R. c. P.L., 2024 QCCA 1267
[10] L’intimé témoigne lors du voir-dire à propos de sa déclaration extrajudiciaire. En contre-interrogatoire, il atténue la portée des réponses qu’il a données au policier en disant qu’il a pu « commettre des gestes », mais que ce n’était « pas nécessairement volontaire ». Voici l’échange et la réponse que voudra utiliser l’appelant :
Q. Donc vous avez, entre autres, répondu aux policiers : “C’est arrivé une couple de fois que oui, ma main est allée sur son vagin, mais pas pour la pénétrer avec mes doigts. Non. C’est - c’était par-dessus la plupart du temps”.
R. Oui.
Q. Vous vous souvenez de cette réponse-là. Puis, ce que vous me dites aujourd’hui, c’est que ça, c’est un mensonge.
R. Ce que je vous dis aujourd’hui, c’est que j’ai pu commettre des gestes. Mais ce n’était pas, ce n’était pas le - nécessairement volontaire ou dans une action pour vraiment.
[11] Il témoigne plus tard au procès et, cette fois, il affirme qu’il n’a jamais touché « aux parties génitales de la plaignante ». L’appelant veut par conséquent le contre-interroger en utilisant la réponse qu’il a donnée en témoignant lors du voir-dire (« [...] c’est que j’ai pu commettre des gestes. Mais ce n’était pas, ce n’était pas le - nécessairement volontaire […] »).
[12] L’intimé s’oppose à un tel contre-interrogatoire et le juge ne permet pas la question.
[13] Il est bien possible, comme le plaide l’appelant, que le juge ait erré en lui opposant la protection conférée à l’intimé par l’art. 13 de la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, l’intimé a témoigné volontairement lors du voir-dire et n’a donc pas été contraint de le faire, de sorte qu’on pourrait légitimement plaider que l’art. 13 ne s’applique pas : R. c. Nedelcu, 2012 CSC 59, [2012] 3 R.C.S. 311, paragr. 3-8; R. v. H.P., 2022 ONCA 419, paragr. 57, question à laquelle la Cour n’entend toutefois pas répondre en raison de son caractère théorique ici.
[14] En effet, le juge ne se limite pas à invoquer l’art. 13.
[15] L’extrait du contre-interrogatoire que veut utiliser l’appelant est indissociable de la réponse donnée dans la déclaration extrajudiciaire puisque, pris isolément, l’extrait est incompréhensible et n’a aucune valeur probante sans que l’on démontre le contexte dans lequel il se situe, c’est-à-dire qu’il réfère à des gestes de nature sexuelle. Ce caractère indissociable entre la réponse donnée en contre-interrogatoire et la déclaration faite au policier est d’ailleurs admis par l’appelant au procès :
[…] Pour que Monsieur comprenne bien la question, c’est sûr qu’il faut qu’on fasse référence à la question-réponse. C’est sûr. Pris hors contexte, ça peut vouloir dire plusieurs choses. « Ce que je vous dis aujourd’hui, j’ai pu commettre des gestes ».
[16] En somme, pour contextualiser la réponse qu’il voulait utiliser, l’appelant devait référer à une partie d’une déclaration extrajudiciaire déjà jugée inadmissible et voulait donc se servir d’un élément de preuve qui avait été exclu du dossier. Ceci revenait à vouloir faire indirectement ce qu’il ne pouvait faire directement. Le juge a d’ailleurs bien saisi le problème en décidant ainsi :
[…] les sujets sont trop proches du contenu de l’interrogatoire vidéo pour ne pas dire qu’ils sont en plein dedans et, pour des motifs à suivre, c’est-à-dire pour des motifs qui seront dans une forme plus limpide, j’accueille l’objection. Puis je ne vous permets pas de poser cette question-là.
[17] Il précisera plus tard ce qui suit, dans le cadre du jugement final acquittant l’intimé :
La question que voulait poser la poursuite avait fait l’objet d’un extrait de la déclaration vidéo qui a pas été admise en preuve […] elle a été exclue de la preuve […]. Même si les intentions de la poursuite étaient nobles. La conséquence de permettre un, une telle question, eût été de permettre à la poursuite de mettre en preuve une déclaration incriminante, déclaration qui avait été déclarée non admissible en preuve.
[18] L’utilisation que voulait en faire l’appelant menait nécessairement à employer un élément de preuve non admissible et le juge pouvait certes conclure comme il l’a fait.