R. c. Aykin, 2019 QCCS 1372
[36] L’al. 10 b) de la Charte garantit le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Cependant, ce droit peut être suspendu dans des circonstances exceptionnelles pour des motifs de sécurité et de préservation de la preuve. À cet égard, la Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge Richard Wagner, affirme ce qui suit dans l’arrêt R. c. Archambault, 2012 QCCA 20, au par. 36 :
[36] Il est maintenant acquis que la suspension du droit à l'avocat sera justifiée en présence de circonstances exceptionnelles : si la sécurité des policiers ou celle du public est menacée, s'il existe un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu'une autre opération policière en cours puisse être compromise.
[37] Plus récemment, dans l’arrêt R. c. Rover, 2018 ONCA 745, aux par. 25-28, la Cour d’appel de l’Ontario, dans des motifs du juge Doherty, explique ceci :
[25] Section 10(b) obliges the police to advise a detained person of the right to speak with counsel without delay and, if the detained person exercises that right, the police must immediately provide the detainee with a reasonable opportunity to speak to counsel: R. v. Suberu, 2009 SCC 33, [2009] 2 S.C.R. 460, at paras. 38, 42; R. v. Bartle, 1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 S.C.R. 173, at pp. 191-92.
[26] The s. 10(b) jurisprudence has, however, always recognized that specific circumstances may justify some delay in providing a detainee access to counsel. Those circumstances often relate to police safety, public safety, or the preservation of evidence. For example, in R. v. Strachan, 1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 S.C.R. 980, the court accepted that the police could delay providing access to counsel in order to properly gain control of the scene of the arrest and search for restricted weapons known to be at the scene. Subsequent cases have accepted that specific circumstances relating to the execution of search warrants can also justify delaying access to counsel until the warrant is executed: see e.g. R. v. Learning, 2010 ONSC 3816, 258 C.C.C. (3d) 68, at paras. 71-75.
[27] These cases have, however, emphasized that concerns of a general or non-specific nature applicable to virtually any search cannot justify delaying access to counsel. The police may delay access only after turning their mind to the specifics of the circumstances and concluding, on some reasonable basis, that police or public safety, or the need to preserve evidence, justifies some delay in granting access to counsel. Even when those circumstances exist, the police must also take reasonable steps to minimize the delay in granting access to counsel: see e.g. R. v. Patterson, 2006 BCCA 24, 206 C.C.C. (3d) 70, at para. 41; R. v. Soto, 2010 ONSC 1734, at paras. 67-71; Learning, at para. 75; R. v. Wu, 2017 ONSC 1003, 35 C.R. (7th) 101, at para. 78.
[28] Wu, at para. 78, provides a helpful summary of the law. That summary includes the following:
The assessment of whether a delay or suspension of the right to counsel is justified involves a fact specific contextual determination. The case law on this issue reveals some general guiding principles that provide a framework for this assessment:
a. The suspension of the right to counsel is an exceptional step that should only be undertaken in cases where urgent and dangerous circumstances arise or where there are concerns for officer or public safety.
…
e. Police officers considering whether circumstances justify suspending the right to counsel must conduct a case by case assessment aided by their training and experience. A policy or practice routinely or categorically permitting the suspension of the right to counsel in certain types of investigations is inappropriate. [Emphasis added.]
[38] La suspension du droit à l’avocat survenue en l’espèce n’était aucunement justifiée. Les explications fournies par l’enquêteur principal ne tiennent pas la route. Il était totalement futile d’interdire les communications de M. Aykin après son arrestation pour empêcher la dissémination d’informations que ce soit pour préserver la preuve ou pour permettre la capture de M. Étienne. Les événements se sont produits plusieurs heures auparavant et plusieurs suspects sont impliqués. Un enquêteur avise M. Aykin au téléphone qu’il est recherché ce qui donne l’occasion à ce dernier de communiquer avec ses comparses incluant M. Étienne. La petite amie de M. Aykin est vraisemblablement elle aussi mise au courant. Ses parents savent qu’il est arrêté et un avocat est rapidement mandaté. Bref, bien des gens sont au courant des événements et de la situation de M. Aykin. Les informations peuvent amplement circuler.
[39] De plus, même en considérant, aux fins de discussion, que la suspension du droit à l’avocat de M. Aykin était justifiée pendant que M. Étienne était encore recherché, la prolongation de cette suspension dans l’éventualité d’une hypothétique perquisition au domicile de la petite amie de M. Aykin était inacceptable. Les policiers ne pouvaient pas suspendre l’exécution du droit à l’avocat sur la base d’un espoir incertain de découvrir une preuve. Selon les arrêts Archambault et Rover, précités, le risque de perte ou de destruction de la preuve doit être réel et imminent. De surcroît, en arrêtant M. Aykin comme ils l’ont fait, les policiers se sont eux-mêmes placés dans une situation où ils devaient se conformer à leurs obligations en vertu de l’al. 10 b) de la Charte avant de connaitre l’adresse du domicile en question. L’urgence « ne naît pas de la seule recherche d'efficience en matière d'enquête et d'établissement de la preuve (…) » (R. c. Prosper, 1994 CanLII 65 (CSC), [1994] 3 RCS 236, p. 275).
[40] En définitive, le témoignage de l’enquêteur principal et l’ensemble de la preuve lors du voir-dire révèlent que la décision de suspendre l’exécution du droit à l’avocat n’était pas fondée sur des raisons valables, mais plutôt sur une crainte générale et non fondée à l’égard de ce droit fondamental.
[41] Par ailleurs, les policiers ne doivent pas dénigrer les conseils de l’avocat « dans le but ou avec comme résultat exprès de miner la confiance de l'accusé en son avocat et sa relation avec lui. Il ne sert à rien que l'al. 10b) de la Charte garantisse le droit à l'assistance d'un avocat si les autorités chargées d'appliquer la loi sont en mesure de miner la confiance de l'accusé en son avocat ou la relation entre un avocat et son client °» (R. c. Burlingham, 1995 CanLII 88 (CSC), [1995] 2 RCS 206, par. 14; voir aussi R. c. Singer (1999) 1999 CanLII 12875 (SK KB), 25 CR (5th) 374 (C.A.S.), par. 29-39).
[42] Dans les circonstances de la présente affaire, la suspension injustifiée du droit à l’avocat et la conduite de l’interrogatoire ont assurément eu l’effet cumulatif de miner la confiance de M. Aykin envers son avocat et les conseils donnés par ce dernier.
[43] Le Tribunal n’ignore pas les enseignements de l’arrêt R. c. Singh, 2007 CSC 48 (CanLII), [2007] 3 RCS 405, par. 43-52, selon lesquels le policier peut habituellement poursuivre l’interrogatoire d’un suspect qui invoque son droit au silence et ceux de l’arrêt R. c. Sinclair, 2010 CSC 35 (CanLII), [2010] 2 RCS 310, par. 43-46, selon lesquels le suspect a droit à une seule consultation juridique à moins d’un changement de circonstances. Il s’agit ici de toute autre chose. Les policiers ont empêché M. Aykin de communiquer avec son avocat durant plusieurs heures alors qu’il était en détention – dans une cellule sèche de surcroit – puis ils ont ignoré et même subtilement discrédité les conseils de son avocat lors d’un long interrogatoire. Considérée globalement, la conduite policière a diminué de façon inappropriée la valeur du droit à l’avocat (R. c. Othman, 2018 ONCA 1073, par. 18).