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dimanche 23 mars 2025

L'exercice du droit protégé par l’al. 10 b) peut être suspendu dans des circonstances exceptionnelles pour des motifs de sécurité et de préservation de la preuve

R. c. Aykin, 2019 QCCS 1372

Lien vers la décision


[36]        L’al. 10 b) de la Charte garantit le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Cependant, ce droit peut être suspendu dans des circonstances exceptionnelles pour des motifs de sécurité et de préservation de la preuve. À cet égard, la Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge Richard Wagner, affirme ce qui suit dans l’arrêt R. c. Archambault2012 QCCA 20, au par. 36 :

[36]   Il est maintenant acquis que la suspension du droit à l'avocat sera justifiée en présence de circonstances exceptionnelles : si la sécurité des policiers ou celle du public est menacée, s'il existe un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu'une autre opération policière en cours puisse être compromise.

[37]        Plus récemment, dans l’arrêt R. c. Rover2018 ONCA 745, aux par. 25-28, la Cour d’appel de l’Ontario, dans des motifs du juge Doherty, explique ceci :

[25]   Section 10(b) obliges the police to advise a detained person of the right to speak with counsel without delay and, if the detained person exercises that right, the police must immediately provide the detainee with a reasonable opportunity to speak to counsel: R. v. Suberu2009 SCC 33, [2009] 2 S.C.R. 460, at paras. 38, 42; R. v. Bartle1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 S.C.R. 173, at pp. 191-92.

[26]   The s. 10(b) jurisprudence has, however, always recognized that specific circumstances may justify some delay in providing a detainee access to counsel. Those circumstances often relate to police safety, public safety, or the preservation of evidence. For example, in R. v. Strachan1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 S.C.R. 980, the court accepted that the police could delay providing access to counsel in order to properly gain control of the scene of the arrest and search for restricted weapons known to be at the scene. Subsequent cases have accepted that specific circumstances relating to the execution of search warrants can also justify delaying access to counsel until the warrant is executed: see e.g. R. v. Learning2010 ONSC 3816, 258 C.C.C. (3d) 68, at paras. 71-75.

[27]   These cases have, however, emphasized that concerns of a general or non-specific nature applicable to virtually any search cannot justify delaying access to counsel. The police may delay access only after turning their mind to the specifics of the circumstances and concluding, on some reasonable basis, that police or public safety, or the need to preserve evidence, justifies some delay in granting access to counsel. Even when those circumstances exist, the police must also take reasonable steps to minimize the delay in granting access to counsel: see e.g. R. v. Patterson2006 BCCA 24, 206 C.C.C. (3d) 70, at para. 41R. v. Soto2010 ONSC 1734, at paras. 67-71Learning, at para. 75R. v. Wu2017 ONSC 1003, 35 C.R. (7th) 101, at para. 78.

[28]   Wu, at para. 78, provides a helpful summary of the law. That summary includes the following:

The assessment of whether a delay or suspension of the right to counsel is justified involves a fact specific contextual determination. The case law on this issue reveals some general guiding principles that provide a framework for this assessment:

a.      The suspension of the right to counsel is an exceptional step that should only be undertaken in cases where urgent and dangerous circumstances arise or where there are concerns for officer or public safety.

e.      Police officers considering whether circumstances justify suspending the right to counsel must conduct a case by case assessment aided by their training and experience. A policy or practice routinely or categorically permitting the suspension of the right to counsel in certain types of investigations is inappropriate. [Emphasis added.]

[38]        La suspension du droit à l’avocat survenue en l’espèce n’était aucunement justifiée. Les explications fournies par l’enquêteur principal ne tiennent pas la route. Il était totalement futile d’interdire les communications de M. Aykin après son arrestation pour empêcher la dissémination d’informations que ce soit pour préserver la preuve ou pour permettre la capture de M. Étienne. Les événements se sont produits plusieurs heures auparavant et plusieurs suspects sont impliqués. Un enquêteur avise M. Aykin au téléphone qu’il est recherché ce qui donne l’occasion à ce dernier de communiquer avec ses comparses incluant M. Étienne. La petite amie de M. Aykin est vraisemblablement elle aussi mise au courant. Ses parents savent qu’il est arrêté et un avocat est rapidement mandaté. Bref, bien des gens sont au courant des événements et de la situation de M. Aykin. Les informations peuvent amplement circuler.

[39]        De plus, même en considérant, aux fins de discussion, que la suspension du droit à l’avocat de M. Aykin était justifiée pendant que M. Étienne était encore recherché, la prolongation de cette suspension dans l’éventualité d’une hypothétique perquisition au domicile de la petite amie de M. Aykin était inacceptable. Les policiers ne pouvaient pas suspendre l’exécution du droit à l’avocat sur la base d’un espoir incertain de découvrir une preuve. Selon les arrêts Archambault et Rover, précités, le risque de perte ou de destruction de la preuve doit être réel et imminent. De surcroît, en arrêtant M. Aykin comme ils l’ont fait, les policiers se sont eux-mêmes placés dans une situation où ils devaient se conformer à leurs obligations en vertu de l’al. 10 b) de la Charte avant de connaitre l’adresse du domicile en question. L’urgence « ne naît pas de la seule recherche d'efficience en matière d'enquête et d'établissement de la preuve (…) » (R. c. Prosper1994 CanLII 65 (CSC), [1994] 3 RCS 236, p. 275).

[40]        En définitive, le témoignage de l’enquêteur principal et l’ensemble de la preuve lors du voir-dire révèlent que la décision de suspendre l’exécution du droit à l’avocat n’était pas fondée sur des raisons valables, mais plutôt sur une crainte générale et non fondée à l’égard de ce droit fondamental.

[41]        Par ailleurs, les policiers ne doivent pas dénigrer les conseils de l’avocat « dans le but ou avec comme résultat exprès de miner la confiance de l'accusé en son avocat et sa relation avec lui. Il ne sert à rien que l'al. 10b) de la Charte garantisse le droit à l'assistance d'un avocat si les autorités chargées d'appliquer la loi sont en mesure de miner la confiance de l'accusé en son avocat ou la relation entre un avocat et son client °» (R. c. Burlingham, 1995 CanLII 88 (CSC), [1995] 2 RCS 206, par. 14; voir aussi R. c. Singer (1999) 1999 CanLII 12875 (SK KB), 25 CR (5th) 374 (C.A.S.), par. 29-39).

[42]        Dans les circonstances de la présente affaire, la suspension injustifiée du droit à l’avocat et la conduite de l’interrogatoire ont assurément eu l’effet cumulatif de miner la confiance de M. Aykin envers son avocat et les conseils donnés par ce dernier.

[43]        Le Tribunal n’ignore pas les enseignements de l’arrêt R. c. Singh2007 CSC 48 (CanLII), [2007] 3 RCS 405, par. 43-52, selon lesquels le policier peut habituellement poursuivre l’interrogatoire d’un suspect qui invoque son droit au silence et ceux de l’arrêt R. c. Sinclair2010 CSC 35 (CanLII), [2010] 2 RCS 310, par. 43-46, selon lesquels le suspect a droit à une seule consultation juridique à moins d’un changement de circonstances. Il s’agit ici de toute autre chose. Les policiers ont empêché M. Aykin de communiquer avec son avocat durant plusieurs heures alors qu’il était en détention – dans une cellule sèche de surcroit – puis ils ont ignoré et même subtilement discrédité les conseils de son avocat lors d’un long interrogatoire. Considérée globalement, la conduite policière a diminué de façon inappropriée la valeur du droit à l’avocat (R. c. Othman2018 ONCA 1073, par. 18).

Cadre juridique relatif à la suspension ou au retardement de l'exercice du droit à l'avocat par le suspect

R. v Shang En Wu, 2017 ONSC 1003

Lien vers la décision


[75] Section 10(b) of the Charter guarantees that upon arrest or detention every person shall have the right to retain and instruct counsel without delay. The rationale for the right was discussed by the Supreme Court of Canada in R. v. Suberu2009 SCC 33, at para 42:

     [T]he purpose of s. 10(b) is to ensure that individuals know of their right to counsel and have access to it, in situations where they suffer a significant deprivation of liberty due to state coercion which leaves them vulnerable to the exercise of state power and in a position of legal jeopardy. Specifically, the right to counsel is meant to assist detainees regain their liberty, and guard against the risk of involuntary self-incrimination.

[76] The right to counsel is broken down into informational and implementational components. The informational component requires that the police advise the detainee of his or her right to retain and instruct counsel without delay and that the detainee be advised of the existence of Legal Aid and duty counsel. The implementational component requires that the police provide a detainee with a reasonable opportunity to exercise the right to counsel and that the police refrain from eliciting evidence from the detainee until he or she has had a reasonable opportunity to exercise the right to counsel: see R. v. Bartle, (1994), 1994 CanLII 64 (SCC), 92 C.C.C. (3d) 289 at 301 (S.C.C.).

[77] The case law has recognized that the implementational duties can be delayed in circumstances of urgency or danger. The genesis of the authority to delay the implementational component of the right to counsel is found in R. v. Strachan1988 CanLII 25 (SCC) at para 34, where Chief Justice Dickson found that a two-hour delay was justified in a case where police were executing a search warrant at home where guns might be present. He explained:

The combination of an arrest in the accused’s home, the presence of two unknown people, and the knowledge that two restricted weapons were in the apartment, was a potentially volatile situation. It is true that the accused had the proper registration permits for the weapons, but, notwithstanding, the possibility of their use was a serious matter for a police officer to consider while taking a person into custody. In my opinion, Constable Bisceglia was justified in preventing any new factors from entering the situation until some of the unknowns had been clarified. Thus I would say that the violation of s. 10(b) did not occur when Constable Bisceglia initially prevented the appellant from telephoning his counsel. But once the accused had been arrested, the weapons located, and the other two people had left, the police were clearly in control and there was no reason why they should not have allowed the appellant to telephone a lawyer. I would hold that the denial of counsel began at that point.

[78] The assessment of whether a delay or suspension of the right to counsel is justified involves a fact specific contextual determination. The case law on this issue reveals some general guiding principles that provide a framework for this assessment:

a.   The suspension of the right to counsel is an exceptional step that should only be undertaken in cases where urgent and dangerous circumstances arise or where there are concerns for officer or public safety. Effectively, the right to counsel should not be suspended unless exigent circumstances exist: see R. v. Bartleat p. 19; R. vSuberuat para. 42; and R. v. Learning, 2010 ONSC 3816 at para. 75.

b.   There is no closed list of scenarios where a delay or suspension of the right to counsel is justified. However, the following general categories emerge from the case law:

                                                              i.      Cases where there are safety concerns for the police, see R. v. Grant2015 ONSC 1646 at para. 107R. v. J.J.2010 ONSC 735 at paras 276-8, and R. v. Learning, at para. 75;

                                                            ii.      Cases where there are safety concerns for the public, see R. v. Thind2011 ONSC 2054 at paras. 113-15 and 122;

                                                         iii.      Cases where there safety concerns for the accused, see R. v. Strehl2006 CanLII 39572 (ONSC) at para. 4;

                                                         iv.      Cases where there are medical concerns, see R. v. Willier2010 SCC 37 at para. 8 and R. v. Taylor2014 SCC 50 at para. 31;

                                                            v.      Cases where there is a risk of destruction of evidence and/or an impact on an ongoing investigation, see R. v. Rover2016 ONSC 4795 at para. 66 and 70R. v. Kiloh2003 BCSC 209 at para. 15 and 38, and R. v. Salmon2012 ONSC 1553 at para. 92; and,

                                                         vi.      Cases where practical considerations such as lack of privacy, the need for an interpreter or an arrest at a location that has no telephone access justify some period of delay, see R. v. J.(K.W.), 2012 NWTCA 3 at para. 29-30, and R. v. Khairi2012 ONSC 5549.

c.   The right to counsel cannot be suspended simply on the basis that a search warrant is pending, see R. v. Soto2010 ONSC 1734 at para. 69, and R. v. Liew and Yu2012 ONSC 1826 at para.70.

d.   A general or bald assertion of “officer safety” or “destruction of evidence” concerns will not justify a suspension of the right to counsel, see R. v. Patterson, 2006 BCCA 24 at para 41-42, and R. v. Proulx, 2016 ONCJ 352 at para.47.

e.   Police officers considering whether circumstances justify suspending the right to counsel must conduct a case by case assessment aided by their training and experience. A policy or practice routinely or categorically permitting the suspension of the right to counsel in certain types of investigations is inappropriate.

f.     The suspension of the right must be only for so long as is reasonably necessary, see: R. v. Mazza2016 ONSC 5581, at para. 83. In this regard, the police should be vigilant to ensure that once the decision has been made to suspend the right to counsel, steps are taken to review the matter on a continual basis. The suspension is not meant to be permanent or convenient. The police must still comply with the implementational component as soon as circumstances reasonably permit. A decision to suspend rights that is initially justifiable may no longer be justified if the police subsequently fail to take adequate steps to ensure that the suspension is as limited as is required in the circumstances.

g.   The longer the delay, the greater the need for justification. The right to counsel must be given “without delay.” The case law addressing the length of time the right to counsel has been suspended has examined periods of time as short as several minutes up to an extreme example of a suspension of the right to counsel for a period of approximately 26 hours; see Blakely v. Parker2007 CanLII 33123 (ON SCDC). In the latter case, the police were executing a warrant to seize multiple firearms from a known violent family and the target of the search was known to be part of a criminal organization that was willing to confront and shoot police.

h.   The suspension of the right to counsel must be communicated to the detainee, see: R. v. Rover, 2016 ONSC 4785 at para. 70.

samedi 22 février 2025

Revue du droit quant à l’inhabilité d’un avocat

R. c. Harrison, 2018 QCCQ 18387

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La demande doit être présentée promptement

[7]         Lorsque l’inhabilité d’un avocat est en jeu, il importe d’intervenir rapidement plutôt que de maintenir un climat de doute et de malaise qui, au fil du temps, pourrait entacher l’image supérieure de la justice, tant à l’égard des parties que du public[1]. Une telle demande doit donc être traitée à la première occasion possible, dès qu’il y a une indication qu’un tel problème arrive ou pourrait arriver[2]. Par ailleurs, cette question peut être soulevée à toute étape des procédures, que ce soit par un accusé, par son avocat, par la poursuivante ou par le juge du procès[3]. Si une demande est présentée tardivement, il est possible que la partie qui l’a soulevée doive supporter, en tout ou en partie, le poids du délai qui s’en suit[4].

Le rôle du juge de procès

[8]         Il est acquis que les tribunaux, dans l’exercice de leur pouvoir de surveillance à l’égard de l’administration de la justice, ont compétence pour interdire à un avocat de représenter un accusé[5].

[9]         Lorsqu’une demande d’inhabilité est présentée avant ou pendant le procès, le Tribunal doit analyser non seulement les situations de conflit d’intérêts réel, mais également anticiper les risques de conflits d’intérêts potentiels qui pourraient apparaître lors du procès[6]. Le juge doit alors procéder à une analyse « prospective and protective »[7] en ayant recours à de la spéculation éclairée pour en arriver à une décision[8]. Dans l’arrêt R. v. Widdifield, le juge Doherty, J.C.A., résume ainsi la démarche à suivre:

Where the issue is raised at trial, the court must be concerned with actual conflicts of interests and potential conflicts that may develop as the trial unfolds. In deciding whether counsel should be permitted to act for co-accused, trial judges must, to some degree, speculate as to the issues which may arise and the course the trial will take. The trial judges' task is particularly difficult since they cannot be privy to the confidential discussions which may have passed between the clients and counsel and which may reveal the source of potential conflicts. Given those circumstances, trial judges must proceed with caution and when there is any realistic risk of a conflict of interests they must direct that counsel not act for one or perhaps either accused[9].

[10]      En raison des ressources judiciaires limitées, le Tribunal doit s’assurer qu’un procès à venir n’est pas, dès le départ, fragilisé par un risque potentiel de conflit d’intérêts[10]. Une déclaration d’inhabilité peut devenir nécessaire pour éviter le risque de l’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels, pour éviter le risque de représentation déficiente et pour préserver la considération dont jouit l’administration de la justice[11]. La déclaration d’inhabilité est une mesure de dernier ressort[12] qui doit être rendue que lorsque cela est nécessaire pour assurer l’apparence d’un procès juste et équitable et pour maintenir la confiance du public en l’administration de la justice[13].

[11]      Pour le juge saisi d’une telle demande, il s’agit toujours d’une tâche délicate. D’autant plus qu’un avocat déclaré inhabile ne dispose pas d’un droit d’appel lorsqu’il se voit déclarer inhabile[14].

L’avocat de son choix

[12]        Bien que tout accusé ait le droit constitutionnel fondamental d’être représenté par l’avocat de son choix[15], ce droit n’est toutefois pas absolu[16]. L’analyse de tout conflit d’intérêts réel ou potentiel doit être mise en balance avec ce droit[17].

[13]        Par ailleurs, ce n’est qu’en présence de raisons sérieuses et contraignantes qu’un avocat sera déclaré inhabile à représenter un client[18]. Ainsi, une demande d’inhabilité ne doit pas être accordée pour des raisons d’ordre purement tactique ou dans le but de court-circuiter le droit d’un accusé de retenir l’avocat de son choix[19].

[14]        Cela dit, s’il n’est pas possible de concilier la protection de l’intégrité du système judiciaire avec le droit d’une partie à être représentée par l’avocat de son choix, le Tribunal doit prioriser le premier aspect[20].

Le devoir de prudence de l’avocat

[15]        Le rôle primordial de l’avocat est de défendre avec acharnement les intérêts de son client, dans le respect de la loi et de la déontologie. Tout accusé a le droit d’être défendu par un avocat compétent et de recevoir de celui-ci une représentation adéquate et effective[21]. L’importance de l’avocat est primordiale, car c’est lui qui contrôle véritablement la défense de son client et qu’il lui revient d’arrêter les stratégies de défense[22].

[16]        Compte tenu de son rôle, l’avocat doit s’assurer, de préférence avant d’accepter de défendre plusieurs accusés, qu’il n’y a pas de risque de conflits[23]. Également, en tant qu’officier de justice, l’avocat qui s’engage dans un procès doit éviter que ses actions puissent le placer en cours de procès dans une situation potentielle de conflits d’intérêts[24].

La représentation simultanée

[17]        Il n’existe aucune règle générale prohibant qu’un avocat puisse représenter des coaccusés lors d’un procès conjoint[25]. Le seul fait qu’un même avocat représente deux coaccusés ne permet pas, en soi, de conclure à un conflit d’intérêts[26]. Toutefois, un avocat qui représente plus d’un accusé dans un procès conjoint se place dans une situation de conflit d’intérêts potentiel et risque de ne pouvoir remplir son devoir de loyauté sans partage à l’égard de chacun de ses clients[27].

[18]        L’avocat qui assume la défense conjointe de coaccusés porte donc le lourd fardeau de s’assurer qu’il ne se retrouve pas en position de faire valoir des intérêts qui sont ou qui peuvent devenir contradictoires[28]. En tentant de servir deux maîtres, l’avocat peut desservir les intérêts de l’un ou des deux[29].

[19]        Le juge Paul Chevalier, J.C.Q., dans la cause R. c. Labelle, illustre très bien cette difficulté lorsqu’il indique qu’un :

[13]   (…) avocat qui représente des coaccusés dans une même cause n'explorera certainement pas la possibilité de tenter de négocier un plaidoyer de culpabilité de l'un des accusés en échange d'un témoignage contre les autres, même si cela pourrait être à l'avantage de ce client; un avocat peut être tenté de ne pas contester une preuve préjudiciable pour un de ses clients, mais favorable à l'autre; un avocat se retiendra, au stade de la détermination de la peine, d'insister sur la participation relative d'un de ses clients au crime, ce qui aurait pour effet de minimiser la responsabilité de ce client et sa peine, mais augmenterait par ricochet celle de l'autre. Ces exemples sont illustrés dans l'arrêt Silvini précité.[30]

[20]        De plus, en matière de représentation conjointe, l’avocat doit avoir une vision à long terme et prévoir les dangers et possibilités de conflit d’intérêts[31]. D’ailleurs, l’article 84 du Code de déontologie des avocats[32] édicte une démarche préventive de la part d’un avocat avant qu’il agisse pour plus d’un client dans le cadre d’un mandat commun. L’avocat doit obtenir préalablement leur consentement après les avoir informés, notamment, qu’advenant un différend entre eux, il pourrait devoir cesser d’agir pour eux. En somme, le fait d’agir pour plusieurs clients devrait inspirer à tout avocat une grande prudence et il devrait être sûr que les intérêts de ses clients resteront toujours compatibles[33].

Le devoir de loyauté de l’avocat

[21]        L’intégrité du processus judiciaire relève de l’ordre public général[34]. Or, le devoir de loyauté d’un avocat envers son client est essentiel à l’intégrité de l’administration de la justice[35]. Par ailleurs, l’intérêt du public dans l’intégrité et l’équité du processus judiciaire est accru dans les affaires criminelles comparativement au litige privé[36].

[22]        Cela dit, le devoir de loyauté d’un avocat envers son client comporte trois aspects principaux : le devoir d’éviter les conflits d’intérêts; le devoir de dévouement à la cause du client; et, le devoir de franchise envers son client pour les questions pertinentes quant au mandat[37].

[23]        Ce devoir exige que l’avocat soit libre de toute contrainte qui pourrait l’entraver ou le gêner dans la défense pleine et entière de son client[38]. De plus, le devoir de tout avocat de se dévouer à son client constitue un principe de justice fondamentale[39]. Ce devoir existe dès le moment où les services de l’avocat sont retenus[40]. Le juge Doherty, J.C.A., exprime parfaitement l’ampleur du devoir qui incombe à l’avocat à l’égard de son client :

Counsel must be competent in order to render effective assistance. No one suggests that the appellants' counsel was incompetent. The accused is, however, entitled to more than competence. A lawyer can render effective assistance only when that lawyer gives the accused's cause the undivided loyalty which is a prerequisite to proper legal representation. Within the limits imposed by legal and ethical constraints, the lawyer must champion the accused's cause without regard to counsel's personal interests or the interests of anyone else. This duty of undivided loyalty not only serves and protects the client, but is essential to the maintenance of the overall integrity of the justice system[41].

Le fardeau de preuve

[24]        Il appartient à la partie qui allègue une situation de conflit d’intérêts d’en démontrer l’existence[42]. Pour décider s’il existe un conflit d’intérêts, le Tribunal doit prendre en considération les valeurs suivantes : le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité du système judiciaire; le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l’avocat de son choix; la mobilité raisonnable qu’il est souhaitable de permettre au sein de la profession d’avocat[43].

La présence d’un risque sérieux

[25]        Pour qu’une demande d’inhabilité soit accordée, il faut qu’il y ait une base ou connexion raisonnable sous-tendant un conflit d’intérêts[44]. Un conflit de loyauté n’a pas à se manifester concrètement pour constituer une entrave à la représentation efficace du client. En cette matière, on n’exige pas la certitude de l’existence d’un conflit d’intérêts[45] ou une preuve hors de tout doute[46], ni la preuve d’une probabilité[47].

[26]        Il suffit qu’il y ait la présence d’une simple possibilité[48] d’un risque sérieux de conflit, présent ou futur, pouvant nuire de façon appréciable à la représentation du client[49].

[27]        Dans l’arrêt R. c. Harrison, la Cour d’appel souligne que :

[37]     (…) l’atteinte au devoir de loyauté n’a pas à se manifester concrètement pour constituer une entrave à la représentation efficace. La seule présence d’un risque sérieux de nuire de façon appréciable à la représentation du client suffit. Ici, nous sommes dans le domaine de l’apparence et non de la certitude de l’existence d’un conflit, tout comme il doit s’agir d’une simple possibilité et non d’une probabilité de préjudice pour la partie elle-même[50].

[43]     La partie et la Cour doivent être assurées que l’avocat ne partage pas sa loyauté avec une autre cause de sorte « à mettre en sourdine » certains moyens ou arguments en vue de servir des intérêts étrangers à l’affaire. En ce domaine et quitte à le redire, l’apparence est tout aussi déterminante que la réalité. Aussi, la règle interdisant les conflits d’intérêts exige que l’avocat ne soit pas aveuglé par la défense de ses propres intérêts ou ceux d’un tiers, au détriment de ceux de son client.

[28]        Le Tribunal fait également siens les propos de la juge Mélanie Hébert, J.C.Q. :

[15]    Lorsqu’il est question d’un conflit de loyauté parce que l’avocat représente simultanément deux clients, il faut se demander si cette représentation simultanée risque sérieusement de compromettre l’efficacité de la représentation offerte aux clients. Par exemple, l’avocat s’empêchera-t-il de poser des questions, de présenter des arguments ou une défense potentiellement favorables à un de ses clients pour ne pas nuire à l’autre client? L’avocat s’empêchera-t-il d’explorer la possibilité de négocier un plaidoyer de culpabilité pour l’un de ses clients, en échange d’un témoignage contre l’autre? L’avocat sera-t-il en mesure de nuancer ses représentations sur la peine compte tenu de l’implication différente de ses différents clients?[51] 

Utilisation d’une approche contextuelle

[29]        Chaque demande d’inhabilité constitue un cas d’espèce qui doit être tranché à la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes[52]. En cette matière, il ne peut être question d’automatisme[53].

Une analyse en deux étapes

[30]        Pour déterminer l’existence d’un conflit d’intérêts, le Tribunal doit procéder en deux étapes[54]. Il doit d’abord déterminer si la « règle de la démarcation très nette » trouve application. Cette règle ne s’applique que si les intérêts juridiques immédiats des clients s’opposent directement dans le dossier où occupe l’avocat[55].

[31]        Ensuite, si la règle ne s’applique pas, le Tribunal doit se demander si la représentation simultanée de clients risque sérieusement de compromettre l’efficacité de la représentation du client par l’avocat[56].

Le Code de déontologie des avocats

[32]        Il est reconnu que le Code de déontologie des avocats constitue un important énoncé de principes lors de l’analyse d’une demande d’inhabilité[57]. Le Tribunal peut prendre en considération celui-ci, d’autant plus qu’il a force de loi au Québec[58] et qu’il est d’ordre public de direction[59]. Cependant, une demande d’inhabilité va au-delà de savoir si le Code est respecté ou non[60] ni ne saurait reposer uniquement sur l’opinion de l’avocat quant au respect de ses règles déontologiques[61].

La renonciation d’un client

[33]        Il est reconnu qu’un client a la possibilité de renoncer à invoquer une situation conflictuelle impliquant son avocat. Toutefois, cette renonciation doit être expresse, libre, volontaire et éclairée[62].

[34]        Sans qu’il s’agisse d’une exigence formelle, il est préférable que la partie qui renonce obtienne préalablement un avis juridique d’un avocat indépendant[63].

[35]        À cet égard, le Tribunal doit faire preuve de prudence lorsque des coaccusés désirent conserver le même avocat malgré la présence d’un conflit d’intérêts puisque ceux-ci n’ont pas de formation en droit, ne connaissent pas les règles éthiques et déontologiques applicables et ne sont pas familiers avec le savoir-faire propre aux avocats[64].

[36]        Cela dit, les renonciations, les consentements ou les conseils juridiques ne sont pas déterminants[65], car si le Tribunal estime qu’il y a un risque sérieux de conflit d’intérêts, il se doit d’intervenir[66].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Celui qui propose d'acheter une arme à feu ou de la drogue ne peut pas être reconnu coupable de trafic de cette chose

R. v. Bienvenue, 2016 ONCA 865 Lien vers la décision [ 5 ]           In  Greyeyes v. The Queen  (1997),  1997 CanLII 313 (SCC) , 116 C.C.C. ...