same expansive approach to relevance is applicable to evidence led by the accused person.[4]

[27]      Dans l'arrêt Rondeau, le juge Proulx a exposé les critères applicables dans l'évaluation du risque exposé par l'alinéa 515(10)b) C.cr., en insistant sur l'effet combiné de ceux-ci:

Dans le cas à l'étude, le litige porte sur l'évaluation de la probabilité de dangerosité. À mon avis, plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour décider de cette question, dont (1) la nature de l'infraction, (2) les circonstances pertinentes de celle-ci, ce qui peut mettre en cause les événements antérieurs et postérieurs, (3) la probabilité d'une condamnation, (4) le degré de participation de l'inculpé, (5) la relation de l'inculpé avec la victime, (6) le profil de l'inculpé, i.e., son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, (7) sa conduite postérieurement à la commission de l'infraction reprochée, (8) le danger que représente, pour la communauté particulièrement visée par l'affaire, la liberté provisoire de l'inculpé. [5]

[28]      À ces facteurs est venue s’ajouter plus récemment l’appartenance à un gang criminalisé. Dans l’arrêt R. c. Ruest, le juge Réjean Paul écrivait :

Il est maintenant de connaissance judiciaire que les Hells Angels constituent une organisation criminelle vouée au trafic de drogue, impliquée dans les réseaux de prostitution et en charge de divers réseaux de contrebande. De plus, en vue d'éliminer la concurrence, ils ont livré une guerre sans merci à leurs concurrents (plus de 170 victimes reliées à cette guerre ont été recensées entre 1995 et 2001).

Ainsi, ceux qui participent aux activités criminelles d'une organisation criminelle, telle que celle des Hell's Angels, doivent s'attendre à ce qu'un nouveau facteur aggravant s'ajoute à cette liste (non exhaustive) de monsieur le juge Proulx dans Rondeau.[6]

[29]      Dans R. c. Boulianne, confirmant la décision du premier juge de ne pas accorder de remise en liberté pour le motif énoncé à l'alinéa 515(10)b) C.cr., le juge Grenier concluait :

L'appartenance à des groupes criminels structurés qui visent, par définition, à devenir des monopoles de la vente de drogue, que ce soit sur le plan local ou national, démontre un choix de vie, celui de mener des affaires lucratives en violation et au mépris de la loi.

La société, par l'entremise des tribunaux, a le devoir de réagir à ce phénomène en privilégiant la dissuasion comme remède. Cette dissuasion doit s'exercer, non seulement à l'endroit des têtes dirigeantes des réseaux, mais aussi à l'endroit de tous les individus constituant des rouages importants permettant à ces organisations d'être opérationnelles et de se régénérer avec rapidité quand elles sont décapitées. [7]

[30]      Dans l’arrêt R. c. Bédard, le même juge faisait siens les propos du juge Gagnon, à l’effet que :

Il résulte donc que la mise en liberté d'un membre important d'une organisation criminelle structurée est exceptionnelle à cause du fardeau de preuve très grand qui lui incombe.[8]

[31]      Si la prévisibilité exacte de la dangerosité future n’est pas exigée par la Constitution [9], il faut que cette probabilité soit importante, qu’elle compromette la protection et la sécurité du public, et qu’elle soit nécessaire pour cette protection [10] et non "seulement commode ou avantageuse” [11].  La mise en liberté provisoire ne doit pas être refusée à toute personne qui risque de commettre une infraction. Tel n’est pas le critère. Non plus que les règles interdisent tout élargissement avant procès d'un membre d'une organisation criminelle, comme l'a expliqué de façon très à propos le juge François Doyon, alors juge à la Cour du Québec, dans R. c. Judd :

 Il me paraît que l'arrêt Pearson ne signifie pas que le membre d'une organisation criminelle structurée doive se voir nécessairement refuser la remise en liberté. Par contre, cet arrêt nous enseigne, se basant sur des études et des rapports qui y sont mentionnés, qu'un membre d'une telle organisation, accusé d'importation et de trafic de stupéfiants, aura tendance à poursuive ses activités criminelles après sa remise en liberté et sera souvent en position de se soustraire à la justice. C'est dans cet esprit que l'appartenance à une organisation criminelle structurée et pertinente à une enquête sur cautionnement.[12]

Les infractions énumérées à l'al. 515(6)d) présentent des particularités qui justifient un traitement différent dans le processus de la mise en liberté sous caution. Ces particularités sont relevées par le Groupe de travail sur la lutte contre la drogue, Rapport du groupe de travail sur la lutte contre la drogue (1990). Aux pages 18 et 19, on y lit que le trafic de stupéfiants constitue généralement une forme de crime organisé:

     Au Québec, le trafic de drogues est généralement sous le contrôle de membres du crime organisé qui assurent la distribution dans toutes les régions. Bénéficiant d'organisations bien structurées, leur capacité à financer des transactions importantes leur permet d'importer de grandes quantités de drogues, souvent même sous le couvert d'entreprises légitimes. Depuis quelque temps, ils investissent et mettent en commun leurs ressources afin d'optimiser le rendement financier des mises de fonds; ces cartels vont jusqu'à planifier une forme d'assurance-risque leur permettant de répartir entre eux les pertes subies lors des saisies policières. À la fois importateurs, grossistes et détaillants, ces organisations peuvent vendre à la tonne, au kilo et même au gramme via les points de vente qu'ils contrôlent; elles sont particulièrement actives dans le trafic du cannabis et de l'héroïne. … [En caractères gras dans l'original.]

     À la p. 21, on fait aussi remarquer que le trafic de la drogue est parfois considéré à tort comme étant de nature moins grave que des crimes nettement plus violents:

     Contrairement aux vols qualifiés, aux agressions sexuelles, aux meurtres, le trafic de drogues est souvent considéré, à tort, comme un crime sans violence; d'où une certaine tolérance à l'endroit des trafiquants qui donnent l'illusion de gens d'affaires anonymes, dissimulés parmi ceux dont le commerce est légal. Une telle impression est cependant loin de la réalité si l'on considère les luttes féroces pour le contrôle de territoires et les actions violentes pour se procurer l'argent nécessaire à l'achat de drogues; si l'on songe également aux sévices personnels et aux drames sociaux qui s'en suivent. [En caractères gras dans l'original.] [13]

In fact, unless we close our eyes and deliberately plug our ears, it is impossible not to be aware of certain widespread phenomena in our society: first, the daily increase in the use of drugs and narcotics; secondly, the fact that this usage is almost exclusively confined to young people; thirdly, the alarming case with which users are able to obtain them, and finally, the deleterious effects that these drugs, especially "hard" drugs, produce on those who use them.

The three categories of persons who come before our Courts are, beginning with those at the end of the chain, the user; on the way toward him, the middleman or "pusher", and at the beginning of the chain, the wholesaler. The simple possessor is harmful only to himself; the pusher profiteers. As forthe wholesaler, it is especially against him that society must protect itself, because he is the source of the evil, which eventually contaminates public health both physical and mental.

It is therefore this Court's opinion with respect to interim release, that while one can and must give sympathetic attention to the case of the simple possessor, one must look severely upon that of the wholesaler, who initiates the distribution and marketing process, since were it not for the wholesaler's existence, our young drug addicts would be much less likely to be exposed, or at least they would be infinitely less numerous.[14]

[34]      Ce qui amène au critère de l'alinéa 515(10)c) C.cr., dont la validité constitutionnelle et les principes qui doivent guider son application ont été examinés par la Cour suprême. Ce troisième critère est autonome. Il constitue un motif séparé et distinct. [15]  Certes, les cas de détention fondés sur ce troisième critère seront rares[16]. Même face à des phénomènes criminels dangereux et inquiétants, il faut se montrer prudent à recourir à cette disposition.[17] C’est toutefois la perte de confiance de la population envers le système de justice qui est au cœur de l'analyse[18].

[35]      Comme l’a souligné le juge Boilard dans l'arrêt R. c. Sweeney :

… il faut accepter la conséquence de l'intervention parlementaire dans l'article 515(10)(c) et reconnaître qu'il y a des cas de criminalité où ceux qui en sont inculpés vont devoir attendre l'aboutissement de la présomption d'innocence en prison.[19]

Une enquête sur mise en liberté provisoire est une procédure qui se veut expéditive et la preuve administrée ne peut donc pas être exhaustive

R. c. Coates, 2010 QCCA 919 

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[16]           Une enquête sur mise en liberté provisoire n'est pas un procès et ne doit pas le devenir. Il s'agit d'une procédure qui se veut expéditive et la preuve ne peut donc pas être exhaustive. Il en est de même de la décision judiciaire; celle-ci doit être prononcée dans les meilleurs délais possibles et il ne saurait être question d'exiger du juge qu'il traite de tous les éléments de preuve ni qu'il examine de façon définitive toutes les questions de droit et de fait soulevées par la preuve. Il doit faire un choix et le résumé de la preuve, particulièrement dans un dossier comme celui-ci, ne peut être que sommaire, en fonction des critères et facteurs pertinents.

[17]           En l'espèce, l'on ne peut reprocher au juge de première instance d'avoir erronément omis de tenir compte de l'ensemble de la preuve. Si le jugement ne fait pas état de façon spécifique d'un élément de preuve, cela ne peut en soi permettre d'inférer que le juge n'a pas tenu compte de cette preuve. Ici, la lecture du jugement démontre au contraire qu'il était conscient de l'ampleur de la preuve dont il devait tenir compte, mais qu'il ne pouvait ni n'avait d'ailleurs l'obligation de l'exposer de manière exhaustive.

[18]           On ne peut davantage lui reprocher d'avoir écrit que, bien que la preuve paraisse solide, elle n'avait pas encore été mise à l'épreuve[5]. Même si une partie de cette preuve a été examinée et analysée à l'occasion d'autres procès, souvent de manière favorable à la théorie de la poursuite, il demeure qu'elle n'a pas été évaluée dans le contexte que l'on connaît maintenant. Il vaut de rappeler, par exemple, que le témoin Boulanger, qui est au cœur de la théorie de l'appelante, n'a jamais été confronté à un contre-interrogatoire et que sa crédibilité n'a jamais été soumise à l'analyse d'un jury.

[19]           De même, le juge n'était pas en mesure de déterminer la fiabilité de nombreux autres éléments de preuve, de sorte que l'exercice auquel il pouvait s'astreindre en rapport avec la preuve disponible consistait plutôt, comme le prévoit le paragr. 515 (10) c) C.cr., à tenir compte notamment du « fait que l'accusation paraît fondée ». Il était donc également autorisé à prendre en considération les moyens de défense auxquels la preuve pouvait donner prise; il serait en effet injuste de permettre à la poursuite de faire état de la preuve à charge sans que le juge puisse considérer non seulement ses faiblesses, mais aussi les moyens de défense qu'elle laisse voir.

[20]           Il faut aussi rappeler que, sauf erreur importante, la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle du juge de première instance en ce qui a trait à l'évaluation de la preuve, celui-ci étant toujours dans une position privilégiée par rapport à un tribunal d'appel. Comme l'écrit la juge Côté dans R. c. M.J. [6] :

[27]  Bien que l'article 680 du C.cr. permette à cette Cour de substituer à la décision de première instance la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue, il faut se garder de substituer de façon capricieuse notre propre appréciation de la preuve à celle de la première juge qui a eu l'avantage d'entendre six témoins et d'apprécier leur témoignage respectif.

mercredi 23 juillet 2025

Commentaires de la CSC quant à l'imposition d'un certain type de condition en lien avec la maladie mentale, l'alcoolisme, la réadaptation et celle de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite »

R. c. Zora, 2020 CSC 14

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B.            Conditions précises

[91]                        Je me penche maintenant sur certaines conditions précises non énumérées couramment incluses dans les ordonnances de mise en liberté. Bon nombre de ces types de conditions se retrouvaient dans l’ordonnance de mise en liberté de M. Zora. Comme je l’ai déjà indiqué, en raison de la criminalisation des manquements aux conditions aux termes du par. 145(3), les principes de retenue et de révision commandent un examen approfondi pour établir si un type particulier de condition est nécessaire, raisonnable, le moins sévère possible et suffisamment lié à un risque mentionné au par. 515(10). L’analyse de conditions précises qui suit montre de quelle façon ces types courants de conditions doivent être examinés.

[92]                        Premièrement, les entités judiciaires doivent être prudentes pour ce qui est des conditions pouvant viser des symptômes de maladie mentale, comme les conditions interdisant de consommer à des personnes prévenues ayant un problème d’alcoolisme ou de toxicomanie. Si la personne prévenue ne peut respecter une telle condition, alors celle‑ci n’est pas raisonnable (Penunsi, par. 80Omeasoo, par. 37‑38). De plus, la réadaptation ou le traitement d’une dépendance ou d’une autre maladie ne constitue pas un objectif approprié pour une condition de mise en liberté sous caution — une condition ne sera appropriée que si elle est nécessaire pour répondre aux risques précis que pose la personne prévenue. Assujettir des personnes qui sont présumées innocentes à des conditions d’abstinence pourrait dans les faits les punir pour ce qui est reconnu comme étant un problème de santé : [traduction] « si l’individu souffre d’alcoolisme, l’abstinence absolue pourrait présenter un risque important pour sa santé et son bien‑être » et même « avoir éventuellement des effets de sevrage létaux » (R. c. Denny2015 NSPC 49, 364 N.S.R. (2d) 49, par. 14‑15; voir aussi la Société John Howard de l’Ontario, p. 12‑13). S’il est nécessaire d’imposer une condition d’abstinence, celle‑ci doit être rédigée avec soin pour viser le risque réel pour la sécurité publique, par exemple, en interdisant à la personne prévenue de consommer de l’alcool à l’extérieur de son domicile si les infractions reprochées ont eu lieu alors qu’elle était ivre et qu’elle ne se trouvait pas chez elle (Omeasoo, par. 42). Quiconque sollicite ou impose des conditions de mise en liberté sous caution devrait aussi tenir compte du fait qu’il est possible que le problème de la personne prévenue lié à la consommation d’une substance, ou toute autre maladie mentale dont elle pourrait souffrir, n’ait pas encore été diagnostiqué. De plus, au besoin, on devrait recourir abondamment aux dispositions relatives à la révision et à la modification de la mise en liberté sous caution prévues aux art. 520, 521 et 523 pour tenir compte de telles circonstances. La mise en liberté sous caution est un processus dynamique d’évaluation continue, une collaboration entre toutes les parties qui jouent un rôle dans l’élaboration des conditions les plus raisonnables et les moins sévères possible, même au fil de l’évolution de la situation.

[93]                        Deuxièmement, d’autres conditions liées au comportement qui visent à réadapter ou aider la personne prévenue ne seront pas appropriées à moins qu’elles soient nécessaires pour répondre aux risques que pose cette dernière. Comme l’a expliqué Cheryl Webster dans son rapport pour le ministère de la Justice, « des conditions comme l’obligation de “fréquenter l’école” ou “de suivre une thérapie ou un traitement” peuvent s’inscrire dans l’atteinte d’objectifs sociaux plus vastes, mais elles n’ont [généralement] aucun lien avec l’infraction alléguée » (rapport Webster, p. 11). Il peut y avoir des exceptions, comme dans la décision S.K., où la juge a conclu que la condition de [traduction] « fréquenter l’école » était suffisamment liée aux risques que posait la personne prévenue. Toutefois, même si une condition semble suffisamment liée aux risques que pose la personne prévenue, la question est aussi de savoir si la condition est proportionnelle : l’imposition de telles conditions a pour conséquence que la personne prévenue pourrait être déclarée coupable d’une infraction criminelle pour avoir manqué une journée d’école.

[94]                        Troisièmement, la condition de [traduction] « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite » est obligatoire pour les ordonnances de probation, les ordonnances de sursis et les engagements à ne pas troubler l’ordre public, mais pas pour une mise en liberté sous caution (S.K., par. 39). Il faudrait sérieusement l’examiner lorsqu’elle est proposée comme condition de mise en liberté sous caution. Cette condition générique est habituellement considérée comme une interdiction pour la personne prévenue de troubler la paix ou de violer toute loi fédérale ou provinciale ou tout règlement municipal (R. c. Grey (1993), 1993 CanLII 17035 (ON CJ)19 C.R. (4th) 363 (C.J. Ont.)R. c. D.R. (1999), 1999 CanLII 13903 (NL CA)178 Nfld. & P.E.I.R. 200 (C.A. T.‑N.)R. c. Gosai, [2002] O.J. No. 359 (QL) (C.S.), par. 18‑28). Comme un manquement à une condition de mise en liberté sous caution constitue une infraction criminelle, cette condition [traduction] « ajoute un nouveau niveau de sanction, pas seulement à l’égard d’un comportement criminel, mais aussi de toute violation de règlement, pouvant aller du non‑respect de la limite de vitesse sur les biens fonciers fédéraux, comme les aéroports, au non‑respect d’un règlement municipal sur le port de la laisse pour les chiens » et « n’est pas compatible avec la présomption d’innocence » qui s’applique habituellement lorsque la personne prévenue est en liberté sous caution (R. c. Doncaster, 2013 NSSC 328, 335 N.S.R. (2d) 331, par. 16‑17; voir aussi R. c. A.D.B., 2009 SKPC 120, 345 Sask. R. 134, par. 17 et 20; Trotter, par. 6‑41 à 6‑44). Étant donné la large portée de la condition, il est difficile de voir en quoi l’imposition à la personne prévenue d’une interdiction additionnelle pour la violation de toute règle de droit substantiel, que ce soit une contravention routière ou l’omission d’enregistrer un chien, pourrait être raisonnable, nécessaire, le moins sévère possible et suffisamment liée au risque de fuite de la personne prévenue, au risque pour la sécurité ou la protection du public ou au risque que la confiance du public envers l’administration de la justice soit minée (voir S.K., par. 39).

[95]                        Quatrièmement, les conditions larges qui exigent que la personne prévenue suive les règles de la maison ou y soit assujettie, ou qu’elle suive les instructions légitimes du personnel dans une résidence, peuvent poser problème, particulièrement pour les jeunes personnes prévenues. Dans J.A.D., la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu qu’une telle condition était nulle pour cause d’imprécision et délégation irrégulière de la fonction judiciaire (par. 11). Ces types de conditions empêchent la personne prévenue de comprendre ce qu’elle doit faire pour éviter de manquer à la condition, étant donné que les règles de la maison peuvent changer au gré de la personne qui les fixe (K. (R.), par. 19‑22). Imposer une condition qui délègue la création de règles de mise en liberté sous caution à une caution (ou à quiconque) contourne l’obligation de l’entité judiciaire de respecter les principes de retenue et de révision et d’évaluer si les règles de la maison répondent véritablement aux risques que pose la personne prévenue.

[96]                        Cinquièmement, certaines conditions peuvent avoir des conséquences malencontreuses ou des incidences négatives non voulues sur la sécurité de la personne prévenue ou du public. Ces effets non voulus mettent en évidence la nécessité de réviser attentivement et rigoureusement chacune des conditions de mise en liberté sous caution. Par exemple, une condition qui empêche la personne prévenue d’utiliser un téléphone cellulaire peut l’empêcher d’appeler à l’aide en cas d’urgence ou faire obstacle à sa capacité de travailler ou de s’occuper de personnes à charge (Prychitko, par. 19‑25; Trotter, p. 6‑44 à 6‑45). D’autres conditions peuvent entraver l’administration de la justice en punissant des personnes prévenues qui sont par ailleurs victimes d’actes criminels. Dans la décision Omeasoo, la police a répondu à une plainte de violence familiale, dont Mme Omeasoo était la victime. Cependant, cette dernière a été arrêtée et inculpée d’omission de se conformer à une condition parce qu’elle avait consommé de l’alcool, ce qui était contraire à sa condition de mise en liberté sous caution (par. 6). Elle a donc été accusée de l’infraction d’être en état d’ébriété alors qu’elle était victime d’une agression. Certes, on espère que le pouvoir discrétionnaire de la poursuite aide à empêcher ce type de conséquences non voulues, mais de telles conditions peuvent décourager la dénonciation de crimes graves et augmenter considérablement la vulnérabilité de certaines personnes.

[97]                          Mentionnons comme autres exemples de conditions ayant des conséquences malencontreuses les conditions relatives à une « zone rouge », qui empêchent la personne prévenue d’entrer dans une région géographique précise, et celles relatives à l’« interdiction de posséder des accessoires facilitant la consommation de drogues ». De telles conditions peuvent avoir des incidences particulièrement importantes sur les personnes prévenues marginalisées. Les conditions relatives à une « zone rouge » peuvent empêcher les gens d’avoir accès à des services essentiels et à leur réseau de soutien (Sylvestre, Blomley et Bellot). Les interdictions de posséder des accessoires facilitant la consommation de drogues peuvent encourager le partage de seringues si les personnes prévenues ne peuvent pas avoir sur elles leurs propres seringues propres (rapport Pivot, p. 89‑95). En outre, les lignes directrices sur les conditions de mise en liberté sous caution imposées aux personnes prévenues ayant des troubles liés à la consommation d’une substance, publiées en 2019 par le Service des poursuites pénales du Canada, reconnaissent que ces types de conditions « ne devraient pas, en règle générale, être imposées » (Guide du Service des poursuites pénales du Canada, Partie III, c. 19, « Conditions de libération provisoire visant les surdoses d’opioïdes » (mis à jour le 1er avril 2019) (en ligne)). De façon générale, les incidences de ces conditions font ressortir la nécessité que toute condition de mise en liberté proposée soit attentivement examinée et ne vise qu’à répondre au risque de fuite de la personne prévenue et à protéger la sécurité du public ou la confiance de celui‑ci envers l’administration de la justice. Autrement, la condition pourrait avoir des conséquences négatives non voulues sur la personne prévenue et le public.

[98]                        Enfin, je note que certaines conditions de mise en liberté sous caution peuvent avoir une incidence sur d’autres droits que garantit la Charte à la personne prévenue outre son droit d’être présumée innocente, son droit à la liberté (art. 7) et son droit à une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable (al. 11e)). Les principes de retenue et de révision exigent que les entités judiciaires examinent rigoureusement ces conditions et établissent si elles contreviennent à la Charte. Par exemple, certaines personnes prévenues font l’objet de conditions de mise en liberté sous caution aux termes desquelles elles sont tenues de se soumettre, sur demande et sans qu’il y ait de mandat, à des fouilles sur leur personne ainsi qu’à des fouilles de leur véhicule, de leur téléphone ou de leur résidence (voir, p. ex., R. c. Delacruz2015 MBQB 32R. c. Tithi2019 SKQB 299, [2019] S.J. No. 299 (QL), par. 14R. c. Sabados, 2015 SKCA 74, 327 C.C.C. (3d) 107). Comme l’a mentionné la Cour dans l’arrêt Shoker, dans le contexte des conditions de probation, les juges n’ont pas compétence pour imposer une condition qui assujettit la personne accusée à une norme inférieure en matière de fouilles et de perquisitions à celle qui serait autrement requise, à moins que le Parlement ne crée un régime législatif conforme à la Charte pour les fouilles et les perquisitions ou que la personne accusée ne consente à la fouille ou à la perquisition (par. 22 et 25; voir aussi R. c. Goddard, 2019 BCCA 164, 37 C.C.C. (3d) 44, par. 53R. c. Nowazek2018 YKCA 12, 366 C.C.C. (3d) 389, par. 128). Ces types de conditions constituent en fait des mécanismes d’application de la loi qui « facilit[ent] l’obtention d’éléments de preuve », « ne permettent pas simplement de surveiller le comportement [de la personne prévenue] » et ne sont pas liés au risque que pose la personne prévenue aux termes du par. 515(10) (Shoker, par. 22). Comme de telles conditions ne relèvent pas des conditions de mise en liberté sous caution énumérées à l’art. 515 et qu’il n’existe pas non plus de régime établi par le Parlement pour les fouilles et perquisitions, elles sont suspectes sur le plan constitutionnel.

[99]                        D’autres conditions peuvent aussi avoir une incidence sur la liberté d’expression ou la liberté d’association de la personne prévenue (voir, p. ex., R. c. Singh, 2011 ONSC 717, [2011] O.J. No. 6389 (QL), par. 41‑47; Manseau, p. 10; Clarke). Il convient d’évaluer rigoureusement de telles conditions restreignant d’autres droits garantis par la Charte pour établir si cette restriction est justifiée et proportionnelle au risque que pose la personne prévenue. Il ne faut jamais oublier qu’en assortissant la mise en liberté sous caution d’une telle condition, l’entité judiciaire criminalise l’exercice par la personne prévenue des droits que lui garantit la Charte à un moment où cette dernière est présumée innocente avant la tenue du procès.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Une carabine à plombs ou une arme à air comprimé n'est pas considérée en soi comme étant une arme, sauf si elle est utilisée dans un dessein dangereux pour la paix publique ou en vue de commettre une infraction

R. v. Labrecque, 2011 ONCA 360 Lien vers la décision [ 1 ]                 The respondent, Benoit Labrecque, was carrying a gas-powered pell...