MacDonald Brown c. R., 2009 NBCA 27
Lien vers la décision
[18] Toutes les parties acceptent que l’al. 10b) de la Charte impose à la police les deux obligations en matière d’information et de mise en application et reconnaissent que, en l’espèce, le policier s’est conformé à son obligation en matière d’information. Par conséquent, c’est la question de la portée de l’obligation en matière de mise en application que nous devons examiner pour résoudre la présente affaire. Dans l’arrêt R. c. Manninen, 1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233, [1987] A.C.S. no 41 (QL), le juge Lamer (tel était alors son titre) a précisé la portée de cette obligation dans les termes suivants :
D’abord, le policier doit donner au détenu une possibilité raisonnable d’exercer son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Le détenu est sous le contrôle de la police et il ne peut exercer son droit de recourir à un avocat que si elle lui donne une possibilité raisonnable de le faire. Cet aspect du droit à l’assistance d’un avocat a été reconnu en droit canadien bien avant l’avènement de la Charte. Dans l’arrêt Brownridge c. La Reine, 1972 CanLII 17 (CSC), [1972] R.C.S. 926, fondé sur la Déclaration canadienne des droits, le juge Laskin, alors juge puîné, écrit à la p. 953 :
Le droit de retenir et constituer un avocat sans délai ne peut servir à une personne arrêtée ou détenue que si l’on considère qu’il entraîne de la part des autorités policières l’obligation corrélative de faciliter le recours à l’avocat. Cela veut dire qu’à la demande de cette personne, on doit lui permettre d’utiliser le téléphone à cette fin s’il en est un de disponible.
Les tribunaux d’instance inférieure ont constamment reconnu l’obligation de faciliter le recours à un avocat en vertu de l’al. 10b) de la Charte : R. v. Nelson (1982), 1982 CanLII 3760 (MB KB), 3 C.C.C. (3d) 147 (B.R. Man.), R. v. Anderson (1984), 1984 CanLII 2197 (ON CA), 10 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.), R. v. Dombrowski (1985), 1985 CanLII 182 (SK CA), 18 C.C.C. (3d) 164 (C.A. Sask.), et la Cour d’appel de l’Ontario en l’espèce. Dans l’arrêt Dombrowski, la cour a jugé que lorsqu’un téléphone est disponible avant même l’arrivée au poste de police, rien ne justifie de retarder la possibilité d’entrer en communication avec un avocat jusqu’à l’arrivée au poste. [p. 1241-1242]
[19] Toutefois, quelques mois plus tard, dans l’arrêt R. c. Tremblay, 1987 CanLII 28 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 435, [1987] A.C.S. no 59 (QL), le juge Lamer a ajouté la réserve suivante :
En règle générale, si un détenu ne fait pas preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de ses droits, les obligations corollaires énoncées dans l’arrêt de cette Cour, R. c. Manninen, 1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233, qui sont imposées aux policiers dans le cas où le détenu a demandé l’assistance d’un avocat, sont suspendues et ne les empêchent pas de poursuivre leur enquête et de lui demander de donner un échantillon d’haleine. [p. 439]
[20] Les diverses obligations qui découlent de l’al. 10b) de la Charte et leurs modalités d’interaction ont été résumées dans l’arrêt R. c. Luong (G.V.) (2000), 271 A.R. 368, [2000] A.J. No. 1310 (QL), 2000 ABCA 301 :
[TRADUCTION]
En guise d’assistance aux juges de procès chargés de la lourde tâche de trancher pareilles questions en litige, nous offrons les orientations suivantes :
1. Il incombe à la personne qui affirme que son droit garanti par la Charte a été violé d’établir qu’il y a eu violation ou négation du droit garanti par la Charte.
2. L’alinéa 10b) impose aux autorités de l’État qui arrêtent une personne ou la placent en détention des obligations en matière d’information et en matière de mise en application.
3. L’obligation en matière d’information consiste à informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et à lui faire connaître l’existence et l’accessibilité de l’aide juridique et des avocats de service.
4. Les obligations en matière de mise en application sont doubles et prennent naissance lorsque la personne détenue indique qu’elle désire exercer son droit à l’assistance d’un avocat.
5. La première obligation en matière de mise en application consiste à « donner [à la personne détenue] la possibilité raisonnable [d’exercer son droit] (sauf en cas d’urgence ou de danger) ». Voir R. c. Bartle, 1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 173; 92 C.C.C. (3d) 289 (C.S.C.), à la page 192 [R.C.S.].
6. La deuxième obligation en matière de mise en application consiste à « s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger) ». Voir R. c. Bartle, précité, à la page 192 [R.C.S.].
7. Le juge du procès doit d’abord déterminer si, étant donné l’ensemble des circonstances, la police a accordé à la personne détenue une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat; il incombe à la Couronne d’établir que la personne détenue qui a invoqué le droit à l’assistance d’un avocat a obtenu une possibilité raisonnable d’exercer ce droit.
8. Si le juge du procès conclut qu’il y a eu violation de la première obligation en matière de mise en application, l’atteinte aux droits de la personne détenue est prouvée.
9. Si le juge du procès est convaincu que la première obligation en matière de mise en application a été respectée, ce n’est qu’alors qu’il peut examiner si la personne détenue qui a invoqué le droit à l’assistance d’un avocat a fait preuve d’une diligence raisonnable pour l’exercer, et il incombe à la personne détenue d’établir qu’elle a fait preuve d’une diligence raisonnable afin d’exercer ses droits. Voir R. c. Smith (1989), 1989 CanLII 27 (CSC), 50 C.C.C. (3d) 308 (C.S.C.), aux pages 315, 316 et 323.
10. Si on conclut que la personne détenue qui a invoqué le droit à l’assistance d’un avocat n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable pour l’exercer, ou bien les obligations en matière de mise en application ne prennent pas naissance du tout, ou bien elles sont suspendues. Voir R. c. Tremblay (1987), 1987 CanLII 28 (CSC), 37 C.C.C. (3d) 565 (C.S.C.), à la page 568, R. c. Ross (1989), 1989 CanLII 134 (CSC), 46 C.C.C. (3d) 129 (C.S.C.), à la page 135, R. c. Black (1989), 1989 CanLII 75 (CSC), 50 C.C.C. (3d) 1 (C.S.C.), à la page 13, R. c. Smith, précité, à la page 314, R. c. Bartle, précité, à la page 301 et R. c. Prosper, 1994 CanLII 65 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 236; 92 C.C.C. (3d) 353 (C.S.C.), aux pages 375 à 381, 400 et 401 [du recueil C.C.C.]. Dans de telles circonstances, aucune atteinte aux droits n’est prouvée.
11. Une fois qu’une personne détenue a affirmé son droit à l’assistance d’un avocat et a fait preuve d’une diligence opportune pour l’exercer (après avoir obtenu une possibilité raisonnable de l’exercer), si elle indique qu’elle a changé d’idée et ne veut plus d’avis juridique, la Couronne est tenue de prouver l’existence d’une renonciation valide à l’assistance d’un avocat. Dans un tel cas, les pouvoirs de l’État ont une obligation additionnelle en matière d’information : ils doivent « informer [la personne détenue] de son droit d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la police, au cours de cette période, de s’abstenir, tant que la personne n’aura pas eu cette possibilité raisonnable de prendre toute déposition ou d’exiger qu’elle participe à quelque processus qui pourrait éventuellement être incriminant » (c’est ce qu’on appelle parfois « la mise en garde prévue dans l’arrêt Prosper »). Voir R. c. Prosper, précité, à la page 274 [du R.C.S.]. En l’absence d’une telle mise en garde, une atteinte aux droits est prouvée.
[Le soulignement est le mien.]
[21] Au Nouveau-Brunswick, ce résumé a été mentionné dans la décision R. c. Chase (W.A.) (2006), 309 R.N.-B. (2e) 384, [2006] A.N.-B. no 415 (QL), 2006 NBBR 331, autorisation d’appel rejetée (2007), 314 R.N.-B. (2e) 122, [2007] A.N.-B. no 173 (QL), 2007 NBCA 39. Comme le résumé l’indique, l’élément de la mise en application du droit que garantit l’al. 10b) impose des obligations aussi bien aux policiers qu’aux personnes détenues. Les avocats dans le présent appel n’ont pas retenu une telle démarche à l’égard de l’analyse fondée sur l’al. 10b), bien que l’avocat représentant le procureur général ait fait observer qu’il avait besoin de certains éclaircissements concernant la délimitation de l’obligation de la police de fournir à la personne détenue une possibilité raisonnable et de l’obligation de diligence raisonnable imposée à la personne détenue. Je suis d’accord.
[22] Selon le résumé énoncé dans la décision Luong, il y a une nette délimitation entre l’obligation de la police de fournir à la personne détenue une possibilité raisonnable d’exercer le droit à l’assistance d’un avocat et l’obligation de la personne détenue de faire preuve d’une diligence raisonnable. Cette délimitation est évidente, compte tenu du fait que le juge du procès doit « d’abord déterminer si, étant donné l’ensemble des circonstances, la police a accordé à la personne détenue une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat » (par. 12) et que c’est seulement quand le juge est convaincu que cette obligation a été respectée qu’il examine la question de savoir si la personne détenue [TRADUCTION] « a fait preuve d’une diligence raisonnable » (par. 12) pour exercer ce droit.
[23] J’estime qu’il est peu réaliste dans chaque cas de catégoriser nettement les obligations qui découlent de l’élément de mise en application du droit que garantit l’al. 10b). Il en est ainsi parce que le premier principe directeur qui permet de trancher les questions de la « possibilité raisonnable » et de la « diligence raisonnable » est le besoin d’examiner l’ensemble des circonstances. Par conséquent, toute analyse qui exige que soit déterminée la « possibilité raisonnable » sans tenir compte de l’ensemble des circonstances ne constitue pas la démarche appropriée pour procéder à l’analyse fondée sur l’al. 10b). Le juge des faits doit considérer les faits globalement et décider si, dans [TRADUCTION] « l’ensemble des circonstances », on peut dire que la personne détenue n’a pas eu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Ces circonstances comprennent non seulement le comportement de la police, mais aussi celui de la personne détenue. Ce qui pourrait s’avérer raisonnable dans certains cas pourrait fort bien ne pas l’être dans d’autres cas.
[24] L’état des connaissances de la police constitue un fait primordial dans la détermination de ce qui est raisonnable dans les circonstances. Une mesure qui pourrait s’avérer raisonnable dans certaines circonstances pourrait s’avérer déraisonnable si elle est prise en toute connaissance de certains faits. Par exemple, le fait de fournir un annuaire téléphonique pour aider une personne détenue à trouver un avocat en particulier peut se révéler des plus pertinent pour déterminer l’existence d’une « possibilité raisonnable », mais le lui fournir sans plus, sachant qu’elle est analphabète, ne serait pas très utile. Lorsque les policiers connaissent ou devraient connaître certains faits, la mesure raisonnable à prendre peut être dictée par l’état de leurs connaissances. Cependant, lorsqu’ils ne connaissent pas certains faits que seule connaît la personne détenue et que celle-ci ne fait rien pour les leur faire connaître, une mesure différente peut devoir s’imposer. En pareil cas, la prise en compte de [TRADUCTION] « l’ensemble des circonstances » comprendrait la question de savoir si on devrait s’attendre raisonnablement que la personne détenue informe la police de certains faits, ce qui dépendrait de facteurs tels que toutes circonstances susceptibles d’empêcher la personne détenue de les faire connaître à la police ou de faire obstacle à sa capacité de les lui faire connaître, y compris le climat général dans lequel les événements se sont produits.
[25] À mon sens, il ne convient pas de tenter de tracer une ligne claire de délimitation entre les concepts de la « possibilité raisonnable » et de la « diligence raisonnable » s’il en résulte qu’on néglige de tenir compte de l’ensemble des circonstances lorsqu’on procède aux déterminations.
[26] À titre de proposition générale, [TRADUCTION] « [i]l vaut mieux laisser le juge des faits statuer sur les questions de la “possibilité raisonnable” et de la “diligence raisonnable” » : arrêt Luong, au par. 10. Toutefois, pour procéder à ces déterminations, le juge des faits doit appliquer les principes directeurs pertinents, sinon il commet une erreur de droit. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Lorsqu’elle a entrepris l’analyse fondée sur l’al. 10b), la juge du procès a négligé de considérer les faits dans leur globalité. Elle n’a pas cherché à déterminer si, dans l’ensemble des circonstances, on se serait attendu raisonnablement que M. Brown informe la police qu’il désirait communiquer avec un avocat en particulier et s’il s’agissait là d’un facteur pertinent pour déterminer ce qui constituait une « possibilité raisonnable » qui lui était offerte d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Son omission de tenir compte de « l’ensemble des circonstances » constitue une erreur qui justifie une intervention en appel. Aussi appartenait-il à la juge à la Cour d’appel en matière de poursuites sommaires d’examiner l’ensemble des circonstances et de procéder à la détermination.
[27] J’estime que la juge à la Cour d’appel en matière de poursuites sommaires a eu parfaitement raison de conclure que, dans les circonstances de l’espèce, l’al. 10b) n’a pas été violé. Elle a appliqué les principes pertinents, examiné l’ensemble des circonstances et est parvenue à une conclusion qui est raisonnable et qui est étayée par la preuve. Il s’agit d’une conclusion sur une question mixte de droit et de fait envers laquelle je dois faire montre de déférence. Quoi qu’il en soit, je me range à sa conclusion. Le dossier révèle que le policier a informé M. Brown de son droit de consulter un avocat de son choix ou un avocat de service de l’aide juridique et que M. Brown a indiqué qu’il comprenait ce que signifiaient ces droits. Il révèle également l’existence d’un climat de coopération entre M. Brown et l’agent Penny. Quand il a demandé à parler à ses parents, l’agent Penny a facilité l’appel téléphonique. Quand il a demandé à parler à un avocat, sans préciser lequel, encore une fois le policier a facilité l’appel. Après avoir parlé à l’avocat de service, il a accepté de fournir les échantillons de son haleine. Rien au dossier ne donne à entendre, d’une part, que les policiers ont fait quoi que ce soit pour l’empêcher d’exercer ses droits ou pour faire obstacle à cet exercice et, d’autre part, que les policiers savaient ou auraient dû savoir qu’il voulait appeler un avocat en particulier. Vu l’ensemble des circonstances, on ne peut pas affirmer qu’une possibilité raisonnable ne lui a pas été offerte d’exercer son droit. S’il voulait appeler un avocat en particulier, chose que lui seul savait alors, tout ce qu’il avait à faire était de le dire, ou bien après avoir parlé à sa mère, ou bien même après avoir parlé à l’avocat de service. Dans le climat de coopération qui régnait, on se serait attendu raisonnablement qu’il dise au policier quel était son choix. Son omission de communiquer cette information au policier constitue un facteur pertinent qui permet de déterminer si la police lui a offert une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Compte tenu de ces circonstances, la possibilité qui lui a été offerte d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat était une possibilité raisonnable. S’il n’a pas consulté un avocat de son choix, c’est parce qu’il n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de son droit. Je le répète, s’il voulait parler à un avocat en particulier, il aurait dû le dire.