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vendredi 12 janvier 2018

L'absence d'heure et de date d'exécution du mandat le rendait illégal et abusif.

Auclair c. R., 2012 QCCS 7244 (CanLII)

Lien vers la décision

[47]        Les requérants argumentent que l'absence d'heure et de date d'exécution du mandat le rendait illégal et abusif. Ils appuient leurs arguments sur un jugement de cette Cour, R. c. Parasiris 2008 QCCS 2460 (CanLII)2008 QCCS 2460 (Cournoyer j.c.s.). Dans cette affaire, la Cour avait devant elle un mandat émis en vertu de l'article 11 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1999, ch. 19. La Cour a conclut :
[117]     Un mandat émis en vertu de l'art. 11 de la LDAS doit préciser spécifiquement qu'il peut être exécuté à tout moment. Cette mention était nécessaire même si l’article 11 de la LDAS prévoit l’exécution d'une perquisition à tout moment. La loi ne peut suppléer à l'absence de mention dans le mandat et cette omission ne peut être qualifiée de simple vice de forme.
[118]     Un mandat de perquisition est le jugement du juge qui autorise une perquisition. Selon Genest, un mandat qui ne comporte aucune inscription dans l'espace réservé au moment de son exécution est nul.
[48]        Le soussigné est d'accord avec l'interprétation de l'arrêt Genest adopté par le juge Cournoyer, j.c.s. Il n'y a rien à distinguer dans la présente affaire. La Cour conclut que le mandat de perquisition émis pour fouiller le local en mai 1995 était nul et contrevenait à l'article 8 de la Charte.

Un mandat qui ne comporte aucune inscription dans l'espace réservé au moment de son exécution est nul.

R. c. Parasiris, 2008 QCCS 2460 (CanLII)

Lien vers la décision

[102]      Normalement une perquisition en vertu de l'article 488 du Code criminel doit être exécutée de jour:
This section limits the time of day for the execution of a warrant. Time is, of course, measured according to local time. If an investigator wishes to have the justice endorse the warrant with some different time for execution, the Information to Obtain should set out the reasons for such a departure from the norm. It is important to remember that such an endorsement is a significant extension on an already intrusive state act and a failure to justify it in the application materials might result in the warrant being quashed. A situation of urgency might necessitate immediate execution of the warrant, as might the need to enter with notice to the holder of the property, but without notice to some other party.

Warrants are presumptively to be executed "by day". Day is defined as the period between 6 a.m. and 9 p.m. If a s. 487 warrant is to be executed outside this time frame the officer is obliged to describe his or her reasons for requesting this extraordinary power. A night search is only to be used in "exceptional circumstances.

In general, there must be some reason that requires that the warrant be executed before morning. This reason might include concern that criminal activity is ongoing or that evidence will be destroyed or obscured if action is not taken before day.
(Les références sont omises)
[103]      Contrairement à l'article 488 du Code criminel, l’article 11 de la LDAS autorise l’exécution d’une perquisition à tout moment.
[104]      La constitutionnalité de cet article n’est pas soulevée par M. Parasiris.
[105]      M. Parasiris ne recherche pas non plus une interprétation atténuée «reading down» de l’article 11 pour y inclure l’exigence à l'effet que l’exécution de nuit doit être fondée sur des motifs établissant la nécessité. 
[106]      Une telle interprétation atténuée qui est une réparation à une conclusion d'inconstitutionnalité aurait exigé un avis au Procureur général en vertu de l’article 95 C.p.c. selon l’arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant.
[107]      M. Parasiris recherche plutôt une interprétation conforme aux valeurs de la Charte
[108]      Selon l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, la présomption de respect des « valeurs de la Charte » — ne s’applique que si le sens d’une disposition est ambigu.
[109]      Or, l’article 11 de la LDAS n’est pas ambigu, il autorise l’exécution d'une perquisition à tout moment.
[110]      Toutefois, le mandat en l’espèce ne comporte aucune mention du moment de son exécution. 
[111]      Au Québec, le formulaire utilisé pour la préparation du mandat est un formulaire type émis par le ministère de la Justice qui est le même pour les perquisitions en vertu de l'article 487 du Code criminel et celles en vertu de l'article 11 de la LDAS même si les pouvoirs conférés et les exigences à l'égard des perquisitions de nuit sont différentes.
[112]      Le mandat en l'espèce ne prévoit pas spécifiquement qu'il peut être exécuté à tout moment et le seul espace relatif à l'heure de l'exécution a été laissé en blanc. 
[113]      Selon le juge Dickson dans l’arrêt R. c. Genest: «[l]e bon sens indique que, si l'on se sert d'une formule, elle doit être bien remplie, à plus forte raison quand la formule dit elle-même que certains renseignements doivent être inscrits dans les blancs.»  Le juge Dickson précise aussi qu'un policier devrait se méfier d’un mandat qui comporte des blancs.
[114]      Dans Genest, le mandat avait été émis en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur les stupéfiants qui prévoyait que l'agent pouvait entrer à toute heure et «[a]ucune mention n'a été faite de l'heure à laquelle la perquisition devait avoir lieu.»
[115]      Même si la Loi sur les stupéfiants permettait l'exécution du mandat à toute heure, le juge Dickson conclut néanmoins que «[l]'absence de toute mention des heures d'exécution ou des objets recherchés constitue une autre indication de la nullité du mandat en cause.»
[116]      L'utilisation d'un formulaire type comporte des risques qui sont bien illustrés par le mandat émis par le juge autorisateur en l'espèce :
Before the widespread use of computers, pre-printed forms issued by a government agency or the police agency provided a helpful tool for officers preparing search warrant applications. With the arrival of computers and word processing, however, pre-printed forms have become far less common.
There are several dangers involved in using pre-printed forms. First, with the pace of development in the law, pre-printed forms can become out of date. Judicial decisions identifying defects in the language of a form do not always reach the desk of those responsible for stocking the stationery stores at a police agency. Second, the pre-printed forms can themselves be unintentionally deceiving.
[117]      Un mandat émis en vertu de l'art. 11 de la LDAS doit préciser spécifiquement qu'il peut être exécuté à tout moment.  Cette mention était nécessaire même si l’article 11 de la LDAS prévoit l’exécution d'une perquisition à tout moment.  La loi ne peut suppléer à l'absence de mention dans le mandat et cette omission ne peut être qualifiée de simple vice de forme. 
[118]      Un mandat de perquisition est le jugement du juge qui autorise une perquisition.  Selon Genest, un mandat qui ne comporte aucune inscription dans l'espace réservé au moment de son exécution est nul.
[119]      Cette interprétation est la seule raisonnable compte tenu des exigences de l'article 29 du Code criminel et de l'arrêt Genest. On n'a qu'à imaginer ce qui serait arrivé à M. Parasiris ou à tout citoyen dans la même situation, si le mandat avait été présenté à M. Parasiris. Il aurait pu légitimement soulever, comme tout citoyen, que le mandat ne prévoit pas qu'il pouvait être exécuté à 5 h du matin en raison de la case laissée en blanc à cet effet.
[120]      Le mandat émis le 1er mars n’autorisait pas une perquisition de nuit.  De plus, on ne peut que constater, que cela soit une exigence constitutionnelle ou non, que la dénonciation ne comporte aucun fait qui peut justifier une perquisition de nuit.

lundi 8 juin 2015

L'enquête interne et l'application du secret professionnel

Gower v. Tolko Manitoba Inc., 2001 MBCA 11 (CanLII)
19                 With respect to the first factor, the communication must be connected to obtaining legal advice, but legal advice is not confined to merely telling the client the state of the law.  It includes advice as to what should be done in the relevant legal context.  It must, as a necessity, include ascertaining or investigating the facts upon which the advice will be rendered.  Courts have consistently recognized that investigation may be an important part of a lawyer’s legal services to a client so long as they are connected to the provision of those legal services.  As the United States Supreme Court acknowledged:

The first step in the resolution of any legal problem is ascertaining the factual background and sifting through the facts with an eye to the legally relevant.
[Upjohn Co. v. United States, 449 U.S. 383 (1981) (S.C.)
 at para. 23

Les distinctions qui existent entre le privilège relatif au litige et le privilège du secret professionnel de l'avocat

Imperial Tobacco Canada ltée c. Létourneau, 2012 QCCA 2260 (CanLII)


[7]         Dans l'arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), le juge Fish, au nom de la majorité de la Cour suprême, statue qu'une distinction existe entre le privilège relatif au litige et le privilège du secret professionnel de l'avocat. Il souligne que ces deux privilèges reposent sur des considérations de principe différentes et qu'il ne faut pas les confondre. Il ne s'agit pas de deux composantes d'un même concept :
1                        Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à établir pour la première fois une distinction entre deux exceptions à la communication forcée qui sont connexes, mais distinctes sur le plan conceptuel : le privilège du secret professionnel de l’avocat(solicitor‑client privilege) et le privilège relatif au litige (litigation privilege).  Ces privilèges coexistent souvent et on utilise parfois à tort le nom de l’un pour désigner l’autre, mais leur portée, leur durée et leur signification ne coïncident pas.
[…]
7                        Compte tenu de leur portée, de leur objet et de leur fondement différents, j’estime qu’il serait préférable de reconnaître qu’il s’agit en l’occurrence de concepts distincts, et non de deux composantes d’un même concept.  Par conséquent, dans les présents motifs, j’utiliserai l’expression « secret professionnel de l’avocat » comme s’entendant exclusivement du privilège de la consultation juridique et, à moins d’indication contraire, j’emploierai les deux expressions — secret professionnel de l’avocat et privilège de la consultation juridique — comme des synonymes interchangeables.
[…]
31                     Bien que distincts d’un point de vue conceptuel, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit.  En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre.  Cependant, le fait de considérer le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique comme deux composantes d’un même concept tend à en occulter la vraie nature.
32                    Contrairement au secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige prend naissance et produit ses effets même en l’absence d’une relation avocat‑client et il s’applique sans distinction à toutes les parties, qu’elles soient ou non représentées par un avocat : voir Alberta (Treasury Branches) c. Ghermezian (1999), 242 A.R. 3261999 ABQB 407 (CanLII).  La partie qui se défend seule a autant besoin  d’une « zone » de confidentialité; elle devrait donc y avoir droit.  Une autre distinction importante mène à la même conclusion.  La confidentialité, condition sine qua non du secret professionnel de l’avocat, ne constitue pas un élément essentiel du privilège relatif au litige.  Lorsqu’ils se préparent en vue de l’instruction, les avocats obtiennent ordinairement des renseignements auprès de tiers qui n’ont nul besoin ni attente quant à leur confidentialité, et pourtant ces renseignements sont protégés par le privilège relatif au litige.
33                     Bref, le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat reposent sur des considérations de principe différentes et entraînent des conséquences juridiques différentes.
(Soulignements ajoutés)

[8]         Dans cet arrêt, la Cour suprême clarifie la confusion jurisprudentielle sur la question et met fin à la controverse doctrinale sur la théorie du fondement différent de ces deux privilèges. L'analyse du juge Fish aux paragraphes [23] à [30] de ses motifs en témoigne :
23                     Selon l’appelant, la Cour aurait statué que le privilège relatif au litige est une composante du secret professionnel de l’avocat et bénéficie de la même protection quasi absolue, notamment de son caractère permanent.  Aucune des décisions qu’il invoque n’étaye toutefois cette affirmation.  La Cour a maintes fois traité du secret professionnel de l’avocat et souligné son importance primordiale, mais elle n’a encore jamais examiné la nature, la portée ou la durée du privilège relatif au litige.
24                     Ainsi, la Cour a expliqué dans Descôteaux c. Mierzwinski1982 CanLII 22 (CSC)[1982] 1 R.C.S. 860, et a réitéré depuis, que le secret professionnel de l’avocat a d’abord été une règle de preuve qui s’est transformée au fil des ans en une règle de fond.  En outre, la Cour n’a pas cessé d’insister sur l’étendue et la primauté du secret professionnel de l’avocat.  Voir par exemple : Geffen c. Succession Goodman1991 CanLII 69 (CSC)[1991] 2 R.C.S. 353Smith c. Jones1999 CanLII 674 (CSC)[1999] 1 R.C.S. 455R. c. McClure,[2001] 1 R.C.S. 4452001 CSC 14 (CanLII)Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général)[2002] 3 R.C.S. 2092002 CSC 61 (CanLII); et Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels)[2006] 2 R.C.S. 32,  2006 CSC 31 (CanLII).  Dans un extrait souvent cité de l’arrêt McClure, le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour, a dit que « le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (par. 35).
25                     Toutefois, il ressort clairement du texte et du contexte de ces décisions qu’elles ne portent que sur le privilège de la consultation juridique, ou sur le secret professionnel de l’avocat proprement dit, et non sur le privilège relatif au litige.
26                    Ces décisions, parmi d’autres, traitent abondamment de l’origine et du fondement du secret professionnel de l’avocat, fermement établi depuis des siècles.  Il reconnaît que la force du système de justice dépend d’une communication complète, libre et franche entre ceux qui ont besoin de conseils juridiques et ceux qui sont les plus aptes à les fournir.  La société a confié aux avocats la tâche de défendre les intérêts de leurs clients avec la compétence et l’expertise propres à ceux qui ont une formation en droit.  Ils sont les seuls à pouvoir s’acquitter efficacement de cette tâche, mais seulement dans la mesure où ceux qui comptent sur leurs conseils ont la possibilité de les consulter en toute confiance.  Le rapport de confiance qui s’établit alors entre l’avocat et son client est une condition nécessaire et essentielle à l’administration efficace de la justice.
27                     Par ailleurs, le privilège relatif  au litige n’a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client.  Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle‑ci et des tiers.  Il a pour objet d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client.  Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.
28                     R. J. Sharpe (maintenant juge de la Cour d’appel) a particulièrement bien expliqué les différences entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat :
[TRADUCTION]  Il est crucial de faire la distinction entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat.  Au moins trois différences importantes, à mon sens, existent entre les deux. Premièrement, le secret professionnel de l’avocat ne s’applique qu’aux communications confidentielles entre le client et son avocat. Le privilège relatif au litige, en revanche, s’applique aux communications à caractère non confidentiel entre l’avocat et des tiers et englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication.  Deuxièmement, le secret professionnel de l’avocat existe chaque fois qu’un client consulte son avocat, que ce soit à propos d’un litige ou non.  Le privilège relatif au litige, en revanche, ne s’applique que dans le contexte du litige lui‑même. Troisièmement, et c’est ce qui importe le plus, le fondement du secret professionnel de l’avocat est très différent de celui du privilège relatif au litige.  Cette différence mérite qu’on s’y arrête.  L’intérêt qui sous‑tend la protection contre la divulgation accordée aux communications entre un client et son avocat est l’intérêt de tous les citoyens dans la possibilité de consulter sans réserve et facilement un avocat.  Si une personne ne peut pas faire de confidences à un avocat en sachant que ce qu’elle lui confie ne sera pas révélé, il lui sera difficile, voire impossible, d’obtenir en toute franchise des conseils juridiques judicieux.
Le privilège relatif au litige, en revanche, est adapté directement au processus du litige.  Son but ne s’explique pas valablement par la nécessité de protéger les communications entre un avocat et son client pour permettre au client d’obtenir des conseils juridiques, soit l’intérêt que protège le secret professionnel de l’avocat.  Son objet se rattache plus particulièrement aux besoins du processus du procès contradictoire.  Le privilège relatif au litige est basé sur le besoin d’une zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire. Autrement dit, le privilège relatif au litige vise à faciliter un processus (le processus contradictoire), tandis que le secret professionnel de l’avocat vise à protéger une relation (la relation de confiance entre un avocat et son client).
(« Claiming Privilege in the Discovery Process », dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada (1984), 163, p. 164‑165)
29                     À l’exception de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Hodgkinson c. Simms (1988), 1988 CanLII 181 (BC CA),33 B.C.L.R. (2d) 129, les juridictions d’appel du pays ont conclu de façon constante que le privilège relatif au litige repose sur un fondement différent de celui sur lequel repose le secret professionnel de l’avocat : Liquor Control Board of Ontario c. Lifford Wine Agencies Ltd. (2005),2005 CanLII 25179 (ON CA)76 O.R. (3d) 401Ontario (Attorney General) c. Ontario (Information and Privacy Commission, Inquiry Officer)(2002), 2002 CanLII 18055 (ON CA)62 O.R. (3d) 167 (« Big Canoe »); College of Physicians & Surgeons (British Columbia) c. British Columbia (Information & Privacy Commissioner) (2002), 9 B.C.L.R. (4th) 12002 BCCA 665 (CanLII)Gower c. Tolko Manitoba Inc. (2001),196 D.L.R. (4th) 7162001 MBCA 11 (CanLII)Mitsui & Co. (Point Aconi) Ltd. c. Jones Power Co. (2000), 188 N.S.R. (2d) 173,2000 NSCA 96 (CanLII)General Accident Assurance Co. c. Chrusz (1999), 1999 CanLII 7320 (ON CA)45 O.R. (3d) 321.
30                     Les jurisprudences américaine et anglaise vont dans le même sens : voir In re L. (A Minor)[1997] A.C. 16 (H.L.)Three Rivers District Council c. Governor and Company of the Bank of England (No. 6), [2004] Q.B. 916, [2004] EWCA Civ 218, et Hickman c. Taylor, 329 U.S. 495 (1947).  Aux États‑Unis, les communications avec les tiers et les autres documents préparés en vue d’une instance sont protégés par une doctrine semblable relative « aux préparatifs de l’avocat » (« attorney work product »).  La majorité des auteurs adhèrent aussi à cette théorie du « fondement différent » : Sharpe; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada(2e éd. 1999), p. 745‑746; D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (3e éd. 2002), p. 197‑198; J.‑C. Royer, La preuve civile(3e éd. 2003), p. 868‑871; G. D. Watson et F. Au, « Solicitor‑Client Privilege and Litigation Privilege in Civil Litigation » (1998), 77 R. du B. can. 315.  Pour l’opinion contraire, voir J. D. Wilson, « Privilege in Experts’ Working Papers » (1997), 76 R. du B. can. 346 et « Privilege : Watson & Au (1998) 77 Can. Bar Rev. 346 : REJOINDER : “It’s Elementary My Dear Watson” » (1998), 77 R. du B. can. 549.
(Soulignements ajoutés)
[9]         Dans l'arrêt Foster Wheeler Power Co. c. Société intermunicipale de gestion et d'élimination des déchets (SIGED) inc.une affaire provenant du Québec, le juge LeBel avait aussi traité de l'immunité de divulgation relative aux documents préparés pour un avocat dans la perspective d'un litige appréhendé, sans pour autant la rattacher au secret professionnel protégé par l'article 9 de la Charte. Il y avait noté que cette immunité correspond au « litigation privilege » de common law.

[10]      Depuis l'arrêt Blank, la Cour a reconnu que la distinction qui existe entre ces deux privilèges s'applique en droit québécois.
[11]      Ainsi, dans Union canadienne (L'), compagnie d'assurances c. St-Pierrela juge Thibault précise que, selon ces enseignements de la Cour suprême, le privilège relatif au litige se distingue du secret professionnel entre l'avocat et son client, notamment quant à sa portée. Selon elle, il faut éviter de confondre ces deux exceptions à la communication forcée de la preuve. Elle écrit entre autres ceci sur les deux notions :
Le secret professionnel
[…]
[23]        D'entrée de jeu, il y a lieu de rappeler que, selon les enseignements de la Cour suprême dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice)le privilège relatif au litige, en tant qu'exception à la communication forcée, a été distingué de l'exception du secret professionnel entre l'avocat et son client, notamment quant à sa portée :
[…]
[24]        Ainsi, il faut éviter de confondre ces deux exceptions à la communication forcée de la preuve, notamment à cause de la portée beaucoup plus large de celle relative au secret professionnel.
[25]        Dans Société d'énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d'élimination des déchets (SIGED) inc., la Cour suprême explique que toute étude du secret professionnel, de son étendue et de son application nécessite l'examen du cadre législatif mis en place par le législateur. La disposition-clé en matière de secret professionnel se retrouve à l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne :
[…]
[33]        Le professeur Ducharme, dont je partage l'opinion, écrit que ce n'est pas le cas. En effet, tel que l'a décidé la Cour suprême dansGlobe and Mail c. Canada (Procureur général)il est de l'essence du secret professionnel que l'information transmise ait un caractère confidentiel, ce qui ne peut avoir lieu qu'à l'occasion d'une relation d'aide. Une relation d'aide implique que la transmission d'informations soit faite « dans l'intérêt primordial de permettre au confident de bien connaître les besoins de celui qui se confie, de façon à ce qu'il soit en mesure d'y satisfaire ».
[…]

Le privilège relatif au litige
[…]
[37]        Selon les principes de l'arrêt Blank précité, l'objet de ce privilège est de créer une « zone de confidentialité » à l'occasion ou en prévision d'un litige :
27     Par ailleurs, le privilège relatif au litige n’a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client.  Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle-ci et des tiers.  Il a pour objet d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client.  Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.
[…]
34     L’objet du privilège relatif au litige est, je le répète, de créer une « zone de confidentialité » à l’occasion ou en prévision d’un litige.
[38]        Ce privilège est interprété de façon restrictive puisqu'il « constitue un obstacle à la liberté de la preuve et à la découverte de la vérité ». C'est pour cette raison que, dans l'arrêt Blank précité, la Cour suprême en a restreint l'application aux documents préparés « principalement » en vue d'un litige :
59     La question s’est posée de savoir si le privilège relatif au litige devrait s’attacher aux documents dont un objet important, l’objet principal ou le seul objet est la préparation du litige.  Parmi ces possibilités, la Chambre des lords a opté pour le critère de l’objet principal dans Waugh c. British Railways Board, [1979] 2 All E.R. 1169.  Ce critère a également été retenu dans notre pays : Davies c. Harrington (1980), 115 D.L.R. (3d) 347 (C.A.N.-É.); Voth Bros. Construction (1974) Ltd. c. North Vancouver School District No. 44 Board of School Trustees (1981), 1981 CanLII 506 (BC CA)29 B.C.L.R. 114 (C.A.)McCaig c. Trentowsky (1983), 148 D.L.R. (3d) 724 (C.A.N.-B.); Nova, an Alberta Corporation c. Guelph Engineering Co. (1984), 1984 ABCA 38 (CanLII)5 D.L.R. (4th) 755 (C.A. Alb.); Ed Miller Sales & Rentals; Chrusz; Lifford; Mitsui; College of Physicians; Gower.
60      Je ne vois aucune raison de déroger au critère de l’objet principal.  Bien qu’il confère une protection plus limitée que ne le ferait le critère de l’objet important, il me semble conforme à l’idée que le privilège relatif au litige devrait être considéré comme une exception limitée au principe de la communication complète et non comme un concept parallèle à égalité avec le secret professionnel de l’avocat interprété largement.  Le critère de l’objet principal est davantage compatible avec la tendance contemporaine qui favorise une divulgation accrue.  Comme l’a souligné Royer, il n’est guère surprenant que la législation et la jurisprudence modernes portent de plus en plus atteinte au caractère purement accusatoire et contradictoire du procès civil,tendent à limiter la portée de ce privilège [soit le privilège relatif au litige]. [p. 869]
Ou, pour reprendre les termes utilisés par le juge Carthy dans Chrusz :
[traduction]  La tendance moderne favorise une divulgation complète et il n’existe aucune raison apparente de freiner cette tendance dans la mesure où l’avocat continue à jouir d’une souplesse suffisante pour servir adéquatement son client qui est partie à un litige.  [p. 331]
61    Tandis que le secret professionnel de l’avocat a été renforcé, réaffirmé et relevé au cours des dernières années, le privilège relatif au litige a dû être adapté à la tendance favorable à la divulgation mutuelle et réciproque qui caractérise le processus judiciaire.  Dans ce contexte, il serait incongru de renverser cette tendance et de revenir au critère de l’objet important.
(Soulignements ajoutés / Références omises)
[12]      Dans Fournier Avocats inc. c. Cinar Corporation, la Cour rappelle que l'arrêt Blank « établi[t] clairement une distinction entre le secret professionnel de l'avocat et le privilège relatif au litige ». Selon la Cour, « [i]l ressort notamment de cet arrêt que la protection du secret professionnel est beaucoup plus forte que celle du privilège relatif au litige ».
[13]      L'auteur Royer, que le juge Fish cite avec approbation dans son analyse de la doctrine aux paragraphes [30] et [60] de l'arrêt Blank, opine dans le même sens dans la dernière édition de son ouvrage en matière de preuve.
[14]      Le secret professionnel dont traite l'article 9 de la Charte vise les communications entre le professionnel et son client ou entre une personne et son confesseur. Dans le cas de l'avocat, il correspond au privilège de la consultation juridique dont traite la Cour suprême dans l'arrêt Blank et qu'elle distingue précisément du privilège relatif au litige.

La définition jurisprudentielle de l'avis juridique

Charlebois c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 788 (CanLII)


[28]           Des tempéraments ont été apportés à la rigueur apparente de la règle invoquée par l'intimé.  Le juge St-Pierre de la Cour du Québec soulignait à bon droit, dans Barreau de l'Abitibi-Témiscamingue c. Guindon :
[…]  on s'imagine mal qu'un employé, dans un greffe, ne puisse répondre à une question de renseignement demandée par un client.  Rien n'empêche de fournir des informations qui ne soulèvent aucune contestation, comme par exemple, que certains commerces ferment leurs portes à 21 h 00, d'autres à 18 h 00, que l'amende minimum pour la conduite en état de facultés affaiblies est de 300,00 $ ou encore qu'il n'y a pas de T.P.S. sur les arachides non salées et qu'il y en a sur celles qui le sont.  La Cour ne croit pas qu'il faille être avocat pour donner de telles informations; cela ne correspond pas au rôle plus spécialisé qu'est ou est sensé être celui de l'avocat.  Donc, le fait d'exposer des droits, des obligations et des recours prévus dans un texte de loi n'est pas, dans certaines circonstances, du ressort exclusif de l'avocat.
[Soulignement ajouté]
[29]           Plus loin de chez nous, un guide préparé pour le personnel des cours de l'État du Texas qui doit répondre à des demandes d'information provenant de gens qui se représentent eux-mêmes mentionne, pour un exemple donné :


What is Legal Advice ?
Court users are asking for legal advice when they ask whether or not they should proceed in a certain fashion.  Telling a member of the public what to do rather than how to do it may be giving legal advice.
Legal advice is a written or oral statement that :
o        Interprets some aspect of the law, court rules, or court procedures;
o        Recommends a specific course of conduct a person should take in an actual or potential legal proceeding; or
o        Applies the law to the individual person's specific factual circumstances.
[30]           Je suis d'accord, en principe, avec cette définition, mais il demeure des cas limites dans lesquels il sera difficile de tirer la ligne entre « l'information juridique » et « l'avis juridique ».
[31]           Dans un contexte différent, il a été décidé que les agents d'opposition du ministère du Revenu rendent des décisions et ne donnent pas une opinion ou un avis juridique.  Cette interprétation se démarque du sens littéral des termes « avis d'ordre juridique ».
[32]           Le professeur D.A. Rollie Thompson soulignait, il y a quelques années, dans une publication du Forum canadien sur la justice civile :
La plupart des tribunaux suivent le précepte classique qui est de « ne pas donner de conseil juridique ».  Le personnel judiciaire ne doit pas en donner.  Tout au plus, le personnel judiciaire peut être autorisé à donner de l'« information juridique » limitée, en général seulement dans les tribunaux où les personnes non représentées comparaissent le plus souvent, par exemple, dans les cours des petites créances ou les tribunaux de la famille.  […]

Toutefois, les tribunaux ne sont pas les seuls à tenter de faire une distinction entre « information juridique » et « avis ou conseil juridique ».  Cette même distinction est faite en dehors des tribunaux, par les organismes de vulgarisation et d'information juridiques, par les sites Web et les lignes téléphoniques télé-droit, dans les trousses de participation et les projets bénévoles des étudiants, voire dans les programmes de bénévolat juridique.  Les seules personnes qui vous donneront des conseils sont vos amis et votre famille, et ce n'est pas à (sic) un avis ou un conseil juridique au sens propre.
Généralement, la distinction est faite un peu de la façon suivante.  L'« information juridique » consiste à donner des réponses à propos du droit en général, sur les options offertes, les processus judiciaires élémentaires et, de façon plus dangereuse, sur la façon dont le droit « pourrait » s'appliquer ou s'applique « habituellement ».  En revanche, l'« avis ou le conseil juridique » consiste à donner des réponses personnalisées sur la façon dont le droit s'appliquerait à un cas particulier ou l'option qu'une personne devrait choisir ou le résultat probable qu'elle obtiendrait.

vendredi 10 octobre 2014

Le secret professionnel et l'exception du crime

Ménard c. Agence du revenu du Québec, 2014 QCCA 589 (CanLII)

Lien vers la décision

[44]        D'une part, les communications avec un conseiller juridique, voulues confidentielles, et s'inscrivant dans le cadre d'une relation professionnelle de conseil sont protégées par le secret professionnel bien que, cela dit, ce ne soient pas toutes les interactions entre une personne et un conseiller juridique (avocat ou notaire) qui déclenchent une telle protection.
[45]        Dans l'arrêt Descôteaux et autre c. Mierzwinski, le juge Lamer de la Cour suprême le rappelle en ces termes :
L'énoncé suivant que faisait Wigmore (8 Wigmore, Evidence, par. 2292 (McNaughton rev. 1961)) de la règle de preuve résume bien à mon avis les conditions de fond de l'existence du droit à la confidentialité du client de l'avocat:
(TRADUCTION)  Les communications faites par le client qui consulte un conseiller juridique ès qualitévoulues confidentielles par le client, et qui ont pour fin d'obtenir un avis juridique font l'objet à son instance d'une protection permanente contre toute divulgation par le client ou le conseiller juridique, sous réserve de la renonciation à cette protection.
Consulter un conseiller juridique inclut la consultation de ceux qui l'assistent de façon professionnelle (v.g. sa secrétaire, son stagiaire) et qui ont eu comme tel accès aux communications faites par le client dans le but d'obtenir un avis juridique.
Il y a des exceptions. Il ne suffit pas de parler à un avocat ou l'un de ses collaborateurs pour que dès lors tout soit confidentielIl faut que la communication soit faite à l'avocat ou à ses collaborateurs en leur qualité professionnelle; la relation, au moment précis de la communication, doit être de nature professionnelle.
[Soulignage ajouté, référence omise.]
[46]        Le privilège du secret professionnel appartient au client et non au professionnel.
[47]        D'autre part, les tribunaux reconnaissent diverses exceptions au secret professionnel, principe de justice fondamental comme ils l'ont énoncé à maintes reprises, lesquelles sont et doivent être « limitées, clairement définies et strictement contrôlées ».
[48]        Parmi ces exceptions se trouve l' « exception de crime » destinée à éviter que la protection qui s'attache à la relation professionnelle (le secret professionnel) ne soit détournée de sa finalité sociale et juridique.
[49]        Des propos du juge anglais Stephen, datant de 1884, font voir ce pourquoi il en est ainsi :
The reason on which the rule is said to rest cannot include the case of communications criminal in themselves, or intended to further any criminal purpose, for the protection of such communications cannot possibly be otherwise than injurious to the interests of justice, and to the administration of justice. Nor do such communications fall within the terms of the rule. A communication in furtherance of a criminal purpose does not "come into the ordinary scope of professional employment." […]
[…] The client must either conspire with his sollicitator or deceive him. If his criminal object is avowed, the client does not consult his adviser professionally, because it cannot be the sollicitator's business to further any criminal object. If the client does not avow his object he reposes no confidence, for the state of facts, which is the foundation of the supposed confidence, does not exist. The sollicitator's advice is obtained by a fraud.
[50]        Ils sont toujours d'actualité, comme le laisse voir l'arrêt Solofsky de la Cour suprême :
[…] Plus significatif, si un client consulte un avocat pour pouvoir perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, alors la communication n'est pas privilégiée et il importe peu que l'avocat soit une dupe ou un participant. L'arrêt classique est R. v. Cox and Railton (1884), reflex, 14 Q.B.D. 153, où le juge Stephen s'exprime en ces termes (p.167): [TRADUCTION] "Une [page 836] communication faite en vue de servir un dessein criminel ne "relève pas de la portée ordinaire des secrets professionnels."
[51]        Dans The Law of Evidence, les auteurs Paciocco et Stuesser expliquent et décrivent l'exception de crime et sa portée :
The privilege will not protect communications that are in themselves criminal or else are made with a view to obtaining legal advice to facilitate the commission of a crime. This is not an "exception" to but a "negation" of solicitor-client privilege. Such communications are not part of the professional relationship. Only communications made for the legitimate purpose of obtaining lawful legal advice are privileged. The privilege is designed to facilitate the administration of justice and is not intended to assist in the aiding and abetting of criminal activities. Therefore, no privilege will attach where the client, for a criminal or fraudulent purpose, either conspires with his solicitor or deceives him. The key will be the client's intent and purpose. The client's intention is paramount because the law will not discourage clients from seeking legal advice in good faith even regarding transactions that ultimately turn out to be illegal.
[…]
[…] ln principle, these communications are not within the scope of professional privilege at all, in that it is no part of a solicitor's duty, innocently or otherwise, to further any breach of duty or wrongful act.
[…]
[…] All privileges are created in the public interest and it is contrary to the effective administration of justice to use the privilege to shield criminal, fraudulent, or abusive misconduct.
[Soulignage ajouté, réferences omises.]
[52]        Dans la même veine, dans l'arrêt Amadzadegan-Shamirzad, cette Cour écrit :
La solution, qui semble la plus généralement acceptée, voudrait que l'on recherche s'il existe un ensemble de faits dont l'ensemble établit une sorte de preuve circonstancielle permettant de conclure probablement au détournement du secret de la communication privilégiée de cette preuve ainsi que la probabilité de l'existence d'une intention chez le client de commettre un crime ou une fraude grâce à la communication privilégiée.
[Soulignage ajouté.]
[53]        Des autorités qui précèdent, il ressort que l'exception de crime empêche la naissance même du secret professionnel (ou privilège – encommon law) : appliquer l'exception de crime ce n'est pas écarter le secret professionnel en place, mais plutôt affirmer son inexistence puisqu'il n'y en a jamais eu et qu'il ne pouvait y en avoir.
[54]        Cela étant, il tombe sous le sens qu'il ne peut-être question d'exception de crime que « si le client poursuit sciemment un dessein criminel », que si la communication est en elle-même de nature criminelle ou que si la relation professionnelle établie vise à faciliter, à encourager ou à préparer la commission d'un « crime » et que cette exception soit appliquée strictement et restrictivement, tant au niveau de la règle de preuve que de la règle de fond.
[55]        C'est donc à tort, à notre avis, que l'intimée soutient qu'il suffit de faire la preuve voulant qu'un crime ait été commis et qu'il y ait eu préalablement consultation d'un conseiller juridique pour réclamer, justifier et obtenir l'application de l'exception de crime. Il faut plus. Le juge Binnie de la Cour suprême l'énonce d'ailleurs dans l'arrêt R. c. Campbell :
À mon avis, la levée du privilège exige plus que la preuve de l'existence d'un crime et de la consultation préalable d'un avocat. Il faut quelque élément tendant à établir que l'avis a facilité le crime ou que l'avocat est devenu «dupe ou comploteur».
[Soulignage ajouté.]
[56]        Lorsque la communication n'est pas en elle-même de nature criminelle, qu'il n'est pas établi que le client poursuit un dessein criminel ou que la finalité du recours au conseiller juridique soit de faciliter la commission d'un crime, l'exception de crime ne s'applique pas.

mardi 7 octobre 2014

Les caractéristiques du secret professionnel du notaire

Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2014 QCCA 552 (CanLII)

Lien vers la décision

[74]        Dans un ouvrage qui fait toujours autorité, Jean-Louis Baudouin explique ainsi les caractéristiques du secret professionnel du notaire :

96. – En second lieu le notaire a toujours été considéré, avec raison d'ailleurs, comme le gardien de la paix des familles. De par sa profession et à raison de l'exercice de cette dernière, il est amené beaucoup plus que l'avocat, à pénétrer dans l'intimité familiale. Les secrets qui lui sont confiés intéressent en général beaucoup plus de personnes que le seul confident; ils intéressent toute la cellule familiale. Il est donc normal et juste que le notaire soit tenu au secret le plus strict, car de par leur nature, les actes qu'il reçoit (testaments, donations, contrats de mariage, etc.), sont pour la plupart destinés à maintenir chez leur rédacteur le secret absolu des affaires de famille.

97. – Le secret professionnel du notaire, comme celui de l'avocat, se manifeste dans ses relations avec la justice, par une dispense de rendre témoignage et de produire des documents confidentiels. Son obligation de se taire est cependant beaucoup plus difficile à définir que celle de son confrère avocat, parce que beaucoup plus nuancés. Cette obligation s'étend non seulement aux actes eux-mêmes, c'est-à-dire à leur contenu proprement dit, mais encore à toutes les circonstances entourant leur rédaction et leur établissement, aux discussions qui les ont précédés, aux confidences reçues et aux conseils donnés. Le notaire est tenu non seulement de ne pas dévoiler les actes dont il a connaissance, mais encore de ne pas en laisser soupçonner ou même supposer l'existence au cours d'un témoignage en justice. La seule restriction imposée par le législateur au notaire, comme à l'avocat d'ailleurs, est que les faits sur lesquels il est tenu au secret aient été portés à sa connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa fonction.

[...]

A. – ACTES PUBLICS ET ACTES PRIVÉS.

99. – Par actes publics, nous entendons ici non pas les actes authentiques par opposition aux actes sous seing privé, mais tous actes faits devant notaire et destinés à être portés à la connaissance du public en général notamment, par exemple, au moyen de l'enregistrement. Au contraire, par actes privés, nous entendons tous les actes qui ne sont pas appelés à être dévoilés au public et dont l'existence n'est connue que du notaire, des parties et des témoins. Il en est ainsi, par exemple, d'un acte hypothécaire, par opposition à un acte de dernière volonté.

100. – Il est facile de percevoir la différence fondamentale qui sépare les deux catégories d'actes notariés.

            Les premiers qui à l'origine étaient peut-être, dans l'esprit des parties, destinés à rester secrets, sont dévoilés au public par leur enregistrement, soit pour devenir opposables aux tiers, soit parce que la loi l'exige. Dès lors le notaire ne peut plus être tenu au secret sur la nature ou le contenu de l'acte juridique, puisque n'importe qui peut obtenir grâce aux registres, les précisions qu'il désire. Le notaire reste cependant tenu d'observer le secret le plus strict sur les négociations qui ont précédé la rédaction de l'acte et sur toutes les circonstances qui l'ont entourée. S'il n'est pas tenu au secret relativement au contenu et à la nature seulement apparente de l'acte en question, il y reste soumis par contre pour tout ce qui concerne la nature ou le contenu réel de cet acte. Il peut arriver en effet que l'acte apparent ne corresponde pas à la réalité et soit un acte déguisé, simulé ou fictif. Ce serait violer le secret notarial (sauf peut-être en cas de fraude à la loi, car « fraus omnia corrumpit ») que de divulguer alors les véritables relations existant entre les parties ou la véritable nature de l'acte auquel elles ont souscrit. Ainsi, il est très courant de voir au Québec, dans un acte notarié de vente immobilière, que la vente a été effectuée pour une somme nominale (1 dollar) et pour « d'autres considérations valables ». Le notaire instrumentant se rendrait coupable d'une grave faute professionnelle en révélant, serait-ce même au fisc, la véritable « considération » du contrat.

            Lorsqu'il s'agit d'actes publics, le notaire est tenu, de par la loi, d'en donner communication, d'en dresser expédition ou d'en rédiger un extrait à toute personne le requérant, même à un parfait étranger, lorsque ces actes sont au nombre de ceux dont l'enregistrement est requis. Cependant son obligation s'arrête là. Il n'est pas tenu d'aller plus loin. Son rôle est en quelque sorte négatif; il y a une obligation de communication, et non une obligation de renseignement.

[…]

102. – Si, au contraire, l'acte passé devant notaire est un acte privé, c'est-à-dire un acte qui n'est pas destiné à être connu du public, et qui est même fait précisément pour ne pas l'être, le notaire doit observer la discrétion la plus complète et la plus totale non seulement sur sa nature et son contenu mais aussi, bien entendu, sur son existence même. Tel est le cas par exemple d'une contre-lettre qui ne doit à aucun prix être révélée par le notaire, à moins que les parties à l'acte ne le requièrent.

B. – ACTES UNILATÉRAUX ET CONTRATS SYNALLAGMATIQUES.

103. – En ce qui concerne les actes où plusieurs personnes sont parties (ventes, transactions, etc.), l'obligation du notaire est double et absolue. Elle est double, parce que chaque partie à l'acte est créancière de l'obligation au secret dont le notaire est le débiteur. L'obligation étant double, il semblerait qu'il faille le double consentement des parties à l'acte pour relever le notaire de son obligation. Une distinction s'impose cependant. Si le notaire est requis de produire un tel acte dans une instance mue entre l'une des parties et un tiers, nous pensons qu'il doit exiger auparavant d'être formellement dispensé d'observer le secret par les parties; au contraire, si l'action est mue entre les parties à l'acte, l'autorisation d'une seule d'entre elles devrait suffire. La notion de propriété intervient ici; le notaire n'est pas propriétaire des documents, il n'en est que le simple dépositaire.

104. – Pour les actes passés devant notaire et où une seule personne est partie, l'obligation au secret est encore plus stricte. Le notaire est tenu à la plus complète discrétion et au silence le plus absolu pour tout ce qui concerne le testament par exemple. Il ne peut être tenu, du vivant du testateur, de déclarer si oui ou non il existe un testament fait par son client, ni encore moins de le produire en justice, sauf si le testateur lui-même le requiert.

[…]

108. – Le secret professionnel du notaire nous apparaît donc à la fois plus strict et plus nuancé que celui de l'avocat. Cela est dû au double rôle qu'exerce le notaire, à sa fonction privée et à sa fonction quasi officielle. Il est toutefois mieux protégé par la loi que son confrère du Barreau, grâce au système du compulsoire et grâce également à l'existence d'une réglementation légale précise sur la communication des actes qu'il dresse.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...