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jeudi 12 juin 2014

Est-ce que l'interrogatoire du prévenu, alors qu'il est détenu suite à l'exécution du mandat d'arrestation visé, constitue une détention arbitraire?

R. c. G.F., 2012 QCCQ 10416 (CanLII)


[29]        Le visa que le juge de paix émet en vertu de l'article 507(6) C.cr autorise le fonctionnaire responsable à mettre en liberté le prévenu en lui imposant qu'il s'engage conformément aux dispositions de l'article 499 du C.cr..

[30]        Le libellé des articles 499 et 507(6) C.cr. ne comporte aucune exigence temporelle pour la remise en liberté. Le mot immédiatement suggéré par le requérant ne s'y retrouve pas expressément. 

[31]        Les termes utilisés à 499 C.cr., notamment que le fonctionnaire responsable peut choisir l'une des options stipulées à cet article pour la remise en liberté, accorde à ce dernier la discrétion de mettre en liberté le prévenu qui a été arrêté, mais n'indiquent pas le moment de celle-ci. L'auteur Gary Trotter précise que le fonctionnaire responsable n'a pas l'obligation de mettre l'accusé en liberté et doit le mettre sous garde lorsque l'intérêt public le requiert.

[32]        Il est d'ailleurs aisé de comprendre qu'il peut exister une panoplie de situations lors desquelles la remise en liberté ne sera pas la voie utilisée par le fonctionnaire. Pensons notamment à un inculpé contestant les conditions de la promesse, refusant de la signer ou avouant ne pas vouloir la respecter. Il s'agit là de quelques exemples qui confirment la nécessité d'une discrétion policière dans l'application de la loi.

[33]        Le but recherché lorsque le juge de paix inscrit un visa sur le mandat d'arrestation est de permettre au fonctionnaire responsable de mettre un prévenu en liberté lorsque les circonstances le justifient afin d'éviter de prolonger indûment la détention en attendant sa comparution devant un juge de paix.

[34]        Aucun critère n'est expressément prévu par l'article 499 C.cr. afin de guider le fonctionnaire responsable dans l'exercice de sa discrétion de libérer l'accusé. L'auteur R.E. Salhany suggère que ce devrait être les mêmes principes qui sont applicables à l'exercice de la discrétion pour un accusé arrêté sans mandat qui sont prévus à l'article 498 C.cr., c'est-à-dire à moins que le fonctionnaire responsable ait des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire de détenir l'accusé afin d'établir son identité, de recueillir ou conserver la preuve de l'infraction, d'empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète, ou d'assurer la sécurité des victimes ou témoins de l'infraction, le prévenu devrait être libéré.

[35]        Ces constats ne sont pas incompatibles avec le commentaire du juge Hill dans l'affaire Brooks à l'effet que le fonctionnaire responsable doit, dans certaines circonstances, libérer l'accusé en vertu des articles 498 et 499 du Code criminelce qui implique nécessairement que l'accusé est en principe sous garde. Le défaut de libérer l'accusé ou le défaut d'analyser la possibilité de le libérer lorsque les circonstances y donnent ouverture, pourrait effectivement dans certains cas, constituer une violation de la Charte.

[36]        Dans ce cadre, le fonctionnaire responsable devrait aussi pouvoir interroger le prévenu afin de recueillir la preuve, lorsque les circonstances s'y prêtent et le requièrent.

[37]        Lors d'une arrestation avec ou sans mandat, il est reconnu que les policiers ont un pouvoir d'enquête qui peut justifier notamment l'interrogatoire d'un inculpé tout en veillant au respect de ses droits fondamentaux. Dans ces circonstances, l'interrogatoire est permis et la détention justifiée jusqu'à la comparution devant un juge de paix, soit  le plus tôt possible et sans retard injustifié. Or, l'arrestation d'un prévenu en exécution d'un mandat visé est nécessairement d'abord et avant tout une arrestation avec mandat.

[38]        Dans l'arrêt R. c. Storrey, la Cour suprême a rappelé que le rôle des policiers d'enquêter sur les crimes commis peut s'exercer validement à la suite d'une arrestation légale:
Au contraire, la règle suivie depuis longtemps au Canada et au Royaume-Uni permet à la police de poursuivre son enquête à la suite d'une arrestation. Le rôle de la police consiste essentiellement à faire enquête sur les crimes. C'est là une fonction qu'elle peut et devrait continuer à exercer après avoir effectué une arrestation légale. La continuation de l'enquête profitera à la société dans son ensemble et souvent aussi à la personne arrêtée. En effet, il est dans l'intérêt de la personne innocente arrêtée que l'enquête se poursuive afin que son innocence à l'égard des accusations puisse être établie dans les plus brefs délais.

[39]        Dans ce même jugement, la Cour suprême précise que l'interrogatoire policier ne rend pas l'arrestation ni la détention illégale en soi:
Une arrestation effectuée légalement ne devient pas illégale du simple fait que la police a l'intention de poursuivre son enquête après l'arrestation. Je le répète, la police avait en l'espèce des motifs raisonnables et probables qui
justifiaient sa décision d'arrêter l'appelant. De plus, il n'y avait rien d'irrégulier dans l'intention de la police de continuer l'enquête sur le crime après avoir effectué l'arrestation. Ni cette intention ni la continuation de l'enquête n'a rendu l'arrestation illégale. Les circonstances dans lesquelles l'appelant a été arrêté ne constituaient pas une violation de l'art. 9 de la Charte
            [caractères gras ajoutés]

[40]        Le pouvoir des policiers d'interroger un prévenu lors d'une enquête policière a été réitéré dans l'arrêt Singh:
[28] Ce que la common law reconnaît, c’est le droit d’un individu de garder le silence. Toutefois, cela ne signifie pas que quelqu’un a le droit de ne pas se faire adresser la parole par les autorités de l’État. On ne saurait douter de l’importance que l’interrogatoire revêt dans le travail d’enquête des policiers.  On comprendra aisément qu’il serait difficile pour la police d’enquêter sur un crime sans poser de questions aux personnes qui, selon elle, sont susceptibles de lui fournir des renseignements utiles. La personne soupçonnée d’avoir commis le crime à l’origine de l’enquête ne fait pas exception.  Du reste, s’il a effectivement commis le crime, le suspect est vraisemblablement la personne ayant le plus de renseignements à fournir au sujet de l’épisode en question.  La common law reconnaît donc aussi l’importance de l’interrogatoire policier dans les enquêtes criminelles. 

[41]        L'enquête policière doit toutefois se faire dans le respect des droits fondamentaux du prévenu, dont celui du droit au silence. Il doit y avoir un juste équilibre entre les intérêts de l'individu et ceux de la société:
45 […] Dans l’arrêt Hebert, la Cour a souligné l’importance d’établir un juste équilibre entre le droit de l’individu de choisir de parler ou nonaux autorités et l’intérêt qu’a la société à découvrir de la vérité dans le cadre des enquêtes criminelles.  Comme je l’ai déjà affirmé, le suspect peut être la source de renseignements la plus riche.  Bien que la détention donne incontestablement naissance à la nécessité d’assujettir les techniques d’interrogatoire de la police à des limites supplémentaires en raison de la vulnérabilité plus grande du détenu, le moment de la détention ne diminue aucunement la valeur du suspect à titre de

source de renseignements importante.  Pourvu que les droits du détenu soient suffisamment protégés, y compris sa liberté de choisir de parler ou non, la société a intérêt à ce que la police essaie de mettre à profit cette source précieuse.
[nos soulignés]

[42]        Et encore plus récemment dans l'arrêt Sinclair le pouvoir d'interroger des policiers a été répété et même qualifié d'obligation pour les policiers:
À notre avis, pour définir la portée du droit au silence reconnu à l’art. 7 et celle des droits connexes garantis par la Charte, il faut tenir compte non seulement de la protection des droits de l’accusé, mais aussi de l’intérêt de la société à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et soient résolus.  La police a l’obligation d’enquêter sur les crimes présumés et, dans l’exercice de cette fonction, elle doit nécessairement interroger des sources d’information pertinentes, y compris les personnes soupçonnées ou même accusées d’avoir commis le crime présumé.  Certes, la police doit respecter les droits que la Charte garantit à un individu, mais la règle selon laquelle elle doit automatiquement battre en retraite dès que le détenu déclare qu’il n’a rien à dire ne permet pas, à notre avis, d’établir le juste équilibre entre l’intérêt public à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et l’intérêt du suspect à ne pas être importuné.

[43]        Le juge Binnie, quoique dissident, résume l'état actuel du droit au Canada en cette matière:
 [98] En conséquence de la « trilogie de l’interrogatoire », la police pourra désormais, semble-t-il, détenir un individu (présumé innocent), le garder en isolement pour lui poser des questions pendant au moins cinq ou six heures sans lui donner une possibilité raisonnable de consulter un avocat, et balayer pendant ce temps ses revendications du droit de garder le silence ou ses demandes de regagner sa cellule, dans le cadre d’une épreuve d’endurance au cours de laquelle les interrogateurs de la police, se relayant l’un l’autre, possèdent tous les atouts juridiques importants.

[44]        L'article 9 de la Charte est également invoqué par la jurisprudence pour contester la nature et la durée de la détention. L'analyse de la durée de la détention a principalement été faite par la jurisprudence au regard de l'article 503 C.cr. qui impose un délai de 24 heures pour faire comparaître l'accusé devant un juge.
  
[45]        Dans l'arrêt Malhi c. La Reine, la Cour d'appel a refusé de considérer l'absence de mise en liberté sous conditions lors d'une détention qui a duré plus de 24 heures suivant une arrestation, comme étant une violation des articles 9 et 11 e) de la Charte.

[46]        De plus, les conditions de détention, dont sa durée, sans constituer une détention arbitraire au sens de l'article 9 de la Charte, ont été considérées comme pouvant soulever un doute sur le caractère libre et volontaire d'une déclaration qui en découle dans l'affaire R. c. Côté.

[47]        Quelles distinctions pouvons-nous faire entre les situations précédentes et le mandat d'arrestation visé? Dans les deux premiers cas, après son arrestation, l'inculpé doit être conduit devant un juge de paix pour y être traité selon la loi toutefois, lors d'une arrestation à la suite de l'émission d'un mandat d'arrestation visé, l'inculpé peut être libéré par le fonctionnaire responsable sans devoir comparaître devant un juge.

[48]        Dans tous les cas, le même pouvoir d'arrestation est exercé par les mêmes agents de la paix, possédant les mêmes devoirs d'enquêter. La seule distinction se révèle par la possibilité de remise en liberté par le fonctionnaire responsable dans le cas du mandat d'arrestation visé et par la conduite devant un juge de paix pour décider de la mise en liberté dans le cas d'une arrestation avec ou sans mandat tout en ayant les mêmes préoccupations quant au délai de détention.

[49]        Par conséquent, le tribunal estime que le mandat d'arrestation visé qui a pour but d'assurer la remise en liberté afin d'éviter une détention qui pourrait s'avérer inutile, n'exclut pas, à la suite de son exécution, qu'un interrogatoire puisse avoir lieu.

[50]        Avec respect pour l'opinion contraire, le tribunal ne peut adhérer à la prétention du requérant à l'effet que les enquêteurs se devaient de procéder à son arrestation pour le libérer immédiatement après qu'il ait souscrit à l'un ou plusieurs des engagements énoncés à l'article 499 du C.cr.  et que rien ne pouvait les autoriser à le transporter à Québec et à l'interroger, tel que décidé par l'honorable juge Jacques J. Lévesque dans l'affaire Laflamme.

[51]        La détention de G... F... était légalement autorisée par un mandat d'arrestation visé et les policiers avaient le pouvoir de continuer l'enquête qui était justifiée dans les circonstances. Cet interrogatoire policier ne rendait pas sa détention arbitraire en soi.

[53]        Ainsi, le tribunal en vient à la conclusion qu'il n'y pas eu de violation au droit constitutionnel reconnu à toute personne à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraire édicté à l'article 9 de la Charte.

Le mandat visé ne permet pas de détenir ou d'interroger le prévenu

Laflamme c. R., 2010 QCCS 5621 (CanLII)


[85]           Le mandat autorisé par le juge de paix décrète l'arrestation immédiate du prévenu pour qu'il soit amené devant lui ou tout autre juge de paix du district de Beauce. Le visa qu'il a émis sous l'autorité de l'article 507(6), autorise la mise en liberté du prévenu moyennant qu'il s'engage conformément aux dispositions de l'article 499 C.cr. Compte tenu des termes clairs de cette ordonnance, il n'existait aucune autre alternative aux agents de la paix. Ils se devaient de procéder à l'arrestation du prévenu pour le libérer immédiatement après qu'il ait souscrit à l'un ou plusieurs des engagements énoncés à l'article 499 du Code criminel. Rien ne pouvait les autoriser à transporter monsieur Laflamme à Québec, rien ne les autorisait à le détenir, rien ne les autorisait même à procéder à son interrogatoire.

[86]           Il aurait été facilement possible d'exécuter le visa à Sainte-Marie de Beauce, lieu de l'arrestation ou encore de conduire monsieur Laflamme au Palais de justice de Saint-Joseph comme l'indiquait le mandat, pourvu qu'il soit immédiatement libéré.

[87]           Les témoignages du sergent Harvey et de madame Boivin me convainquent qu'un plan avait été structuré afin de tenter, encore une fois, d'obtenir des aveux de monsieur Laflamme, en dépit de l'ordre précis émanant du juge de paix.

[88]           Pis encore, ceux-ci ont candidement avoué qu'il s'agissait d'une pratique courante de procéder à l'interrogatoire d'un prévenu après avoir obtenu un mandat d'arrestation visé.

[89]           Il s'agit, à nos yeux, d'une pratique illégale, empreinte d'une insouciance marquée en regard de la loi, qui ne saurait être tolérée et qui doit, à plus d'un égard, être dénoncée.

[90]           L'arrestation de monsieur Laflamme, à Sainte-Marie de Beauce, était autorisée par la loi. Son transport au quartier général de la Sûreté du Québec, sa détention à cet endroit, ainsi que l'interrogatoire auquel on l'a soumis allaient clairement à l'encontre de l'ordre donné par le juge de paix. Cette façon de faire allait, aussi, clairement à l'encontre de la directive émise par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, en semblable matière.

[91]           Nous sommes d'avis que cette façon de faire et de penser, constitue un abus qui contrevient carrément au droit constitutionnel reconnu à toute personne par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu'à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraire édictée à l'article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.

jeudi 25 juillet 2013

Les grandes lignes qui gouvernent le procureur général dans la décision de déposer un Nolle Prosequi dans une poursuite privée

Dubé c. R. , 2011 QCCS 6971 (CanLII)


[27]           Dans la cause de Savard c Québec (Procureur général) [1998] J. Q. no. 3532, ma collègue de l'époque, l'honorable Lise Côté, a tracé les grandes lignes qui gouvernent le procureur général dans la décision de déposer un Nolle Prosequi dans une poursuite privée en vertu des dispositions du Code criminel. Il serait approprié de reproduire certains paragraphes de cette décision:
"24     Le Procureur général joue un rôle important sur l'introduction et l'application du régime des poursuites pénales. Il est reconnu qu'il possède un large pouvoir discrétionnaire dans la conduite des affaires criminelles dont le pouvoir d'arrêter des procédures dès le dépôt d'une dénonciation. On ne retrouve pas au Code criminel de critères ou de conditions d'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
25     Dans la présente affaire, l'intimé reconnaît que l'arrêt des procédures constitue un acte judiciaire et je pense que c'est à bon droit puisque même s'il ne s'agit pas d'un geste posé par un organisme judiciaire, c'est la nature du geste qui doit être qualifié. J'estime qu'un Procureur général qui arrête des procédures pose un acte de nature judiciaire assujetti au contrôle judiciaire par voie de certiorari.
27     Quant à la proposition du requérant qui soumet que dans l'arrêt Chartrand de notre Cour d'appel, l'honorable juge Beauregard en employant l'expression "décision carrément déraisonnable" a ainsi élargi la portée du pouvoir d'intervention, je ne peux y souscrire.
28     J'estime que le critère d'intervention, qu'il soit qualifié de "carrément déraisonnable" ou de "conduite répréhensible flagrante", demeure soumis à la même exigence d'établir que le pouvoir a été exercé pour des motifs irréguliers ou obliques. De plus, les tribunaux doivent user de retenue judiciaire envers le pouvoir discrétionnaire du poursuivant.
29     Ceci dit, il ne faudrait pas conclure que la retenue judiciaire équivaille à une non-intervention systématique, ce qui nierait aux tribunaux tout pouvoir d'intervention.
31     Cependant, il est reconnu par la jurisprudence que les tribunaux n'ont pas à s'immiscer, ni à dicter au Procureur général sa façon d'agir dans l'institution de poursuites judiciaires. De la même façon, les tribunaux n'ont pas à vérifier les motifs pour arrêter des procédures à moins que la conduite du Procureur général n'équivaille à un abus de procédure.
37     Je considère que le Procureur général a le devoir de s'assurer que des poursuites criminelles ne soient pas engagées à la légère et de veiller à ce que les ressources judiciaires soient utilisées à bon escient. Dans certains cas, des poursuites criminelles abusives pourront ne pas servir l'intérêt public et même miner la confiance du public dans l'usage que l'on fait des tribunaux. Le rôle du Procureur général consiste à surveiller les abus des poursuites pénales pour éviter de saper l'efficacité du système.
38     Dans ce genre d'analyse, il existe une myriade de facteurs qui peuvent influencer la décision du Procureur général variant de la valeur de la preuve au dossier à la nécessité de s'assurer du sérieux et des motivations profondes qui fondent la poursuite."

lundi 12 novembre 2012

Le critère de l'intérêt public concernant l'émission d'un mandat d'arrestation

Lafleur c. R., 2009 QCCQ 1073 (CanLII)

Lien vers la décision

[40] Le terme « intérêt public » se retrouve dans plusieurs des articles de la partie XVI du Code criminel qui traitent de l’arrestation et de la comparution d’inculpés.

[41] À l’article 495, le Code criminel prévoit la remise en liberté des personnes arrêtées sans mandat pour des crimes de juridiction absolue de la Cour provinciale, infractions hybrides et sommaires, sauf si l’agent de la paix croit, pour des motifs raisonnables et probables, que l’intérêt du public, eu égard aux circonstances, y compris la nécessité d’identifier la personne arrêtée, de recueillir ou préserver la preuve ou d’empêcher la continuation ou la répétition de l’infraction ne peut être sauvegardé sans arrêter la personne et pour assurer la présence de la personne à la Cour.

[42] Les mêmes dispositions s’appliquent à l’article 497, qui traite de la remise en liberté par l’agent de la paix qui a procédé à l’arrestation et à l’article 498 qui traite de la remise en liberté par un fonctionnaire responsable où le législateur a ajouté comme motif de non-remise en liberté le fait d’assurer la sécurité des victimes et des témoins.

[43] Comment doit être interprété l’intérêt public de l’article 507 ?

[44] S’appuyant sur la décision du juge Then de la Cour provinciale de l’Ontario dans l’affaire Budreo c. La Reine, la défense prétend que le Tribunal devrait considérer que l’arrestation avec mandat ne peut être justifiée que pour assurer la présence de l’accusé à la Cour et pour prévenir la commission de nouveaux crimes.

[45] Au paragraphe 175 de sa décision, le juge Then, référant à la décision de la juge Arbour dans Farinacci, écrit :

To distinguish Morales, supra, she [la juge Arbour] commented that in s. 515(10)(b), the meaning of public interest was difficult to ascertain because the primary detention ground (securing attendance) and the secondary ground (protection of the public) were already listed. In contrast, s. 679(3) listed only the primary ground, suggesting that "public interest" was partly a reference to the secondary ground. Arbour J.A. stated :

… a substantial component of the notion of public interest, indeed, its largest component in the Criminal law context, was carved out of the possible meaning of "public interest" by the fact that s. 515 of the Criminal Code contemplated the denial of bail "for the protection and safety of the public or in the public interest". The contrast between public safety and public interest left insufficient intelligible content to the term "public interest" to satisfy the constitutional requirement of statutory precision.

[46] Le juge Then mentionne :

This argument applies with even greater force to s. 507(4), which spells out neither the primary ground nor the secondary one. In my view, the term "public interest" in section 507(4) could be read as simply a short hand reference to the primary and secondary grounds justifying detention.

[47] Au paragraphe 183, il résume :

In summary, as a matter of statutory interpretation, "public interest" in s. 507(4) means in the interest of assuring that the suspect (i) will attend and (ii) will not commit offences prior to appearing in Court. This is by way of reference to more elaborate grounds of s. 515 suggested by Farinacci, supra. Other considerations relating to public perceptions or matters extraneous to compelling attendance and preventing future illegal conduct, can simply not be read into the provision. Section 507(4) is not therefore void for vagueness.

[48] Selon la poursuite, cette définition restreinte de l’« intérêt public » n’a pas été retenue par la jurisprudence.

[49] Ainsi, dans la décision Collins v. Brantford Police Service Board rendue en 2001, la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée sur les facteurs qui devaient être pris en considération lorsqu’un agent de la paix procédait à une arrestation sans mandat en vertu de l’article 495 du Code criminel.

[50] Le juge Rosenberg écrit, au paragraphe 14 de la décision :

The real question in this case turned on the limitation of the arrest power in s. 495(2)… The trial judge and the Divisional Court judge both appeared to consider that this issue was determined by the finding that the arrest was not necessary to prevent the continuation or repetition of the offence or the commission of another offence within the meaning of s. 495(4d)(iii). In my view they were in error. The decision not to make a warrantless arrest for a hybrid offence must be made in the public interest having regard to all of the circumstances. The factors enumerated in s. 495(2) are only some, albeit the most important, of the factors to which the officer’s attention is expressly directed. The overriding consideration remains the public interest.

[51] Cette interprétation selon laquelle l’intérêt public ne doit pas être évalué seulement à la lumière des circonstances mentionnées aux articles 495(2), 497(1.1) et 498(1.1) mais eu égard à toutes les circonstances doit également s’appliquer à l’article 507(4).

[52] Pour que le juge agissant en vertu de l’article 507(4) émette un mandat plutôt qu’une sommation, il faudra que « les allégations du dénonciateur […] révèlent des motifs raisonnables de croire qu’il est nécessaire, dans l’intérêt public, » de décerner ce mandat.

[53] Le test est le même que celui des articles 495 et suivants et le juge devra donc examiner l’ensemble des circonstances et non pas seulement les questions d’assurer la présence de l’accusé au tribunal et la protection du public, comme le suggérait le juge Then. Il est utile de noter qu’au moment où la décision de Budreo a été rendue, en 1996, l’actuel article 515(10)(c) n’existait pas. Si l’interprétation restrictive proposée par le juge Then devait être suivie, un juge agissant en vertu de 507(4) devrait émettre une sommation pour faire comparaître un accusé dont la détention serait par ailleurs nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice aux termes de l’article 515(10)(c).

lundi 5 mars 2012

L’assermentation d’une dénonciation par le juge de paix qui la reçoit est une procédure essentielle à sa validité

Vinet c. R., 2012 QCCQ 1178 (CanLII)

Lien vers la décision

[10] Dans R. c. Carrière, 2010 QCCQ 1524 (CanLII), 2010 QCCQ 1524, mon collègue le juge Perreault souligne que l’assermentation d’une dénonciation par le juge de paix qui la reçoit est une procédure essentielle à sa validité et précise qu’une erreur « cléricale » peut être corrigée par une preuve testimoniale. Aux paragr. 44 à 47, il s’exprime ainsi :

[44] Le serment prêté devant le juge de paix commence les procédures.

[45] La sommation n'a pas à être signée par le même juge de paix que celui qui a reçu la dénonciation sous serment.

[46] Une dénonciation non assermentée est de nullité absolue. Si une dénonciation a été assermentée, mais que le juge de paix a omis de l'indiquer sur celle-ci, cela ne la rend pas nulle.

[47] Dans Société Radio-Canada c. Montréal (Communauté urbaine) Service de police, [2000] J.Q. no. 1936 (C.S.), le juge Béliveau rappelle que la preuve testimoniale de l'assermentation d'un dénonciateur peut corriger l'erreur cléricale de ne pas avoir coché que cela avait été fait.

[11] Dans R. c. Champagne, [1999] J.Q. no. 1700, le juge Downs, de la Cour supérieure, était saisi d’une demande similaire. Dans cette affaire, le juge de paix avait affirmé avoir assermenté la dénonciation, mais avait toutefois omis de cocher la case appropriée. Le juge Downs a estimé que ce témoignage était suffisant pour corriger la lacune de la dénonciation.

[12] Traitant du formalisme en matière de droit criminel, le juge Downs considère qu’il y a lieu d’appliquer la maxime « omnia praesumuntur rite esse acta » traduite par « on présume que les formalités exigées par la loi ont été observées » (paragr. 9). Il conclut à la « présomption de validité d’une dénonciation signée par le dénonciateur et le juge de paix » (paragr. 10) et spécifie qu’il revient à l’accusé de démontrer par prépondérance de preuve que la dénonciation n’a pas été assermentée (paragr. 11).

[13] Bien que la défense ait signalé certaines faiblesses dans le témoignage de l’agent Côté sur l’heure où il s’est représenté devant la juge Hénault pour quérir les documents nécessaires afin que justice suive son cours, ou sur d’autres dénonciations relativement à d’autres accusés impliqués dans cette opération d’envergure, l'on ne peut écarter le fait qu’il a rencontré la juge de paix et lui a, à cette occasion, déclaré sous serment que la dénonciation contenait la vérité.

[14] À la lecture de l’article 504 du Code criminel, la juge de paix devait d’abord recevoir la dénonciation puisque le dénonciateur alléguait sous serment que les accusés avaient commis un acte criminel. « Dans un tel cas, le juge de paix ne peut exercer aucune discrétion », précise les juges Béliveau et Vauclair dans leur Traité général de preuve et de procédures pénales, 17e éd., 1010, p. 602-603, paragr. 1563, se référant à R. c. Ellis, 2009 ONCA 483 (CanLII), 2009 ONCA 483 (CanLII), paragr. 48.

[15] Une fois cette étape franchie, la juge de paix devait, en vertu de l’al. 507(1)a) du

Code criminel, entendre et examiner ex parte les allégations du dénonciateur et, si elle l’estimait utile, les dépositions des témoins aux fins de décerner une sommation ou un mandat d’arrestation obligeant l’accusé à comparaître pour répondre à l’inculpation. Bien que ces dispositions soient mandatoires, il a été décidé qu’elles n’étaient que d’ordre procédural. Par conséquent, le défaut de tenir une audition n’invalide pas la dénonciation et n’entraîne aucune perte de compétence sur l’infraction.

[16] Par ailleurs, dans R. c. Boucher, 2002 CanLII 37981 (QC CS), 2002 CanLII 37981 (QC CS), le juge Grenier, de la Cour supérieure, déclare valide une dénonciation ayant été autorisée par un substitut du Procureur général et, comme c’est le cas en l’espèce, dont le nom y apparaît. L’agent de liaison s’est ensuite présenté devant un juge de paix aux fins d’assermentation sans avoir pris connaissance du dossier au préalable. Au paragr. 12, il cite avec approbation les propos du juge Salhany, dans Canadian Criminal Procedure, édition du mois de novembre 2001, page 7-20, au sujet de la connaissance personnelle des faits par l’agent dénonciateur ou de l’absence de celle-ci :

« The person who lays the information may swear as to his personal knowledge of the facts if such is the case; if he does not have personal knowledge, then he may swear that he has reasonable grounds to believe that the offence named has been committed. »

[17] Aux paragr. 16 à 18 de sa décision, le juge Grenier conclut que la dénonciation a été autorisée conformément à la loi en ces termes :

[16] […] Il apparaît, à cette Cour, tout à fait conforme à la loi et à la réalité qu'un policier déclare avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise, alors qu'il se base sur une dénonciation autorisée par un substitut du Procureur général.

[17] […] Il serait étonnant qu’un policier, sans formation juridique, décide qu’un procureur de la couronne ait erré, en autorisant une plainte, compte tenu qu’il évalue les faits tant à leur mérite qu’à la lumière du droit et de la jurisprudence. L'agent de liaison qui prend possession d'un dossier où la plainte a été autorisée par un procureur de la couronne, a sûrement des motifs raisonnables de croire que l'infraction mentionnée à la dénonciation a été commise.

[18] Le Tribunal est donc convaincu que le système en vigueur dans la province de Québec est conforme aux dispositions du Code criminel et qu'il a l'avantage de prévenir les abus et de protéger les citoyens contre des plaintes qui pourraient être portées, alors qu'il n'y a pas suffisamment de preuve, ou pas de preuve du tout.

samedi 30 octobre 2010

L'état du droit concernant l'assermentation d'une dénonciation

R. c. Carrière, 2010 QCCQ 1524 (CanLII)

[43] L'assermentation d'une dénonciation par le juge de paix qui la reçoit est une procédure essentielle à la validité de celle-ci.

[44] Le serment prêté devant le juge de paix commence les procédures.

[45] La sommation n'a pas à être signée par le même juge de paix que celui qui a reçu la dénonciation sous serment.

[46] Une dénonciation non assermentée est de nullité absolue. Si une dénonciation a été assermentée, mais que le juge de paix a omis de l'indiquer sur celle-ci, cela ne la rend pas nulle.

[47] Dans Société Radio-Canada c. Montréal (Communauté urbaine) Service de police, [2000] J.Q. no. 1936 (C.S.), le juge Béliveau rappelle que la preuve testimoniale de l'assermentation d'un dénonciateur peut corriger l'erreur cléricale de ne pas avoir coché que cela avait été fait.

[48] Une dénonciation signée par le dénonciateur et le juge de paix et dont la case indique que l'assermentation a eu lieu doit être présumée valide. Celui qui prétend que la dénonciation n'a pas été assermentée doit renverser la présomption par la balance des probabilités.

[49] En l'espèce, le requérant doit donc établir par la balance des probabilités que l'assermentation n'a pas eu lieu malgré que l'agent Trudel et le juge de paix Garneau ont coché qu'elle avait eu lieu, s'il veut invoquer la nullité de la dénonciation.

[50] On peut faire état de deux décisions où on a conclu à l'absence d'assermentation même dans le cas où la preuve avait été faite que la procédure normale et habituelle était d'assermenter les dénonciateurs.

[51] Ainsi dans R. c. Tremblay, [1999] J.Q. no. 610, le juge Provost conclut que la preuve établit l'absence d'assermentation alors qu'aucune des cases prévues pour l'assermentation n'est cochée, même si la juge de paix, tout en admettant avoir oublié de cocher, affirme qu'elle procède toujours à l'assermentation des dénonciateurs bien qu'elle ne pouvait pas s'en souvenir précisément cette journée-là.

[52] Dans R. c. Côté, [2009] J.Q. no. 3900 (C.S.), le juge Brunton analyse la situation d'une dénonciation qui, à première vue, n'est pas assermentée en ce qu'aucune case n'est cochée et que le nom et la signature du juge de paix n'apparaissent nulle part. La dénonciation porte un nom de dénonciateur, mais le nom du dénonciateur et la date ont été changés. Le dénonciateur dont le nom apparaît explique quant à lui que, par sa façon normale de travailler, il peut être certain que chaque dénonciation est assermentée. Tout en voyant là un ensemble d'éléments qui font de ce cas un cas d'espèce où il n'y a pas lieu d'intervenir dans la décision du juge de première instance de conclure à l'absence d'assermentation, le juge Brunton n'endosse pas la position de ce dernier quant à son affirmation qu'un récit sur la façon de travailler d'une personne ne puisse être suffisant pour combler l'omission d'une signature.

[53] La définition de serment que fournit l'art. 35 de la Loi d'interprétation prévoit que les formulations comportant les verbes « déclarer » ou « affirmer » équivalent à l'expression sous serment lorsque la déclaration ou l'affirmation solennelle peut tenir lieu de serment. J'en comprends qu'il s'agit là d'un minimum requis.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...